For Cameron. With Love.

Sa main chiffonna nerveusement son gant gauche, ôté pour la circonstance, alors qu'elle venait de pénétrer dans le hall du centre commercial. Sa main libre vint effleurer son bonnet pour le faire glisser de son crâne et révéler sa tête désormais brune, depuis quelques mois, et le faire passer précautionneusement dans son sac à main qu'elle fit descendre de son épaule, histoire de ne pas l'abimer en le déposant n'importe comment. Baissant le regard vers ses doigts crispés, elle cilla rapidement, prenant quelques secondes pour réaliser, que, oui, finalement, elle était là. Une forte inspiration vint emplir ses poumons, qu'elle vida d'un trait en exhalant silencieusement, le temps de se redonner contenance. Son autre gant glissa de sa main, et, précipitamment, elle les fourra tous deux dans les proches respectives de son manteau, qu'elle ne prit pas le soin de déboutonner, se sentant encore quelques frissons de froid lui courir sur la peau.

Pourquoi était-elle là, déjà ? Pourquoi ? Un sourire déséspéré naquit à la commissure de ses lèvres, pour s'étendre à l'entièreté de sa bouche, alors qu'elle baissait la tête pour avancer, d'un pas automatique, vers le grand sapin placé au centre du hall. Ses bottes fourrées semblaient exercer, un instant, un attrait tout particulier pour la jeune femme, puisque ses émeraudes ne voulaient s'en défaire sous aucun prétexte. A défaut d'avoir un gant en cuir à froisser, elle avait pris son annulaire gauche en otage et faisait pivoter sa bague de fiançailles autour de son doigt, encore et encore, avant de finalement soupirer, s'armer de courage, et, dans un geste héroïque de l'épaule pour relever autotiquement la lanière tombante de son sac, relever la tête et déployer son visage pour s'emplir de cette beauté féérique.
Le recoin de ses lèvres se souleva avec hésitation, avant de s'inscrire définitivement sur les deux morceaux de chair fissurés pour dévoiler sa dentition, de petites perles d'eau salée commençant à poindre au bord des yeux, rapidement chassés par d'habiles battements de cils. La gorge étranglée par l'émotion, Miya songea intérieurement qu'il s'agirait du 1er Noël loin des siens. Plus de famille. Juste elle. Couper les ponts avec ses parents avait été particulièrement douloureux. Elle ne se rappelait pas avoir eu si mal au coeur depuis longtemps. Ni autant pleuré. Combien de gants emplis de glace elle avait dû déposer sur son visage enfiévré afin d'éviter de voir ses yeux et pommettes gonfler.

Effectuant un rapide demi-tour, elle déglutit difficilement et se dirigea résolument vers l'accueil, pour y poser son paquet, un papier glacé dans les tons bleutés au bolduc argenté, esquisser un semblant de sourire, et faire glisser la carte allant de pair sous la ficelle, sur laquelle quelques mots couraient simplement, dans une supplique désespérée :

« Passe Noël avec moi.
Miya »

Lentement, elle extirpa le numéro de téléphone de Cameron de son sac, griffonné sur un petit morceau de papier, et le tendit à l'hôtesse.

« Appelez-le aussi vite que possible, s'il vous plait. Dites-lui de venir rapidement. »

Dans le paquet l'attendait une jolie peluche cochon. Une petite vengeance. Un appel au renouement de leurs liens. Son écriture, il la reconnaitrait forcément. Il n'avait pas le choix. Et il fallait qu'il réponde positivement...

♥:

Elle avait fini par craquer et s'était installée à l'intérieur d'un café. Il y faisait bon, l'ambiance était agréable. Les jeux de lumière, en provenance de l'éclairage tamisé, faisaient danser, sur les murs boisés, une miriade de petits points lumineux, aux couleurs différentes, tandis que Miya s'offrait le luxe d'un cappucino en observant, fascinée, la danse lascive d'une flamme de bougie lécher sensuellement la mosaïque colorée du photophore posé à sa table. Il fallait de la magie, c'était chose faite. Souriant à demi, d'un air absent, ses prunelles vertes, un peu ternies par le souci, se trouvaient ravivées de se délecter du plaisir simple du miroitement scintillant semblant faire flotter de petites étoiles aux travers des pièces grossièrement taillées et tenues ensemble par un verre épais, teinté de couleur dorée.
Plusieurs fois, ses paupières cillèrent rapidement, tandis que son seul talon posé au sol marquait un rythme que ses lèvres fredonnaient en cadence, alternant parfois avec une petite tape de la pointe de son pied. Instinctivement, une mélodie des fêtes de fin d'année avait jailli de son cerveau pour se glisser dans l'air environnant, en sourdine, de sa voix de soprane cristalline, qu'elle n'exerçait, depuis longtemps, que rarement. Trop de mauvais souvenirs. Au moins savait-elle désormais chanter juste, et plutôt bien...

