Summer days [ Aredhel ] (Terminé)

La voix de la jeune femme résonne encore dans ma tête. Ma valise contenant toutes mes affaires s’éclate alors sur le sol, mes petits yeux bruns se plissent, j’ai encore du mal à réaliser ce qu’il m’arrive. Autour de moi, quelques personnes se bousculent, courent et d’autres attendent patiemment leur train sur le quai, et moi je suis là, au milieu de cette foule, ne sachant pas par où aller. Elles avaient pourtant bien commencées, les vacances d’été. Ce matin, je m’étais levé avec ma légèreté habituelle, j’avais mangé un pain au lait puis j’avais rangé ma chambre avant de me prélasser jusqu’à l’heure du départ. En partant plus tard que la normale, je m’étais évité des cohues d’étudiants s’apprêtant à quitter le campus, tout comme moi, mais il semblerait que mon plan soit tombé à l’eau. Que faire maintenant ? Mon regard se pose sur le panneau d’affichage électronique où sont diffusées les prochaines horaires, je cherche désespérément le nom de ma ville, les caractères s’enchaînent et je ne vois toujours pas Nagoya.

17h42, c’est l’heure à laquelle partira le prochain train qui me ramènera enfin chez moi. Je jette un coup d’œil sur ma montre…J’ai donc deux heures et quelques à tuer dans cette ville. Je pourrais bien rentrer à l’académie, mais ce serait perdre mon temps et faire des efforts inutiles. Il n’y a pas grand-chose à faire ici en fait, à cette heure là les supermarchés doivent être bondés parce que les gens cherchent la fraîcheur de l’air conditionné, hors de question que j’aille là-bas, mais en même temps je n’ai pas très envie de rester ici non plus. Tous ces gens pressés me foutent une sacrée pression. Si seulement je pouvais être un fantôme, traverser les murs et voler jusqu’à chez moi car non seulement, attendre plus de deux heures ici me paraît insurmontable, mais c’est sans compter le fait que je vais devoir me coltiner les taquineries de ma grande sœur et de mes parents, rentrés spécialement pour passer une semaine en famille. D’ailleurs, il faudrait peut-être que je les prévienne.

Alors que je me dirige vers un distributeur de boissons pour étancher ma soif, je dégaine mon bon vieux téléphone afin d’envoyer un texto à Yuuko, mon aînée. Je glisse quelques pièces dans la fente et choisis…une canette de thé glacé. Je me baisse, attrape ma boisson, récupère ma monnaie et continue de faire les cent pas en prenant une gorgée de temps en temps. De mon autre main, j’écris quelques mots d’excuses « Je rentre plus tard que prévu, mon train a été annulé. Je serai là pour le repas, dis à Papa et Maman de ne pas s’inquiéter. Salut. » Je relis mon message une dernière fois avant de l’envoyer, puis presse le bouton ‘OK’ afin de confirmer ma décision. Je continue de marcher, le regard rivé sur mon appareil pour vérifier que l’envoi se termine, et au même moment…

CLANG

Ma canette tombe au sol sans que j’aie le temps de réagir, je rattrape in-extremis mon téléphone avant qu’il ne chute. Lorsque je prends conscience de la situation, le mal est déjà fait. Un jeune homme à peine plus âgé que moi se retrouve aspergé par le reste de ma boisson. Paniqué, je ne sais pas comment va réagir la personne qui est en face de moi, je ne peux que m’incliner, chercher des mouchoirs dans ma poche – sans succès – et m’excuser autant de fois que possible, comme le ferait un étranger lors de son premier séjour au pays du soleil levant.

« Je suis désolé ! Je suis désolé ! Vraiment ! »

La personne me fait signe qu’il y a plus grave avant de s’en aller. Je suis soulagé qu’il ne me soit rien arrivé avec cette gaffe. En tout cas, je ferais bien de faire plus attention ces prochains temps. Pour bien faire, je devrais m’assoir quelque part et ne plus bouger. Tiens, un siège est libre là-bas, près d’un garçon aux cheveux clairs. Avec ma valise en main, je me dirige vers l’endroit où je pense passer les deux prochaines heures, pourvu qu’il ne m’arrive pas autant de bourdes que d’habitude en société. Je salue brièvement les personnes qui ont assisté à mon spectacle embarrassant – et ce non sans rougir de honte – et prends place à côté d’une personne qui m’est inconnue. Si seulement nous pouvions rester ainsi pendant le reste du temps d’attente.

