Ce n'était pas une illusion. Le froid qu'Asuka avait ressenti en allant de l'avion à l'aéroport, puis du train à la sortir de la gare, était bien présent. Assez pour que le jeune homme remonte le col fourré de sa doudoune digne d'un esquimau. Même sa capuche ne manqua pas de finir sur sa tête, lui cachant la moitié supérieure du visage. Il avait quitté, il y a plus de vingt heures de cela une Angleterre pluvieuse pour un Japon de neige et de glace. Avec un paysage si immaculé, c'était à se demander si le taxi le verrait sortir par la porte principale de la gare étant donné que l'adolescent était, de prime abord, tout de blanc vêtu. Mais oui, quand Asuka tendit sa main en mitaine noire, laissant paraître ses doigts rougis par le froid, la voiture rouge s'arrêta devant lui, ouvrant automatiquement sa porte arrière en même temps que le coffre dans lequel Asuka fourra sa valise à roulettes et son sac de sport sur-dimensionné.
C'était là tout ce qu'il avait repris, laissant un fatras de paquets au père de sa meilleure amie. Enfin tout... c'était déjà pas mal quand on voyait le sac en toile qui aurait volontiers craquer pour laisser jaillir trois tonnes de vêtements en tout genre. Mais passons. Revenons au duo voisin/voisin. Tous deux s'étaient quittés à la sortie de l'aéroport, se promettant de ne rien dire à Hanae pour l'un et de protéger cette dernière pour l'autre. *Quelle idée quand même* Asuka sourit discrètement en se rendant enfin compte qu'il n'avait pas beaucoup réfléchi à la question quand elle s'était posée. Tout en regardant le décor nippon défiler sous ses yeux à travers la vitre légèrement teintée de la berline, il se remémorait le soir où le père de son amie s'était présenté à Londres. Où il avait appris la nouvelle folie de sa meilleure amie. Et du tac au tac, il avait foncé tête baissée, il avait décidé de revenir au Japon plusieurs mois à l'avance pour se rendre là...
Cet endroit qui se dressa devant lui au bout d'un quart d'heure de route. Cet établissement scolaire qui sera sa résidence principale pour les mois à venir. Tout ce qu'il savait de cette école se résumait à « un lycée de fort bonne réputation nationale, carrément mondiale ». Mais à part ça, rien. Si ce n'est qu'Hanae y serait aussi. D'ailleurs il n'avait même pas demandé si elle était déjà dans les lieux ou pas *baka!* il y avait vraiment de quoi se réprimander tout seul. Bien que pour l'heure, l'idée de vider le taxi et d'entrer dans le vif du sujet était un bon plan également. Ce qu'il fit après avoir payé le conducteur ganté de blanc. À nouveau il s'encapuchonna, ferma la tirette de son manteau lui tombant un peu plus haut que le genou et il se dirigea vers ce qui devait être l'entrée, traversant ainsi l'allée principale donnant sur l'enceinte de l'académie Keimoo.
Mais après avoir marché d'un bon pas jusqu'à la porte, Asuka resta planté devant l'entrée de Keimoo un petit instant. Il leva enfin le nez vers le ciel, pour la première fois depuis son arrivée au Japon. Regardant rêveusement l'horloge au sommet du bâtiment principal. C'était là une école comme une autre, du moins en apparence. Mais c'était encore un nouveau départ pour Asuka... un de plus. Et étrangement, une nouvelle école ne l'effrayait pas, c'était de revenir au Japon qui lui faisait bizarre. Il aurait pu pensé à ses années collèges pas si moches que ça (quand on fait abstraction de la mort de sa petite sœur), à son début d'année lycée avant qu'il ne parte en Europe mais non, il revoyait ses années à la maternelle... de quoi vous filer le cafard! Mais il fallait faire avec... *Allez, courage* le jeune homme baissa alors son regard et s'apprêta à avancer quand, quelques mètres devant lui, une autre personne semblait figée sur place.
De là où cet individu se tenait, pas sûr que ce soit pour admirer l'architecture. On aurait dit qu'il était pétrifié. On peut admettre qu'intégrer un nouveau lycée soit inquiétant mais de là à rester comme une statue sur le pas de la porte : il y a une marge. Et à croire que cet inconnu entendit les pensées d'Asuka, il reprit sa lente progression vers l'enceinte du bâtiment. Dès lors, notre blond lui emboita le pas, tranquillement. Même si le froid lui murmurait dans chaque souffle de vent d'accélérer la cadence, Asuka n'avait pas spécialement envie de se faire voir pour l'instant. Il avait encore les trois quart de ses neurones dans les bras de Morphée et ses yeux, cachés derrière de grosses lunettes fumées, n'avaient qu'une envie : se fermer. En résumé, ce n'était pas un état optimal pour trouver les répliques appropriées pour éviter les sempiternelles « prises de contact entre nouveaux ».
Mais alors que marcher dans la neige rendait chaque pas plus ou moins silencieux, quand Asuka eut atteint le carrelage du hall d'entrée, il ferma machinalement les yeux, abattu. Un léger soupire se fit entendre tandis que ses épaules s'affaissèrent. Si ses bottes façon mocassins de Pocahontas recouverts de fourrure ne faisaient pas de bruits, quand sa valise toucha le sol lisse et propre, les roulettes émirent leurs bruits caractéristiques. Impossible, dès lors, de faire comme s'il n'y avait personne. Alors, bon gré, mal gré, Asuka continua d'avancer. Il ne restait plus qu'à espérer que rien ne se passe. Que le jeune homme marchant devant lui ne réalise rien... Pour ça, il aurait fallu qu'il soit autiste, sourd ou avec des écouteurs au maximum dans les oreilles. Or, pas le moindre écho de musique ne trahissait le silence de ce hall. Seuls les roulettes d'une valise et les pas des deux nouveaux venus résonnaient à rythme plus ou moins cadencé.
Quand soudain, voilà que l'autre s'écroula.*C'est une blague?* Asuka le regarda, effaré. Devait il accourir? Continuer tranquillement son chemin? Dans le doute, il s'arrêta net et le regarda par dessus ses carreaux teintés. Son incrédulité se résuma à un sourcil se soulevant plus haut que l'autre jusqu'à ce que l'autre individu se relève, ou du moins : tente de se relever. Mais Asuka ne bougeait pas, face à ce garçon à peine à quelques mètres de lui. Il s'apprêtait à tout en entrant là, mais tomber sur quelqu'un qui... enfin quelqu'un comme... il n'en trouvait d'ailleurs pas les mots pour décrire cette personne qui tombait dans les vapes à peine la porte franchie.