Losing is only a sign. It's only a sign that you really tried, really tried [Hisa et Airi]

Je viens de rendre ma feuille d’exercices de la journée, plutôt satisfait de ma performance. Plus les jours passent et mieux je m’habitue au rythme qui m’est demandé. J’en finirais presque par conclure que j’ai rattrapé tout le retard que j’avais accumulé en débarquant au second semestre. Voyons, il ne me reste plus que deux sujets d’examen et un projet à terminer. Assis à ma place préférée dans la salle de TD, je laisse mon corps se détendre sur ma chaise. Je vais pouvoir achever ma recette au club de cuisine aujourd’hui, après plusieurs essais, je pense tenir la subtilité de mon plat, l’atout qui va convaincre le jury : une touche de menthe. Il est temps de mettre mon plan à exécution après toute cette journée à y avoir pensé. J’attrape donc mon sac, le passe par-dessous l’épaule et quitte la salle.

Dans les couloirs, je croise deux ou trois têtes familières dont je ne suis pas assez proche pour les saluer. J’aurais espéré tomber sur mon binôme de projet qui était sorti avant moi, mais je ne le vois pas, pas même après avoir fait le tour du couloir. Je suis maintenant prêt à sortir du bâtiment, mais avant cela, je prends une canette au distributeur : il fait chauds ces jours-ci, et je pense que je ne tiendrais pas derrière les fourneaux si je n’ai pas de quoi me désaltérer. Les premières gorgées de soda sont libératrices. Je me rends alors compte que je n’ai pas quitté la machine et que d’autres personnes attendent derrière moi. L’air désolé, je leur présente mes timides excuses et me décale aussitôt.

Les marches s’enchaînent sous mes pieds et je suis maintenant à deux pas de rejoindre l’extérieur. La lumière du soleil me paraît étonnamment agressive après avoir passé des heures dans une classe où l’éclairage est artificiel. Et comme je l’imaginais : il fait chaud. Je ne retiens pas mon soupir et me lance dans la traversée du campus. Une étrange sensation m’envahit à l’instant où j’entre dans les espaces verts qui séparent l’université du bâtiment des clubs : j’ai l’impression d’être observé. C’est sûrement parce que je me sens encore intimidé par les regards agacés que m’ont lancé les autres au distributeur, me dis-je pour me rassurer en avalant une nouvelle gorgée de soda. Et pourtant…

A mi-chemin, on vient me barrer la route. Je n’avais rien vu venir et je ne sais même pas d’où sort cette furie. Une chose est sûre cependant : elle connaît mon nom. Comment ? Ca, je l’ignore encore. Qui est ce petit bout de femme d’à peine un mètre soixante ? Je fronce les sourcils, tentant de la remettre dans un contexte où j’aurais pu la croiser, mais non, elle ne me dit rien du tout. Ne voulant pas la faire attendre plus longtemps, je daigne tout de même à lui répondre.

« Ou-ouais ? »

Elle a l’air bizarre. On dirait que je l’ai contrariée. Pourtant cette fois, je ne vois vraiment pas comment j’aurais pu influer sur elle, je ne la connais même pas ! Et puis, son physique est quand même relativement commun pour une japonaise, ça pourrait être n’importe qui. Je l’observe silencieusement sortir une feuille de son sac pour me la tendre. « Signe ce document » me dit-elle sur un ton sec qui me rappelle celui de ma mère quand je fais une bêtise. Je déglutis difficilement. Que me veut-elle ? Je lui dois de l’argent ? Je devais bien me douter qu’une fille qui m’aborde sans raison dans la cour, ce n’est pas pour rien. Avec douceur et délicatesse hein. Elle devrait appliquer ses propres conseils avant de vouloir me les donner.

J’attrape le bout de papier entre mes phalanges et en lis rapidement le contenu. Une nouvelle fois, c’est la confusion dans me esprit. Elle se moque de moi ? Je pose mes yeux sur elle, l’air sincèrement perdu. Je ne comprends pas, elle viendrait du club de littérature pour me recruter alors que je l’ai lâchement quitté l’année dernière ? Du coup, ce serait de là que nous nous connaissons…mais sa tête ne me dit toujours rien. Et pourtant, ce n’est pas comme si le club de littérature était très populaire parmi les étudiants.

« Je ne suis pas intéressé, désolé. Demande à d’autres gens. »

Lui dis-je en lui remettant la feuille sans signer. Je me gratte l’arrière de la tête, un peu gêné par ce refus express. D’ordinaire, je n’aurais pas eu de mal à fuir un recruteur, mais son regard froid et déterminé me laisse savoir qu’elle n’en a pas fini avec moi. Eh merde, quelle plaie celle-la. Il faut qu’elle me laisse passer, je n’ai pas tout la nuit devant moi. Je tente de la dépasser sur le côté.