Fermant les yeux, elle laissa ses coudes se replier et ses doigts vinrent enserrer sa propre nuque alors qu'elle avançait son menton vers le chêne poli où gisait sa tasse à demi entamée, rattrapé par le creux tendre de son bras droit, l'autre se glissant en-dessous en soutien. Un léger soupir lui échappa. Miya en était encore à se demander pourquoi elle avait fait ça. Et, surtout, pourquoi elle était là. La jolie brune - elle ne s'y ferait décidément pas - aurait pu/dû rentrer depuis bien longtemps, pour se lover quelques instants au creux de son canapé, se faire servir un thé par Andrew, bavarder à ses côtés quelques instants, rire un peu, avant de se précipiter vers la cuisine pour s'adonner à son péché mignon favori : la pâtisserie.  A l'heure présente, elle se serait bien vue confectionner de petits roulés au citron, enrobés d'un fin glaçage de sucre. Sûr que tout le monde aurait apprécié, une fois qu'elle les aurait eu terminés. Et, s'ils avaient encore été ensemble, il aurait certainement fallu gronder Ethan, en lui en apportant, pour lui signifier d'en garder pour le lendemain. A nouveau, la commissure de ses lèvres s'étira, mélancoliquement. Qu'il fut malvenu que la tonalité de son téléphone se déclenche, l'extirpant à regret de son petit monde douillet d'imaginaire, et, la forçant à se redresser en clignant des yeux pour réaliser, au passage, qu'elle s'était allée à une douce somnolence amenant un peu de fard sur ses joues pâles, attraper le coupable pour décrocher; sans prendre le temps de regarder qui appelait.

La voix, au bout du fil, fit manquer un battement à son coeur. Douce sensation que de le sentir se compresser dans sa cage thoracique, lui faisant courtement manquer d'air, avant d'inspirer silencieusement une bouffée d'air salvatrice, lui permettant de se focaliser sur la discussion. Cameron. Comment... Déjà ? Son rire chassa son étonnement, lui faisant doucement rejeter la tête en arrière et attraper sa tasse pour y tremper ses lèvres, appréciant de les orner du reste de mousse crémeuse auréolant le contour de l'argile blanc.

« Quand on leur dit ‘’rapidement’’, il n’y a pas à dire, ils font ça vite… Je n’aurais pas pensé que tu viendrais récupérer ton ‘cadeau’ maintenant. »

Son sourire s’agrandit, faisant pétiller ses prunelles. Finalement, elle était contente, qu’il soit déjà là.

« Elle te plait ? J’ai pensé qu’elle ne te correspondait absolument pas. Alors j’en ai, forcément, déduit que ce serait le meilleur cadeau que je puisse t’offrir. »

Son coude quitta la table pour venir rejoindre le dossier de son siège, la faisant se balancer légèrement en arrière, les pieds avant de sa chaise défiant quelque peu la gravité terrestre pour faire un pied de nez au sol boisé, les lattes crissant sous le poids déplacé.

« Figure-toi que je suis toujours au centre commercial. Je n’aurais jamais imaginé qu’ils t’appelleraient aussi tôt. Je suis au café situé à la droite du grand sapin. Avec de jolies lumières clinquantes et un cadre un peu… Bûcheron ? A l’intérieur. Rejoins-moi ~ ♥ »

Sans plus attendre, elle raccrocha, se voulant coquine. Ah, enfin. Elle qui ne l’avait revu depuis… Un an ? Que le temps pouvait passer vite… Miya avait des tonnes de choses à lui raconter. Oh oui. Des tonnes.

