Mauvais timing. [PV Tenma]

Une frappe puissante. Akira accusa le coup, enchainant deux pas en arrière, légèrement sonné par ce coup inattendu. Un, deux, non trois mecs se dressaient face à lui. Un regard vif aux alentours, et la situation était déjà toute analysée. Aucun bruit, personne aux alentours, des ampoules dysfonctionnement. Le lieu parfait pour agresser le premier élève venu. Alors qu'une des racailles enfonça sa main dans une poche, Akira réagit aussitôt, levant ses deux bras en signe de défense. Un frisson parcouru ses vertèbres quand il remarqua la lame aiguisée prête à s'enfoncer sous sa peau. Celui qui semblait être le commanditaire observait la scène dans l'ombre, alors que ses larbins s'approchaient dangereusement vers Akira, en ricanant. Il ressemblaient à des démons, dans cette atmosphère froide, sombre et humide. Il vivait réellement un cauchemar.

- Hey, tu ne voudrais pas être blessé, non ? Donne nous plutôt ton fric, et on s'en ira sans histoires.

Merde. Akira n'était pas sur un ring, l'absence de règles, l'absence d'arbitre, l'absence de fairplay, la folie contre laquelle il allait devoir lutter, tout le rendait nerveux. Il déglutit avec difficulté, se détendit les épaules, et fronça les sourcils. Il allait devoir tenir, il allait devoir encaisser. Avoir du menton, comme on dit dans le milieu. Le premier mec arriva, plutôt vif. Son poing fut facile à éviter - une faille au niveau de sa gorge et ses côtes. Akira tenta de s'échapper du combat uniquement avec ses esquives mais la pointe du couteau de l'autre agresseur déchira sa joue par surprise, ce qui l'obligea à tituber en arrière, et se prendre un violent coup de pied dans les côtes. Ses os le lançaient, et ses deux adversaires n'en avaient pas finis. Tabassé, littéralement. Le canif' sous la gorge, l'oeil poché, crachotant du sang, la troisième brute fouilla son sac, aggripa sans remord le porte monnaie d'Akira, avant de partir librement. Ce prote-feuille, celui qui contenait les papiers du garçons, son argent, ses cartes mais aussi, la photographie de sa mère.

Sproch. C'est le bruit que fit le crâne de la première brute qui était sur le passage d'Akira. Les deux autres firent vole-face, étonné de voir leur victime avec encore assez d'énergie. Dans cette obscurité, Akira était une ombre qui dégageait une aura effrayante. Ses yeux étaient rouges de colère, et tous ses muscles vibraient de violence. Il marcha sur le corps évanouit qui trainait à ses pieds, lentement, se dirigeant vers les objets de sa haine. Son tourment avait éveillé un volcan, sa lave s'infusant dans les iris d'Akira. En un instant bref, il s'appuya sur un des murs pour tourner sur lui-même et frapper brutalement le deuxième sous-fifre de son genoux, qui s'étala sous le coup, le nez brisé. Des techniques de muay thai pointues, initialement prévue pour un cadre sportif. Mais le manque de sang-froid du jeune homme avait laissé de côté ces conditions. Il s'approcha de la dernière racaille, paralysée de peur, repris son bien, et repartis comme si de rien était. Une larme de colère glissa sur sa joue, se mêlant au sang, conclusion de cette furieuse et sombre victoire. La pression se lâcha, la colère, la tristesse, ses souvenirs nostalgiques, ce sentiment de brisure qu'il avait ressentit à l'idée de perdre à nouveau un proche. Une deuxième larme, puis une troisième perlèrent avant qu'il ne les essuie de sa manche, en marchant. Il mordait ses lèvres de regret, priant pour que cette histoire ne s'ébruite pas. Et apparemment, ce vœu allait difficilement être exaucé. Akira venait de bousculer une inconnue, qui remarqua aussitôt que le garçon venait de la tâcher de son sang. Surpris, il tenta de quérir son pardon.

- Je, je suis désolé, je ne t'avais pas vu. Vraiment, je suis désolé.

Tic tac.
Une seconde.
Deux secondes. Trois secondes.

