Best (worst) night ever [Miya]

Je me sens perdu au milieu de cette foule, de ces gens que je n’avais jamais vu auparavant même si nous fréquentons – paraît-il – le même campus. Sans trop réfléchir, je me laisse guider par Miya – puisque je suis contraint d’y aller avec elle, autant qu’elle me soit utile – jusqu’au buffet où elle semble y rencontrer quelques admirateurs. Pendant ce temps, je profite qu’elle détourne son attention de moi pour attraper un petit-four que j’engloutis au passage. Suite à cela, je me frotte les mains puis les glisses dans les poches de mon pantalon avant de scruter les alentours, bon…Je ne connais absolument personne, enfin j’ai clairement l’impression qu’il n’y a personne de ma classe ici. Peut-être qu’ils ne sont tout simplement pas encore arrivés…Enfin, ce ne sont pas eux que j’attends, mais j’imagine que ça m’aurait rassuré, d’avoir une présence familière dans la salle, même si je sais à peine vaguement à quoi ils ressemblent.

Mon regard se perd au loin alors que les participants du bal vont et viennent à travers la piste où certains duos ont déjà commencé à danser sur une musique qui n’est qu’un écho pour moi. La populaire me semble loin derrière moi, alors qu’elle n’est qu’à quelques centimètres, une trentaine je suppose, j’espère qu’elle m’oublie encore longtemps, je veux que ma présence disparaisse de cet endroit où je suis loin d’être à mes aises…Je veux qu’elle trouve un autre partenaire de danse. Malheureusement la réalité me rattrape bien vite, au moment où j’essaie de m’éclipser discrètement vers une chaise, je sens une pression s’effectuer sur mon bras, ce qui a pour effet de me faire faire la moue.

Un soupir, rien d’autre, je me retourne et fais face à ma partenaire. J’évite de croiser son regard, j’ai bien peur de m’y perdre, j’ai beau prétendre résister à son charme, je suppose que je ne suis qu’un faible face à elle. Les populaires savent bien profiter de leurs atouts après tout. Je préfère alors m’attarder sur sa robe, bien évidemment sublime et élégante, je ne peux pas dire la même chose de ma tenue, enfin c’est sûrement parce que c’est moi qui le porte que ça me gêne autant. Je ne suis pas habitué à ce genre de vêtements, je me sens un peu à l’étroit…et ce n’est pas parce que j’ai pris du poids. Enfin, ce n’est que pour une soirée de toute façon.

« Tu veux quelque chose à boire ? »

Pourquoi est-ce que j’ai balancé ça sur le ton de la conversation ? Urgh…qu’elle ne s’imagine pas que je veux discuter ou quoique ce soit, je lui ai juste proposé ça parce que je suis…gentil, j’imagine, et sûrement parce que ma soeur m’a gavé pendant une bonne semaine avec les règles de politesse et de comportement, que ce soit au téléphone ou pendant que j’étais à la maison. Toujours est-il que j’ai vraiment prononcé ces mots, et que je me retrouve hypothétiquement à faire le serveur, alors que c’est loin d’être dans mes habitudes.

Toujours appuyé sur le buffet, j’attrape un autre amuse-gueule alors qu’elle semble choisir sa boisson – ou alors elle ne m’a pas entendu, c’est aussi une option – au moins la nourriture est bonne. C’est sûrement la rare chose positive que j’arriverai à retenir de cette soirée, que c’est malheureux à dire ainsi…quoiqu’il pourrait y avoir quelque chose d’autre qui égaierait ma soirée, mais je préfère ne pas me faire de faux espoirs. D’ailleurs ça m’étonne, la personne qui a si gentiment insisté pour me convier à ce bal n’est toujours pas arrivée, serait-il déjà en train de draguer sa partenaire dans un coin obscur de la salle ? Lassa, tu me le paieras.

Devant mon manque de réactivité, la jeune femme prend les choses en main, s’emparant ainsi d’un verre rempli d’un liquide à la texture bien étrange que je pense éviter de goûter pour ne pas finir ma soirée en tête-à-tête avec les toilettes, très glamour n’est-ce pas ? Enfin bref, nous nous retrouvons alors face à face, silencieux comme jamais – quoique pour moi ce n’est pas très différent d’habitude – et dégustant chacun notre apéritif respectif. J’évite de l’observer, pourtant je sais que je ne pourrai pas y échapper ce soir, je sais qu’elle va me le demander dès que mes prunelles croiseront les siennes, d’un simple regard elle me fera comprendre ce que je dois faire et je…Argh, je ne préfère pas y penser.