On dit que l’on ne doit pas juger quelqu’un à son apparence, pourtant parfois c’est difficile de faire autrement et plus que ça…Il arrive que les premières impressions se confirment. Pour ma part, après avoir accidentellement renversé mon soda sur un passant alors que je traversais le quai, je me retrouve à côté d’un psychopathe au regard oppressant qui ne cesse de me fixer et de m’examiner sous toutes les coutures depuis que je me suis assis à côté de lui. Il est tellement insistant que je me demande si je n’ai pas pris une place réservée sans m’en rendre compte et il n’ose pas me le dire. Enfin, le rideau tombe lorsqu’il m’adresse la parole, il ne manquait plus que ça. Je vous préviens, si ce type est un moulin à parole, je vais prendre la première excuse qui vient à l’esprit pour le fuir. Enfin, voyons comment va évoluer la situation.

Son sourire, sa façon de parler, je ne sais pas ce qui m’insupporte le plus chez lui. Kami-sama, je crois que je suis tombé sur quelqu’un qui se prend pour le centre du monde…S’il-vous-plaît, envoyez-le vraiment dans le noyau terrestre interne et enfoncez-lui des roches dans la bouche. J’ai beau prier et appeler les Dieux de mon siège, aucun ne semble vouloir me venir en aide. Tss, qu’est-ce que je vous ai fait pour que, d’une part mon train soit annulé et d’autre part, pour que je me tape un gros lourd comme voisin de siège. Pourquoi est-ce que les gens ont toujours ce besoin de communiquer ? Ne pouvait-on pas rester tranquillement dans nos pensées, chacun de son côté ? En plus si j’ai bien compris, nous étudions dans la même académie, j’espère qu’il ne va pas me parler de ses fantaaaa[…]astiques amis et me demander si je les connais en les énumérant un par un.

« Si. Je viens d’entrer en 4ème année de lycée. »

J’ai anticipé la question afin qu’il ait besoin de se creuser les méninges avant de me demander quelque chose d’autre à mon sujet. Oublie les formules de politesse Hisaka, ne lui demande pas ce qu’il fait sinon ça ne va plus en finir je le sens. Pour le moment, je dois espérer que son train arrive bientôt ou alors me concentrer pour trouver une excuse valable pour aller squatter d’autres sièges. Au même moment, mon téléphone se met à sonner pour m’avertir de l’arrivée d’un nouveau message. Je sursaute légèrement puis jette un œil sur l’expéditeur du sms qui n’est autre que…ma sœur, quelle surprise sachant que je n’ai que cinq personnes dans mon répertoire et que c’est la dernière à qui j’ai envoyé un texto. Bon, voyons ce qu’elle me dit.

" Toujours en train de chercher des excuses Hisaka ! Dis-le tout de suite si tu as peur que je t’étouffe avec mes câlins ! Je blague, j’ai transmis le message, nous t’attendrons pour manger les grillades…sauf si ça ne te dérange pas si je mange ta part hihi. "

Ma sœur n’a vraiment pas changé. J’espérais qu’elle mûrisse un peu avec ses voyages, mais en fait je crois que c’est tout le contraire, elle est devenue encore plus taquine qu’avant. Enfin, je pense que ça ne me fera pas de mal de retrouver certaines habitudes pendant les vacances d’été. Alors que je rabaisse le clapet de mon téléphone, je reviens à la dure réalité…Le type est toujours à côté de moi. D’un air peu crédible, je me redresse, raide comme un tronc d’arbre et marmonne machinalement.

« Oh…J’ai oublié quelque chose là-bas. Je crois que je vais y aller. Au revoir. »

Coupant ainsi court à la discussion, je commence à fuir lentement en espérant qu’il ne me suive pas. Je ne suis pas à l’aise dans la foule, et encore moins avec les gens vantards. J’ai à peine fait cinq mètres et je me rends compte que j’ai oublié ma valise…Eh merde.

Mes muscles se raidissent, mon corps se fige, je ne veux pas regarder en arrière, je suis parfaitement conscient de ce qu’il va se passer. Après avoir pris une grande inspiration, je retourne cinq mètres en arrière tout en évitant le moindre contact visuel avec mon interlocuteur qui s’exclame que je suis un mauvais menteur sur le ton de la bouderie. Je l’ignore encore une fois et saisis la poignée de ma valise, sachant pertinemment que je ne pourrais plus fuir maintenant. Son rire – sûrement communicatif pour la plupart, mais pas pour moi – retentit quelques secondes après, il ne lui en faut visiblement pas beaucoup pour s’esclaffer, décidément ce type prend les choses si peu au sérieux que ça en est presque désolant. Suite à cela, une avalanche de question me tombe dessus, et sans que je n’ai le temps de répondre à l’une d’entre elle, il est déjà debout, fin prêt à m’accompagner où que j’aille.