Et il pleuvait encore. Encore et encore et encore et encore ! Les gouttes venaient s’écraser sur la vitre, ruisselaient jusqu’à s’enfoncer dans le sol humide. Et Tenma regardait, assise au beau milieu de la passerelle reliant lycée et université. Peu de gens passait par là, à cette heure, avec ces cordes. C’était assourdissant. Sur le dessus, surtout. La japonaise avait tout le loisir d’observer les nuages, la grisaille du paysage, les filets d’eau. Tout son malheur. De vulgaires éclairages illuminaient sa face maussade. Elle voulait rentrer chez elle ; elle était clouée ici.
Raté. Elle n’avait pas de parapluie. Oh, elle était malheureuse, pensait à la chaleur de sa couette, au chocolat chaud qui l’attendait, à son porno préféré. Oui, son porno préféré. Elle aimait bien. Pas forcément pour l’excitation, mais plus souvent pour le mauvais jeu des acteurs qui se rencontraient, et qui sans se connaître, n’avait pas besoin de grand-chose pour se foutre à poil. C’était drôle, parce que c’était mauvais. Sinon, pourquoi regarderait-elle ces films, emmitouflée dans ses draps avec un chocolat ? D’autant plus que son favori, Le Harem du plaisir, devait être le pire de tous, qu’importe le point de vue. Il fallait être diablement sensible pour avoir une montée de chaleur en regardant ce machin-là.
Elle en avait des tellement mieux. Toute une rangée de DVDs. Une rangée loin d’elle. Si loin d’elle, à cet instant. Elle ne connaissait pas la distance exacte, elle venait en bus. Chaque matin. Et repartait chaque soir de la même façon. Mais elle l’avait loupé, son bus. Elle ne voulait pas sortir. Il pelait dehors, et l’eau délaverait son beau costume d’Alice tout neuf. Alors non.

Tenma commençait à avoir froid aux fesses. La robe bleue était assez légère, et sa culotte, comme celles des petites filles, jadis, ne réchauffait rien. Et pourtant, le haut de son crâne transpirait sous une perruque blonde épaisse qui contrastait avec sa peau basanée. Le rôle d’Alice lui allait mal. Cela ne l’empêchait pas de se pavaner dans ses magnifiques vêtements qu’elle avait cousus elle-même. Elle en était fière, de la dentelle blanche qui décorait l’habit principal. Le mal qu’elle eut à faire ce déguisement ! Une torture. Mais c’était fini, tout cela. Et aujourd’hui, la pluie frappait. Jamais, jamais elle ne laisserait une seule goutte d’eau déborder sur sa robe. Même s’il lui fallait se battre, déchiqueter, tuer. Elle rentrerait chez elle propre et aussi parfaite qu’à son arrivée. Pour cela, la pluie devait cesser. Si le sol pouvait être plus chaud, aussi, ce serait bien. L’atmosphère un peu plus vivable. Il était désagréable d’avoir son pauvre cul, ses membres et ses joues gelés, alors que son crâne est si bien protégé.

Oui. Fichue perruque. Un peu de solidarité, bon dieu. Tenma retira ses cheveux factices, laissant ainsi à son caillou un peu de liberté. Les mèches brunes remplaçaient la masse blonde et se courbaient dans tous les sens. C’est ainsi qu’elle se leva, afin de se débarrasser de cette horreur. Elle laissa tomber la chevelure artificielle, afin de pouvoir frotter ses bras nus. Il n’y avait plus grand monde, dans les couloirs. Quelques pensionnaires, comme cette fille qui passait à côté d’elle. Une jolie petite brune, qui eut le droit au regard de notre perverse, à son passage. Mais l’heure n’était pas à ça. Elle attendait ici depuis trop longtemps, à faire des ronds avec ses doigts, des moues avec sa bouche. On pouvait s'occuper avec peu, mais il ne fallait pousser le bouchon. Un peu de marche réveillerait ses membres engourdis. Les fils blonds gisaient encore sur le sol, abandonnés, et, recroquevillée sur elle-même, la petite japonaise retourna vers les couloirs de l’université. A son casier, elle trouverait des élastiques pour attacher ses cheveux. Son « n’importe quoi » était emmêlé, pire qu’un plat de spaghettis. Elle marchait, maudissait la pluie lorsqu’elle passait devant une fenêtre. Elle maudissait aussi le long silence qui régnait, loin des ouvertures.

