Cours de soutien [Ouvert aux lycéens]

Une trentaine d’élèves – toutes classes du lycée confondues -  avaient été convoqués pour assister aux cours de soutien dans ma discipline. Bien sûr, je ne m’attends pas à tous les voir. Les noms inscrits sur la liste me sont plutôt familiers, et pour cause : ce sont ceux qui sont absents à mon cours. Ainsi, les voir échouer à l’examen final n’avait pas une surprise, mais j’ai regretté de ne pas avoir su les intéresser. L’académie Keimoo est avant tout un ensemble scolaire de prestige, on ne peut pas toujours attendre les derniers de la classe, nous devons avancer pour permettre à l’élite de devenir les bêtes à concours des universités les plus réputées. J’avais alors, dans mes propres classes, ouvert ces séances de soutien à tous, même s’ils avaient obtenu la moyenne ou l’excellence à leur dernier test. De cette manière, les meilleurs pourront solidifier leurs bases en encadrant leurs camarades qui ont besoin d’un peu plus de temps pour comprendre, et s’ils ne souhaitent pas coopérer, ils pourront toujours tenter un sujet d’examen blanc.

Je réajuste une dernière fois ma cravate avant de quitter la salle des professeurs. J’ai passé la semaine entière à travailler sur des exercices originaux et je dois avouer être un peu fatigué. Ce n’est pas la première fois que je fais du soutien, mais ce type de cours nécessite toujours des ajustements particuliers, d’autant plus que tous les niveaux sont mélangés pour cette séance. Mes collègues me saluent quand je passe dans le couloir, je fais de même sans jamais m’arrêter de marcher.

Nous sommes le 2 Juillet 2016, un samedi. Les vacances d’été approchent, cela se ressent dans l’ambiance générale du campus. Au travers des vitres du premier étage, je peux apercevoir des étudiants allongés dans l’herbe, d’autres se livrer à des mini-batailles d’eau. Je devrais aller leur dire d’arrêter car il ne me semble pas que ces conduites soient admises dans le règlement, mais je suppose que je peux fermer les yeux pour cette fois. Il fait chaud, je peux comprendre qu’ils aient envie de se rafraîchir. Je reprends ma route, mes pas résonnent sur le carrelage au sol

La session est fixée à 14h dans la salle de permanence. Comme à l’accoutumée, je suis un peu en avance, mais je ne suis pas le premier à être sur les lieux. Pour être honnête, je pense qu’arriver avant les élèves les rend un peu anxieux, mieux vaut leur laisser le temps de se préparer à ma présence. Mes iris verts se posent sur le premier groupe de trois étudiants à l’intérieur de la salle, je les invite à sortir une feuille et un stylo, tout autre matériel sera inutile aujourd’hui. C’est donc avec le sourire que je leur annonce :

« Pas de géométrie aujourd’hui. Eh oui, vous êtes peut-être un peu déçus, mais c'est comme ça ! »

Clin d’œil complice alors que je pose ma sacoche de cours sur la table. Algèbre, statistiques et probabilités seulement pour ces deux premières heures. Je réserve le reste pour la deuxième séance, la semaine prochaine.

« Les premiers arrivés ont le droit d’en savoir un peu plus sur le programme. »

Il reste cinq minutes avant le début du cours. Mes affaires sorties, je n’ai plus rien à dire ou faire pour le moment. J’attends simplement que la salle se remplisse petit à petit. Les aiguilles tournent sur l’horloge, mon espoir de les trente convoqués laisse place à la réalité. Sur les vingt têtes que je compte actuellement, un bon tiers est venu en volontariat. Un autre de mes regrets est que mon frère – bien que classé parmi les meilleurs de sa promotion – ne soit pas venu prendre de l’avance sur le programme. Lui et moi ne partageons décidément pas les mêmes ambitions. Mon amertume mise de côté, je tape une fois dans mes mains pour attirer l’attention de tous les élèves présents dans la salle.