« Tu feras mieux pour mon anniversaire. »

Un simple rire amusé lui avait répondu. Sans même s'en rendre compte, ils avaient renoué ce contact qu'ils avaient perdu durant toute cette année de silence. Cameron n'avait pas été là. Pas une fois. Occupé, puis disparu. Ses paupières doucement alors que sa bouche formait, en simultané, une moue mécontente d'où s'échappa un simple soupir désappointé. Au moins avait-il reçu son « cadeau ». Et il venait la rejoindre. Au fond, elle n'était plus tant à plaindre, puisqu'il arrivait. Elle ne serait plus seule, l'espace d'un instant. Se laissant glisser sur la table, le regard rouvert et fixant sans le voir, songeur, sa tasse de café, elle apposa son menton dans le creux de sa chair fine, tendue le long de son avant-bras sous lequel reposait l'autre, en soutien. Un léger sourire naquit sur ses lèvres, les étirant furtivement, alors qu'elle sentait ses prunelles picoter sous l'émotion venue lui nouer la gorge.
Elle allait le revoir. Enfin. Il lui avait réellement manqué. Quoi qu'il ait pu penser, et malgré tout le bonheur vécu dans l'étreinte piquante et sensuelle d'Ethan, Miya avait régulièrement pensé à Cameron. Que faisait-il ? Que devenait-il ? Égoïstement, elle s'était souvent demandé s'il pensait à elle, parfois. Si elle lui manquait aussi. S'il rêvait à elle. A leurs souvenirs communs.
Le sourire s'accentua, le tintement de la clochette d'entrée lui fit immédiatement relever le regard, et, dans la foulée, se redresser. Fragile dans son col roulé beige côtelé, elle tenta tant bien que mal de garder contenance en sentant son cœur manquer plusieurs battements alors que son cerveau identifiait formellement Cameron. C'était lui. Il. Il était là...

Miya sentit ses pommettes s'empourprer, ne s'en formalisa pas. Elle préféra l'accueillir d'un sourire aussi rayonnant que possible - quoiqu'il ne devrait pas être compliqué pour lui de voir à quel point elle était heureuse de le revoir - en s'obstinant à le fixer, lui qui semblait se refuser à la regarder dans les yeux.

« Le combo parfait pour te mettre à l'aise, en somme. Bonjour, Cameron ! »

Sa main se détendit immédiatement pour effleurer avec tendresse le crâne de la peluche cochon semblant lui adresser un sourire taquin. Son œil se fit plus doux, rêveur, alors que son sourire s'affaissait quelque peu, pour revenir à une certaine normalité.

« Rose. J'ai trouvé que cette couleur ne t'allait pas du tout. Pourtant, c'était la couleur qui me définissait le mieux, lorsque nous nous sommes rencontrés, n'est-ce pas ? J'y ai retrouvé un souvenir, dans cette couleur. De toi & de moi. »

Ses doigts tremblants se retirèrent pour venir se joindre aux autres, ses coudes appuyés sur la table, alors qu'elle reposait doucement son menton sur les jointures des ses index et majeurs. Le vert de ses prunelles se posa sur la poutre apparente glissant de manière imposante du sol jusqu'au plafond, admirant à demi les nervures la sillonnant.

« Je vais bien, je crois. J'ai commencé à travaillé dans un salon de thé avec l'ancien psychologue de l'Académie. Et mes parents m'ont coupé les vivres, depuis que j'ai décidé de prendre ma vie en main sans leur laisser possibilité de reprendre contrôle sur les plans qu'ils avaient prévu pour moi. »

Miya ramena son attention sur ces yeux noirs qui lui arrachèrent, comme à l'accoutumée, un frisson indescriptible, alors qu'elle haussait les épaules et lui souriait. Il était toujours aussi beau. Peut-être même plus. Était-ce son absence prolongée qui le faisait paraitre si séducteur ? Émanait-il déjà cette aura de confiance en soi lorsqu'elle l'avait rencontrée la première fois ? Probablement. Alors, pourquoi était-elle si touchée, alors qu'elle aurait dû être moins impressionnée que la première fois ? Elle ne comprenait pas. Avec un certain effort, elle se retint de tendre la main pour venir toucher les longs doigts de l'Américain. La Française ne savait pas jusqu'où elle pouvait aller avec lui, à présent. Elle ne voulait pas jeter de froid, le mettre mal à l'aise, ou en colère. Chaque chose reviendrait sur le tapis en son temps. Alors, autant le prendre, le savourer, ne sachant pas jusqu'à quand cela durerait.

