[Lindsey] Montre-moi.

Comme tous les matins, je m’étais levé. J’avais allumé la télévision, mais sans prendre la peine de la regarder. Puis j’avais fait couler mon café en fumant ma clope. Je l’avais versé dans la tasse et j’étais allé me doucher, le temps qu’il refroidisse. Je l’avais ensuite bu, avec une seconde cigarette. Et j’avais quitté les lieux. Sur le chemin, j’avais finit de me préparer en luttant pour m’attacher convenablement les cheveux. Arrivé à l’université, mon cœur avait de nouveau fait un bon dans ma poitrine et mes tripes avait fait leur looping habituel. J’avais déjà revu Tsu une fois, mais de là à dire que tout s’était bien passé.

Je soupire. Encore deux heures de boulot et je finis ma journée. Tous les étudiants, où presque, sont en cours. Je fais la chasse à ceux qui sèche ou ceux qui trainent dans les couloirs, mais sans grande conviction. La plupart essaye toujours de sympathiser avec moi. Il faut avouer que je n’use pas d’une grande autorité. Leur aboyer dessus ne servant à rien, il vaut mieux se montrer un minimum humain. Un sourire, une main sur l’épaule – des garçons, sinon ce serait mal vu – et le tour est joué. Mais je ne vais pas non plus jusqu’à fait ami-ami, il ne faut pas pousser. Puis, ce n’est pas mon genre d’être hyper-sociable avec tout le monde. La sonnerie retentit. Je me colle contre un mur, regardant les étudiants défiler sans me voir, trop occupés à se raconter leur vie ou celle des autres entre eux. Second soupir. Je sors déjà une cigarette de mon paquet. J’ai tout juste le temps d’aller m’en griller une, avant de devoir continuer le travail. Mon regard se floue, vague dans la foule. Ce soir, je dois aller dans le studio de photo que j’ai réservé. En début de semaine, un étudiant assez loufoque est venu me demander que je fasse un portrait de lui, pour sa mère. J’ai tout bêtement répondu oui et je lui ai demandé son numéro en lui disant que je le tenais au courant. J’étais tellement éberlué que je n’ai même pas pensé à lui demander comment il savait que je faisais de la photo. Les couloirs se vident lentement et je commence mon ascension vers les toits. J’allume ma clope et sort mon portable de la poche de mon jean. Je commence à taper un message. Je connais son prénom : Lindsey, mais connait-il le mien ? Aucune idée. Alors début la politesse. Puis je lui donne rendez-vous à 19 heures dans le petit studio, en marquant bien l’adresse. Pas la peine de manger avant, je lui offre le dîner. Ce doit être bon. Je signe et j’envoie.

Je sors enfin de ma rêverie quand mon portable sonne pour m’annoncer la fin de ma journée. Les jours sont monotones : surveiller, régler les absences et les retards, garder les affaires de certains, récupérer celles perdues… Rien de bien transcendant. J’enfile ma veste, vérifie mes poches, pour ne rien oublier, et quitte l’université en saluant les collègues avec qui j’ai déjà un peu parlé. Même avec eux, je ne suis pas du genre à tisser de vrais liens. Je passe l’allée d’un pas rapide et ce n’est que dans la rue que je sens un poids se soulever de ma poitrine. Le poids de Tsu. L’étau qui m’enserre. Une nouvelle cigarette. Ça fait longtemps que j’ai arrêté de les compter et de savoir combien je pourrai économiser en arrêtant de fumer comme un pompier. Je passe rapidement à l’appartement, le temps de prendre un douche, un café, me changer pour remettre un jean troué, déchiré, délavé et un haut près du corps noir, et surtout prendre l’appareil et une pellicule neuve. Le problème ce sera de faire une chambre noire pour la développer. Je ne vois pas d’autres solutions que celle de condamner ma salle de bain pour une nuit. Je sors, laissant encore la porte ouverte derrière moi, et je dévale les marches, saluant une voisine de palier au passage.

