Footing nocturne ...

… Pour se changer les idées. Il fallait bien, avec ce qu’il traversait. De nombreuses questions se bousculaient dans la tête du sportif à tel point que son cerveau avait presque été réduit à l’état de chou-fleur carbonisé. Il pensait souvent à fuir, si seulement il existait en ce monde un autre endroit ou aller. Il ne connaissait pas beaucoup de membres de sa famille qui accepteraient de le recevoir, même pour une nuit. Et puis, il n’osait pas leur parler de ça. Créer un scandale ne ferait qu’ajouter une couche à ses ennuis. Ils ne comprendraient pas et se moqueraient de lui. Au pire, ils contacteraient son géniteur pour avoir des explications et Yu ne pourrait jamais refaire face à son père, sachant tous les problèmes que sa maladresse aurait causée. *Shori le mérite, tu devrais le faire. Qu’est-ce qui t’empêche de le faire Yu ? Tu as eu des problèmes à cause de cet homme, rends-lui la monnaie de sa pièce, oui il le mérite*. *Mais si tu fais ça, il va vraiment te renier cette fois, il n’est pas le seul fautif dans l’histoire, ton oncle aussi, ta mère …* Et là, il valait mieux s’arrêter. Immédiatement. Arrêtes-toi. Arrêtes de te prendre la tête, arrêtes de croire que tu peux tout régler par la seule force de tes bras, arrête de pleurer comme un idiot, t’es un homme ok ?* Mais il ne s’arrêtait pas. Il était trop tôt ou trop tard pour s’arrêter. Il n’aurait pas du venir ici après tout. Entrer dans cette académie, sécher les cours, traîner dans les couloirs, supporter le regard des autres, mépriser les autres, maltraiter les autres, repousser les autres, supporter l’entraînement, se casser le cul à enrôler des élèves dans le club. C’était ce à quoi se résumait sa scolarité à l’académie Keimoo. Il oubliait les bons moments. Si rares, si fugaces, si lointains. Il n’y en avait pas eu des masses. Il se rappelait des plus importants. Enfin, avec le nouveau règlement de l’école, il n’espérait pas reprendre ses activités normales le jour ou il y remettrait les pieds pour de bon.

En attendant, il baignait dans la merde qu’avait causé sa famille. Ordinairement, il n’était pas autorisé à sortir la nuit, sans l’autorisation de son oncle, mais depuis l’évènement de la dernière fois dans le bureau de cette pu**** de conseillère incompétente, il se comportait bizarrement avec Yu. Juste à cause de cette phrase « vous n’êtes pas son tuteur légal ». Son neveu avait beau lui répéter qu’il le considérait comme un second père, ça n’y changeait rien. Il souriait, lui ébouriffait les cheveux et retournait à ses coups de fils. Cet homme avait su prendre soin de lui comme personne, à part sa mère, ne l’avait jamais fait. Yu était très attaché à son oncle, il ne voulait pas le rendre malheureux, alors il parlait le moins possible de défoncer son connard de père, la prochaine fois qu’ils se verraient. Il cherchait un outil adéquat, autre que la parole. Parler ne lui suffirait pas. Hurler non plus. Jeter des assiettes ou s’en prendre à son abrutie de compagne non plus. La seule chose qui pourrait éventuellement le soulager serait les larmes que verserait son paternel en lui léchant les bottes le reste de sa vie. Il faudrait lui payer le permis, assurer ses études supérieures et ne pas laisser en rade si sa carrière d’athlète professionnel ne marchait pas selon ses plans. Seulement, parfois, on pourrait croire que son père n’avait pas de cœur. Rien que le fait de l’avoir abandonné à son oncle en témoignait. Une fois qu’il serait passé pro, il disparaîtrait de sa vie jusqu’à ce que son grand rêve prenne fin. Pas trop vite. Le temps qu’il accumule assez de fonds pour sa retraite aux Bahamas.

Yu poussa un juron en marchant sur une crotte de chien bien fraîche. Il ne faisait pas très clair, les lampadaires représentaient la seule source de lumière du par et, à part un vieillard qui baladait son super labrador, il n’y avait personne à incriminer. L’adolescent ne se posa même pas de question et couru rejoindre le bonhomme qui le dévisagea l’air soit disant surpris, car il avait commencé à dire des mots désagréables en fixant le petit chiwawa blanc comme neige.

