Kimi to boku [PV Lassa]

Le voyage avait été trop court à mon goût, après avoir passé une bonne heure à flâner dans le train avec ma valise, je n’avais plus très envie de débarquer dans ce lycée. Comme c’était le dernier arrêt, le contrôleur m’avait réveillé pour me faire sortir, quel dur retour à la réalité. J’ai alors dû prendre mes affaires et commencer à marcher jusqu’à l’académie, je connaissais déjà le chemin puisque j’étais venu ici-même pour passer les concours d’entrée. Une fois arrivé devant le portail, je pousse un long soupir avant de m’engouffrer dans l’établissement où attendent déjà une foule d’élèves. Je regarde à droite, à gauche…Personne ne me regarde, c’est parfait.

Je n’aime pas attirer l’attention sur moi, donc je trouve ça bien qu’on m’ignore un peu pour le moment. En plus, comme je viens de débarquer, je sens déjà venir les regards braqués sur moi lors de l’appel, espérons que le professeur soit une personne discrète qui ne m’oblige pas à me présenter comme à l’école primaire car je n’aime pas tellement me dévoiler. J’intercepte un membre du personnel et lui demande où se trouve l’internat, il réfléchit quelques secondes puis m’indique une direction assez vague, mais voyant qu’il est assez occupé avec son travail, je le remercie et me dirige vers un bâtiment que je crois être celui que je recherche.

De ma poche, je sors les clés de ma chambre, on ne m’a pas mentionné la présence ou non de colocataire, tant pis, du moment qu’ils ne sont pas trop bruyants ça ne devrait pas me poser problèmes. J’entre dans la bâtisse et y jette un coup d’œil, je hausse un sourcil, je ne pense pas que ce soit ici, vu l’état des lieux on dirait plutôt un entrepôt désaffecté, ce qui ne serait pas digne de l’internat d’une des écoles les plus prestigieuses du Japon. Je ressors donc rapidement de cet endroit qui sent le renfermé et la poussière.

Au loin, je perçois un groupe d’adolescents d’à peu près mon âge, je pourrais aller leur demander service, mais je n’aime pas vraiment aborder les gens lorsqu’ils sont en groupe, en effet j’ai  remarqué qu’une majeure partie de la population ne se comporte pas de la même manière lorsqu’ils sont seuls ou avec des amis. Bon…Qu’est-ce que je fais ? Je ne pense pas que je passerai longtemps inaperçu avec une valise à la main et un sac de cours accroché autour du coup, il faut que je trouve quelqu’un qui se promène seul dans les environs. Je n’ai qu’une chose à déclarer pour le coup : ce n’est pas gagné.

Parmi tous ces étudiants, il n’y en a aucun qui me paraît abordable. C’est fou, on dirait qu’ils ont peur de sortir sans être accompagné, ou alors c’est moi qui ne suis pas normal, à toujours arpenter les couloirs en solitaire. Heureusement que la patience est une de mes qualités, car je crois bien que cela fait dix minutes que j’attends, adossé au bâtiment mal entretenu, de trouver la perle rare qui pourra m’aider…Oh, mais attendez ! Serait-ce un miracle de Kami-sama ? Mes yeux se rivent sur un garçon blond à quelques mètres de moi, priez pour qu’il n’aille pas rejoindre le groupe de nerds à lunettes là-bas.

Je le vois s’arrêter et prendre appui sur quelque chose que je ne peux distinguer de ma position, parfait, ma cible est localisée. J’empoigne rapidement ma valise et commence à marcher, l’air de rien, comme si je venais d’arriver. On a beau dire, personne n’aime faire savoir qu’il poireautait comme un bel imbécile. Alors que je m’approche doucement du…grand garçon, je l’examine de la tête aux pieds, il n’a pas l’air d’être le mauvais bougre, je pense pouvoir lui faire confiance pour qu’il n’aille pas raconter que je me suis perdu dès le premier jour. Je grimace légèrement avant de me racler la gorge, m’apprêtant ainsi à lui adresser la parole, je prends une grande inspiration avant de me lancer une bonne fois pour toutes :

« Excuse-moi. Est-ce que…tu.peux.m’aider ? »

Pourquoi ai-je hachuré mes mots de cette manière ? Pourquoi est-ce que je baisse les yeux alors qu’il remarque enfin ma présence ? Rah…Bon sang, fais un effort Hisaka, allez, tu peux y arriver. Je ne peux me résoudre à le regarder dans les yeux, alors je fais semblant au moins, je regarde son nez…Voilà, c’est très bien aussi. J’ai bien trop d’amour-propre pour demander de l’aide normalement, mais je n’ai jamais été confronté à une telle situation, si je n’avais que mon corps à transporter pour se mettre à la recherche de l’internat, pas de problème, mais là en plus il y a la valise, bien qu’elle ne pèse qu’une dizaine de kilogrammes étant donné que je me suis emparé du strict minimum pour la semaine, c’est très trop épuisant de me la traîner derrière moi.

