Et 3 nu... soirs par semaine... (PV)

Spoiler:

Le bonheur ça se crie, la tristesse ça s'écrit.

Les deux jeunes gens discuteront un long moment. Cammy découvrira ainsi cette partie de Jin dont elle ignorait tout jusqu’à présent, enfin du moins… qu’elle redoutait. Selon elle, les sports de combats n’ont jamais été destinés à des personnes qui n’ont rien à se reprocher, mais qui au contraire, ont quelque chose de malsain à maitriser.

Ainsi elle ne sera pas surprise de découvrir cette violence intérieure que Jin cache au fond de lui. Elle ne se sera pas hasardée à demander des détails trop intimes. En parler aura peut-être fait du bien à Jin, qui avait toujours craint un autre regard de la part de la demoiselle. Hélas, ce potentiel bien-être n’aura pas duré bien longtemps. Au fil de leur conversation, révélation et autre confessions, Cammy parlera de son projet de quitter Keimoo. Elle promettra à Jin de toujours être disponible pour lui, trois soirs par semaine. A ce moment-là, elle se sentira sereine, malgré l’air bougon et les ronchonnades de Jin. Elle avait déjà vu cette partie de lui lorsqu’elle avait fui Keimoo pendant presqu’une année ; malgré tout, leur amitié étant solide, Jin ne lui en avait pas tenu longtemps rigueur.

Quelques jours plus tard, alors que Cammy quittait l’Académie, elle attendit Jin devant le dôjang comme à son habitude, pour lui dire au revoir. Pas d’adieu. C’était un peu comme si elle le voyait le lendemain. D’ailleurs, elle avait eu pour projet d’inviter le sportif chez ses parents, pour un dernier repas avant les vacances de printemps. Elle avait besoin de sa compagnie, surtout qu’elle avait notamment le cœur lourd de savoir que Noahki ne reviendrait pas avant longtemps. Elle avait besoin de ses proches pour se sentir… aimée. Ne serait-ce que pour savoir qu’elle pouvait compter sur quelques personnes, ces mêmes personnes pour qui elle sacrifierait presque tout comme son temps ô combien précieux, ses passions, ses habitudes. Ce qu’elle avait fait pour Jin d’ailleurs, afin qu’il obtînt les meilleures notes pour passer son année, être sélectionné au tournoi de Taekwondo, pour peut-être, un jour, surpasser son frère.

Elle savait déjà ce qu’elle préparerait comme repas et avait dans un panier qu’elle tenait à la main, les ingrédients nécessaires. De beaux produits frais, naturels qu’elle avait elle-même fait pousser dans les jardins de l’Académie. Dans son autre main, elle tenait sa valise. Et alors qu’elle apercevait l’ombre de Jin s'approcher d'elle, elle constata que l’air qu’il affichait ne ressemblait à aucun regard qu’elle lui avait connu. Prise de court et un peu apeurée, elle lui demanda d’office la raison de ce trouble qui animait le garçon. Ce fut tout d’abord un silence, puis une petite pique lancée à la volée concernant le panier qu’elle transportait. Cammy lui expliqua avec un sourire nerveux ce qu’elle comptait faire, lui lançant ainsi son invitation. Elle n’obtint pas la réponse qu’elle souhaitait.

« C’est pour te donner bonne conscience tout ça ? »