Sortant de sa rêverie, elle redressa ses épaules qui s'étaient affaissées entre temps, et jeta un œil sur le diamant lui gênant le repos de son menton sur son parfait appui. Lentement, elle dénoua ses doigts, fit glisser l'onéreuse bague de fiançailles qui ornait toujours, imposante, son annulaire gauche, et la jeta nonchalamment sur la table en chêne massif, nonchalante.

« Je me suis faite plaquer, aussi. Tu crois que je pourrais en retirer combien, de cette bague, si je la revendais ? »

Une ombre passa dans son regard, le temps d'une seconde. Ses traits s'étaient furtivement fermés, alors qu'elle avait débité la sanglante vérité sur un ton calme. Même ses lèvres avaient su ne pas se départir de leur léger sourire.

« Et toi ? Comment vas-tu ? »

Ses lèvres frémirent légèrement en observant la bague finir de tournoyer pour s'aplatir définitivement contre le bois de la table, après un petit sursaut de vibrations ayant fait courtement reluire le diamant qui trônait d'un air suffisant au bout du cercle d'or. Son sourire se craquelait au fur et à mesure que Cameron prenait la parole à sa suite, après un gros silence à la limite du gênant, où ce regard au noir si profond, qui l'avait tant chamboulée la première fois qu'elle l'avait croisé, restait rivé sur elle pour la décortiquer dans le moindre détail. Comme s'il l'analysait sous toutes les coutures, enfermée dans une cage aux barreaux transparents l'empêchant de s'enfuir tout en la dévoilant dans sa totalité. Sentant ses pommettes rougir légèrement, Miya cilla plusieurs fois, rapidement, et détourna le regard, ses mains nouées ensemble sur la table, pour ne plus se sentir ainsi percée à jour. Elle avait l'impression que ses prunelles sombres brûlaient sa peau, à tant la détailler. Trop de perspicacité allait ruiner ce qu'il lui restait de dignité humaine. De ce qu'elle avait pu être. De ce qu'elle se devait de rester, au moins un peu, pour survivre sans se faire piétiner.

A quoi serviraient ses efforts pour ne pas ruiner sa chambre en lambeaux, pour ne pas foutre son corps en l'air, pour maintenir son mental à flot sans l'éparpiller aux quatre vents, s'il entrait dans sa tête si facilement pour lui faire frôler le craquage nerveux ?

Un hoquet souleva ses épaules, lui faisait courtement arborer un rictus sarcastique à l'idée que Cameron ait pu seulement imaginer qu'elle lui demande de la rabibocher avec Ethan - le traître, l'immonde traître. A dire qu'il n'y avait qu'un pas entre l'amour et la haine, celui-ci avait été vite franchi, et le retour en arrière n'était même pas envisageable pour la fausse brune. Elle l'exécrait, de tout son être, de toute son âme. Elle le haïssait de l'avoir tant aimé, peut-être même de l'aimer encore, alors qu'il l'avait laissée sur le bord de la route comme un chien pose sa merde, avant de s'en aller de son côté, sans aucun remords, ni même un regard en biais par-dessus son épaule.  A force d'y penser tout en s'efforçant de ne pas y penser, elle en était finalement arrivée à la cruelle vérité qu'il s'était certainement seulement servi d'elle. Il avait forcément retiré un avantage de sa « relation » avec elle.
Son regard flamboya une nouvelle fois, dans un sursaut de vie, alors qu'elle reportait son attention sur l'Américain, ayant perdu totalement son sourire pour être ce qu'elle était : une pauvre créature tiraillée entre une rage et une tristesse des plus dévastatrices. D'un mouvement de tête, son nez désigna le bijou non désiré.

« N'imagine même pas une seule seconde que je sois venue te demander une imbécillité pareille. Je suis sérieuse, en parlant de vendre... Ça. Je suis réellement sur la paille, et suis sure que ce truc pourrait me rapporter un petit quelque chose non négligeable. »

Un court sourire - plus doux, plus tendre - étira quelque peu la commissure de ses lèvres, alors que ses yeux reflétaient toute la mélancolie du monde.

