J'aurais p'tet jamais dû te rencontrer [PV Rin]

Après les cours du Jeudi, il y a un certain rituel que j’aime bien appliquer à ma vie dans cette académie. Chaque semaine, après l’entraînement du club de natation, je me rends à la piscine incognito, je me change des les vestiaires et pars vers les bassins. Pour autant que je sache, je ne fraude pas puisque rien dans le règlement ne stipule qu’un élève n’a pas le droit de se rendre dans les bassins après une certaine heure, et puis ce n’est pas comme si je vandalisais les lieux. J’aime l’eau pour une seule bonne raison : elle m’apporte la paix intérieure et la sereinité. Je pourrais très bien aller prendre une douche me diriez-vous, mais ce n’est pas la même sensation, j’aime plonger sous l’eau pour méditer, revenir à la surface et me laisser aller au gré du courant.

Certaines personnes me diront de rejoindre le club de natation, mais je ne pense pas que mes objectifs soient les mêmes que les autres membres. Eux recherchent avant tout leur mise en valeur, l’entretien de leur corps et leurs muscles, moi je cherche juste à me détendre, battre des records et être en concurrence permanante..C’est très peu pour moi. Je me débarrasse de ma chemise blanche et de ma cravate, je défais ma ceinture et baisse mon pantalon puis mon caleçon avant d’enfiler un short de bain. Sportivement parlant, la natation est une des disciplines que je déteste le plus, mais lorsque j’ai le privilège d’être seul dans les bassins, je me sens comme un poisson dans l’eau.

Je plie soigneusement mes affaires et les dépose dans mon sac pour qu’elles restent au sec, et je place le tout dans un casier du vestiaire des garçons. Je passe hâtivement sous la douche froide avant de me rendre vers la piscine intérieure, je sens déjà la fraîcheur parcourir mon corps fatigué par la pression que me fait subir indirectement la société Japonaise. J’ai beau dire que je m’en fiche, il n’empêche qu’au fond de moi, je ne veux pas échouer scolairement parlant, inconsciemment je me soumets aux règles dictées par cette société qui pousse la jeunesse au bord du gouffre parfois. Je me sens usé par cette vie que je mène, mais je n’ai pas la force de me révolter contre ça.

Après tout, je suis un élève passif. Je me positionne au bord du plongeoir et me laisse lourdement tomber, j’entre alors dans un autre monde, je ferme les yeux pour laisser l’eau recouvrir mon corps tout entier. Je me sens bien, libre de mes mouvements et surtout de mes pensées. Je me laisse couler, presque jusqu’au fond du bassin, avant de rouvrir brusquement les yeux. Tout semble aller si bien ici, les choses vont à mon rythme, c’est comme si toutes mes obligations étaient parties d’un coup. Mon plaisir ne dure pas plus de quinze secondes, je dois déjà remonter à la surface pour reprendre mon souffle.

Je laisse l’eau me propulser jusqu’à la surface, c’est comme si une relation de confiance s’était instaurée entre nous, je ne sais pas, c’est une étrange sensation mais pas une des plus désagréables. Je prends une grande bouffée d’air une fois hors de l’eau et commence à faire la planche durant quelques minutes avant de me redresser, secouer mes cheveux noirs de jais pour y expulser les petites gouttes d’eau éparses qui y sont encore logées, ah décidément. Par habitude, j’entame quelques mouvements de bras qui me poussent à atteindre le bord du bassin, sans m’en rendre compte, je débute une série de longueur, peut-être deux ou trois, j’en sais rien.

En général, il me semble que je reste environ deux heures ici, tant que personne ne vient me déranger j’imagine que je peux continuer à nager. Je quitte les lieux vers dix-huit heures afin de me rendre dans le local du club de littérature, faire acte de présente et de voir ce qui s’y fait. Même si ça ne m’enchante pas tellement d’y aller, j’ai au moins quelque chose à raconter à ma grande sœur quand elle me téléphone. D’ailleurs, notre dernière conversation fut très animée, un peu par ma faute je le conçois, mais je reste sur ma position de dire que je ne suis pas l’unique responsable de notre dispute, elle n’avait pas à insister ainsi.

