Last Friday Night (T.G.I.F.)

Thank God It’s Friday !

- Okay, je lâche d’un ton déterminé. C’est parti !

Je compte “un, deux, trois !” bien fort, pour motiver les troupes, mange le sel posé au creux de mon pouce, avale mon shooter de Tequila, fait une grimace à cause de goût et, tout de suite après, mords un grand coup dans mon bout de citron pour en aspirer le jus.

- Eew, proteste une de nos spectatrices avec une moue. J’pourrais pas, moi !

Normal, je pense, les japonais ne savent pas boire.

Bon, d’accord, j’exagère sûrement ; mais je suis à peu près certain que mes amis de Seattle tiennent beaucoup mieux leur alcool que ceux que je me suis fait ici. C’est pas un reproche, hein ! Loin de là. Au moins, aucun d’eux ne finira dans l’état de Simon ou d’Helen en fin de soirée. Tout simplement parce que la quantité d’alcool que ces deux-là ingurgitent suffirait à plonger n’importe quelle personne ici présente dans un coma éthylique.

La preuve, il est à peine 23 heures, et tout le monde est déjà bien amoché.

J’aime bien ce genre de soirée, parce que globalement, je peux faire à peu près toute les conneries que je veux sans que personne ne m’en tienne rigueur ; et pour cause, je ne connais pas la moitié des invités.
Disons que depuis que je suis président du Conseil des Élèves, j’ai vu ma popularité monter en flèche, et je me suis soudainement retrouvé à me faire inviter à toute les soirées branchées de nos amis les Populaires et, pour être tout à fait franc, c’est assez sympa.

Déjà parce que j’rencontre du monde.

Et ensuite parce que, étant parmi les plus riches de l’école, ils achètent toujours une quantité d’alcool proprement indécente (qu’ils finissent rarement, d’ailleurs).

Bref.

-

Globalement, aujourd’hui, je n’connais pas grand monde. Il y a la fille qui m’a invité (Mayumi, je crois), quelques uns de ses amis à qui j’ai déjà parlé quelques fois, une flopée d’inconnus, et Serizawa et sa cour. Eiko Serizawa, c’est un peu la populaire parmi les populaires. Je sais, ce n’est pas la seule dans ce cas, mais j’ai toujours admiré sa façon de faire. Avec Eiko, c’est “keep your friends close and your enemies closer”. Ce qui est drôle, c’est que j’ai grillé son double-jeu super-vite (un peu comme avec Wunjo, à l’époque), et que du coup, depuis, elle ne prend plus de gants avec moi. Et pour être franc, je préfère ça : la Serizawa édulcorée, un peu princesse et toute mielleuse que les autres pensent connaître me paraît tout à fait inintéressante face à la Serizawa mordante, sarcastique et manipulatrice qu’on découvre en grattant un peu.
Curieusement, je m’entends super-bien avec elle. Oui, je sais, elle passe son temps à me vanner, et m’a plus d’une fois renvoyé à la figure ma fâcheuse tendance à draguer tout ce qui bouge, mais globalement, j’adore nos petites joutes verbales.
Et puis, elle est franchement canon, ce qui ne gâche rien. Je sais que ça n’est pas son genre, mais j’dois bien admettre que coucher avec elle est définitivement sur ma liste. Et ne me regardez pas comme ça, vous seriez du même avis si vous la connaissiez !
Et franchement, j’ai bien le droit de rêver : pour une fois que j’ai fait des efforts, j’suis carrément sexy, aujourd’hui. J’ai réussi à me refaire le brushing “à la Ray” avant de partir (sans quoi, j’ai les cheveux qui rebiquent dans tous les sens), et je suis bien sapé : jean slim noir savamment délavé, tee-shirt à col très V gris asphalte, grosse montre en (faux) or au poignet, Zizi repetto noires vernies (un cadeau d’Allan) et, parce qu’il faut une touche rock, grosse ceinture en cuir avec une boucle métallique en forme de revolver - dans le même genre que celui tatoué sur mon avant-bras droit.
Les pop’ n’ont qu’à bien se tenir.

Bref.

Revenons à nos moutons.

Ou à nos Tequila-paf.

Héhé.