Agacé par l’air béat et le monologue du jeune homme au comportement fort étrange, je décide une nouvelle fois de couper court à ses interrogations en ne répondant que le strict nécessaire pour rester poli. Il peut s’estimer heureux que je ne sois pas violent ou que je n’ose pas répondre le fond de ma pensée aux gens, si j’étais un peu différent…je crois que je n’aurais pas hésité à lui dire à quel point sa simple présence me submerge et me fatigue. Je soupire, ce n’est pas comme s’il en avait quelque chose à faire, je suis certain que même en étant insultant, il continuerait de me suivre comme un petit chien, je me demande quand même jusqu’où est sa limite pour qu’il ne tienne par rigueur du comportement de ses interlocuteurs.

« Mon train a été annulé. Le prochain vient dans deux heures, du coup je serai en retard chez moi. »

Voilà qui résume plus ou moins la situation, j’ai volontairement omis de préciser la ville dans laquelle je me rends – en espérant qu’il ne me questionne pas non plus là-dessus – de peur qu’il me suive jusqu’à mon pas de porte, pire encore…qu’il s’invite à dîner. Encore gêné, je peine à poser mon regard sur lui une nouvelle fois. A la vue de ses vêtements, de son comportement de gosse pourri auquel on ne refuse rien, je peux deviner qu’il est issu d’une famille aisée ou du moins, d’un milieu où les revenus sont plus que corrects. Je me demande ce qu’il fait dans une gare, ne pourrait-il pas prendre un taxi ? Je hausse les épaules, oubliant rapidement la question, ce n’est pas comme si sa situation sociale et financière m’intéressait, bien au contraire.

Résolu à trouver un plan pour le fuir sans trop faire d’efforts (sans courir par exemple), je me dis que je n’arriverais jamais à réfléchir à côté de quelqu’un possédant un débit de parole plus élevé que trois présentatrice de télévision réunies. Je cherche donc un endroit calme…dans une gare, ce qui n’est pas forcément chose aisée – surtout au pays du soleil levant où les transports en commun représentent une part importante du trafic national – la seule option qui s’offre à moi c’est…les toilettes. Bon c’n’est pas très hygiénique, ni conseillé en temps normal, mais honnêtement c’est la seule chose qui me vient à l’esprit pour le moment. Les yeux toujours rivés sur mes chaussures, je marmonne à l’universitaire.

« Excuse-moi. Toilettes. »

Discrètement, je me faufile dans une cabine où je m’effondre contre l’une de ses parois. Enfin, j’aspire au calme malgré l’odeur désagréable laissée par ceux passés avant moi. Voyons voir, si j’attends ici pendant dix minutes, est-ce qu’il va réellement me stalker jusqu’ici ? Non, il n’osera pas…Il ne sait pas dans quelle cabine je suis…Quoique, j’ai comme un mauvais pressentiment.

L’odeur nauséabonde et la saleté me donnent envie de quitter ma cabine de toilettes publiques, mais je ne sais pas ce qui est pire en fait : supporter l’étudiant bavard et collant, ou devoir inhaler cette puanteur qui fait remuer mes tripes à chaque seconde. Autour de moi, les bruits de chasse d’eau s’enchaînent rapidement, les pas se font de plus en plus pressants et les détritus s’accumulent en moins d’un quart d’heure. Je soupire alors que je suis assis sur la cuvette fermée, mes cuisses rabattues contre mon torse. J’attends, tout simplement. Soudain, alors que je me suis mis à renifler l’odeur de la chemise pour échapper aux senteurs putrides des locaux, j’entends une voix derrière la porte de la cabine. Merde. Il m’a retrouvé, quel…enfoiré. Je pensais que ce type aux allures princières n’oserait pas mettre les pieds dans cet endroit, qu’il finirait par partir trouver une autre victime, mais il faut croire que j’ai la tête de l’emploi.