« Bonjour à tous. Pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je suis M.Yoshida, professeur de mathématiques au lycée. Si vous êtes ici, c’est parce que vous avez envie de progresser, donc n’hésitez pas à me solliciter si vous rencontrez des difficultés. »

Je passe rapidement entre les rangs pour observer les groupes qui se sont formés…ou les solitaires restés dans leur coin. Arrivé au fond de la salle de permanence, je jette un coup d’œil à droite puis à gauche. Personne à l’horizon. Je ferme la porte coulissante et reviens vers le centre de la classe. Ils attendent sûrement que je détaille le plan de la séance…ou que je leur propose de partir s’ils ne sont pas intéressés. Pas de chance pour vous, je ne joue pas à ce jeu là.

« Cela va peut-être vous sembler étrange pour une discipline comme les mathématiques, mais je vais vous demander de constituer des groupes de trois personnes, peu importe la classe ou le niveau. »

Les pédagogues préconisent un niveau hétérogène dans une classe ou un groupe pour mieux progresser. Toutefois, je ne voulais pas forcer la main aux étudiants pour cette première partie de la séance, ils s’en seraient rendu compte, si j’avais constitué des équipes en fonction du classement du dernier examen, ils l’auraient sans doute remarqué. Toutefois, je pourrais être amené à remanier les groupes si nécessaire. Une fois le calme revenu dans la salle, je peux commencer les explications.

« Chaque personne aura une série d’exercices correspondant à son niveau. Un exercice correctement résolu vaut dix points. Le but est simple : rapporter le plus de points à son équipe. Vous avez le droit de vous entraider. Evidemment, vous pouvez aussi m’appeler si quelque chose ne va pas, mais je viendrai en priorité vers les groupes qui ne m’ont encore jamais sollicité. »

Distribution des sujets dans toute la classe. Ceci fait, j’attrape une craie sur mon bureau et me tourne face au tableau. En quelques lignes, je récapitule l’essentiel des consignes. Un sourire s’étend sur mes lèvres quand je me retourne vers eux.

« Si un groupe prend trop d’avance ou si une personne fait le travail de toute l’équipe, je me verrais dans l’obligation de remanier vos groupes. Merci de jouer le jeu. »

Je ne l’ai pas mentionné, mais l’aide entre les groupes est tout à fait possible. Toutefois, j’ai hâte de voir comment ils vont réagir à la compétition, pilier du système éducatif nippon.

De nouvelles têtes un peu partout. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a beaucoup de 1ère années ou s’il a y a eu une vague d’élèves transférés à la rentrée, mais il y a peu d’élèves que je reconnais dans la salle. Ce sont, pour la plupart, des étudiants en troisième année dont je suis le professeur principal depuis quelques mois. Et l’un d’eux est arrivé en retard, de cinq minutes. Je ne lui en ai pas tenu rigueur, les yeux de ses camarades l’ayant déjà puni en quelque sorte, et lui ai fait un simplement signe de tête pour l’inviter à l’asseoir rapidement. Timide, il obéit alors que je commence à distribuer les feuilles d’exercice, l’essentiel des consignes figurant au tableau, il ne devrait pas avoir de mal à rattraper. C’est déjà bien de se présenter à un cours de soutien, d’autant plus que la plupart des convoqués n’ont pas pointé le bout de leur nez. Il faudra que j’en parle à Ashita-san si je le croise sur le campus.

L’autre élève qui m’est familière possède un physique plutôt atypique. Des cheveux blancs et longs, des yeux ambrés. Un jour, je lui poserai peut-être la question sur l’origine de cette couleur, si elle reste à la fin de mon cours. Par les dieux, ma curiosité me perdra.

