L’automne est la pire des saisons. C’est moite, c’est terne, c’est indécis. Errant nonchalamment quelque part entre morsures du froid hivernal et la langueur monotone des longues journées d’été. Et aujourd’hui était l’archétype même d’une journée d’automne, nuageuse et presque mélancolique tant elle était banale. Et la banalité, c’est le mal, la porte ouverte à un plus qu’insupportable train-train quotidien, où plus rien ne nous émerveille. Un quotidien qui ne faisait aucunement envie à notre racaille, déjà suffisamment abattu par l’éreintante matinée de dur labeur, sans compter l’effet pernicieux d’une digestion encore toute récente. Et il errait ainsi comme une âme en peine dans les couloirs de l’académie qui commençaient doucement à se vider de toute vie, hésitant encore sur sa présence future aux terribles cours de l’après-midi dont le glas n’allait pas tant tarder à se faire entendre.
Mais comme le monde est bien fait, et que la bonne étoile de ce brave garçon brille toujours de mille feux, il tomba nez à nez au détour d’un couloir avec l’élément perturbateur qui va bouleverser notre récit épique et entraîner moult péripéties. L’élément perturbateur ? Une charmante jeune fille, encore inconnue au bataillon jusqu’à ce jour, qui à l’air tout aussi consternée par cet insipide début d’après midi. L’innocente brebis qui a eu la folie de s’isoler du troupeau pour s’enfermer dans sa bulle à l’extravagance capillaire aussi prononcée que chez notre rouquin, bien que dans son cas, il n’en était pas responsable. Bref. Une personne qu’il ne connait pas, qui ne le connaît pas, et qui, tout comme lui, ne demande qu’à mettre un peu de piment dans sa vie.
Lentement, il s’approcha d’elle à pas de loups, encore indécis au sujet de ce qu’il attendait d’elle, ou plutôt, de ce qu’il voulait en faire. Hé bien, advienne que pourra, l’improvisation est également un de ses points forts. Tout ce qu’il savait, pour le moment, c’est qu’il était dans un état d’esprit relativement calme, du moins pour le moment. Parce que ce que moi je sais, c’est qu’il ne le reste jamais bien longtemps, lunatique et instable qu’il était. Ricanant doucement, il passa un bras autour d’elle, en profitant pour s’appuyer au rebord de la fenêtre avec nonchalance. Désormais en mesure de l’observer sous toutes les coutures, il la considéra dans un premier temps de haut en bas avant de planter son regard de braise dans le sien, un sourire narquois accroché au coin de ses lèvres.
« A quoi tu penses ? »
Question anodine s’il en est, mais pas tant que ça pour notre jeune homme. En effet, même si la majorité d’entre vous n’y verront qu’une tentative médiocre de conversation, en ce qui le concerne, il était véritablement intéressé par la réponse. Ne prêtant que peu de temps aux divagations philosophiques, il était curieux de savoir à quoi les gens normaux pouvaient bien penser quand ils arborent un air aussi rêveur. Et s’il ne se posait que très peu de questions, celle-ci était récurrente. L’esprit humain est fascinant, quand on y réfléchit un peu plus loin que le bout de son nez, après tout. Mais moi, je n’ai absolument aucune envie d’y réfléchir, alors je vais m’arrêter là pour la minute philosophique Sorienne.
« T’ferais pas mieux d’aller en cours plutôt que de rêvasser bêtement ? Tu devrais faire plus attention, c’fou c’qu’il y a comme personnes mal intentionnées, dans le coin. »
Dont il faisait partie, bien évidemment. Certes, ce n’était pas écrit sur son front, mais c’était tout comme. Sa carrure imposante, son visage anguleux, son regard flamboyant, sa voix grave et énigmatique, tout ce qu’il était dégageait quelque chose de mauvais, comme si une aura néfaste enveloppait la noirceur de son âme, pouvant parfois –et même souvent- donner comme une impression de mal-à-l’aise à ses interlocuteurs.