Mes jambes se détendent, ma main gauche vient chercher la poignée de ma valise, puis j’ouvre la porte, regarde froidement mon stalker et quitte les lieux de manière définitive. Quitte à me le coltiner, autant que ce soit dans un endroit plus agréable que celui-ci. Je n’ai même pas besoin de me retourner, je sens sa présence, il s’accroche à moi comme une moule à son rocher pour une raison qui m’échappe encore. Je finis par stopper ma course près du quai où viendra mon train dans un peu plus d’une heure et demi, tout cela avec un léger pincement au cœur. Oui, c’est bien un euphémisme. J’aurais été être un fantôme, vraiment.

« Je m’appelle Hi...Euh…Akio Kimura. »

Ce blondinet que j’ai rencontré dans la salle-de-bain avec qui je me suis retrouvé enfermé pendant de longues heures, son identité aura bien fini par servir à quelque chose. Mentir, c’est mal, mais au moins lorsqu’il me cherchera à l’académie, il ne me trouvera pas. Dans mon fort intérieur, je jubile…même si ce n’est pas moi, je suis certain qu’il se contentera de l’autre élève pour lui tenir compagnie si jamais l’idée lui prend. Et puis, Akio me doit bien ce service après m’avoir coincé dans les douches – même si je n’ai toujours aucune preuve qu’il soit le fautif, je refuse de croire que ce n’est qu’un simple incident – j’espère juste qu’il ne viendra pas m’en parler. Après ce mensonge, je n’ose pas vraiment regarder mon interlocuteur dans les yeux, je dois avouer avoir un peu honte de ce comportement.

Ma seule crainte reste qu’Aredhel – quel nom exotique d’ailleurs – connaisse en personne le lycéen et relève ma supercherie. Je n’ai plus qu’à croiser les bras et éviter qu’il me pose des questions trop personnelles, auxquelles je ne pourrai répondre cela va de soit. Pour couper court à cette situation hypothétique, je décide d’agir différemment et de feindre mon intérêt pour lui. Avec un ego aussi surdimensionné, il ne se posera pas de questions et répondra à mes interrogations sans trop broncher. Du moins, c’est ce que je pense.

« Ton prénom est original. Tu n’es pas vraiment Japonais, n’est-ce pas ? »

Rien qu’à son apparence on pouvait aisément le deviner, il ne possède pas les traits caractéristiques d’un nippon. Je jette un œil discret en direction de mon téléphone, plus qu’une heure et des brouettes à tenir. De toute façon, je suis prêt à parier qu’il comblera la discussion tout seul si je ne lui réponds pas. J’en aurai des choses à raconter ce soir au dîner…quoique je vais plutôt me reposer et éviter de parler, ce mec est une vraie pompe à énergie. Rien qu’à le voir parler avec ses grands gestes, je suis fatigué pour lui. Il a très bien vu que je cherchais à le fuir, alors...Pourquoi ? Un train passe à toute vitesse devant nous, faisant valser quelques mèches de mes cheveux. Bientôt, je pourrai enfin me poser dans un siège confortable et ne plus penser à ce mec.

Parfait, il a gobé mon mensonge, voilà qui m’enlève une éventuelle épine du pied lorsque je reviendrai à l’académie pour la rentrée de Septembre. Les yeux rivés sur le cadran situé dans le hall de gare, je compte silencieusement chaque seconde qui passe et espère une ellipse, je veux retourner auprès de ma famille le plus rapidement possible. Et par pitié, faites taire cette personne qui a un ego aussi enflé qu’un gros ballon gonflé à l’hélium. Oui tu es original, très spécial et tout ce que tu veux, mais tu n’as jamais imaginé que cela puisse être péjoratif si l’on te fait cette remarque ? Je lève les yeux au ciel, voilà qu’il se met à faire l’homme qui connait tout le monde, ce n’est pas très étonnant que le prénom Akio te dise quelque chose puisqu’il est très courant au Japon. Mais ça se voit que tu bluffe, je dirais même mieux : ça se senti à 100km. Je pousse un long soupir exaspéré alors que je n’écoute qu’à moitié mon interlocuteur qui me donne des « conseils » pour me faire remarquer – non merci au passage – comme me teindre les cheveux dans une autre couleur.

« Ca me va de me fondre dans la masse. Je ne suis pas comme toi. »

Sous-entendu je ne suis pas un sale égocentrique toujours en quête d'attention de la part d'une tierce personne, qui vient embêter les autres alors qu’ils sont déjà dans une situation dramatique – j’exagère un peu, mais bon – et qui doivent encore patienter un certain temps avant de se débarrasser de toi. Si j’avais un peu plus de courage et de volonté…Je lui dirai clairement ce que je pense. Et là, je ne peux m’empêcher d’y repenser…Ce moment où le géant m’a mis au dessus du vide, ce court instant où toute ma vie a défilé devant moi. J’ai frôlé la mort, et maintenant encore…Je n’ai pas compris la leçon, je ne profite pas de ma vie. Je blêmis, mais cela me redonne un sentiment de détermination. Lentement, je sers mon poing de ma poche et sans me préoccuper du fait qu’il soit en train de me parler ou non, je le coupe.