Quand j’insère la clé dans la serrure pour ouvrir le studio, un violent frisson semble partir de mon poignet, pour remonter en un éclair le long de mon bras et se jeter dans mon dos, pour le mordre farouchement. Je souris, un peu moqueur, et j’ouvre. J’installe tranquillement tout le matériel et jette un coup d’œil à mon portable. Encore une quart d’heure et le môme débarquerait – s’il était à l’heure. Tout juste le temps de repérer les lieux, de reprendre un contact avec l’appareil et régler un peu les lumières. Nouveau frisson quand je prends mon reflex dans les mains. Je le soupèse, nostalgique. Avant de chasser rapidement les images qui envahissent mon esprit. Pour ce soir, il faut que j’occulte Tsu. Sinon, ça va être un sacré bordel. En plus, Lindsey est blond, à peu près de la même taille que ma Muse, taillé pareil. Maintenant que j’y pense, c’est vrai que la ressemblance est troublante. Je me mords la lèvre en priant silencieusement de ne céder à rien. Prendre des photos, c’est tout. Le laisser habiller, c’est mieux. Je soupire et fixe le sol, les bras croisé, les riens collés à la table derrière moi. Je n’ai plus qu’à attendre. J’ai envie de fumer. Mais je suis obligé de ressortir dans le froid. Nouveau soupir. Je prends une cigarette, pose le paquet sur la table et sort dehors, sans remettre ma veste. Je m’appuie sur le chambranle de la porte, regardant les passants passer lentement et fixant chaque blondinet que je peux apercevoir de loin, pour voir s’il ne s’agit pas de mon… Client.

" Maman as toujours voulu une belle photo de moi…pourquoi ne pas lui offrir ça pour son anniversaire ?"

" Ma foi pourquoi pas…Elle en serait surement ravie effectivement. Très bonne idée Lin.
Tu connaît un bon photographe ? "

" Oui je me suis déjà renseigné, il est surveillant au lycée aussi, je suis aller le voir et il veut bien s'en occuper dès ce soir."

"Très bien, je dirais à ta mère que tu est chez des amis pour la soirée. Ne rentre pas trop tard. "

" Promis papa. A plus tard."

Lindsey raccrocha finalement son téléphone, esquissant un sourire, ravi d'avoir enfin trouver le cadeau d'anniversaire pour sa mère. Tous les ans c'était le même problème, Lin ne savait jamais quoi offrir…alors cette fois ci, il était bien heureux d'avoir trouver si rapidement ! Il ne lui restait plus qu'à attendre de recevoir le sms du surveillant pour savoir à quel moment il pourrait venir à son studio de photographie.
Notre jeune chinois, aux cheveux blancs et aux yeux bleus, se dirigea alors en salle de cours, ayant encore quelques heures de cours avant d'être libre. Comme toujours, celles ci passèrent rapidement. Lindsey vivait au Japon depuis un an à présent et c'était parfaitement intégré, s'étant fait de nombreux amis, réussissant parfaitement son année scolaire sans aucunes difficultés.
La fin de journée sonna finalement. Lindsey avait finalement enfilé sa veste ainsi que sa grosse casquette en cuir, pour pouvoir ensuite sortir son portable et voir ses messages, dont celui du surveillant Kuro. Lin esquissa alors un sourire, un peu surpris que ce dernier l'invite à manger, mais toute fois ravi de la proposition. Il répondit rapidement tout en prenant la direction de la sortie de la faculté, étant externe, son sac en bandoulière contre son épaule et son étui à violon dans son autre main.
Suivant les indications et l'adresse donner par le surveillant, Lindsey se retrouva rapidement à destination, pile poil à l'heure. Lin traversa alors la rue, pour se trouver face au studio. C'est là qu'il put voir de loin une silhouette devant la porte, le surveillant était là, fumant une cigarette, attendant apparemment son arrivé.
Un peu gêné d'être ainsi attendu, Lin accéléra alors le pas pour venir rejoindre l'homme. Face à lui, Lin se mis alors à sourire, comme toujours, plongeant son regard bleu dans celui du surveillant et le saluant.

"Bonsoir…pardonnez mon retard…"

En fait Lin n'était pas en retard, ou peut être de quelques minutes à peine…Mais c'était par politesse qu'il avait prononcé ses mots, étant donné que Kuro semblait l'attendre en restant ici à fumer sa clope.
Gardant son beau sourire sur le visage, Lin ajouta alors tout en regardant l'homme qui finissait sa cigarette.

"C'est gentil à vous de bien vouloir me rendre ce service ce soir. L'anniversaire de ma maman est demain et je n'ai rien prévu d'autres…
Mais ne vous sentez pas obliger de m'inviter à diner…enfin je ne veux pas vous embêter trop longtemps."