« Je sais. Je suis hideuse, repoussante. Mais je t'assure qu'un fleuve de lac sur mon visage ne serait pas tellement plus attrayant, et qu'être aussi haineuse et amère n'est pas vraiment une aide, de ce point de vue... »

Un frisson secoua son échine, ébrouant sa chevelure brune pour la faire voleter autour de son visage, en sentant les doigts de Cameron effleurer ses doigts tant elle avait perdu l'habitude de se laisser toucher. Même Andrew n'avait plus eu droit de l'approcher. En assez peu de temps, Miya était devenue une sorte de bête sauvage, à refuser toute tentative d'approche, dans une volonté animale de préservation. Pendant une fraction de seconde, elle songea à retirer sa propre main pour rompre ce toucher qui lui portait le cœur au bord des lèvres, mais elle rendit les armes en sentant cette caresse s'affirmer pour devenir pressante, présente, sans être pour autant oppressante.

Une fois encore, elle sentit ses lèvres esquisser un sourire furtif, presque automatique, retombant assez rapidement, comme si des poids s'étaient accrochés à leurs extrémités pour les empêcher de se soulever de trop. Clignant des yeux pour ravaler les larmes venues piquer ses prunelles, elle ne parvint pourtant pas à retenir quelques traîtresses qui eurent au moins le mérite de rouler rapidement sur ses pommettes et joues avant de disparaître sans demander leur reste.

« Tout dépend. Si tu veux la version 'mensonge', je tiens totalement le coup. La version plus officieuse, c'est que je suis devenue à la limite du claustrophobe depuis le séisme m'ayant vue enfermée dans un ascenseur et laissée à la limite de la mort, que j'ai les nerfs à fleur de peau face à mes parents qui ont assez mal vécu le fait que je ne veuille plus être leur poupée de cire et se vengeant à me faisant vivre un enfer financier; et, comme si ça ne suffisait pas, Ethan qui me quitte sans même que je sache pourquoi. »

Ses prunelles se durcirent alors qu'elle affirmait elle-même la prise de ses doigts dans ceux de l'Américain lui faisant face, grondant légèrement sous la colère qu'elle laissait lentement se déverser pour crever l'abcès.

« Et toi, toi qui ne donne plus de nouvelles depuis un an, qui disparaît sans répondre à mes messages, qui semble même m'éviter, sans sembler te soucier du fait que je puisse m'inquiéter de te voir disparaître de la surface de mon univers. »

Reculant instinctivement face à l'approche de l'anneau que Cameron rapprocha de ses mains à elle, Miya grimaça.

« Éloigne ça de moi. Si je pouvais ne plus devoir m'en approcher ou le voir, ce serait pas mal. »

Leurs doigts se quittèrent, un pincement vint picoter la poitrine de la Française qui avait à peine commencé à s'habituer à ce contact au sein duquel elle retrouvait un semblant de chaleur humaine. Levant un regard en coin vers la serveuse, elle peina à la fixer et lui demanda, d'une voix douce, presque éteinte, de lui amener un thé noir, cette fois.

• Et t'as pas pensé une seule fois à me demander de l'aide? C'est vrai que je n'ai pas été très présent ces derniers temps, pour diverses raisons d'ailleurs, mais je serais venu pour toi si tu m'avais appelé. Après tout, aujourd'hui je suis là.

Un sursaut vint étirer la commissure de ses lèvres en un court sourire, avant de retomber mollement, ses prunelles se relevant sur Cameron pour le fixer avec sérieux, n'étant pas vraiment sure de pouvoir prendre à la rigolade ce qu'il venait d'énoncer, bien que son affirmation relève, en soi, d'une monstrueuse blague. Comment aurait-elle pu appeler à l'aide, alors que chacun de ses appels, de ses messages vocaux, de ses textos n'avaient que la Nymphe Echo pour retour ? Dur dur d'admettre qu'il aurait subitement pu lui apparaître, pimpant, fringuant, pour la sauver de tous ses tracas.

« Non. J'avoue que tu n'as pas vraiment été ma référence, sur le coup. En ai-je seulement eu une ? Je commence à croire que vous vous relayez tous pour me laisser de côté. Entre Ethan, Bianca, Satsuki, Saden et toi, je suis bien lottie, hein ! »

Se radoucissant, elle eut un sourire plus calme et soupira doucement. Ça faisait du bien, de lâcher prise, vider son sac, progressivement, pour revenir à celle qu'elle était et avait toujours été.

