Love is war [PV Misaki]

Totalement décontracté, j’avance dans les sous-sols de l’académie sans aucun but précis derrière la tête. Les examens sont terminés pour cette année, dans quelques jours les vacances commenceront pour moi…mais avant cela je dois franchir une grande étape de ma vie : le bal de Noël. Rien qu’en y pensant, mes pensées s’assombrissent, des gens, de la musique, des danses…et une partenaire populaire. Je soupire, je me demande pourquoi est-ce que nous n’avons pas le choix de la personne qui nous accompagne, comme je me connais j’y serais allé en solitaire, dans l’unique objectif de la voir ce soir pour la première fois depuis des mois. Bon, ce n’est pas comme si je pouvais y changer quelque chose right ? Alors je pense que je devrais profiter de ma pause afin de me reposer du test de Japonais que j’ai eu ce matin.

Ce ne fut pas particulièrement difficile, pour moi du moins, mais je dois avouer que disserter sur le désir de bonheur des Hommes, ce n’est pas vraiment ce que j’aime le plus. Disons que j’ai du mal à savoir ce qui m’apporte mon propre bonheur, alors essayer de réfléchir sur celui des autres en généralisant, c’est franchement galère. Ma main droite s’enfonce dans mon sac, cherchant à tâtons mon bentô que je me suis préparé ce matin. Plusieurs fois, elle s’aventure entre ma calculatrice et mes différents classeurs jusqu’à ce que…Ah enfin. Je retire machinalement la boîte en plastique de mon sac de cours, pousse la porte d’un local vide que je squatte depuis plusieurs jours, toujours à la même heure.

« Ils pourraient au moins nettoyer la poussière ici…M’enfin. »

Sans réfléchir, j’avance vers une table située au premier rang alors que la porte se referme derrière moi en grinçant, un léger claquement me signale qu’elle s’est refermée. Au même moment, mon fessier vient retrouver l’inconfortable chaise en bois, au moins ici je suis loin des bruits et perturbations en tout genre. J’ouvre mon paquet déjeuner, attrape mes baguettes avec habileté, me souhaite un bon appétit et commence par entamer une boule de riz vinaigrée. Vous vous demandez sûrement pourquoi je me cache pour manger, eh bien…C’est une histoire assez ridicule en fait.

Elle remonte à la semaine dernière, alors que je savourais ma pause assis face à mon repas. Je m’apprêtais à manger seul, comme tous les midis, mais tout ne s’est pas passé comme que je l’avais prévu. Une femme est venue interrompre mon rare moment de répit ici, attirant de surcroit les regards des mâles en chaleur de ma classe, cette nana…C’est ma future cavalière pour le bal. Depuis, j’ai peur qu’elle vienne me chercher et m’oblige à sacrifier mon heure de libre pour m’entraîner à la danse car je crois que c’est le genre de personne à être capable de me faire subir quelque chose d’aussi horrible.

Je ferme les yeux pour mieux apprécier le calme, m’affale sur ma chaise pour profiter de l’espace, je suis vraiment bien….mais il faut que quelque chose vienne tout gâcher comme d’habitude. Aussitôt que l’idée de repos physique et intellectuel m’a effleuré l’esprit, un bruit s’est élevé à mon étage. Ce fut puissant, j’en ai ressenti les ondes jusque dans mes os, je me demande qu’est-ce qui a bien pu faire ce son. Ma curiosité ne prend néanmoins pas le dessus sur mon estomac et je continue alors de manger, comme si je n’avais strictement rien entendu. Je tente d’ignorer les sons qui se propagent jusqu’à moi…J’essaie tant bien que mal d’y faire abstraction, mais alors que j’entame seulement la quatrième boulette de riz, c’est une mélodie familière qui vient caresser mes tympans.

Au début, je ne l’avais pas vraiment reconnu, mais une fois que l’air est lancé, je ne peux plus m’empêcher d’y songer. Sans que j’en prenne tout de suite conscience, la musique s’ancre progressivement dans mon esprit, jusqu’à ce que je ressente l’envie de fredonner la chanson qui me trotte désormais dans la tête. J’aurais dû y penser plus tôt, les sous-sols sont utilisés par le club de musique en général, mais il reste quelque chose de mystérieux à cette histoire. D’habitude, aucune répétition n’a lieu entre midi et je n’ai pas entendu parler d’un quelconque changement d’emploi du temps, serait-ce quelqu’un qui s’entraîne en solitaire ?