Le panier et la valise lui échappèrent des mains, sans qu’elle ne s’en aperçoive. Les légumes et autres victuailles se répandirent sur le sol. Figée, elle ne sut que répondre. Le rouge lui monta aux joues et la culpabilité la rongea instantanément. Le ton glacial, à l’identique de l’éclair zébrant les prunelles sombres de Jin effraya la douce demoiselle. Elle balbutia une tentative de réponse, mais ne put aller au bout de cette misérable entreprise : Jin lui tournait le dos, summum du mépris. La rouquine n’eut même pas la force de s’en sentir courroucée, pas la moindre sensation d’irascibilité ne véhiculait dans ses veines. Ses mains couvrirent sa bouche. Plus douloureux que le départ de Noahki, plus affligeant que toute l’Académie et sa fichue administration retournés contre elle ; Cammy était en train de le perdre pour de bon. Elle ne se demanda même pas si Jin avait conscience de ses paroles, s’il ne s’agissait que d’un caprice de sa part. Après tout ce qu’ils avaient vécus ensemble, les épreuves qu’ils avaient remontées, il ne pouvait se permettre de se comporter ainsi, pas avec elle. L’Australienne ne pouvait réaliser sur l’instant de l’immensité de la décision qu’elle allait alors prendre. Elle contourna le lycéen pour lui faire face, ne tenta pas de croiser son regard ; elle avait bien trop honte. Elle s’approcha juste très près de lui, comme jamais elle n’avait approché quelqu’un. Ses bras vinrent à entourer le cou du garçon et ainsi, elle le serra contre lui. Jin savait ce que ce geste signifiait pour la jouvencelle qui ne supportait pas le moindre contact physique avec les autres. Elle eut ainsi l’occasion de sentir, de trop près, le shampooing du Japonais aux cheveux humides qu’ils étaient après chaque entrainement de Taekwondo. Après quelques instants, elle accorda au Japonais une bise sur la joue gauche, comme il lui en avait si souvent présentés sur celle de la férue d’Histoire, allergique à tout geste intime de ce genre. Lorsque cette dernière se retira, le visage inondé des larmes qui coulaient intarissablement sur ses joues, elle évita une fois de plus de lever les yeux vers Jin, craignant d’être à nouveau témoin de cette violence dans le regard du garçon. Et, sans dire un mot, elle s’éloigna de lui, laissant les fruits de son labeur joncher le sol, pour ne ramasser que sa valise.

C’était ainsi qu’elle avait fait ses adieux à Jin Mashimoto.

Dans les jours qui suivirent, la demoiselle s’était rapprochée du CPE afin de lui demander asile dans son auberge, le temps pour elle de trouver un logement. Elle ne pouvait pas aller chez ses parents ; il ne leur faudrait pas beaucoup de temps pour comprendre qu’elle était profondément bouleversée. Ryosuke Saitô ne lui avait pas posé de questions: il lui avait juste imposé de l’aide dans les tâches ménagères. Elle s’en acquittait la nuit, en préparant tous les repas du lendemain, pour l’ensemble des locataires. Le jour, elle restait enfermée dans sa chambre, n’en sortant que pour les besoins vitaux. Personne ne sut ce que l’ancienne académicienne faisait de ses journées. Certains avaient tenté de toquer à sa porte, avant de se faire réprimander gentiment par le propriétaire. Assouvir leur curiosité ne leur aurait servi à rien ; Cammy ne faisait absolument rien, pas même ouvrir un livre. Le temps, qui lui était si précieux, s’écoulait lentement autour d’elle, narguant tout ce qu’elle pouvait et ne pourrait plus faire. On ne peut rattraper le temps perdu, à moins de pouvoir rajeunir, revenir en arrière.
Cammy gaspillait ce temps et le regretterait sûrement. Dans tous les cas, il serait trop tard pour réparer quoi que ce fût.

Et lorsqu’enfin elle sortit de sa torpeur, de ce désespoir dans laquelle elle avait volontairement plongé, elle avait oublié Jin Mashimoto, délibérément. Elle faisait fi de ses souvenirs, des années passées à ses côtés. Elle avait oublié les rires du garçon, sa détermination, son regard tendre, son regard rancuneux, son odeur, ses subtiles chorégraphies. Elle avait oublié cet élève – le premier – qui était devenu pendant un temps, le plus précieux des amis.
Pour autant, trois soirs définis de la semaine, elle préparait les même bentôs qu’elle avait jadis, l’habitude de préparer, sans savoir pourquoi. Et sans savoir pourquoi, elle en faisait toujours trop.

Toujours, pour deux personnes.

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