Etrangement, Lindsey n'était pas aussi à l'aise qu'il ne l'aurait crut. Il n'avait encore jamais fait ce genre de chose…et commençait à stresser légèrement, d'où ses excuses interminables !! Toute fois, Lindsey restait lui même, naturel et souriant, espérant sincèrement ne pas être pénible avec le surveillant qui avait bien voulu lui rendre ce service si rapidement.


hj: désolé c'est pas très long ^^"

J’avais beau fixer chaque tête blonde qui passait, le temps ne filait pas plus vite. Mon petit bâton de nicotine ne s’est réduit que de moitié, mais j’ai l’impression d’agoniser. Peut-être parce que derrière chaque chevelure blonde peut se cacher Tsu. Je soupire. Il faut vraiment que je passe à autre chose. Que je tourne la page. D’un livre qui n’a jamais commencé, c’est assez étrange. Puis je le vois enfin : Lindsey. Son pas pressant m’arrache un sourire. Mais non voyons, je ne t’attends, il est simplement interdit de fumer dans les locaux. Puis, c’est aussi une question de respect : ne pas fumer dans un endroit clos lorsqu’on accueille un non-fumeur. C’est logique. Je l’écoutais patiemment déblatérer ses excuses et explications, finissant ma clope en silence. Son sourire m’intrigue un peu. Je ne saurai dire pourquoi. Finalement, je ne peux me retenir plus longtemps et finis par rire, jetant mon mégot un peu plus loin. Encore sans un mot, je rentre dans le studio, l’invitant à me suivre d’un signe de main.

Je ne mords pas, tu sais.

Je me tourne vers lui, arrivé au niveau de la table. Un sourire. Poli, avenant, qui vous invite à prendre confiance.

Si je te propose de manger ici, c’est parce que je ne sais pas combien de temps je vais mettre, c’tout.

J’hausse les épaules, alors que mon sourire devient un peu moqueur. C’est vrai que ça pourrait sonner comme un rencard, si seulement j’étais gay. Je lui montre l’endroit où il peut poser ses affaires et ensuite, prenant un air faussement autoritaire, je dévie mon doigt pointé vers l’endroit où il doit se mettre. Les éclairages réglés, je n’ai plus qu’à prendre les photos. Au pire, je peux aussi lui faire autre chose qu’un portrait. Enfin… je ne peux cacher un rougissement, mais qui disparaît très vite. A quoi je me mettais à penser… Lentement, je secoue la tête de gauche à droite, puis de droite à gauche, étouffant un rire.

Tu veux quoi précisément ?

Je trifouille un peu l’appareil photo en lui posant la question. Tous les réglages me reviennent petit à petit, comme une mécanique. Mais de là à dire que je reprends déjà la main, c’est un bien grand mot. Il va me falloir plusieurs clichés avant d’arriver à un résultat qui soit un tantinet correct.

J’ai fait un peu de tout dans la photo… Alors, après, si tu veux d’autres prises qu’un portrait, tu me diras.

Je lui offre un sourire gonflé de sous-entendus. Avant de lui faire un clin d’œil. Non, je ne suis pas pervers. Je les yeux au ciel et regarde un peu plus attentivement Lindsey. Mon dieu, ce qu’il pouvait ressembler à Tsu. A croire qu’il était fait sur le même moule. Mis à part que ma Muse dégage quelque chose de bien plus fort que ce gamin. Lui a l’air plus mal à l’aise qu’il ne devrait. Peut-être que je l’intimide. Ben voyons. Allez quoi, un effort ! Je le quitte des yeux. J’ai certainement l’air de déconner, mais dans le fond, je suis sûrement cent fois plus troublé que lui. C’est la réplique de celui que j’aime que je vais prendre en photo et là-dessus, il ne va pas falloir déconner.

Je l’observe s’installer, la tête légèrement inclinée sur le côté. J’arque progressivement un sourcil : faire ce que je lui demandais ? Il ne me connaissait pas, ça se voyait. J’avais peut-être commencé ma passion avec de la macro et du noir et blanc… Mais je l’avais finie avec du nu. Et il faut avouer qu’il est quand même plus agréable de photographier un frisson sur une peau blanche, qu’une feuille morte dans un caniveau. Enfin, tout est relatif. Et tout dépend aussi du modèle qui pose pour vous. Je sors de ma rêverie en souriant sans m’en rendre vraiment compte. Peut-être pas prendre du nu pour offrir à sa mère hein. J’étouffe un ricanement à peine audible. Et je m’avance enfin vers.

Bon…

Je me penche sur son visage, certainement trop près, les sourcils froncés. J’ai l’air gravement sérieux, mais en fait, au fon de moi, j’ai une trouille monstre. Entre la ressemblance avec Tsu et mon imagination, souvent bien trop débordante, je ne sais si je vais tenir. Et, au cas où je craque, ça donnera quoi ? Je vais fondre en larmes ou bien lui demander de partir, furax, ou pire encore. Et par "pire encore", j’entends, m’envoyer en l’air avec ce parfait inconnu. Puisque je ne sais rien de lui, mis à part qu’il est à l’académie, qu’il veut un portrait à offrir à sa mère et qu’il s’appelle Lindsey. Un étranger. Qui me semble bien trop familier. Sauf qu’il n’est pas du tout comme l’autre blond d’un point de vue… Profondeur de l’être. Je deviens fou. Je finis par remettre une distance plus correcte entre nous, lui tournant le dos pour retourner à mon appareil photo et le fixer sur son trépied. En priant, bien évidemment, pour qu’il ne remarque pas mes joues empourprées.