Du piano, je reconnais l’instrument sans trop de difficultés – ouah je suis trop doué – et je suis attiré par l’harmonie du son qui se propage jusqu’à moi. Love is war, c’est ça le titre que le ou la pianiste joue en ce moment. Je suis intrigué tout à coup, quel genre de personne zapperait sa pause pour jouer une telle mélodie dans les sous-sols ? Un individu ayant subi un chagrin d’amour probablement. Enfin, je suis trop curieux pour rester ici sans bouger, j’agrippe mon sac de cours et le pose sur mon épaule puis j’attrape mon bentô et continue de marcher tout en mangeant, en direction du son.

Je trouve assez rapidement la salle du club de musique, je m’arrête devant la porte, un peu hésitant, est-ce que je n’aurais pas trop l’air ridicule ? Est-ce que je ne vais pas passer pour le genre de mec qui chercher à gratter l’amitié chez les autres ? Je prends mon courage à deux mains et pénètre dans la pièce. Une fille me tourne le dos, elle est assise devant un piano comme je l’avais prévu et se laisse enivrer par la mélodie. Ne voulant pas la déranger, étant donné que je suis plutôt compréhensif avec les artistes, je m’assois en silence sur un tabouret et la laisse jouer. Est-ce qu’elle a senti ma présence ? J’en doute, et j’espère que ce ne soit pas le cas. Une fois qu’elle aura fini de jouer, je m’en irai, je m’éclipserai tel un voleur pris la main dans le sac.

J’ai rarement été attiré par les activités artistiques, pourtant quand ce sont les autres qui les pratiquent, je ne peux pas dire que je trouve ça désagréable, au contraire. La mélodie, le chant, tout semble parfait. Durant un court instant, je me sens comme si la bulle autour de moi avait éclaté. Bien que cela ne soit qu’une illusion, je me sens étrangement léger et libéré d’un poids qui me pèse. Une chanson d’amour hein, pourtant ça n’a rien à voir avec moi…Enfin je crois. Toujours assis au même endroit, je suis dans l’incapacité de bouger tant mes sens se laissent emporter par la chanson et ses paroles puissantes qui me pénètrent droit au cœur. Je ne sais pas qui est cette fille, il ne semble pas l’avoir vu avant dans l’académie – en même temps, moi et la physionomie…ça fait le nombre d’Avogadro si vous voyez ce que je veux dire – et je suis un peu curieux de savoir pour quelle raison elle met toute cette énergie dans le chant, mais je reste muet par respect de son talent.

Elle finit par s’arrêter sans que je ne m’en rende compte. Je suis un peu déçu, j’aurais voulu que cette douce mélodie soit éternelle…mais plus que tout, je suis gêné. Maintenant qu’elle ne chante plus et ne joue plus, elle va sûrement se retourner un moment ou un autre. Mon regard évasif m’empêche d’en prendre conscience, comme un enfant j’essaie de feindre l’évidence…Comme si c’est en évitant de croiser son regard qu’elle ne va pas s’apercevoir de ma présence. Qu’est-ce que je vais dire à ce moment là ? Est-ce que je dois applaudir ? La féliciter ? Lui donner des pièces…NON, c’est ridicule. Bon, quitte à passer pour un clown de service, je décide de briser le silence.

« Euh… »

Très constructif, mais rien d’autre ne parvient à sortir de ma bouche. Je sens une chaleur désagréable me monter aux joues, même si je ne rougis pas, je commence à transpirer, y-a-t-il quelqu’un qui puisse me sortir d’ici ? Et là je repense à tous les gens qui me harcèlent depuis des jours au sujet de ma partenaire pour le bal…Non, en fait il ne vaut mieux pas que quelqu’un sache que je déjeune au sous-sol. J’en ai marre sincèrement, de tous ces mecs hyper prétentieux que j’entends chuchoter dans mon dos « Moi à sa place, je me la taperai bien. » et même si aucun nom n’est prononcé, je sais de qui ils parlent. Je ris doucement à l’évocation de cette anecdote, avec ironie bien sûr.

« C’était…bien. »

C’est déjà très difficile pour moi d’adresser la parole à quelqu’un, alors vous vous imaginez l’effort que je dois faire pour complimenter une tierce personne. Pour la peine, je me félicite d’avoir réussi à enchaîner ces quelques syllabes sans bégayer de honte ou de timidité. J’entends le tabouret se décaler, je me lève aussitôt. Mes muscles se raidissent, la jeune fille va se retourner vers moi, dois-je la saluer ? Ou tout simplement partir et la laisser dans son monde ? De ce que je sais, les virtuoses ne sont pas des gens spécialement sociables non plus…Enfin si ça se trouve elle fait juste une répétition pour les tests du club de musique. Mon cerveau explose tant il y a d’issues à cette situation. Je retiens mon souffle, prêt à recevoir un sermon pour l’avoir écouté en douce ou quelque chose du genre.