« J’ai des choses importantes à faire. »

Je reste interdit quand elle ne reprend pas le formulaire d’inscription qu’elle m’a tendu un peu plus tôt. Décidément, les clubs sont passés à une stratégie de communication plus agressive que dans mes souvenirs. Je ne suis pas contrarié pour autant et baisse le bras en poussant un soupir. Puisqu’elle ne veut pas que je le lui rende, je suppose que je vais le garder et le jeter à la prochaine poubelle. Ca reste du gaspillage, mais je n’ai pas trop le choix. Pensant que l’histoire est réglée maintenant que j’ai accepté de prendre la feuille, je lui signifie que j’ai des choses importantes à faire – ce qui n’est pas totalement faux – et tente de la doubler sur le côté…jusqu’à ce qu’elle me bloque.

Tentative de fuite échouée. Kami-sama, d’où sort cette fille et sa technique de blocage ? Si je n’avais pas lu noir sur blanc club de littérature sur le papier un peu plus tôt, j’aurais juré qu’elle vient de la part du club de basketball. Je tourne mon visage vers le sien, confus. Cela fait exactement un an que j’ai quitté ce club alors pourquoi est-ce que l’on m’envoie quelqu’un maintenant ? Ma lettre de démission était pourtant très claire. Et malgré tout, cette fille s’acharne corps et âme à me faire signer un formulaire de réinscription. Si je pouvais me dépêcher, cela l’arrangerait me dit-elle avec froideur. Je m’apprête à lui répondre que je n’en ai pas envie, mais elle me devance et me propose un café. Le ton qu’elle emploie change lui aussi, devant plus mielleux, plus commercial. C’est moi qui paye surenchérit-elle avant de ricaner.

« Je ne comprends vraiment pas, je suis désolé. »

Dis-je en essayant de fuir son emprise, l’air sincèrement navré. Toutefois, j’ai le sentiment que plus je vais tenter de m’éloigner, plus elle va me coller à la peau. Mieux vaut lui expliquer que je suis vraiment occupé ce soir ? D’un coup d’œil, je peux sentir que c’est une personne qui a le goût du travail bien fait et serait prête à marcher sur des cadavres pour réussir, donc j’imagine qu’elle pourrait comprendre ?

« Il faut que j’aille finir mon travail au club de cuisine. »

Ce n’est même pas une excuse étant donné que c’était ce que j’avais prévu depuis le début, juste avant qu’elle ne me barre la route comme si j’étais un vulgaire fugitif. Bon, il est vrai que j’ai fui le club en donnant ma lettre de désinscription à Morichi-kun, mais les choses s’étaient tassées depuis, non ? J’ai du mal à imaginer Coda-senseï me courir après avec un an de latence, quand même.

Les pupilles de la jeune fille au sourire hypocrite s’obscurcissent soudainement, comme si je venais de lui annoncer la fin du monde. Chassez le naturel, il revient au galop, me dis-je alors qu’elle reprend le ton froid qu’elle avait jusqu’alors, pour me menacer. Une fois de plus, je ne comprends pas très bien de quoi elle parle. Elle m’a attendu une heure soit, mais de quel froid parle-t-elle ? Je remarque qu’elle porte une tunique, ça aurait dû être suffisant pour la température actuelle non ? Bon, je suppose que chacun ressent les choses différemment, et il y a bien un peu de vent maintenant que j’y pense.

« Bon, ok pour le café, mais je ne vois vraiment pas ce que je pourrais vous dire de plus. »

Ennuyé, je me gratte l’arrière de la tête et commence à suivre la fille dont je ne connais même pas encore le nom. Restant sensiblement en retrait par rapport à elle, je remarque maintenant ses longs cheveux noirs se balançant de droite à gauche. Elle marche vite, c’est à peine si j’arrive à suivre son rythme, ou alors c’est moi qui suis vraiment lent. Je reprends assez timidement la parole alors que nous nous dirigeons vers la sortie du campus. Quand elle disait café, je pensais qu’elle parlait d’un distributeur ou de la cafétéria, je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’emmène ailleurs.

« Excusez-moi, mais…on va où en fait ? »

Si ça se trouve, cette histoire de café et de club, c’est un piège. Méfiant, je repense à Zakuro qui m’avait drogué par le biais d’une sucrerie pour m’abandonner dans une rue de Bougu. Bon, même si elle n’a pas l’air très commode, je ne devrais peut-être pas me tourner autant de films. Il faut juste que j’essaie d’en apprendre un peu plus sur elle, son nom pour commencer, ça serait déjà pas trop mal. Mais je me vois mal reprendre la parole pour lui demander frontalement comment elle s’appelle. Il va falloir procéder autrement.

« D’ailleurs euh…vous êtes qui en fait ? »

Au final, c’est encore pire que ce que j’avais imaginé. J’aurais mieux fait de faire comme les beaux gosses dans les shojos de ma sœur : la dépasser sur le côté, plisser mes yeux d’ores et déjà bridés et murmurer d’une voix suave « Au fait, quel est ton nom ? ». Je secoue la tête. Hors de question.