« Vous ne pouvez pas apprendre à ces saloperies comment faire leurs besoins correctement ? C’est dégueulasse ! »
« Et vous, petit impoli, on ne vous a donc pas appris à tenir votre langue et à respecter vos aînés ? »
« Oh ça va ! Vous n’allez pas me faire le coup de la guerre du Vietnam et compagnie. Y a des gens qui ont vécu bien pire que vous ! Pensez aux pauvres juifs d’Allemagne ! Et les homosexuels ? Et l’esclavage ? Vous pleurez d’avoir perdu la moitié de votre jambe droite alors qu’il y en a qui ont perdus toute leur famille ! »

Des larmes de rage coulèrent sur ses joues sans qu’il ne s’en aperçoive. Il n’étudiait pas avec assiduité, mais possédait quelques notions d’histoire. Il pensait surtout à sa mère en disant ça. Le vieillard, soudain pris d’un excès de compassion sans doute, tapota l’épaule de Yu avec un sourire affectueux pendant que son chien lui reniflait les baskets.

« Que se passe t-il mon garçon ? Ca ne va pas très fort on dirait ? Je ne pensais pas qu’un enfant si jeune puisse être touché à ce point par des évènements du passé. J’ai des amis juifs, ils sont tous devenus très riches. Ne vous en faites pas, vous aussi deviendrez quelqu‘un de haut placé sur l‘échelle sociale, continuez à faire de votre mieux. »
« Non, vous faites erreur, je ne suis pas juif. »
« Ah, vraiment ? »

Sans rien ajouter, il passa son chemin. Yu le regarda disparaître entre les arbres, immobile, un peu dérouté par cette rencontre.

Evidemment qu’il était perturbé ! Un vieillard lui avait presque dit la bonne aventure ! Si ça se trouve, dans quelques années il serait un grand homme reconnu, avec des milliards de dollars en poche. Oui dollars. Il ne resterait pas éternellement au Japon, il ne comptait pas finir sa petite vie sans avoir connu le reste du monde. Il partirait à la conquête de sa fortune, avec une telle détermination, il serait forcément un grand homme. Il ne se fiait pas aux prédictions d’un inconnu, après tout, personne d’autre que soi ne peut décider et changer sa destinée. D’ailleurs, cette idée de destin ne tenait pas la route si l’on pouvait le briser. L’avenir est inaccessible. Ainsi, il n’avait pas anticipé de se retrouver de nouveau face à Ashley Mc. Dowell. Il semblait que cela faisait des années qu’il ne l’avait pas vu. Bien qu’elle n’ait pas spécialement changé, il sentait quelque chose de différent et se sentiment le rendait un peu nerveux. Il venait de se taper la honte à se disputer avec un vieux et il fallait comme par hasard qu’il croise quelqu’un de l’académie. Quelqu’un qu’il connaissait de prime. Quelqu’un qu’il appréciait. Enfin, ce n’était rien d’important et il pouvait toujours faire comme si de rien n’était, car Ashley venait peut-être d’arriver, n’ayant été témoin de rien. Au départ, elle eut l’air choqué de le voir, puis il prononça son nom en demandant si il se souvenait d’elle. Un franc sourire illumina le visage du jeune homme, oubliant même la sensation de manque qui le détruisait de l’intérieur. Seuls ceux qui l’avaient vécu pouvaient comprendre et puis, il n’en parlait jamais de toutes les manières. Ashley et Yu ne se fréquentaient pas assez pour qu’il n’ose lui avouer la vérité. Il en aurait honte et surtout, il ne voulait pas déballer sa vie à tout va et conserver un maximum sa fierté. S’écrouler en larmes dans les bras d’une fille, ô grand jamais il n’y songerait. Cependant, il savait qu’une fille curieuse comme Ashley ne laisserait pas les choses se passer de cette façon. Il avait déjà anticipé sa question et cherchait encore une réponse adéquate qui ne lui ferrait pas perdre pieds. A son geste amical, il se limita à un simple tapotement d’épaule, ayant du mal à s’habituer aux marques d’affections et ne sachant quel retour donner. Que se passerait-il s’il passait ses bras autour de la taille d’Ashley et qu’il refusait ensuite de la relâcher ? Bien sûr, il ne s’agissait que d’une hypothèse, ou pensée totalement absurde.