Elle se rapproche de moi, mes battements de cœur accélèrent, j’arrête momentanément de respirer, déjà ? Ses lèvres s’entrouvrent, je bois chacun de ses mots…Attendez, quoi ? Elle est en train de me dire qu’elle accepte de sacrifier sa soirée pour moi ? Mes joues s’empourprent, est-ce que je serais fourvoyé sur la nature de cette fille ? Je jette un regard en coin à tous ses admirateurs qui lui adressent des sourires plus ou moins charmeurs, non, elle est bel et bien une populaire, une personne dont je suis diamétralement opposé, alors…Pourquoi ? Je serre les poings, nerveusement, je sens une énorme pression sur les épaules, j’ai l’impression que le monde entier me regarde et attende que je dise un mot.

« Je-Je… »

Bah, c’est vraisemblablement la seule chose que je parviens à bredouiller pour le moment. J’attrape au verre d’eau à la volée, posé antérieurement sur le plateau d’un serveur, et le bois cul-sec. Je me sens un peu mieux, en tout cas ça m’a rafraîchit, mais ça n’a toujours pas résolu mon dit problème, qu’est-ce que je dois faire ? Suis-je censé faire le gentleman et tout de même accepter de lui faire plaisir ? Ou dois-je réagir de manière égoïste et lui imposer de rester assis dans un coin. D’un côté, c’est elle qui a proposé, je devrais sauter sur l’occasion avant qu’elle ne change d’avis, pourtant dans un sens…J’ai me sens un peu mal pour elle. Cette soirée aurait dû être pour elle l’occasion de briller comme toute jeune fille en rêve – bon, je parle de l’un des fantasmes éveillés de ma sœur là – et moi, je l’entraîne dans les profondeurs de l’ennui et de la passivité, mon quotidien en somme.

Je finis par hocher la tête en poussant un soupir exaspéré, je crois bien que je suis incapable de donner une réponse définitive maintenant. Avant de juger de quoique ce soit, je pense qu’il serait en effet bien utile de faire plus ample connaissance. D’une petite voix, je marmonne un semblant de réponse à sa proposition.

« Pour le moment, j’aimerais bien rester ici et juste discuter. Après…j’essaierai de faire un effort, mais… je ne promets rien. Merci de ta compréhension Miya-san. »

Ma mâchoire se contracte, j’ai essayé de ne pas être trop catégorique concernant ma décision, je suis vraiment un lâche. D’un geste vif, je ramène une mèche de cheveux derrière mon oreille. Bon, maintenant que je sais que nous ne sommes pas prêts d’aller danser, je me sens un peu plus à l’aise dans cet endroit, je commence à prendre un peu d’assurance alors que certains couples s’enflamment déjà sur la piste.

« Dis, tu es une populaire non ? Tu aurais pu…en profiter et influencer le comité, non ? Tu sais, pour avoir quelqu’un…à ta hauteur pour cette soirée. »

Car je ne suis pas dupe, je suis conscient que la jeune femme m’a proposé à contre-cœur de rester là, à ne rien faire à part observer les autres. Je peux le sentir jusqu’ici, elle appartient à ce monde doré, là où tout brille, alors que moi, ma vie n’est animée que par différentes nuances de gris.

Elle me remercie, je baisse les yeux, à partir de maintenant je sais que je dois essayer de ne pas la décevoir. Il est vrai que je suis égoïste d’habitude, mais je ne suis pas non plus un monstre, j’ai bien vu à quel point la soirée est importante pour la jeune femme, j’ignore pourquoi d’ailleurs mais la question n’est pas là. Enfin, j’imagine que si elle s’est embêtée à me faire répéter un nombre incalculable de fois des pas de danse, ce n’est pas par simple envie, il y a sûrement des raisons à cela. De toute façon, qu’est-ce que ça fera si je me mets à danser avec elle ? Je serais possiblement le plus maladroit des cavaliers sur la piste et on cherchera à se moquer de moi après les congés de Noël, et je n’aurais plus qu’à me faire discret jusqu’à ce que ma réputation soit redevenue inexistante comme actuellement. J’aimerais lui dire que je suis d’accord pour essayer, une seule fois, mais c’est un peu comme si les mots ne sortaient pas de ma bouche.

Peut-être que cela veut tout simplement dire que je ne suis pas prêt, alors je vais ranger cette idée très loin dans un recoin de mon cerveau et éviter d’y repenser, engager une discussion a priori banale, mais de manière non intentionnelle, je me rends compte que j’ai probablement été blessant dans mes propos. Elle commence à s’étouffer avec une boulette de riz, je réagir instantanément et lui tapote doucement le dos…et je me rends compte que je suis en train de la toucher. Le contact physique a beau n’avoir duré que quelques secondes, je m’empresse de retirer ma main pour aller chercher un petit-four qui se loge harmonieusement entre mes doigts.

