La Mort de Kara { Vous reverrais-je?

Première heure entamée d'une journée qui allait rester gravée dans la mémoire de Saitô. Ce fût un début de journée ordinaire, comme d'habitude avec son lot d'élèves dissipés qu'il avait rapidement calmés. Une phrase bien placée, un sourire amical sous un regard dissuadant quiconque de mettre le surveillant au défi. Cela faisait plus de sept mois qu'il était à Keimoo, et son job lui plaisait. Rien de très physique, mais assurément pédagogique. Il utilisait la parole et non l'usage de son corps (sauf contre les plus hardis) pour prêter main forte à la jeunesse.
Il n'avait pas encore eu le loisir d'allumer une cigarette. Il décida de le faire, derrière le bâtiment administratif. Coin sombre, n'offrant aucune fenêtre et donc, aucun risque de se faire perturber. Il n'était pas interdit de fumer à l'extérieur, mais il avait juste envie de quelques minutes pour faire le vide intérieur.

A vingt-cinq mètres devant lui, un parterre de buissons divers. Il sortit une sèche et alluma son briquet. La clope aux lèvres, il protégea la flamme d'un doux zéphyr qui lui provoquait des frissons à la nuque. Levant le feu vers sa victime, Ryo marqua un temps d'arrêt avant que l'incandescence ne puisse s'éveiller à travers le mélanges d'herbes, de papier et autres narcotiques.
Un léger bruissement d'ailes lui fit porter son regard devant lui. Le tressaillement s'étendit sur l'ensemble de sa personne. La tige toujours éteinte, il baissa légèrement les mains, toujours jointes. Alerte, il leva la tête.

C'est alors qu'elle chuta.

A cinquante mètres devant lui, il entendit le choc. Les buissons lui ont épargné la vision du crâne de l'élève s'ouvrir au contact du bitume.
Il se rua aussitôt vers la scène, la cibiche lui échappant des lippes. Ralentissant au fur et à mesure qu'il découvrit l'état de la gisante. Il jeta un oeil alentour tout en continuant d'avancer. Personne. Aucun témoin susceptible de ressentir les séquelles d'un tel spectacle.

Il est près d'elle à présent. Prenant une inspiration, il baisse le regard.
De long cheveux noirs, lisses, couvrent le plus marquant de l'horreur. Il les voit, poisseux du sang sombre qui s'écoule lentement de la cavité invisible. Il se pince l'os situé entre le haut du nez et le front, pour évacuer une émotion comme on essaie de se débarraser d'une migraine. Il expire. Puis s'accroupit. Etrangement, elle se tient sur le flanc. Pour la forme, il écarte quelque cheveux de son cou, puis prend le pouls. Morte sur le coup, c'est une évidence. Autre fait, son visage. Les yeux ouverts, les pupilles à moitié dilatées, reflètent l'ombre arrogante de la Faucheuse mais en aucun cas de la frayeur. Une fin désirée.
En fait, hormis le liquide vital et visqueux fuyant le doux visage de cette élève dont il ignore le nom, il émane de la brune une telle sérénité qu'il pourrait la juger poétique.
Saitô ne se pose pas encore de questions sur les cause de cet acte. Il tend la main vers les paupières de la défunte, qu'il baissa.

- Repose en paix, jeune fille.

Toujours accroupi, il attrape pesamment son téléphone. Dans un premier temps, il appelle une ambulance. Puis la police. Ensuite, le directeur et, après hésitation, le psychologue scolaire. Il y avait de fortes chances pour que la lycéenne eût eu un suivi auprès du Dr. Valentine.

Ryosuke restera auprès d'elle jusqu'à ce que la dépouille soit évacuée. Il ne portera aucune attention à qui que ce soit d'autre, sauf les autorités qu'il l'emmèneront.
Ça n'avait rien à voir avec le choc de cette macabre découverte. Il ne comptait plus le nombre de victimes de catastrophes qu'il avait vues au cours de sa précédente carrière militaire.

Il le fera par égard, respect et hommage en cette âme juvénile, trop tôt envolée vers des cieux probablement plus cléments.

Maladie terrible qui se saisit surtout des âmes jeunes, ardentes et toutes neuves à la vie.
Ce mal, c'est la haine de la vie et l'amour de la mort;
c'est l'obstiné suicide.

~ Alfred de Vigny.