« Ashley ! Tu vas bien ? Ca fait un bail ! » Il hocha ensuite la tête et ajouta: « C’est rien, un vieux un peu sénile »

Il ne put s’empêcher de mater son habillement, agréablement surpris et rassuré de ne pas être le seul à faire un footing en pleine nuit dans un parc, seul.

« Tu trouves que tu es assez couverte ? » Demanda-t-il avec un sourire taquin.

Il ne connaissait pas grand-chose d’Ashley, peut-être faisait-elle partie des pouffes de service, peut-être pas. Si c’était le cas, ça ne changerait rien de ce qu’il pensait à son sujet. La première impression est souvent la bonne. Ashley était différente des autres filles, il le savait, peu importe ce qu’elle portait, ou comment elle se comportait quand elle n’était pas avec Yu. Il l’avait sentit très honnête, généreuse et, après tout, sa sollicitude touchait. Quand bien même il n’aimait pas déballer sa vie, ça ne le dérangeait pas de parler à Ashley. Il lui faisait confiance. Un peu. C’était déjà pas mal. On ne peut pas se fier à 100 % à un sujet quelconque. Yu l’avait appris à ses dépends.

« A part ça, je ne savais pas que tu aimais courir. Pourquoi tu ne viendrais pas au club d’athlétisme un jour, juste pour voir ? »

Oui ok, il profitait du moment pour faire de la propagande, ce qui ne servait pas à grand-chose pour l’heure, étant donné qu’il ignorait totalement quand il reprendrait une vie normale et paisible ainsi que son poste de vice-capitaine. Le club lui manquait des fois, il se demandait comment se portaient ses camarades et préférait ne pas prendre des nouvelles, autrement il aurait vite fait de regagner l’académie et oublierait le plus important. Un problème à la fois. Sa vie familiale passait avant tout le reste, et oui, même avant la course. Yu pointa du doigt un banc à proximité.

« On va s’asseoir un peu ? Si tu as du temps à m’accorder ? »

[HS: c’est à mon tour de m’excuser pour le retard, je n’ai pas eu beaucoup de temps et je ne sais pas quel sera mon rythme de réponse, mais je ferais ce que je peux =) ]

Les gens adorent donner de fausses excuses pour justifier leurs actes. Il préféra ne pas faire de commentaires et laisser à Ashley le bénéfice du doute. Il prêtait rarement d’intérêt aux rumeurs, mais quand cela concernait une connaissance, il ne pouvait s’empêcher d’être curieux. Toutefois, il avait apprit qu’on ne pouvait pas se fier aux discours des autres, que l’hypocrisie et la jalousie étaient les maitres de l'argumentation. Il se fichait donc pas mal que son amie soit une dépravée, tant qu’il n’avait rien à faire avec ça. Il ne parlait pas souvent avec Ashley, prétendre la connaitre était excessif. Lui non plus n’aimait pas spécialement les personnes âgées, pas pour leur physique ingrat – dans une cinquantaine d’années, eux aussi ressembleraient à des chiffons tout plissés – mais plutôt à cause de leur attitude à toujours dénigrer les jeunes et leur comportement, les mettre tous dans le même sac et les souler avec leur respect de mes deux. D’un côté, il était bien content de ne pas avoir de grands-parents… Enfin… Peut-être étaient-ils différents ? Il ne se souvenait pas de ses grands parents adoptifs et c'était mieux ! Il éprouvait déjà assez de rancœur envers les membres de sa famille, si en plus on venait à lui demander de revoir les parents de son père…

