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 Nocturne

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Nocturne   Empty
MessageSujet: Nocturne    Nocturne   EmptyDim 10 Déc 2017 - 21:44




D'un rendez-vous donné sans date futur, d'une promesse pliée dans des grues de papiers brûlés, des jours entiers s'écoulèrent et bientôt des semaines, puis des mois. Haruki semblait avoir disparu de la sphère scolaire et on cessa de l'appeler dans les cours en petit comité, on cessa de l'appeler dans le pointage des clubs. Son nom ne répondait plus que par l’absence  de ce dernier; quelque  part perdu entre la pluie et le beau temps, il se murmurait vaguement que le gothique avait quitté l'académie et ces murmures disparaissaient sitôt prononcés car Haruki n'était que futilité sur ces lèvres bavardes. Or la futilité, elle s'estompait très vite dans le temps puisqu'il n'y avait que si peu à dire sur ce garçon. Il y avait si peu de gens à l'avoir approché. On eut dès lors tôt fait de supprimer sa présence et Haruki Lei s'éclipsa en silence des murs de Keimoo.

Mais un jour, sur un morceau de papier, il réapparut.


Scene Première, La Mascarade
MEI - HARUKI


Ouverture des rideaux, lumières orangées, cyclone au ralenti des artistes sur une scène tamisée. L'introduction était une valse, son rythme se découpait en trois et il vivait à travers un boitement régulier enclenché par l'accordéon comme la trotteuse d'une pendule déréglée. Sur la partition de Haruki, l'accord qui marquait le thème principal était placée dans des tonalités si grave qu'elle échappait à une audition normale. Oubliée, sa présence dans cet acte là, oubliée jusqu'à ce que plus tard, les lumières viennent se braquer à la naissance des hertz vibrants sous le solo de ses doigts. De la fosse, on ne remarquerait plus que ce paravant lumineux qui avait été placée devant le piano pour ne projeter que l'ombre déformée et inquiétante de son pianiste.

Les répétitions au cours de ces derniers mois aboutissaient finalement à la  représentation en public ce soir, le jeu des lumières était fixé, les caméras montées, les esprits émoustillés par la perspective de se retrouver face à plusieurs centaines d'yeux près à dévorer leur prestation. Dernières mises au point, ultimes revues de certains passages; il était dit que la première scène devait être unique en son genre parce qu'on avait placé les musiciens à même la scène, fondu dans le décor. Isolé, seul le piano demeurerait dans la fosse dans un souci de place sur une scène constamment en mouvement. La mise en scène avait aussi été revue et retravaillée pour avoir dans l'équipe, ce pianiste là en particulier. La discrétion de ce dernier se laissait bien vite oublier sinon ignorée par le public dont l'attention était forcément rivée au-dessus, là où oscillaient les chorégraphies. On annonçait cette comédie musicale depuis un moment et les places avait disparu quelques heures après l'ouverture de la billetterie. Dans les rues de la ville, des affiches jusqu'à des mini trailers étaient devenus familiers et on voyait puis revoyait dans ce shot plongé dans une ambiance obscure, le corps à corps de ce couple masqué photographié ou filmé au ralenti au milieu d'un pas de danse, parmi le défilé de plusieurs noms montants. Et si on y prêtait un tant soit peu d'attention, la mention d'un HARUKI volait dans les quelques noms sélectionnés pour apparaître sur la partie orchestrale. Haruki, sans nom, sans prénom, lancé comme un pseudonyme imprécis. Marius Müller et Moe avaient tenu à lui préserver une sorte d'anonymat, mais une affiche monochrome s'était échappée de leur contrôle et la silhouette imprécise d'un pianiste derrière un paravant blanc avait fait de La Mascarade, une autre version de poster dans certains abribus. Les panneaux d'affichage des écoles n'y avaient pas échappé.

L'ouverture des rideaux, les premiers pas, les mouvements. En regardant les artistes répéter sans musique, Haruki avait fini par retenir la position de chacun sur scène, chacun de leur mouvement, chacun de leurs pas chaloupés. Malgré tout, leurs traits et interprétations n'avaient jamais perdu ce quelque chose de captivant à ses yeux, parce que c'était la première fois qu'il côtoyait autant d'occidentaux à la fois. L'agitation colorée des textiles ainsi que leurs froissements, l'absence de visages précis, les répétitions à l'infinie d'un passage complexe étaient un étrange orchestre d'éléments qui pouvaient le plonger dans une contemplation comme si le temps n'existait plus. Il se passait parfois des heures avant qu'on repasse à la version musicale et qu'on ne répète les pas sur le rythme d'un piano qu'on ne voyait jamais vraiment.
Cadet de l'ensemble, il se murmurait que sa maturité musicale égalait les plus grands; il avait beau reprendre les titres, son interprétation restait unique et distinctive. Avant qu'il n'intègre leur rang, le mot circulait qu'ils joueraient avec un jeune prodige et que pour une raison ou une autre il fallait le laisser tranquille. D'ailleurs, personne n'avait vraiment le temps de sympathiser avec un autre pendant les répétitions et on ne remarqua rien d'anormal chez le jeune homme hormis son accoutrement singulier. Son regard trop noir, ses lentilles trop grandes semblant cacher trop de réalités, on ne s'y faisait jamais vraiment. Au delà des apparences cependant, on en arrivait à retenir le souffle sur les actes le mettant en évidence, sans même s'en apercevoir; nul ne pouvait échapper à la fluidité de ses gestes sur le dédale du clavier ni ignorer ses mouvements transpirant la musique; Haruki Lei était simplement, un enfant prodigieux.
Il l'ignorait encore mais de cette représentation commençait sa percée dans le monde des virtuoses et après ce soir, on demanderait sa musicalité et ses compositions dans un, puis deux puis plusieurs films, dans plusieurs spots publicitaires. Ses représentations sur scène en voie principale ou en accompagnement instrumentale chorégraphique artistiques et commerciales seraient de plus en plus prisées et si le monde connaîtrait l'ombre du musicien derrière le paravant, Haruki Lei resterait toujours dans son anonymat le plus total.