- Aaaa-Aa-A-ATCHA !

Avec toute l’élégance d’un vieil homme, elle se dispensa de couvrir son éternuement. Elle préférait le Japon lorsqu’il y faisait bien chaud. Mais c’est l’automne, les températures chutent, c’est normal. Mais pas autant. Cet été avait été si caniculaire. Le changement était bien trop brutal. A qui la faute ? Le réchauffement climatique dont tout le monde parle ? Elle s’en fichait, pourvu que les températures ne restent pas aussi basses. Elle allait attraper un rhume, à ce rythme. La cata. Ce fut alors qu’elle accélérait le pas, énergique, qu’elle distingua une silhouette masculine vaguement illuminée. Elle ne s’arrêtait pas. Il s’écarterait bien, le bonhomme. Et alors qu’elle filait, elle le surveillait. Elle remarqua un mouvement vif sans y prêter trop d’attention. Car il ne la voyait pas. Il n’en avait pas l’air, en tout cas. Etrange. Elle était juste devant lui, elle lui fonçait droit devant, pensant encore qu’il s’écarterait. Et le choc fut inévitable. Comme lors d’un accident de voiture : on tente bien de freiner, mais au final, la force de je ne sais plus quoi l’emporte et c’est le sinistre. Ainsi, elle s’enfonça dans la chaude poitrine de ce cher monsieur. Elle y serait volontiers restée, mais voyons, cela ne se fait pas. Elle attendit deux ou trois temps tout de même, avant d’arracher sa joue de ce confort pourtant bienvenue.
Elle leva la tête, s’écarta doucement, profondément chagrinée et son faciès se transforma, lorsqu’elle vit les yeux légèrement rougis par les larmes de ce jeune homme qui, malheureusement, n’était pas blond. Ces rougeurs autour des yeux, chacun pouvait les reconnaitre. Il avait pleuré, alors ? C’était donc cela, le geste d’avant. Il ne l’avait pas vue ? C’était bien sa veine. Il s’excusait ? Bon, et bien, elle avait pu se coller contre lui, même pour trois secondes. Alors… Elle n’était pas ingrate, et particulièrement congelée, donc…

Un petit geste pour se dépoussiérer, et elle pu voir sa dentelle tâchée de rouge, de sang. Il était vrai que sa joue saignait. Ah. Avait-il pleuré pour une pauvre égratignure de ce type ? Quel genre d’homme était-ce ? Et s'en mettre partout, le transmettre. Quel idiot ! Il l'avait souillée ! Sa robe, l’objet de tant de soin, de tant d’amour. Tant de temps, d’attention, et elle était bonne pour la poubelle ! Bonne pour la poubelle ! Tenma se contrôla. Elle l’aurait bien giflé, il le méritait. Mais non. Elle n’était pas de ces gens violents. Vraiment désolé ? Elle avait sincèrement envie de lui donner un coup. Tellement envie.

- Tes excuses sont… refusées.

Elle étala son horrible voix doucereuse et lente, juste audible pour qui s'y intéresse. Leva la tête, chercha son regard, un peu hautaine. Elle n’aimait pas les dépressifs. Comment pouvait-elle lui pardonner ? Oh, mais si. Il y avait un moyen. Les intérêts passaient avant tout. Les intérêts passaient avant ses jeux, avant ses goûts, et même avant le sexe.
Elle le toisa, le décrit dans son esprit quelques secondes, s’attarda sur son superbe pull. Pas étonnant qu’il ne tremblait pas, comme elle. Il fallait avouer qu’elle était un peu seule à être si peu habillée.

- Prêtes moi ton sweat. En compensation : mon pardon.