« Je cherche l’internat. Est-ce que tu sais…où il se trouve ? »

Je détourne rapidement le regard afin de ne pas avoir à affronter son air interrogatif, bah quoi, ça ne se voit pas que je suis nouveau ? Oh fichtre, en fait, si ça se trouve il n’en sait pas plus que moi, vu sa tête, il ressemble à un étudiant étranger fraîchement débarqué, à la même enseigne que moi. Enfin, au moins il ne pourra pas me reprocher d’avoir parlé trop vite vu comment j’ai hésité sur mes fins de phrase. J’ai les mains moites, c’est mauvais signe, je crois que je suis en situation de stress, pourquoi est-ce que je sens sa présence peser sur moi ?

Les dents serrées, j’attends qu’il dise quelque chose, peut-être qu’il attend que je prononce le mot magique comme diraient les enfants ? N’étant pas habitué au contact humain avec des inconnus, j’avais totalement oublié les bonnes manières, et voilà que mon éducation irréprochable de Japonais est réduite à néant. La politesse et moi, je crois que ça fait deux. On me l’a souvent reproché, j’espère qu’il ne tiquera pas là-dessus. Eh bien, on peut dire que mon arrivée ici ne se fait pas sans ennuis, j’ai vraiment l’impression d’être livré à moi-même, surtout que c’est la première fois que je vais vivre seul.

Un doux vent avait traversé l’étendue dans laquelle je me trouvais en compagnie de monsieur l’inconnu à la capuche alors que j’attendais de sa part les renseignements nécessaires pour me rendre à l’internat où j’espérais enfin poser mes affaires, puis me prélasser le dernier jour avant de rentrer en cours. Il avait alors retiré son couvre-chef avant de m’adresser la parole, ce qui nous amène à l’instant présent.

Je ne veux pas spécialement qu’il me guide ou m’emmène, je souhaite simplement qu’il me dise où le bâtiment se trouve, je pense être assez grand pour faire la suite tout seul, je n’ai pas besoin de sa sympathie, de sa pitié ou je ne sais quoi d’autre… D’où le fait que je sois surpris qu’il me propose de m’y accompagner, j’ouvre la bouche pour finalement la refermer, c’est terrible ce sentiment d’impuissance par rapport à la situation. Je n’ai pas l’habitude que l’on me traite ainsi, c’est pour cette raison que je commence par adresser un regard méfiant à mon interlocuteur. Je pousse un léger soupir ennuyé, je ne voudrais pas trop le faire attendre non plus…Peut-être suis-je un peu trop gentil, est-ce le changement d’air qui me fait cet effet ?

« Je-Je veux bien que tu me montres où c’est. Je ne te dérangerai plus la prochaine fois. »

En d’autres termes, même si je suis à l’agonie en train de rendre l’âme, je ne ferais pas appel à toi parce que j’ai trop honte de demander deux fois un service à la même personne. Il m’adresse un sourire bienveillant, je détourne le regard, c’est gênant quand quelqu’un est aussi gentil la première fois qu’on lui adresse la parole…ou alors c’est tout simplement parce que je n’ai pas l’habitude de l’être moi-même avec les autres. Je hoche la tête pour lui montrer que je suis prêt à lui suivre, puis j’incline légèrement ma valise pour la mettre sur les roulettes et je me mets à marcher à ses côtés, légèrement derrière lui tout de même.

Je dois avouer avoir la tête dans les nuages, et aucune envie de redescendre sur terre au moment où il essaie d’engager la conversation avec moi. Pour être honnête, je m’attendais à ce genre de questions, je dois être un des seuls élèves à me balader avec une valise aussi pleine et surtout à ne pas connaître le chemin jusqu’au pensionnat au mois de Septembre. Je hausse les épaules, le regard toujours plongé dans le ciel bleu azur maculé de quelques nuages cotonneux, je n’ai rien à cacher de toute façon. Mais alors que je m’apprête à lui répondre, il m’interrompt sans aucune gêne, comme s’il avait décidé de s’octroyer le monopole de la parole, tout cela pour se présenter. Un peu irrité, je lui réponds dans la continuité :

« Moi c’est Hisaka...Rika. »

