« Je » est en jeu. {CLOS}

Lorsque Tsumi avait fait allusion à ce fameux voyage à Akitoshi, sa mère écoutait la conversation téléphonique à partir d'un autre appareil dans la maison familiale, ce qui leur permettait de communiquer à trois. Hawaï, les palmiers, les fruits exotiques, toutes les choses intéressantes à faire... Le jeune homme ne pouvait pas le voir, mais au son de la voix de Junko, il savait que ses yeux pétillaient d'envie. Pas étonnant, elle adorait découvrir de nouveaux horizons, et il en était la preuve concrète, malheureusement. Mais Tsumi préférait ne pas y songer, ses pensées étant de toute façon préoccupées par la demande qu'il allait faire à ses parents. Accepteraient-il de l'envoyer là-bas pour le réveillon, ou le forcer à rentrer chez lui pour observer les quelques changement que son nouvel environnement aurait pu produire sur lui ?

« Aki-san, ce serait tellement bien pour lui. S'amuser avec ceux de son âge pour le nouvel an, pour une fois que ça lui dit de voyager hors du Japon ! »
« T'inquiète pas, ça ira. De toute façon, je n'ai pas envie de rentrer à Osaka ; y a rien à faire là-bas. »
« Je ne sais pas Tsumi... »

La voix grave du vieil homme laissa planer un doute dans l'esprit de la racaille. En même temps, qu'en avait-il à faire de leur accord ? C'était surtout à cause de l'administration de Keimoo que le brun avait décidé de les appeler, autrement, il aurait bien signé les papiers importants pour le voyage lui-même. Ce n'était pas compliqué, il savait imiter leur signature depuis longtemps déjà.

« Bon, très bien. En espérant que ça te soit profitable, mais je t'interdis de nous faire un scandale. »
« Ouais ouais, merci ! »

Encore là à faire la morale. Décidément, il devenait terriblement plus austère avec l'âge, Akitoshi. Dans un soupir, Tsumi raccrocha. La semaine suivante, les documents furent déposés chez la directrice, signés le plus légalement du monde. Et pour la fin de décembre, la racaille s'envola pour Hawaï. Le voyage ne fut pas particulièrement éprouvant, contrairement aux préparatifs. En décembre, comment était le temps sur cette île ? Finalement, vêtements légers, lunettes de soleil, maillot de bain et nécessaire de voyages furent contenus dans sa valise, accompagné bien sûr de ce qu'il faut pour se rouler un joint, soigneusement caché parmi ses cigarettes. Après tout, comment serait une fête sur la plage sans l'éternel « sea, sex & drugs » ?

Dans l'avion, tout se passa relativement bien. Installé au fond de l'appareil, au milieu, Tsumi s'ennuya une bonne partie du vol. Même la musique qui défilait dans son I-pod ne le distrayait pas suffisamment. Le coude sur la tablette et le menton posé au creux de sa paume, il réfléchissait les paupières closes, histoire d'oublier qu'une vieille dame le regardait d'un air outré à sa gauche. Cette histoire de pari était absolument stupide. C'était bien sa veine d'avoir promis à Yume qu'il allait partir chez Who à Hawaï. Bon, l'idée était tentante à la base, mais entrer chez celui qui avait osé découvrir et montrer à tous qu'il avait peut-être des tendances homosexuelles, il n'avait pas foncièrement envie. Cette espèce de... La seule pensée qui contraignait vraiment le brun à accepter cette invitation, bien que la provocation de Yume y fût pour beaucoup, était qu'il pourrait au moins chercher à découvrir qui était Who, ou à défaut, détruire tout ce qui lui passait sous la main pour se venger de la rumeur qu'il avait fait circuler sur lui. Oui, c'était encore plus tentant...

Amusé, il émit un petit rire accompagné de son éternel sourire sadique. En découvrant ses iris noirs, il se rendit compte que la vieille pie le fixait toujours de son œil de mégère. Agacé pour de bon, il rapprocha son visage du sien.