Sa définition de popularité semble être assez différente de la mienne, jusqu’ici je n’avais jamais envisagé qu’il pouvait y avoir des élèves populaires et gentils, compréhensifs, je n’ai connu que les conséquences des abus de cette réputation. D’un côté…J’ai toujours été un peu exclu de la vie de la classe, je ne voyais les choses que par des faits rapportés car je ne prêtais aucune attention aux autres, depuis tout ce temps je les ai trouvé tellement à mon opposé qu’il m’était impossible de leur adresser la parole, mais dans ce cas, n’est-ce pas l’espèce humaine toute entière que je méprise ? Ne sont-ils pas tous mes antagonistes dans ce cas ?

« Possible. Je ne prétends pas avoir la science infuse après tout. »

Cette phrase s’achève de manière bien sèche, car je ne trouve rien à redire, c’est difficile à avouer, mais je crois bien que je suis à court d’arguments, que je suis incapable d’y réfléchir à vrai dire, parce que je viens de perdre un duel de rhétorique face à une populaire et je dois dire que je suis un brin irrité. De toute façon, j’ai la flemme de tenter de me trouver des excuses, ça sera pour une autre fois. Sacrilège, est-ce qu’elle serait en train de complimenter là ? Serait-ce une tentative pour m’amadouer ? Je ferme les yeux, légèrement contrarié par la tournure de cette conversation.

« Ce n’est pas que je me sous-estime, c’est que j’ai calculé la probabilité de me ridiculiser ce soir…Et elle avoisine 0.9998. Je n’ai pas envie de me faire pointer du doigt comme une bête de cirque, ça s’arrête là. »

Et voilà, je recommence à faire la moue – comme d’habitude me diriez-vous – et pour faire passer ce moment, je replonge ma main dans le plateau d’apéritifs avant de déclarer assez maladroitement.

« Pardon. »

Son regard se posa sur celle qui serait donc la première des reines enfleuries de ce bal. La couronne gagnée à la fin de cette soirée, par ceux que les autres auront jugés reine importera peu. Car d'ici là, tout le monde portera sur sa guirlande capillaire une auréole de petits pétales. Et ils s'envoleront sur la piste au rythme des danses, ils fleuriront un sol endiablé, ils égayeront ceux qui perdent pieds. Miya, la reine, serait la toute première à avoir cet honneur. Quel choix plus judicieux que celui-ci ? Qui plus est, les deux semblaient avoir ce qu'on ne pourrait qualifier d'un différent, mais une discussion, autre que sur les pas de danse qui envahissaient la salle. Bouquet de fleurs, magique, fait donc s'envoler tous les problèmes.

« Mlle Chanteclair, votre beauté éblouie toute cette piste. Vous êtes réellement magnifique. Fleurs. Sur vous. Partout. »

Elle ramena le pot de fleurs contre elle, et plongea sa main à l'intérieur, se saisissant d'une poignée de cette magnificence. Une couronne pour une reine. Puisse-t-elle ne pas te brûler les yeux. Avant même que la jeune danceuse n'ait pu réagir, elle s'était retrouvée parsemée de pétales étincelants, qui volèrent doucement de la main de la rouquine jusqu'aux cheveux brillants et soyeux de la jeune femme. Ethel sourit, largement, l'instant semblant se fixer pendant que toute matière magnifique retombait, se posant sur le premier corps venu. Celui de Miya.

« Vous êtes magnifique, j'espère que vous passerez une soirée inoubliable. »

Lâchant un rire heureux, la rouquine tira une petite révérence, accompagna le geste de son partenaire en balançant une ultime gerbe de fleurs sur le couple d'un soir, reposant finalement son regard sur Zakuro. Premier couple fleurit. Le pot était encore plein, évidemment. Ils n'allaient pas s'arrêter là. Elle avait l'honneur de choisir les prochains. La rouquine aperçu alors une tête qu'elle n'avait plus vu depuis bien longtemps. Hâtivement, sautillant presque, elle pointa du doigt Wunjo et sa partenaire, Rydia.