« Kinae-san. »

D’un ton sec, presque froid, je l’interromps. Quelques secondes de silences suffisent à me donner l’inspiration. Je sais exactement ce que je dois dire pour en finir avec lui. Doucement, j’ose enfin lever mes yeux vers les siens et c’est lorsque mes pupilles croisent les siennes que je prononce ces quelques mots, un sourire aux lèvres.

« Tu m’ennuies. »

Enfin. J’ai arrêté de me laisser marcher sur les pieds pour la première fois depuis un long moment. Moi, Hisaka…l’éternelle victime passive, j’ai osé dire à quelqu’un le fond de ma pensée. Cela ne m’était arrivé qu’une seule fois, avec cet homme massif qui m’avait suspendu sur le toit du lycée. La seule et unique fois où j’ai osé montrer ce que je ressentais vraiment. Dans la poche de mon pantalon, mes doigts se détendent, j’ai enfin vidé mon sac et je dois dire que cela me soulage. Néanmoins, je finis par me prendre de pitié pour quelqu’un qui passe ses vacances d’été dans une gare. C’est vrai ça, quel étudiant ne rentrerait pas chez lui ?

« N’as-tu nulle part où aller ? Tu ne sembles pas attendre un train, alors qu’est-ce que tu fais ici ? »

Bon, il va peut-être croire – à tort – que je m’intéresse à sa vie, mais j’ai quand même un peu de compassion pour lui…même s’il m’ennuie vraiment. Au moins j’espère qu’avec ma déclaration, il a compris qu’il ne devait pas parler de ses fantastiques aventures avec je ne sais qui ou je ne sais quoi.

Contrairement à ce que j’avais pu penser précédemment, ma remarque ne le fit pas fuir, au contraire, il s’est accroché à moi en faisant abstraction de ma critique, ne retenant que ce qui lui plaisait dans mes propos. J’en peux plus de ce mec, sincèrement. Est-ce qu’il essuyait aussi facilement les choses que l’on dit sur lui parce qu’il en a l’habitude ? Ou alors tout à l’opposé, il ne s’était jamais retrouvé dans une telle situation et ne savait pas comment y réagir ? Non…C’est tout bonnement impossible, que personne ne lui ait un jour demandé de changer de comportement. En fait là, je pense surtout à son entourage, mais qu’est-ce que ça doit être de faire partie de sa famille ? C’est peut-être pour ça qu’il est tout seul ici, parce que les membres de sa famille ne veulent pas de lui pour les vacances. Je peux les comprendre, ce gars se fait une conversation à lui tout seul, il n’a pas besoin des autres tant il est égocentrique.

Mais voilà, à peine ma version des faits – un peu méchante – enregistrée dans ma petite boîte crânienne, que sa justification vient éclater les hypothèses que j’avais posé. Des amis hein…Est-ce qu’il devrait plutôt dire « des gens comme moi qui se la racontent à longueur de journée » ? Cerise sur le gâteau, si je comprends bien son raisonnement – qui a le mérite d’être explicite, au moins quelque chose de bien chez lui, on n’a pas vraiment besoin de se creuser les méninges pour comprendre où il veut en venir – il me prend pour son bouche-trou. Et avec cette maudite valise – trop lourde pour un gringalet de mon espèce – impossible de s’éloigner de lui sans qu’il le remarque et même si je tente ma chance, il sera encore plus…collant après.

J’ai l’impression que tout est inutile, que j’aurai beau tout essayer pour qu’il parte ou qu’il se taise juste, ça n’aboutira jamais en quelque chose de positif pour ma petite personne. Le voilà reparti dans son délire d’éloges qu’il n’adresse à personne d’autre que lui. Bah oui, forcément, qui pourrait mériter un compliment de sa part, si ce n’est lui-même ? Lassé – pour ne pas changer – de sa conduite, je préfère ne pas lui répondre pour le moment. Après tout, s’il n’obtient pas de réaction stimulante de ma part, peut-être qu’il finira par chercher une autre victime…J’ai de l’espoir moi. C’est dans ces moments là que je regrette de ne pas avoir d’amis, prétexter avoir un rendez-vous ou vraiment rencontrer quelqu’un, ça m’aurait fait une excuse pour fuir cette situation, mais actuellement, je n’ai nulle part où aller.