« Excuse-moi. C'est vrai que tu es là, maintenant. Merci. »

Quelque chose en elle la forçait à lui faire confiance, à se raccrocher à lui. Il avait été le premier en tout, pour elle. Il pouvait tout à fait l'être à nouveau. Sa voix vibrait tant de sincérité qu'elle ne pouvait que tendre à lui. Courtement, il eut un aperçu d'elle-même, lui adressant un petit sourire amusé, laissant les traits de son visage se détendre pour revenir à « Miya ».
S'entama alors le long monologue. Il était temps de percer ce trop-plein purulent qui ne cherchait qu'à se déverser et disparaitre. Au fur et à mesure qu'elle lui parlait, elle revoyait les éléments de sa vie durant l'année précédente lui passer devant les yeux. Ses fiançailles, sa confession, son amour pour un autre Américain, qu'elle avait cru sincère et éternel, en jeune femme naïve qu'elle était, et qu'elle resterait sûrement toujours. Son avancement dans ses études, le séisme, l'annonce à ses parents de sa volonté de faire désormais cavalier seul, ses projets de mariage avec Ethan, dont personne n'avait été au courant, sa soudaine rupture, sa dégringolade - sa chute aux Enfers, même -, son déménagement, Andrew qu'elle avait obligé à trouver un autre emploi plutôt que de dépérir à ses côtés, passant pourtant toujours pour voir comment elle allait. Il avait été son rare rayon de Soleil, malheureusement insuffisant face à la quantité et à l'épaisseur des nuages menaçant d'un violent orage.
Pas une seule fois, elle n'avait songé à mettre un terme à sa vie. En revanche, se mutiler, elle y avait fortement songé. Surtout lorsqu'elle avait brisé le miroir de sa chambre en lui collant un énorme poing dedans, ayant eu pour effet de la refroidir face à la quantité de sang sur sa main, pour se demander, d'une voix lointaine et éteinte, si elle n'éprouverait pas un soulagement à laisser la morsure froide du verre brisé s'attaquer à sa peau. Elle avait ressenti l'impérieux besoin d'une douleur physique comme exutoire de sa dévastation mentale, elle s'en était étrangement gardée.

Et subitement, elle se retrouvait là. La gorge nouée, mais semblant retrouver un peu de vie auprès de Cameron. Peut-être tout n'était-il pas fini, après tout. Elle avait 21 ans, pas 78. Elle restait jolie, plus ou moins en forme, et malgré la difficulté de son présent, son avenir n'en était pas forcément compromis. Bientôt, elle aurait sa licence, et se lancerait à corps perdu dans son master pour devenir une photographe de grande renommée. Elle ne voulait plus écrire, ses sentiments, elle voulait les retranscrire par image. Ses doigts courant sur du papier ou pianotant sur un clavier resteraient à l'état de passion, mais son métier serait autre.

Miya sursauta en entendant ce simple mot franchir les lèvres de son interlocuteur. Interrogative, elle le fixa en plissant légèrement le regard, son cœur s'était subitement pincé à l'idée de le voir abattu et de le savoir se sentant coupable à cause d'elle. Ses doigts caressèrent ceux de l'Américain avec douceur et un brin de tristesse.

« Don't be. Tu l'as dit toi-même, à l'instant. Tu es là, maintenant. »

Le silence se fit, lentement. Miya se sentant progressivement apaisée, elle ne trouva rien à redire, et laissa Cameron à sa réflexion. Il lui fallait assimiler toutes les informations qu'elle venait de lui fourrer dans la tête, presque de la même manière que certains procédaient au gavage des oies pour en faire du foie gras.
Un sourire en coin lui revint en l'écoutant reprendre parole. Pleurer, gueuler, ou rester silencieuse. Ça la caractérisait plutôt bien. Vraiment bien, en fait, même. C'était tout à fait elle. Elle n'avait pourtant pas l'intention de taper du poing, puisque cette fois, elle l'avait réclamé et il était venu pour elle. Même si le tout avait, de base, été un habile tour de passe-passe pour le forcer à pointer son joli petit cul pas loin d'elle sans qu'il ne sache de quoi il était question, il était là. Cillant rapidement, laissant à ses cils noirs le soin de chasser d'eux-mêmes les petites perles salées s'étant accrochées à eux, elle accentua son sourire, se sentant rougir à nouveau sous son regard. Elle n'avait pas envie de comprendre tout à fait la signification de ses mots, elle ne voulait pas chercher à décortiquer les sous-entendus latents. Tout ce qui comptait, c'était qu'elle lui avait manqué, et que son cœur venait de manquer un battement en apprenant la nouvelle. Il ne la repoussait donc pas.

