Entre fou et muse - [PV Natsu']

Samedi, 11h04.
Que dire ? Un paresseux est étendu comme un gros tas dans son édredon, qui le recouvre d'ailleurs qu'à moitié vu la chaleur de ces derniers jours. Il ronfle tant il est détendu. Il rêve. Il ne se souviendra pas de son songe au réveil. Mais il est las de ne rien faire.

« MOGI ! Combien de fois faut-il vous répéter que JE vous appellerai quand j'aurai du travail pour vous ? Cessez donc d'appeler tous les deux jours, et faites-moi confiance. C'est la moindre des choses. Dès que je trouverai quelque chose, vous en serez le premier informé, je vous rassure. Veuillez m'excuser, j'ai un client... »

Le jeune homme raccrocha dans un soupir. Non, il ne supportait plus son inactivité. Et l'inspiration s'amenuisait d'une faon exponentielle depuis une semaine. Seigi ne faisait rien. Manger, larver, dormir. Manger, larver, dormir. Et manger, larver, se laver - quand même ! - et dormir. Pas de compagne, pas d'amis. C'est connu, les amis d'enfance ne restent pas dans une petite ville à attendre que les autres reviennent.

Doucement, mais négligemment, il descendit de la mezzanine. Et posa le pied sur un bout de fer. Pied gauche, forcément ! Génial petit bond de côté, et une sympathique douleur au pied. La journée - ou plutôt la fin de matinée - commençait fort. Se grattant la tignasse en bataille, il se dirigea instinctivement vers son bureau de travail, sans prendre la peine d'ouvrir les volets ni même de manger quelque chose. S'emparant d'un crayon, il griffonna quelque chose dans le noir, sans vraiment regarder. Puis daigna y jeter un regard.
C'était une forme improbable, des traits dans tous les sens. Il recommença avec un peu plus d'attention, songeant à Rodin et ses magnifiques croquis. Croquis, traits... mouvement ? Seigi émit un petit rire nerveux en recouvrant la moitié de son visage avec sa main, se disant que c'était exactement ce qu'il cherchait : donner un peu de mouvement à sa vie.
Rien qu'un peu.

Et s'il se mettait au sport ?

Là, il éclata franchement de rire. Certes, il aimait le sport, mais l'idée de s'éloigner de Keimoo le démotivait à partir faire un peu d'escalade. Pauvres voisins ; entre les bruits inquiétants de son bric-à-brac, la musique française et ses crises de je-me-parle-à-moi-même-pour-m'occuper, Seigi aurait de la chance qu'ils ne le prennent pas pour un dingue. D'ailleurs, ça devait être le cas. En rentrant de ses courses vers 15h, il vit un mot accroché à sa porte.

Forcément, pas de signature. Bon, au moins quelqu'un se souciait de sa santé mentale, c'était déjà pas trop mal. Le machiniste s'empara du papier scotché avec un petit sourire et rentra chez lui. Toute la journée, il continua ses croquis, pas motivé à distordre sa ferraille ou sortir son acrylique ou sa peinture à l'huile. La tête posée au creux de sa main, penché avec un air de zombie devant sa feuille, il était perdu dans ses pensées. Sa vie en France avait été si complexe, et il avait tellement attendu de rentrer au Japon. Mais en fait, quel intérêt ? Il ne voyait pas spécialement plus sa famille qu'avant. D'ailleurs, pourquoi ne pas y aller ? Et Marie qui lui manquait. Et Wolgang... Ah, celui-là.


Bref, la routine, ça commençait à lui casser les pieds.



Ce qui fit que le samedi suivant, à cinq heures tapantes du matin - oui, oui, du matin ! - il se retrouvait à chercher à moyen de pénétrer le campus de l'académie. Un peu d'adrénaline, rien de tel pour vous revigorer. Ses outils d'opérations soigneusement installés dans son vieux sac de lycée, il se dirigea vers les terrains de sport façon infiltration. Bon d'accord, une infiltration moyennement grossière, vu qu'il n'y a personne à cet endroit ni vraiment de quoi se cacher. Bref, Seigi est dans la place.

"Planqué" derrière les vestiaires, il s'assit en écoutant de la musique. Le prendrait-on vraiment pour un élève ? Après tout, il n'avait que vingt-et-un ans, ceci couplé avec une bouille plus ado qu'adulte. Cependant, on est jamais à l'abri d'un bon observateur. L'adrénaline, l'adrénaline !





Finalement, les jeunes sportifs débarquèrent bientôt. Seigi se mêla à la micro-foule, esquivant les vestiaires pour mieux se perdre. Et oui, quand on ne connaît pas les lieux, on regarde un plan, nigaud. Mais cela n'étant pas un drame, vu qu'il ne cherchait pas d'endroit particulier où aller. Est-ce que c'était comme ça six ans plus tôt ? Il ne s'en souvenait pas du tout. Le jeune artiste n'était pas du tout intéressé par le sport à cette époque, c'était : apprendre le Français, parler Français, et partir en France. Youpi, il s'était isolé. Mais voilà qu'il ne l'était plus : des footballeurs entraient sur le terrain.

Instinctivement, Seigi s’enfuie hors du gazon délimité par des bandes blanches. Il devait avoir l'air malin à courir comme s'il avait le diable aux trousses jusqu'à se jeter sur la pelouse. A y penser lui-même, Seigi se trouvait ridicule... Sans doute l'enfermement qui faisait son petit effet.



Finalement, ce moment de honte ne fut que de courte durée. Les joueurs s'entraînaient, et le garçon aux cheveux colorés les observait, assis sur la pelouse. Une fois ou deux, il s'amusa à se lever pour leur rendre un ballon égaré, mais était déçu de ne pas être invité à jouer, même s'il savait que c'était un entraînement de l'équipe de l'académie. Donc pas pour les visiteurs. Mais personne ne devait se douter qu'il n'était pas un élève, ça serait malheureux pour lui... Au bout d'un moment, les voir courir lui donna envie de dessiner. Des corps en mouvement, exactement ce qu'il cherchait.






Cela dura un léger moment avant qu'il n'ait une préférence pour l'un des joueurs. Plutôt rapide, svelte, avec un air très concentré et un bon jeu de jambes. Un peu typique du tombeur de ces dames, mais Seigi s'en moquait, ce n'était pas l'intérêt de ses croquis. Mais dessiner les sportifs était passionnant. Il sentait l'envie et l'inspiration de nouveau en lui. Ils se donnaient à fond pour le sport qu'ils aimaient, c'était sans doute communicatif.

Et l'entraînement s'acheva. Le sourire jusqu'aux oreilles que conservait le jeune homme se perdit aussitôt qu'il vit un petit groupe se former, les têtes tournés vers lui. Zut, c'était le droit à l'image ? Ou alors on avait grillé son âge ?

Grand moment de solitude. Que faire ?