L'engouement qui s'était créé autour de cette comédie musicale à l'arrivée d'Halloween s'était avérée virale et elle se destinait dans plusieurs autres pays. Il s'agissait d'une sombre fantaisie, dans une atmosphère lourde, inquiétante, noire.   Dans la tête de Haruki, s'il ne comprenait vraiment pas la finalité de cette histoire, il avait fallut lui trouver une raison et un motif pour s'impliquer dans la musique. Et pour lui, Moe avait passé des heures à traduire et expliquer à son ancien élève les scènes en couleurs et en mélodies, pour lui, Moe avait dû retranscrire le langage commun pour effleurer celui de Lei. Il y avait cette complicité musicale qui ne pouvait naître que de cette patience et de cette ancienne passion d'un professeur épris pour son élève.


-


Au cours de ces derniers mois, du haut des sièges confortables des rangs du théâtre, Lei avait observé le numéro de Mei affiché dans la liste de ceux des autres enregistrés dans son téléphone, et s'ils les avaient tous dans la tête, celui de Mei -retenu le jour où elle le lui avait donné, paraissait toujours aussi nouveau, étrangement. Il n'avait su comment y remédier et écrire un message ne lui effleurait toujours pas l'esprit. Pris au dépourvu avec ces nouveaux chiffres alignés dans sa liste, il aurait été capable d'envoyer un message blanc. L'harmonie de la courbe des chiffres lui paraissait passable mais un quelque chose de déstabilisant dans l'enchaînement des nombres semblait être une raison suffisante pour l'empêcher de presser sur le cercle vert pour déclencher un appel. Ses proches le savaient, Haruki n'avait un portable que pour être joint et cela de manière irrégulière puisqu'il l'oubliait souvent. On savait juste que lorsqu'il voulait voir quelqu'un, il se débrouillait toujours pour la retrouver. Il semblait que Haruki était cet animal sauvage qui ne pouvait paraître qu'autrement que par la chance, la malchance et l'imprévisible.





La nuit était pluvieuse lorsqu'il put enfin s'échapper de la marée humaine bien après que le théâtre se soit vidé dans le public et dans ses coulisses. Le calme plat, c'était les moments que Lei préférait, parce que la structure du théâtre dénué de monde lui était agréable après un sentiment d'oppression. Il lui avait fallut patienter un moment avant de sortir ni vu ni connu des derniers auditeurs désireux de recevoir un autographes d'un tel ou d'un tel. Sillonnant derrière le mur des célébrités, il s'était faufilé vers l'extérieur et tout à coup, ce fut comme s'il n'avait jamais mis les pieds sur scène, comme s'il n'avait plus rien à faire avec ce monde là. Dans cet anonymat le plus total, Haruki retournait à son appartement dans les quartiers miteux de Bougu.

Lei ne pouvait pas percevoir comme ce coin de ville sordide. Pour lui, ces aspects mal famés et décrépis n'avaient pas vraiment de signification particulière, c'était et c'était tout, sans plus ni moins. Les ruelles lui étaient familières, les néons et les façades brisées également. Il sentait que les habitations désertaient de plus en plus ce quartier là mais ce que faisait le monde n'avait pas d'emprise sur ses fondements. Tirant sur les boutons son col blanc impeccablement repassé, il retirait la veste et comptaient le nombre de pas restant avant d'atteindre l'entrée de son immeuble. Plus que 540 pas comme la suite du numéro de Mei. 539, 538. Et bientôt 523. Cinq cent vingt trois. C'était presque le do, sa fréquence en hertz. Son acoustique se décomposait à l'infini alors qu'il poursuivait sa route. Et puis au dernier moment, il décida de refaire les pas en arrière jusqu'au 540. Plus tôt, il avait dit à Mei qu'il voulait la revoir; ce n'était pas faux. Il sortit à nouveau son portable et l'écran qui s'allumait soudain lui agressa la rétine. Il y eut un mouvement de côté, un miaulement perdu que Lei repérait instantanément tout en ouvrant un message du bout de son index. Il mit un moment à méditer sur un contenu et finalement envoya un message avec un seul espace en guise de caractère. Un SMS vide. Le syndrome de la page blanche, il l'avait tous les jours.

Se grattant inutilement la nuque, il s'accroupit pour tendre la main vers le chat venu l'épier dans son coin et referma son portable.
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