Sois naturel et…

Temps de pause. Et quoi ? Fais l’amour à la caméra ? Je frissonne. Oh Kuro, calme-toi, ça fait longtemps que tu n’es plus un enfant ! Contrôle-toi, merde. J’inspire un grand coup et je colle mon œil au viseur de mon appareil.

Et fais quelques chose que ta mère aimerait avoir.

Pour faire un crash test et voir si tout va bien, je prends une photo à l’arrache, sans la cadrer plus que ça. Eclairage, OK. Flash, OK. Réglages, OK. En gros, au niveau technique, tout roule. Il n’y a que moi qui aie les mains moites et la gorge sèche. Je passe nerveusement ma main sur ma nuque, grimaçant un peu, sans pour autant regarder Lindsey. Je ne lève les yeux sur lui que le temps de lui poser une question, à savoir s’il est prêt. Mais, c’est juste pour la forme, puisque je suis déjà de nouveau pencher sur l’objectif, à prendre quelques autres photgraphies.

Enfin le gamin commence à bouger. Il faut avouer que je parvenais un peu mieux à contrôler la foule de sentiments qu’il éveillait en moi sans rien faire. Mais le voir si coincé sur son tabouret me perturbait. Les derniers clichés que j’avais pris étaient ceux de Tsu. Et l’atmosphère était nettement différente à cette époque. Je souris un peu à la façon dont se dévergonde le héros de ce soir. Je retiens un commentaire, arrêtant de me prendre au jeu du photographe de star. Je pense que je l’ai suffisamment mitraillé pour avoir une belle photo, voire plusieurs, à lui donner. Je me tâte encore à le faire payer. Certes, j’ai la location de ce petit studio et le développement de la pellicule à ma charge, mais il faut avouer qu’il me libère de quelque chose. Un sentiment étrange d’étouffer vient de s’envoler à mesure que j’appuie sur le déclencheur de mon réflex. Comme s’il me donnait de nouveau envie de me laisser aller à ma passion, sans avoir besoin que ce soit forcément ma muse qui soit la reine de l’évènement. Je m’embrouille.

Je m’éloigne de l’appareil et remet le cache devant.

Ca devrait aller, Lindsey.

Je marque un temps de pause, coupé par sa question. Je souris. Il n’a pas l’air si à l’aise qu’il le laissait paraître à la fin, en fait. Comme s’il manquait de confiance en lui. Allez, mec, t’es canon, assume-le ! Je retiens un rire, plutôt moqueur, mais mon sourire le laisse transparaître. Je me calme et finit par froncer les sourcils, sur jouant un air grave.

Je veux que ça reste une passion. Quelque chose qui me donne envie d’avancer, mais qui fasse partie de la routine du boulot.

Nouveau temps de pause.

Je pense que c’est pour ça que je ne me lance pas dedans corps et âme.

Je souris de nouveau, plus avenant qu’au début. Quelques clichés et me voilà de nouveau dans mon élément. Comme si j’étais changé à mesure que les flashs avaient crépité. Je commence à enlever l’appareil photo du trépied et ranger le matos. Tenir une conversation, tenir une conversation. Bon.

Tu as une passion, toi ?

Bien. C’est un début. Je finis mon petit manège et m’approche de lui. Je tire un autre tabouret, pour être plus proche et m’assoit dessus. Je le regarde un instant. Juste assez pour ne pas oublier son visage, pas assez pour être de nouveau troubler de par sa ressemblance avec Mister Rozen. Je prends une clope de ma poche et l’allume.

Tu sais, tu es un bon modèle.

Je souris, pour l’encourager et lui montrer que je suis sincère, que je ne me fous pas de lui.

Même si je ne suis pas habitué à prendre ce genre de photos. Tu devrais prendre confiance en toi…

Je tends une perche. Allez, vas-y, pose-moi la question pour savoir ce que je prends comme portrait habituellement, que je te choque un peu, petit ange. Je délire. Bah, il faut bien profiter un peu, non ? Je tire une latte sur ma clope et prends soin de recracher la fumée un peu plus loin, pour ne pas le gêner. Je suis bon et généreux, avouons-le… J’hausse les épaules, pour moi-même, pour mes réflexions à la con.

Tu veux manger ?

J’ai la dalle, le ventre qui commence à grogner. Alors dis oui, sinon je meurs.