The night before [Logan]

Vendredi soir. Sans aucun doute l'un des moments les plus chargés de la semaine entre les jeunes prêts à fêter le début du week-end, les petits groupes d'employés parés à faire la tournée des bars et les autres anonymes à la recherche d'un moment de détente. Clemens remonta son écharpe tout en courant vers son lieu de travail. Il évita de justesse deux jeunes femmes au téléphone, leur offrit un hochement de tête en guise d'excuse puis accéléra le pas. L'heure de l'ouverture de l'établissement se rapprochait dangereusement mais quinzaine minutes plus tard, il poussait la porte de service, le souffle court. Un de ses collègues lui adressa un sourire espiègle. Les retards étaient déduits de la paie après tout. Cependant être présent ne suffisait pas. Clemens ouvrit son casier puis commença à se changer. Pantalon noir et chemise d'un blanc immaculé avec deux boutons ouverts en haut. On ne faisait pas plus simple mais les serveurs portaient les mêmes vêtements, un tablier noir de serveur de bistrot en plus. Avant de se mettre à travailler, il éteignit son téléphone et frotta pensivement son oreille son lobe d'oreille. Ce soir, il n'avait rien de prévu. Par contre, pas question de découcher, ses demis-frères passaient la journée avec lui.

Dans le bar, encore calme, les cinq employés se focalisaient sur leur tâche respective. Deux nettoyaient une dernière fois les tables, le regard anxieux. Comme si la moindre trace de poussière pouvait nuire à la réputation du bar. Le patron scrutait les verre pour la énième fois. Clemens et un autre jeune homme faisaient des allers et retours entre le comptoir et les réserves, transportant des cartons d'alcool. Le dernier, le plus âgé d'entre eux, était préposé au rangement. Il faisait ça avec une rapidité déconcertante laissant les boites vides s'entasser dans un coin. Pendant qu'il finissait le réassort, ils devaient maintenant nettoyer le plus vite possible l'endroit. Le brun massa son épaule gauche en soupirant. Dommage que les cartons de bouteille ne puissent pas bouger tous seuls. Heureusement, il ne restait plus grand chose à faire, à part un dernier coup de balai. Alors qu'ils finissaient, une discrète musique d'ambiance commençait à se propager dans la salle. L'endroit était moderne. Une longue plaque de verre recouvrait le corps du comptoir. À certains endroits, des spots lumineux placés en-dessous créaient des motifs au plafond. Les chaises hautes en métal s'alignaient soigneusement. Les tables de la salle étaient elles aussi en verre, entourées de chaises identiques. Sur chaque table, une petite composition florale avec du bambou, de la mousse et une orchidée. Sur l'imposante porte d'entrée, les passants pouvaient lire Cocoon.

Le néo-zélandais se lava les mains en souriant. Quel genre de clients allait-il rencontrer ce soir ? Ses cheveux en bataille masquaient la lueur malicieuse brillant dans ses yeux. Dès que l'écriteau fut tourné, les premiers clients firent leur apparition. Un bonsoir chaleureux les accueillit. Quatre personnes s'installèrent au comptoir. Deux d'entre elles, deux femmes en tailleur, étaient venues ensemble et prirent place, à l'écart des autres. Un homme demanda un cendrier et l'autre barman en déposa un sur le comptoir. Clemens observait discrètement les clientes. Elles discutaient tout en détaillant la liste des consommations. Elle servait essentiellement de base car ils les faisaient tous. Bien sur les cocktails non-présents sur la carte coûtaient quelques yens de plus mais personne ne s'en était plaint jusqu'à présent. Elles optèrent pour un Rose Bonbon que le brun réalisa dans chaque verre devant elles. Au passage, il en profitait pour échanger quelques mots avec elles. Des rires s'envolèrent et il les abandonna non pas sans les avoir prévenues de faire attention.

« - Clem', tes cheveux...
- J'ai pas de pince ! »

User de son petit ton plaintif devant un auditoire, il n'y résistait pas. L'une des femmes esquissa un signe de main hésitant. Tout en souriant timidement, elle sortit une pince en métal de son sac.

« - Si vous voulez...
- Mais vous en aurez besoin... »

Malgré ses paroles, il se pencha et la laissa faire. Un de ses collègues lui lança un coup d'oeil amusé. Cabotin va ! En attendant le dit cabotin offrait son sourire le plus charmeur – et surtout le plus commercial – à sa sauveuse. Malheureusement, il n'avait pas le temps de faire plus ample connaissance, d'autres clients arrivaient.