Il était châtain, un peu roux. Quel était le mot, déjà ? Peu importe, il n'était pas blond. Mis à part ses yeux qui dénotaient de son état tourmenté, il n’avait rien de bien spécial. Si. Une plaie. Une belle plaie. Il passa sa main sur son visage, le pauvre enfant, essuya le sang, ce qui lui restait d’eau sur le visage, mais c’était trop tard. Elle l’avait vu. Les couloirs étaient déserts. Une chance sur on ne sait combien, et elle était tombée sur ce qu’elle détestait le plus au monde : un pauvre chou malheureux.
Ce garçon n’était pas le bienvenu, même s’il avait un superbe pull qui devait tenir bougrement chaud, qui était doux, qui serait tant apprécié. Il devait sentir bon l’homme, ce pull-là. Rien qu’au bref contact de tout à l’heure, elle l’aimait. Un vêtement qui réchaufferait au moins ses bras. Elle pourrait y dissimuler ses mains, coller les manches contre ses joues. Le nirvana assuré. Elle le voulait. Celui-là, pas un autre. Cet idiot lui devait bien cela, après s’être montré si pathétique devant elle, et avoir détruit son travail. Son pardon avait un prix : il ne voudrait pas le beurre et l’argent du beurre, en plus ? Oh non, ce n’est pas ainsi que les affaires marchent.

Alors il ne voulait pas. Tss, tss, tss. Il avait raison, elle s’était mise dans ce pétrin toute seule. Seulement, le refus n’était pas une option. Si toutes ses demandes avaient des allures d’ordres, ce n’était pas pour le style. Quant à la remarque sur les horribles taches rouges, elle était vraiment déplacée. Un dérangé de plus à Keimoo. A moins de préférer une version plus sanglante de Alice aux pays des merveilles, ce qui n’était pas le cas de Tenma, on ne pouvait dire que le sang lui allait bien. C’était de mauvais goût, pas étonnant pour un pleurnichard, mais elle passa sur ces mots, articulés avec un jeu d’acteur médiocre. Petit cachotier malhabile. Mais elle n’avait pas le temps de jouer sur les détails. Il s’enfuyait déjà. Se glissait sur le côté, le salaud, filait à côté d’elle, emportant son pull avec lui.

- Sale égoïste.

C’était un marché honnête. Elle n’arnaquait personne, elle lui aurait rendu le lendemain. Insensible. Elle avait froid, elle. Oh non, notre petite demoiselle n’avait pas l’intention de laisser tomber cette histoire. Tenma le laissa partir seul sur quelques pas, afin de profiter, juste un peu, de la vue panoramique qu’elle avait sur le popotin de monsieur. H-hum. Elle lui aurait bien proposé une façon de se réchauffer tout autre, mais le pull semblait être un meilleur compromis. Quoique…
Nan, elle préférait lui demander ses fringues. Il fallait garder en tête qu’il n’était qu’un geignard écœurant qui avait taché son magnifique costume. La jeune Alice se posait quelques questions quant à la balafre qui ornait la face du garçon. Une trace laissée par un couteau, c’était facilement reconnaissable. C'est que, elle n'avait pas la force de courir après un bagarreur. Plus d’une fois, elle avait vu ce genre de choses, aux US. Son Allan, c’était un petit impulsif. Une jolie boule de nerfs sans la moindre force physique. Elle avait depuis longtemps perdu le compte du nombre de fois où il était sorti perdant, et bien amoché, d’une confrontation. Elle le récupérait à la petite cuillère, chaque fois, son bien-aimé. Son cœur fit un bond, en revoyant l’image de son grand amour couvert d’entailles et de bleus. Si viril, si sexy… Qu’elle en rougissait et s’en réchauffait toute seule.

Elle fondait, mais fut reprise par un grondement de tonnerre violent. Un frisson brisa la douceur de son rêve, et la ramena au froid du couloir endormi. Les lumières sursautèrent, elles aussi. Un flash sombre vint la surprendre et la ramener aux faits ; le pull s’éloignait rapidement, un peu plus, chaque seconde. Tenma siffla un juron avant de filer vers le lâche, aussi vite que possible. Il était pressé, semblerait-il. Elle coura quelques pas avant de se poster devant lui, faire barrage. Il était parti assez loin comme ça. Elle n’avait pas l’intention de s’épuiser à le suivre. Et s’il s’entêtait à marcher aussi promptement, elle préférait encore revenir plus tard.