Après mon entrevue avec Naoko au restaurant de sushi, elle n’a pas arrêté de me lancer des coups de fil – chose qu’elle ne faisait jamais encore, du moins pas avec autant de régularité – pour me demander comment évoluait la situation. Au début, je ne comprenais pas trop de quoi elle parlait donc ça ne me dérangeait pas plus que ça, mais récemment je crois…que je comprends mieux. Et penser à ça me rend terriblement mal à l’aise, alors instinctivement j’ai commencé à éviter de passer devant la salle de la 2B même si je dois faire un détour pour me rendre à mon casier ou sur le toit.

Jusque là, on ne m’avait jamais confronté à mes « sentiments » enfin pour être honnête, ce que je ressens n’a jamais été quelque chose d’important à mes yeux. J’ai toujours été indifférent à tout et tout le monde, ah putain d’adolescence. Et puis, pourquoi elle ? C’est vrai, elle n’a rien de spécial en fait. Je devrais peut-être essayer de me calmer, ouais ça passera. C’est juste de l’attirance ouais, c’est juste parce que c’est ma première amie et que je ne sais pas comment me comporter alors j’me fais des idées, et ma sœur ne m’aide pas sur ce plan là…Aïe. Je me suis cogné au rebord de la piscine à force de penser, mais…Attend, c’est pas ça qui a pu faire autant de bruit ?

Oh fuck

Une fraction de seconde plus tard, je suis déjà retourné, à l’affût, tel un chien de garde qui espère croiser un voleur. Je plonge à moitié ma tête dans l’eau – jusqu’au nez – et sillonne dans le bassin jusqu’à apercevoir un autre garçon à l’opposé de ma position. Il se trouve au sec, sa tête me dit vaguement quelque chose maiiiis…Non, en fait je suis vraiment trop nul pour retenir la tête des gens, surtout lorsqu’ils ne m’intéressent pas. Qu’est-ce qu’il veut ? Je ne suis vraiment pas d’humeur à parler lorsque l’on m’interrompt dans ma séance de détente, s’il me demande de faire trop d’effort, j’ai tout intérêt à l’ignorer jusqu’à ce qu’il s’en aille…

Il me parle, je ne réponds pas, je ne suis pas d’humeur à me lancer dans une conversation et encore moins à aider quelqu'un, je préfère rester dans mon coin en bon petit égoïste et attendre qu’il parte, il finira bien par être exaspéré par mon comportement. Par chance, ma nature passive dissuade toujours les autres de me demander un service, et cela m’évite de gaspiller mon énergie par la même occasion. Il m’interpelle une seconde fois, je ne prête même pas attention à ce qu’il me dit, ce n’est sûrement pas intéressant. Je refais un petit plongeon dans l’eau pour lui montrer mon indifférence par rapport à la situation, mais d’après ce que je vois, il ne bouge pas d’un pouce.

Je finis par remonter à la surface, afin de reprendre un peu d’air, je jette un coup d’œil discret en sa direction, il est maintenant assis en tailleur. Ce mec est bien trop posé pour fuir rapidement…Mince, il va peut-être falloir que je le fasse fuir moi-même. Je soupire, ce n’est pas dans ma nature d’être aggressif avec les gens, je veux juste qu’on me laisse un peu tranquille aujourd’hui, c’est pourtant peu demandé je trouve. J’entends encore sa voix résonner derrière moi, je ne me retourne pas et continue de nager, je me laisse emporter par l’énergie mécanique produite par la force de mes bras.

Peut-être qu’aujourd’hui j’aurais dû faire une exception à mon rituel…mais je ne pouvais pas savoir qu’un bellâtre d’inconnu allait venir interrompre ma séance de détente, et de réflexion par rapport à moi-même. D’ailleurs, je ne sais même pas très bien à quoi il ressemble. Je fais volte-face et me frotte machinalement les yeux pour y faire sortir les quelques gouttes d’eau chlorée restantes qu’il y avait coincées entre mes paupières. D’un geste vif, je rabats une mèche de mes cheveux vers l’arrière, bon…Alors c’est lui qui essaie de me dire un truc depuis tout à l’heure ?