Nous sommes quatre - une fille et trois mecs - à enchaîner les shooters depuis quelques instants (sur mon idée, bien sûr), et pour le moment, tout le monde s’en sort à peu près. Mais quelque chose me dit que ça ne va pas durer.

-

Vingt minutes plus tard, il ne reste plus que moi, et la fille.

C’est qu’elle se défend, la petite !

Pour le coup, je meurs d’envie de corser le jeu en pariant des trucs, mais dans l’état où je suis, je risque de ne pense qu’à des trucs déplacés - pour une japonaise, en tout cas.

Hum.

C’est bon, la Tequila.

- Je reviens, je dis au bout d’un moment.

Je me lève tant bien que mal (et plutôt mal que bien, d’ailleurs), avant de zigzaguer en direction des toilettes (heureusement que j’ai fait un repérage avant de commencer à boire, sans quoi je n’aurais jamais trouvé).

- Outch ! fait une voix féminine au détour du couloir.

Ah. Il semblerait que j’ai heurté quelqu’un.

Mon cerveaux embrumé commence à formuler un “sorry” pas très sobre, mais s’arrête en plein milieu quand je reconnais la personne en face de moi.

- Serizawa ! je clame avec un grand sourire.

Oublieux de toute règle de bienséance et du fait que je risque ma vie en faisant ça, je lui fait un long hug, m’appuyant à moitié sur elle, avant de la prendre par les épaules pour la décaler sur ma droite, et continuer mon chemin, l’air de rien.

Cinq minutes plus tard, je suis de retour à ma place, et Serizawa n’est plus dans mon champ de vision. Dommage, j’étais à deux doigts de l’entraîner dans le concours (et fière comme elle est, j’avais même peut-être une chance d’arriver à la convaincre).

-

Un, deux, trois !

Gah. Heureusement que je tiens bien l’alcool, parce que là, j’arrive au stade où me lever relèverait de la prise de risque. Par contre, on dirait que mon adversaire, elle, commence vraiment à arriver à sa limite, à en juger par son silence et son regard vague.

Quand elle se penche vers moi avec la nette intention de m’embrasser, j’me dis que j’aurais pu lancer des paris à la con, en fait. J’crois que ça n’l’aurait pas dérangée.

Elle a un goût de citron.

Miam.

Haha. Quelque chose me dit que ça va être très drôle, demain matin, quand ses potes lui raconteront ça.

Je réponds un peu paresseusement à son baiser (parce que contrairement à elle, j’ai déjà pas mal bu avant le concours de Tequila-paf) puis, quand elle se décolle de moi, je regarde deux de ses amies se précipiter vers elle pour l’empêcher de recommencer, et je ris bêtement. Marrant, on dirait moi avec Simon. Sauf qu’il embrasse des mecs quand il est bourré - alors qu’il est parfaitement hétéro, ce qui donne lieu à de grands moments d'anthologie au réveil.

Aaah, ce que j’aime les soirées.

« Déjà que ce n’est pas très glorieux d’abuser de ce pauvre Quinn, en plus maintenant tu te mets à les saouler pour arriver à tes fins, t’es vraiment pas quelqu’un de fréquentable, Baka-sempai. » fait une voix familière à mon oreille.

Je hausse un sourcil pas très sobre, tandis qu’Eiko Serizawa s’installe juste derrière moi, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, le genou enfoncé dans mon dos (AÏE !).

“ Tu m’chaperonnes, maint’nant, Serizawa ? ” je réplique avec un large sourire.

Cette fille passe son temps à m’éviter ostensiblement, en temps normal. Autrement dit, si elle s’est installée ici volontairement, ce n’est que pour une chose : me chercher des noises. Et ça m’éclate, parce que, avouons-le, il n’y a rien de mieux qu’une bonne joute verbale à demi-mot.

« Alors, elle embrasse mieux que Quinn, le poulpe ? »

Je me tourne complètement vers elle, me désintéressant momentanément de la scène, et lui assène avec un sourire équivoque :

“ J’connais personne qui embrasse mieux que Quinn, honey. Du moins, pour l’instant ! ”

Bon, d’accord, le sous-entendu est tout sauf subtil. Et si elle n’a pas compris que c’était de la provocation, c’est qu’il y a un problème. Mais à ce stade de la soirée, on n’peut pas m’en vouloir. Je dois être franc, flirter avec Serizawa ne me serait probablement pas venu à l’esprit si j’avais été parfaitement sobre - trop dangereux. Mais là, tout de suite, ça me paraît une excellente idée. Allez savoir pourquoi.