« I missed you too. »

Son thé posé sur la table, elle ôta le sachet de sa tasse et le sucra, touillant silencieusement sa cuiller pour faire fondre le sucre qu'elle avait laissé tomber dans son eau colorée. Levant sa tasse face à lui, elle lui adressa un léger clin d'oeil, amusée, et retrouvant l'envie de le taquiner.

« A nos retrouvailles. »

Le cul sec risquait d'être un peu compliqué vu la boisson, mais l'intention y était.

Le silence s'était installé, pesant, et elle ne l'avait pas vraiment bien vécu. Elle avait espéré le pousser à attraper la perche qu'elle lui avait tendu, pour la faire sortir - les faire sortir - de son/leur mutisme. Mais non. Bordel, qu'allait-elle bien pouvoir faire pour l'inciter à la sauver, puisqu'elle était incapable de le faire d'elle-même ? Si lui-même la laissait s'enfoncer dans une vie de mamie dépressive tournant au thé pour pimenter son banal quotidien de l'ingurgitation d'une merveilleuse boisson diurétique lui offrant comme seule perspective ludique d'avenir un diagnostic hasardeux de la couleur de son urine, on était pas dans la merde, tiens. Et si elle poussait un nouveau soupir, la brune craignait - à juste titre - de se transformer en poupée gonflable dégonflée. Joli, le ballon de baudruche tout dégonflé. Non, vraiment, une vie des plus palpitantes s'offrait présentement à elle, et il semblait que son fatalisme soit doublé du mutisme de son compagnon. Bon. Autant s'y faire de suite, alors. En soi, elle n'avait déjà plus vraiment goût à rien, et son petit tour débile de peluche cochon ne la faisait déjà plus rire, ni sourire. Si on y repensait, le karma s'était bien acharné sur elle, pour rappeler à la demoiselle, avec la cruauté paisible qui l'accompagnait en toute occasion, qu'elle n'était pas au-dessus de toutes lois de l'univers, et que si son fiancé presque époux l'avait quitté parce que voilà, si son amant d'avant l'avait laissée dans sa solitude pendant une petite année, si ses amis l'avaient abandonnée tour à tour sans donner de raison qui aurait pu l'aider à faire passer la pilule, d'une manière ou d'une autre, c'était un juste retour de manche. Qui lui explosait la pommette gauche avec la violence d'une batte de base-ball venue fracasser l'os du visage, certes, mais au moins il était sûr, le karma, que la blondinette teinte en brun le sentirait bien passer.

Et ce fut lorsque la dernière goutte de thé fut avalée, et que Miya s'apprêtait à se laisser sombrer dans les méandres de la plus sombre de ses pensées que Cameron se décida à entrer en scène. Quel coquin, à intervenir à l'instant où on l'attendait le moins, cet Américain ! Doucement, elle sentit ses doigts effleurer son poignet, avant de l'agripper doucement pour l'extirper de son siège, l'inciter à remettre son manteau, son bonnet et son écharpe, et le suivre, sagement, sans broncher, jusqu'à la destination qu'il avait décidé de lui cacher jusqu'au dernier moment. Ils passèrent devant de nombreux lieux connus de la Française, qui lui arrachèrent un regard étonné, se demandant bien si elle allait se retrouver face à l'un d'eux; pourtant sans jamais s'arrêter, marchant inlassablement aux côtés de son compagnon.
Il faisait un froid sec qui n'allait pas manquer de gercer ses lèvres, et, pour la première fois de son existence, Miya n'y prêta pas attention. Elle était bien plus absorbée, tour à tour, par le mouvement de ses pieds, ses pas lui paraissant légers sur le sol où elle pourrait glisser si elle avait le malheur de passer sur une plaque de verglas sournois, puis par le paysage environnant, se demandant vaguement si il comptait l'emmener quelque part en particulier, ou s'il allait les faire déambuler dans les rues de Keimoo jusqu'à ce qu'hypothermie s'en suive et qu'il faille la porter lorsque ses jambes auraient cessé de le faire.