Comment pourrais-je le décrire ? Il est grand, maigre, a de longs cheveux gris ou blancs, je n’arrive pas très bien à voir. Il a une peau pâle, un peu laiteuse par sa texture vue d’ici…Bah c’est un Japonais quoi. Lassé de le voir me fixer ainsi, je me retourne de nouveau et me dirige vers la sortie du bassin, s’il ne part pas…Très bien, je le ferai alors. Traitez-moi de lâche si vous voulez, moi je veux juste éviter que l’on se fâche, au fond je suis un pacifiste, vous devriez encourager mes actes. J’atteins enfin l’échelle métallique que j’agrippe pour me hisser en dehors de l’eau, j’essore le bas de mon short de bain puis je trace ma route jusqu’à arrive au niveau du jeune homme.

Nos regards se croisent durant quelques secondes, mon visage se crispe, je lui adresse un air blasé et ennuyé pour lui faire comprendre que je n’ai pas l’intention d’avoir quelque chose à faire avec lui mais que je n’ai pas pour autant envie d’avoir des ennuis. Parfois, un silence peut en dire long sur notre humeur et nos sentiments…Encore faut-il que l’interlocuteur comprenne ce silence éloquent, et surtout pas de travers comme cela arrive parfois. Je soupire, je suis malheureusement loin d’être un modèle en matière de sociabilisation, si l’on pouvait s’arrêter à ce stade là de notre échange, ça m’arrangerait grandement.

Franchement, entre ma journée pénible avec tous ces fils à papa dans ma classe, et le fait que je sois confronté à un sentiment nouveau envers une personne que je connais à peine c’en est vraiment assez. J’ai assez perdu d’énergie à penser aujourd’hui, maintenant je ne veux plus qu’une chose, me coucher et ne plus entendre parler personne jusqu’à demain, je risquerais de faire une chose que je ne fais jamais d’habitude…m’énerver. Oui oui, vous avez bien entendu. En temps normal, je fais face à des situations de frustration assez aisément, mais là on peut dire que s’il commence à m’enguirlander avec ses histoires à 100 Yens, ça serait la goutte qui fera déborder le vase.

Je souffle doucement alors que je m’apprête à reprendre ma route vers les vestiaires pour me changer et regagner ma chambre à l’internat, mais une fois de plus sa voix chargée en testostérone – haha…- de jeune lycéen m’interpelle. Au début, je ne réagis pas, puis je finis par me tourner, haussant les sourcils de manière à montrer mon incompréhension face à sa requête, n’avait-il donc pas compris quelles sont mes attentes par rapport à lui ? Casse-toi sérieusement, au lieu de me harceler. Je me renfrogne et fais la moue, je ne veux pas céder, est-ce que quelqu’un se préoccupe de moi quand j’ai un problème ? Hein hein hein.

« Lâche-moi sérieux, tu te rends pas compte à quel point j’ai pas envie de parler là ? »

Bon, j’y suis peut-être allé un peu fort, s’il est fragile mentalement et qu’il commence à pleurer ça va pas le faire….quoique sincèrement j’m’en fous. Va te faire foutre saleté de conscience, tu ne gagneras rien aujourd'hui à essayer de me faire culpabiliser, je suis tellement de mauvaise humeur que ça ne passera pas. Je lance au type aux longs cheveux blancs - que j'arrive à distinguer maintenant que nous sommes assez proches - un regard proche du dédain. Mais dans l’histoire, jamais je n’aurais pu imaginé que je pourrais être perdant à refuser de l’aider, je n’aurais sûrement jamais dû rencontrer ce type et encore moins lui adresser la parole, j’ai un mauvais pressentiment finalement…Hisaka, tu as sûrement raté une occasion de te taire.