« Grand-duc, là-bas, près des tables. Et la jeune fille à ses côtés. Je veux parsemer des fleurs sur la tête de Grand-Duc. »

Elle virevoltait déjà vers sa destinée, ne se posant même pas la question de savoir pourquoi son dealer d'un soir se trouvait au bal en compagnie d'une élève. La situation demeurait bien trop étrange, comme de juste, et la seule envie qui l'animait était de redevenir un petit lutin, qui cette fois balancerait un amour floral et non plus un brouhaha de paroles fausses au karaoke, ou un arc en plein dans sa tête.

[Désolé du temps de réponse, mauvaise passe]

Je savais que j'aurais dû me désister pour cet événement, que j'aurais dû céder ma place à un garçon plus motivé que moi, j'aurais dû la couper dans son élan à partir du moment où elle est venue me chercher dans la salle de classe, lui dire que c'était une erreur et que j'irai la rectifier auprès de l'administration. A la place, qu'ai-je fait ? Je lui ai laissé de faux espoirs, je lui ai laissé espérer qu'elle brillerait ce soir, sous les feux des projecteurs, c'est le souhait de tous les populaires ou presque non ? Mes excuses ne feront pas le poids face à la déception qui opère dans l'esprit de ma cavalière, je le sais, mais rien ce soir ne me donne envie de faire d'effort, c'est un jour comme un autre n'est-ce pas ? Pourquoi en ferais-je aujourd'hui, alors que cela fait plus de dix-sept ans que je me complais dans ma vie terne et monotone.

Soudain, une voix masculine, je fronce les sourcils et regarde à mes côtés, Miya n'est plus là, elle s'est faite entraînée par une rouquine un peu déjantée, quant à moi je me retrouve face...à un géant. Je plisse légèrement les yeux, comme si j'avais mal vu. Apeuré, je pose mes paumes sur le bord de la table la plus proche. Que me veut ce type ? Pourquoi est-ce qu'il a un pot de fleurs entre les mains ? Je cogite à la vitesse de la lumière alors que mon interlocuteur semble me faire une leçon de morale. Sans trop comprendre, je hoche la tête très rapidement de haut en bas, pour lui montrer que je suis d'accord avec lui, il ne faut pas avoir inventé la poudre pour savoir ce qu'il me demande, même en ayant écouté qu'à moitié, je comprends qu'il veut que je danse avec ma partenaire, pour redorer le blason des intellos.

Le regard pétillant, le jeune homme pose une couronne de fleurs sur mes cheveux, je ravale ainsi ma fierté et ma grimace, préférant ne pas interférer dans les projets d'un garçon aussi costaud. Il finit par s'éloigner, sans donner plus d'explications que cela, je pousse un soupir de satisfaction, je peux enfin respirer normalement. Un regard évasif à gauche, puis à droite, la belle revient vers moi, un sourire plus éclatant que jamais, je crois que tout le monde nous observe, l'intervention de ces deux spécimens a attiré l'attention de tout le monde à ce que je vois. Ses yeux verts se posent sur moi, je rougis violemment et tourne la tête pour ne pas affronter ses compliments. Mes chaussures sont belles, je crois que je vais continuer à les regarder, et le sol est très intéressant aussi ha.ha.

Je ne veux pas croire que cela arrive, je crois que mon cœur est en train d’accélérer le rythme de ses pulsations. Elle est en train de me toucher la main et je n’ai pas le courage de retirer la mienne, c’est officiel, je suis un faible. J’ai peur, est-ce que je dois dire oui ? J’ai l’impression que tout le monde autour attend ma réponse. La pression atteint son maximum avant de se relâcher, au moment où je lâche un dernier soupir, ma décision est prise. Avec un peu d’hésitation néanmoins, je referme ma main – un peu moite maintenant – sur la sienne.

« Alors aide-moi, s’il-te-plaît. »

Quelques mots échangés juste entre nous, à peine audibles parmi le brouhaha qui nous entoure, je suppose qu’elle est la seule à pouvoir comprendre de toute façon. Malgré tous les efforts qu’elle a fait pour m’apprendre quelques pas de danse, je crois que je suis bien médiocre dans cette discipline qui relève du domaine physique. Comme à mon habitude, je suis raide, droit et crispé au moment où nous nous retrouvons sur la piste de danse. J’essaie de me détendre, en vain car je sais que d’autres personnes nous regardent. Lentement, je pose une main tremblante sur son épaule, sans savoir ce que je suis censé faire après, je jette un coup d’œil discret aux autres « couples » présents autour de nous et répète les mêmes gestes, finalement je crois que je ne m’en sors pas si mal, même si je ne suis pas vraiment à l’aise. Je ne suis peut-être pas un prince, mais j’ose espérer en donner l’illusion, juste pour elle, pour qu’elle passe une bonne soirée..