Un peu hésitant sur la fin, car je ne voulais pas décliner mon nom de famille a priori…Tant pis. Je reviens alors sur mon histoire, ce qui m’a emmené jusqu’à cet endroit où se côtoient les fils et filles de grandes personnalités du pays. Jamais je n’aurais crû mettre les pieds ici, surtout lorsqu’on sait d’où je viens, et pourtant…

« Je viens d’un lycée qui a une réputation peu glorieuse, il a fermé un peu avant les vacances d’été à cause d’un élève qui a mis le feu au bâtiment de sciences, ce qui a finalement provoqué un incendie général. J’ai donc dû chercher un établissement qui acceptait encore des élèves à la rentrée de Septembre, j’ai passé un examen d’entrée pour obtenir ma bourse et…me voilà. »

Ma voix finit par s’éteindre doucement, progressivement alors que je suis presque aveuglément le jeune lycéen, visiblement captivé par mon histoire. Je hausse un sourcil, c’est si peu ordinaire ce genre d’histoires ? Quoique, si je pense comme ça, c’est peut-être parce que j’ai passé plus d’un an en classe avec les pires racailles du district. Voilà, il sait tout de mon arrivée ici, le pourquoi et le comment, ce n’est pas comme s’il y avait grand-chose à en retenir, je me doute qu’il ait posé cette question par véritable intérêt, je dirais plutôt que c’est par curiosité, et parce qu’il n’avait tout simplement pas envie de trouver un autre sujet de conversation…Je crois que je fais trop de suppositions en fait.

Comment a-t-il dit qu'il s'appelait déjà ? Lassa Parkson ? Ce n’est pas très Japonais comme nom, pourtant il semble parler la langue du pays couramment, je me demande comment est-ce qu’il s’est retrouvé ici lui aussi. D’ailleurs j’aurais dû m’en douter avant, son physique n’a rien à voir avec celui commun aux nippons. Cogiter me fatigue, c’est mauvais pour ma consommation journalière d’énergie – je crois que j’ai déjà dépassé le seuil d’effort en fait – je devrais donc m’arrêter…mais je dois avouer que ce type m’intrigue un peu aussi. Je lui jette un regard furtif alors que nous continuons notre route, j’ai bien envie de l’interpeller pour lui poser quelques questions à mon tour, mais d’une : J’ai trop de fierté pour être celui qui franchit le pas, et de deux : Je n’ai aucune idée de comment l’appeler.

Etant tous les deux des lycéens, je devrais peut-être le nommer par son prénom, sans plus de fioritures puisque nous sommes censé être alter-ego, mais peut-être qu’il s’agit d’un sempai ? Et s’il appartient à une classe sociale qui est supérieure à la mienne, je devrais sûrement employer un suffixe et l’appeler par son nom de famille. C’est ennuyant…Tellement ennuyant que je pense que je vais oublier toutes ces idées de bonnes manières et essayer d’y aller de manière spontanée, sans trop en faire non plus. Pendant quelques secondes, je tourne ma phrase dans la bouche, ne sachant pas si je dois de nouveau engager une éventuelle discussion ou si je dois tout simplement le suivre et me taire. Finalement, je décide de mettre fin à ma torture mentale en lui rappelant ma présence, alors qu’il marche devant moi, un sourire béat sur les lèvres.

« Parkson-san ? C’est un nom étranger ça. Comment ça se fait que tu parles aussi bien Japonais ? »

Bon, ce n’est pas tout à fait ce que je voulais dire, mais au moins le début y est. J’avais peur de paraître raciste ou mal intentionné vis-à-vis de…Lassa – décidément je ne me ferais jamais à ce prénom, assez étrange à prononcer – dans mes propos. J’ai donc commencé par essayer d’en savoir plus sur lui, je ne voulais pas directement l’agresser en lui demandant comment il s’était retrouvé dans cette académie prestigieuse, cela sous-entendrait que je le considère juste un fils de riche admis grâce à la fortune de ses parents…Pourtant, c’est bien de cette manière qu’il m’avait demandé la raison de ma venue ici. Enfin, on dit bien que l’on fait souvent aux autres ce que l’on n’aimerait pas que l’on nous fasse, et je ne veux pas d’ennuis dès mon premier jour ici.

Pitié, n’importe quelle divinité là-haut, dites-moi que c’est bientôt fini, que l’on va bientôt s’arrêter de marcher. Sous ce soleil qui ne rappelle même pas encore l’automne, j’étouffe. Entre ces cris de joie d’élèves qui profitent de leur dernier jour de pause avant la reprise des cours, j’étouffe. Aux côtés de cet adolescent qui m’accompagne jusqu’à l’internat…eh bien étrangement, je me sens plutôt bien.