En passant dans les rangs pour vérifier que tout se passe bien, je remarque que certains élèves sont encore seuls ou un binôme seulement. Je fais du mieux que je peux pour arranger les groupes, les adolescents coopérant assez facilement, mais à la fin, il y a toujours une fille qui semble perdue. Ses yeux oscillent entre plusieurs groupes, mais je vois bien qu’ils se dirigent souvent vers une crinière rousse. Or, cette dernière est déjà impliquée dans un groupe de trois personnes. Je n’avais pas compté l’élève en retard en demandant de faire des groupes de trois, c’est pour cela qu’il y a quelqu’un qui s’est retrouvé exclu. J’imagine que je vais devoir faire une exception, du coup. Le pas léger, je m’avance vers la blonde et plonge mes iris émeraude dans les yeux, le sourire étendu sur les lèvres, les bras croisés derrière le dos.

« Besoin d’aide pour trouver un groupe ? »

Je fais mine de ne pas avoir remarqué l’hésitation qui marquait son expression lorsqu’elle regardait la rousse, puis je choisis au hasard le groupe dans lequel cette dernière se trouve.

« Prend tes affaires, je vais leur annoncer ta venue. »

Clin d’œil complice. Décidément, je ne vais plus avoir de paupière gauche si je continue comme ça. Je fais un petit signe de main à une élève qui me demande de venir. Quelques petite secondes et j’arrive, il faut que tous les groupes commencent en même temps ou presque. Au moment où je me glisse devant le trinôme, ils ont l’air en pleine discussion sur les exercices. Navré de les interrompre, je leur annonce ma présence en me raclant bruyamment la gorge.

« Il y a une fille qui était toute seule, et j’ai arbitrairement choisi votre groupe pour l’accueillir. Vous partez donc avec un avantage. Si jamais il y a encore un retardataire, on avisera pour changer la composition. Désolé pour la gêne occasionnée. »

Je fais signe à la lycéenne que le terrain est préparé, tire une chaise d’une table inoccupée pour la placer à côté des trois étudiants. Les mains dans les poches, je me retourne au dernier moment pour les rassurer.

« Appelez-moi si vous avez un problème. »

Puis je file à l’autre bout de la salle pour répondre à une question de cours. Une fille n’a pas pris son cahier de cours en pensant que nous allions juste réviser en renvoyant les formules. Je savais bien que majorité des élèves n’avaient pas révisé en venant au cours de soutien, mais de là à ne pas prendre ses affaires. Malgré tout, je reste un prof sympathique. C’est une heure de soutien et je vais éviter de faire la morale. Enfin, je me retourne et vois plusieurs bras levés. Certains veulent des éclaircissements sur les consignes, d’autres ont des questions plus spécifiques. En tout cas, le cours est plutôt mouvementé et ce n’est pas pour me déplaire. Apparemment la technique de la carotte semble bien fonctionner pour les japonais conditionnés à la compétition, un peu moins pour les étudiants étrangers qui n’ont pas l’habitude des classements. Au bout du compte, je me dis que les gagnants méritent peut-être une récompense. Je n’y avais pas réfléchi jusque là et c’est en retournant vers mon bureau que je me décide. Afin de capter l’attention des groupes qui se répartissent les tâches, je tape plusieurs fois dans les mains jusqu’à ce que le silence revienne.

« J’avais oublié de vous le dire. Les gagnants recevront des tickets pour la cafétéria du lycée. »

Les premières réactions se font entendre. Même si je ne comprends pas tout ce qu'il se dit dans le brouhaha que je viens de créer, je crois que je suis plutôt satisfait de l’effet produit, je m’accoude sur la table et leur lance quelques encouragements sur un ton léger.

« Bonne chance à tous. »

Petite pause. Mes yeux verts s’illuminent et je termine par un petit boost pour toute la classe ou presque, tout en avançant le long de la rangée du milieu jusqu’à arriver à la porte coulissante.

« ]Il y a un groupe de quatre actuellement. Si vous voulez gagner votre récompense, il faudra faire de votre mieux. »

Un sourire malicieux s’étend sur mon visage. Voyons comment ils vont tous se débrouiller. La plupart ses élèves se sont déjà remis au travail, ils sont plutôt rapides. Je me demande combien auront terminé toutes les feuilles d’exercices avant la fin de la séance. Au pire, j’en ai toujours d’autres en réserve.