Ayant ralenti de quelque peu son allure, à force de réfléchir de trop, il fut tout naturel pour elle de rentrer - doucement, tout de même - en collision avec le dos de Cameron, avant que celui-ci ne vienne lui faire face. Levant le regard vers lui, elle détailla le paysage alentour. Un pont. Oh. Elle connaissait aussi ce grand pont. Elle en avait connu de bien plus petits, incitant à la réflexion, au calme et à la sérénité, mais celui-ci, elle l'aimait parce qu'il lui rappelait l'effervescence de la vie. La masse informe humaine s'agitant en tous sens pour avancer et tracer son propre chemin, la communion avec l'eau coulant tantôt paisiblement, tantôt à flots tourbillonnants sous le pont. Elle avait eu l'occasion de prendre quelques clichés, ici. Un léger sourire anima ses traits, tandis que ses prunelles regagnaient quelque peu en vie.

Songeuse, elle écouta ce que le grand brun avait à lui dire. C'était presque vexant, en soi, de sa part, de lui demander si elle avait déjà pris le temps de détailler le monde qui l'entourait. Il oubliait trop vite qu'il avait une photographe en herbe face à lui, et que se poser, chercher l'angle, l'atmosphère, la luminosité, le détail qui lui donneraient le sentiment que son cliché serait le bon, c'était son fort. Mais, en soi, il n'avait pas vraiment tort. Voilà longtemps qu'elle ne s'était pas... « Posée ». Même si, dans la situation actuelle, il lui paraissait assez difficile de s'offrir ce luxe. Il fallait qu'elle trouve un appart' à elle, qu'elle bosse pour se financer puisque désormais elle n'avait plus de secours financier, qu'elle aille à la fac pour exceller dans son domaine et décrocher, à l'avenir, un travail florissant...
S'adossant à son tour au mur de pierre, la sensation froide et dure de la pierre contre la paume de ses mains faisant couler un frisson le long de sa colonne vertébrale, elle prit la parole à son tour, hésitante, pourtant convaincue de la certitude de ses propos :

« Tu ne penses pas... Que ça pourrait être l'exact inverse, Cameron ? Je me suis tellement reposé sur mes lauriers, malgré ma situation familiale, que j'en ai perdu le fil de la vie, et aujourd'hui... Je n'arrive plus à faire face. Les rares dont j'avais su m'entourer étaient devenus mes piliers, et moi, je ne pouvais plus avancer s'ils s'écartaient, sous peine d'être écrasée nette sous le poids des responsabilités qui me rattraperaient au grand galop. »

Elle eut un petit sourire, ne sachant pas elle-même s'il convenait, en l'instant, de s'afficher triste et coupable, ou solide et fière.

« Quant aux yeux, ils sont plus que bien ouverts, crois-moi, mais... Prendre une pause, maintenant ? Quand, comment ? Avec quelles conséquences ? Si je m'arrête au milieu du chemin, j'ai peur de ne pas pouvoir me relever. J'ai... J'ai peur, tout simplement. »

Si elle continuait sur cette voie, elle allait pleurer. Et pas sangloter dignement, non, mais bien vomir ses tripes par ses conduits lacrymaux et pleurer comme un bébé profondément perturbé par sa rencontre avec le monde après 9 mois de bien-être, de confort et de douceur au creux de sa mère. Levant un regard perdu et cherchant avec la force du désespoir une réponse dans les prunelles abyssiniennes de son interlocuteur, elle prit pourtant sur elle de continuer à parler, pour casser toutes les barrières et la laisser nue; à lui de décider de l'achever proprement, ou de faire durer l'agonie.

« Tu connais mieux la vie que moi, Cam'... Je dois faire quoi, moi... ? »

Par pitié, qu'il lui réponde quelque chose. N'importe quoi, tant que cela pouvait constituer un semblant de réponse pouvant la sortir de l'impasse.