« J'te plais à ce point ? Mais désolé, je ne fais pas dans les produits dont la date de fraîcheur est dépassée. »

Mis à part que la femme demanda à changer de place, rien d'autre ne fut notable durant le vol.
La descente fut désagréable, comme n'importe quel atterrissage, et une fois que Tsumi sortit de l'appareil, une violente bourrasque de vent lui brûla le visage. Il fallait avouer qu'entre les quelques 15°C de la cabine et les 30°C de Hawaï, ça faisait tout drôle. Une queue à suivre et quelques rayons X plus tard, Tsumi sortit de l'aéroport en compagnie d'autres élèves de Keimoo. Pas de trace de Yume. Il ne restait plus que le trajet jusqu'à la propriété de Who, pendant lequel Tsumi sombra dans le sommeil. Mais arrivé, à moitié endormi encore, il récupéra sa valise et aperçut la villa. Incroyable. Ce Who avait de sacrés moyens apparemment. Ce fut alors que quelqu'un s'approcha de lui, qui semblait être un domestique de l'endroit.

Bon, fallait avouer, Tsumi était tellement absorbé par ce qui se passait autour qu'il ne s'était pas rendu compte que c'était lui que la jeune domestique voulait accoster. Ce fut donc d'un regard interrogateur qu'il daigna enfin tourner la tête vers elle. Si la soubrette n'avait pas commencé à ouvrir la bouche pour lui souhaiter la bienvenue sur l'île, la racaille s'aurait fait un plaisir de lui expliquer ce qu'il pensait de ses méthodes ; tirer son T-shirt, quelles manières ! Enfin bon, il n'était plus au Japon - comme ça faisait bizarre d'être en plein cœur de l'océan Pacifique - et ce qui lui servait de vêtement n'était pas franchement neuf. Ça aurait sans doute été très stupide de se plaindre pour un pan de T-shirt défraîchi.

Il esquissa un sourire en la remerciant rapidement. Bien que la femme de chambre disait espérer que tout soit à son goût, le ton de sa voix n'était pas bien convaincant. En y réfléchissant bien, Tsumi s'imaginait que ce genre de travail ne devait pas faire sauter au plafond tous les jours ; ranger, nettoyer, organiser, ce devait être ennuyeux à mourir à la longue. Il n'était donc pas étonnant que le jeune homme trouvait la soubrette plutôt taciturne. Elle lui remit quelques affaires en main propre, lui montra quelque chose sur un papier avant de s'enfuir à la recherche d'un autre invité à accueillir. La suivant du regard, un sourcil levé, le temps qu'elle fasse une demi-douzaine de pas, Tsumi finit par observer ce qu'il avait dans les mains.

Alors...
Une carte de l'île d'abord. Forcément qu'il allait en avoir besoin, vu ce qu'il connaissait de Hawaï, mais il aurait sûrement dû faire attention à ce que la domestique lui montrait tout à l'heure ; jusqu'où la propriété de Who s'étendait, il n'en savait donc rien. Ensuite, une carte de la villa. Ça, au moins, c'était clair, et à voir le chiffre cinq gravé sur la clef, sa chambre ne serait pas bien compliquée à trouver. Restait plus qu'un petit papier, que Tsumi lut distraitement. << Vous n'êtes pas seuls, je vous surveille.... Surtout toi, Tsumi, tu me trouveras jamais. ♥ >>

Attendez voir, c'était bien son prénom sur le mot ? Après une vive relecture, il s'avérait que ce soit bel et bien le cas. Là, la racaille vit rouge, tandis que ses joues s'empourprèrent de fureur. Ainsi, plus moyen de penser en paix, il fallait que ce Who fasse un tour dans votre cerveau pour savoir ce que vous tramez tranquillement. Non mais, et la liberté de penser alors ?!

« Espèce de... »

Il finit par se convaincre de se retenir. Par contre, en ce qui concerne le mot, il fut sauvagement froissé et jeter au fond de la poche de son jeans. Pas question de le jeter, et si quelqu'un découvrait l'humiliation que le propriétaire des lieux venait de lui coller ? D'autant plus que peu de gens devaient porter un prénom tout aussi humiliant. Toujours colère, Tsumi se dirigea d'un pas décidé dans sa chambre, histoire de jeter sa valise sur son lit avant de partir ailleurs. Il devait justement penser à donner rendez-vous à Yume. Il ne savait pas si elle viendrait, mais lui au moins aurait tenu parole. Par contre, l'idée d'un inconnu qui le surveille minutieusement en attendant le moindre faux pas de sa part pour lancer une nouvelle rumeur ne l'enchantait pas autant.