Un sourire triste apparaît sur mes lèvres. Toujours silencieux, je prends conscience du néant absolu de ma vie sociale…Non, de mon existence tout court. Est-ce que ça me convient comme ça ? Et si ce n’est pas le cas, est-ce que j’ai un jour fait un quelconque effort pour que quelque chose change dans ma vie ? Non. J’ai l’impression de faire une chute infinie, le monde qui m'entoure me paraît beaucoup trop concentré, trop étroit en quelque chose. Crise d'agoraphobie ? Alors même que je suis juste assis sur un banc avec un gars qui m’irrite en attendant mon train, cette sensation de vertige m’habite soudainement et me fait presque m’évanouir (eh oui, je suis une petite nature, quelques émotions fortes suffisent à faire vaciller mon être tout entier).

« Excuse-moi. Je ne me sens pas très bien. »

Tout s’effondre autour de moi. Je ne sais pas si c’est vraiment à cause de ma remise en question que je me sens mal, de la foule ou si c’est juste cette horrible chaleur estivale. Quoi qu’il en soit, peu à peu, je sombre et je tombe…au sens propre du terme.

J’ai essayé de tenir debout, de chercher de l’aide moi-même, sortir de cet Enfer rempli de gens, d’inconnus et de ce type insupportable à côté de moi. Mais rapidement, tout est allé trop vite, je me suis retrouvé par terre en un rien de temps, sans ressentir la moindre douleur lors de ma chute, j’étais comme aspiré dans un trou noir. Mon rythme cardiaque s’accélère, je panique, mais je reste impuissant face à la tournure des évènements, je veux ouvrir la bouche et parler, mais j’ai l’impression que l’on m’a donné un coup de poing dans le ventre, je suis incapable d’émettre le moindre son. Malgré ma vision qui se fait de plus en plus floue, je peux encore distinguer la silhouette de mon « interlocuteur » bouger, même si je ne l’entends pas très bien, je devine qu’il se plaint de moi. Appelle quelqu’un, imbécile ! Paralysé au sol, le trou noir emporte ma conscience après quelques seconde de lutte, je me sens flotter, plus léger que l’air.

Au début tout semble noir autour de moi, mais la lumière revient lentement. C’est certainement une hallucination, mais je me sens bien mieux dans mon monde, celui où il n’y a personne pour m’ennuyer. Quelque part au dessus des nuages, j’aspire enfin à la tranquillité. Plus d’angoisse, plus de foule, juste moi. Je ne sais pas ce qu’il m’est arrivé exactement, mais il semble bien que je sois totalement déconnecté de la réalité. Pour être honnête, ça serait bien si je ne pouvais pas me réveiller avant un petit moment, avec un peu de chance Aredhel m’aura enfin lâché, lassé de parler à une personne qui a visiblement fait un malaise. C’est vraiment comme un rêve.

…

Les secours arrivèrent au moment où un passant signala un problème à un contrôleur. Un adolescent d’environ dix-huit ans était tombé inconscient aux côtés d’un étranger. Les services de réanimation lui posèrent plusieurs question, notamment s’il connaissait son identité, qu’est-ce qu’il s’était passé exactement et s’il avait des proches à prévenir. L’enquête ne dura pas longtemps et finalement, le diagnostic tomba, Hisaka avait fait un malaise lié à la chaleur et au stress. Finalement, il fut transporté dans une salle de repos du personnel, son état n’était pas grave, il pourra repartir dans la soirée, seul.

…

Je reviens lentement à moi-même, quittant ce monde imaginaire avec regrets. Lorsque j’ouvre enfin les paupières, je scrute les alentours en plissant les yeux, je suis dans un endroit qui ne me paraît pas familier. Je relève la tête et me masse les tempes, une femme s’approche de moi et m’explique ce qu’il m’est arrivé, je lui réponds en hochant simplement la tête, attrapant le verre d’eau qu’elle me tend. Le silence retombe une fois que mon verre se retrouve complètement vide, je m’incline vers le personnel présent dans la pièce, saisit mes bagages et quitte la zone. Au même moment, une voix bien connue retentit dans la gare, ce qui me fait décrocher un léger sourire.

« Le train en direction de Nagoya entrera en gare dans dix-minutes. Il desservira… »