Oui, car tout le monde a part lui avait été au courant, comme d’habitude, on se permettait de lui cacher des choses qui le concernait. Normal qu’il se sente trahit et blessé. Il n’oubliait pas et n’oublierait jamais le jour ou sa route avait croisée Alvin, ou son oncle lui avait annoncé gravement qu’il n’appartenait pas à la famille Matsuda. Quelque chose s’était serré dans sa poitrine et il avait non seulement eu envie de pleurer, mais de se venger et cette vengeance ne concernait que son père. Car cet abruti lui avait fait croire pendant des années qu’il avait tous les droits sur sa vie, mais que dalle. Après la mort de sa femme, il ne s’était même plus occupé de l’avenir de son fils, à croire qu’il avait fini par comprendre que Yu n’avait plus rien à faire avec lui. Avait-il été un fardeau pour lui ? Une obligation à le supporter pour le bien de son épouse ? Avait-il rien qu’une fois considéré son fils avec amour ? Avait-il une réelle importance à ses yeux ? Pourquoi se posait-il la question ? La réponse fut évidente. S’il habitait temporairement chez son oncle, s’il faisait des études dans cette académie, si loin de chez lui, c’était forcément qu’on ne voulait plus de lui. Son père devait probablement se réjouir de ne plus avoir un enfant adopté sur le dos. Il en avait déjà assez avec sa nouvelle femme et ses autres gosses.

Pourtant, sa belle-mère était du genre prévenante, il ne l’avait pas connu longtemps et puis, c’est pas comme si elle l’intéressait spécialement, mais il faut avouer qu’elle lui demandait souvent comment il allait et que s’il avait besoin d’une oreille attentive, elle pouvait faire office de souffre douleur. Mais, à cette époque, Yu n’avait pas besoin de ça. Il avait besoin de sa mère, avait prié qu’elle revienne et que plus jamais il ne se sente si seul et désemparé. Malheureusement, aucune de ses prières ne parvinrent à effleurer les cieux, de telle sorte qu’il ait fini par abandonner. Il gardait espoir, un jour viendra ou ils seraient à nouveau ensembles, la vie ne pouvait pas se résumer à perdre des êtres chers pour ne plus jamais les rencontrer. Ce serait trop triste, trop injuste, trop immonde. Si un être était à l’origine de la création du monde, il ne pouvait pas faire qu’une mère et son fils ne se retrouvent pas, même dans l’au –delà. Il faut bien se raccrocher à quelque chose, cette pensée le faisait tenir, tant que son mythe ne serait pas cassé, il parviendrait toujours à se relever. Comme lorsqu’il avait débuté l’athlétisme. A chacune de ses chutes, il s’était toujours remit debout pour achever la course qu’il avait commencé, quitte à terminer dernier. Il n’abandonnerait pour rien au monde ses motivations. Même dans des choses aussi « futiles » que le recrutement de membres pour le club d’athlétisme, dont il était le vice-capitaine. Il prenait ses responsabilités à cœur, mais il n’obligerait personne à faire une visite au club. Pour dire vrai, son invitation était tout autant un prétexte pour avoir une chance de revoir Ashley.

« Passe quand tu veux, dès que tu as un peu de temps libre, je t’attendrais. »

Il se laissa tomber sur le banc, à côté d’Ashley et lâcha un long soupir quand elle posa la question qu’il voulait éviter le plus au monde en cette période. Que racontait-il de beau ? Oh rien malheureusement. A contrario, tout ce qu’il traversait était si laid qu’il en avait presque honte. Il ne pouvait, ni ne voulait exprimer le mal être qu’il ressentait, il aurait pourtant pu en parler à Ashley, elle ne se moquerait certes pas de lui, mais il ne savait juste pas par ou commencer. Il ignorait combien de personnes avaient rencontré Alvin au sein de l’académie à part lui, probablement beaucoup qui devaient encore les confondre. Personne n’était sensé savoir qu’ils étaient jumeaux, si Ashley avait croisé Alvin, elle se serait rendue compte qu’il n’était pas Yu et en aurait probablement déjà parlé à ce dernier. Il était un peu soulagé qu’on ne l’ait pas encore questionné à ce sujet, mais en même temps, il avait été absent un bout de temps lui aussi. Comment procéder ? Yu n’était pas du genre malhonnête. Il ne mentait pas souvent, excepté pour de petites histoires sans importance, mais celle là ne méritait pas d’être laissée dans l’ombre. Et serait-il capable d’écouter l’autre plus de dix minutes ? J’ai dit qu’il était curieux, pas qu’il aimait les histoires de trois heures sur la vie d’autrui.

« Oh… Pas grand-chose, j’ai découvert récemment que j’avais un frère et que j’ai été adopté. Et toi ? »

Tout en délicatesse, comme d’habitude, n’est-ce pas ?