J'ignorais l'heure qu'il était. Je savais juste que nous étions vendredi. Un vendredi dans la pénombre. Une pénombre sombre et froide, créant une ambiance semblable à celle des bas-quartiers du Japon malgré que j'avançais dans une ruelle marchande et bondé de ces gens du peuple, heureux et naïfs, ni bons ni même mauvais. J'étais l'ange déchu qui marchait entre ces pauvres mortels, ignorant du monstre que j'étais. J'étais un monstre à la gueule d'ange... Un ange déchu, viré du paradis étant enfant, pour avoir bousiller les jambes d'une personne innocente pour voir le monde de plus haut et ainsi toucher dieu. Ma mère adoptive avait été la victime de mon narcissisme. J'étais un monstre. Elle était ange pour m'avoir pardonner. Je sortis finalement de la ruelle, jouant des coudes pour dépasser les gens excités qui se précipitaient dans les boites de nuit, pour arriver à une autre plus éclairé. Les lumières jouaient avec la blancheurs de mes cheveux, tandis que je marchais avec lenteur vers mon but. Nous étions enfin en week-end. Et si certains en profitaient pour rester chez eux et dormir, bien d'autres préféraient fêter ça à l'extérieur. Les étudiants, les travailleurs, les potes et les couples... Pour ma part, je visais un endroit plus tranquille pour terminer ma journée. Un bar. Boire un coup, draguer un peu, peut-être finir dans les bras d'un amant inconnu qui disparaitrait au lever du jour si j'avais de la chance. Qui sait... J'espérais pourtant de tout coeur que j'allais faire une rencontre intéressante, cassant ainsi la monotonie qui me traversait.

C'était un soir comme les autres, après une journée comme une autre. Journée de travail bâclé, de sourires moqueurs et de paroles venimeuses, de caresses provocantes et de baisers presque tendres. Les victimes de ma luxure se font colériques en ma présence, troublé et parfois lasse de mon jeu mais je finis toujours pas avoir ce que je veux puisqu'au moins l'un deux abandonne les armes et tombe entre mes bras. Les jours se ressemblent tous. Jour après jour et après nuit, je me sens pris dans une immense comédie dont je suis le protagoniste. Je sais que tout est identique dans ce monde-là. Les gens, les paysages, les cours et même les discussions. Un seul changement dans tout cette scène. Un seul être qui se perd dans ses propres illusions, ses propres rêves, ses propres chimères... C'est moi qui change. A l'extérieur, je suis le même. Toujours le même cygne. Mes plumes blanches transformés en une chevelure grise perle tombant gracieusement sur mes épaules, ses yeux verts félins qui devenaient aujourd'hui reptiliens sous mes troubles intérieur, un corps toujours aussi fin, presque féminin mais semblable à l'albâtre. Toujours les mêmes remarques, la même violence et les mêmes plaisanteries. Je suis une brute à la gueule d'ange, je le sais et je l'assume. Non, j'en suis fier plutôt. Pourtant, dans ma tête tout se mélange. Depuis que j'avais reçus cette foutue de lettre, de ma prostitué de mère, je me sentais ailleurs. Perdu. Fils de pute, voilà ce que j'étais. Et non le gosse de riche que je me plaisais à être malgré mon langage vulgaire. De plus, la rencontre avec Nikita m'avait troublé. Et si je jouais un rôle en réalité ? Bha, qu'importe. J'étais ce que j'étais et que ma vie soit une scène de théâtre m'importait peu. Je vivais et j'envoyais se faire foutre le monde. Point final.

Je poussais la porte du bar, regardant d'un oeil paresseux les décorations du lieu. C'était plutôt agréable et chaleureux, assez moderne. Il n'y avait pas beaucoup de monde pour le moment et j'en déduisais ainsi qu'il n'était pas aussi tard que je l'aurais cru. Très bien. J'aurais ainsi plus de temps pour moi. J'esquissais un discret sourire et alla m'assoir au comptoir tout comme les autres clients derrière moi. Je portais une tenue assez décontracté malgré une veste de cuir sur mes épaules. Quelque chose d'assez moulant mais sans aller dans l'extrême. Je regardais les boissons avec attention. Je savais très bien que les mineurs n'avaient pas le droit à l'alcool. Je ne faisais pas plus jeune ni même plus vieux, il était clairement visible que je n'étais plus vraiment adolescent ni même adulte. Ainsi donc, j'allais devoir la jouer sur la ruse -et peut-être même un peu de ma gueule d'ange- si je voulais avoir quelque chose de fort. Je me pencha légèrement, regardant un des barmans. Il attirait particulièrement mon attention. Il était très grand, plus que moi sans aucun doute. Des cheveux bruns tenus par une pince métallique et... J'ai toujours eu une fascination pour les yeux des personnes. Le bleu profond de Zakuro, ceux vairons que Nikita... Et là, j'avais le plaisir de contempler deux iris vertes. Un très joli vert, rappelant ce minerai qu'était la malachite. Il était mignon. Peut-être était-ce lui qui me libérerait de ma monotonie. Nos yeux se croisèrent et je le lui offrais un de mes sourires les plus séducteurs - et dangereux aussi. J'avais envie de me faire joueur. La beauté des cygnes, les yeux des chats et ce petit quelque chose des serpents. J'étais un monstre, puisque polymorphe. Je m'adressais alors à lui, d'une voix légèrement sifflante comme si je susurrais chacun de mes mots.

- Un charmant bar, avec de tout aussi charmants barmans... J'apprécie. J'ai soif très cher (fis-je d'une voix plus plaintive cette fois). Alors, dites-moi, que pouvez-vous me proposez ?