Bref.

De toute façon, mon cerveau est légèrement court-circuité par le fait qu’elle vient de prendre appui sur moi. Euh. On est dans quelle dimension, au juste, pour que Eiko Serizawa se mette à être tactile avec  moi ? Pas que je m’en plaigne, mais je vais finir par croire qu’elle n’est pas aussi sobre qu’elle en a l’air. A moins qu’elle ne se foute royalement de ma gueule, of course.
Toujours est-il qu’il me faut un quart de seconde de plus pour reprendre contact avec la réalité, et me rendre compte que ma partenaire de beuverie est en train de faire la plus belle scène de la soirée, sous les rires de ses “amis”.
Je pousse un soupir.
Qu’on se ridiculise en soirée, c’est une chose, et ça arrive à tout le monde. Mais là, ça devient pathétique, et j’avoue que le fait que personne ne lève le petit doigt pour la calmer me gêne pas mal. D’autant que les deux filles qui sont arrivées avec elle sont en train de la filmer, et ça, ça me plaît moyen.

« Attend t’as re-bu dans ton verre après qu’elle t’aie embrassé ? » demande Serizawa en finissant mon verre sans état d’âme. « Parce que cela voudrait dire que c’est la première fois que j’embrasse une fille, un poulpe de surcroît. Brrr… »

Je laisse échapper un rire.

“ Nope, rassure-toi, j’suis l’seul que t’aies embrassé indirectement pour le moment” , je lance en me levant. “ Maintenant tu m’excuseras, je te fausse compagnie deux minutes, j’ai un sauvetage à effectuer - et elle s’appelle Asuza, pour info, pas le Poulpe ! ”

Je file vers la malheureuse sans laisser à Eiko le temps de répondre, et lance un regard de reproche aux filles armées de leurs smartphones.

“ Et vous trouvez ça drôle ? ” j’assène d’un ton dur.

L’une d’elle rigole bêtement parce que oui - elle trouve ça très drôle, mais l’autre baisse les yeux, probablement en me reconnaissant.

“ C’est bon, c’est pas méchant. ” dit-elle du bout des lèvres sans grande conviction.

“ Tu lui diras ça demain matin, tiens ! ” je rétorque en désignant Asuza de menton, alors qu’elle s’affaisse sur  moi quand je fais mine de la soutenir.

D’un geste, mon interlocutrice rabat sa main sur le portable de sa camarade, pour qu’elle arrête enfin de filmer.

“ Vous savez où est son sac ? ” je demande en passant un bras d’Asuza autour de mon cou.

Les deux jeunes filles s’empressent aussitôt de trouver ledit sac pour venir le déposer à côté de moi avant de filer sans demander leur reste. Tssk. C’est beau, l’amitié.

“ Hey, Serizawa ! ” j’appelle en me tournant vers l’intéressée. “ Tu peux chopper son sac ? J’vais trouver une chambre où la coucher, tu m’suis ? ”

Eiko n’est certes pas du genre à rendre service gratuitement, et encore moins à quelqu’un qu’elle ne respecte pas, mais ça ne me coûte rien d’essayer.

Sans manquer un battement, j’ajuste la position d’Asuza et passe un bras autour de sa taille, avant de me diriger vers le couloir par lequel je suis passé tout à l’heure pour aller aux toilettes, et dans lequel il me semble avoir aperçu ce qui ressemblait à des chambres. Bingo !
La première chambre que je fais est déjà occupée par un mec complètement déchiré, affalé de tout son long sur un lit une-place, mais les autres, un autre chambre simple et une seconde avec un lit double, sont miraculeusement libres. J’installe donc Asuza tant bien que mal dans la petite chambre, et rabats le couvre-lit sur elle, faute d’avoir réussi à la glisser sous les draps.
Avisant une chaise de bureau, je m’y assois un bref instant, avant de me rappeler que je suis sensé avoir été suivi.

“ Serizawaaa ? ” je clame en passant la tête dans le couloir, sans quitter la chaise que j’ai fait rouler jusqu’à la porte. “ Tu t’es perdue ? ”