- Prêtes moi ton sweat.

Elle s’imposa en face de lui, et anticipa n’importe quelle tentative de fuite, bloquant ainsi l’allée du couloir. Il avait peut-être bien quelque chose à faire. Elle s’en foutait. Elle se fixa dans son regard, déterminée. Et une fois bien au chaud, elle aura tout le loisir de le mitrailler de questions. Quitte à attendre que la pluie passe, autant se mêler des petites histoires.

- Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat. Prêtes moi ton sweat…

Et cætera. Elle lui bloquera volontiers le passage encore un moment. C’était toute une occupation, de répéter une même phrase en conciliant parole et respiration. Et s’il persistait, elle pouvait tout aussi bien le faire reculer. Il n’y avait rien de plus simple.

Alors ? Il vient, ce pull ?

Héhé…

Tenma avait gagné le gros lot, le jackpot, le prix number one sur la liste des objets les plus convoités du moment : un bon pull bien chaud. Ah, si sauter de joie avait été dans ses habitudes sans aucun doute que l’on pourrait la voir s’applaudir et courir en rond à en perdre la tête. Elle se contenta d’un sourire largement satisfait, accueillant les vêtements avec le plus grand des plaisirs. Empressée, elle enfila le sweat sans plus de cérémonie, passant même sur la scène pourtant remarquable d’un garçon qui se déshabille. Cela méritait au moins la présence d’un paquet de pop-corn, mais à cet instant, la température ambiante mêlé à l’optique d’un confort proche ne lui permettait pas de s’attarder sur le physique de ce jeune homme qui, de toute manière, n’était pas son type. Même s’il eut le mérite de remonter dans son estime en lui prêtant également une écharpe.
Délivré du froid de l’arène, rassuré par l’odeur qui marquait les habits d’un nouveau camarade de jeu, comment ne pas se sentir bien ? Comment ne pas s’envoler vers un ciel plus clément, où les dépressions orageuses ne gâchaient jamais votre vie ? Coupée du reste du monde, Tenma laissa son esprit s’égarer, se percher sur un petit nuage vaporeux, avant de retomber de bien haut, alertée par un bruit de pas distinct. Un son qui tranchait le silence et sembla comme le déclencheur d’une psychose incontrôlable pour le fou d’en face. L’excuser ? Hein ? La pauvre japonaise poussa un jappement surpris, soudainement soulevée et portée comme un simple sac de patates. Elle aurait protesté, quelque peu indignée, mais à peine réalisait-elle sa situation qu’il se mettait à courir.

C’était incompréhensible. On ne pouvait décemment pas agir ainsi. Malmenée par la vitesse, elle se réfugia entre les pans de l’écharpe et s’accrocha comme elle put, de peur de tomber. Un frappé. Elle était tombée sur un malade mental. Un vrai de vrai. Le cœur s’emballait. Où diable allait-il ? Il lui faudra le deviner, les yeux fermés.
Puis elle le sentit ralentir, pour peu qu’elle cru glisser de son épaule. Il l’avait emmenée dans une pièce silencieuse, vide, sombre. Quant à vous dire où, c’était une autre histoire. Moment de vérité. En y repensant, sa blessure n’était pas arrivée là toute seule. La petite entaille qui prend ses petites pattes et vient s’poser… Non, non. Il n’y avait qu’en se battant, que l’on s’amochait de la sorte. A peine son pied toucha terre qu’elle repoussa vivement le garçon, indignée, méfiante, dans une situation qui, dans son esprit, pourrait bien être à son désavantage. Ce qui n’était pas amusant et l’ennuyait profondément.

- Détraqué.

Elle s’écarta de quelques pas, chercha quelque chose où s’appuyer, en vain.

- Règle des dix mètres. Recules.

Le faible éclairage naturel ne l’empêchait pas de distinguer avec perfection la silhouette du garçon. Elle le voyait parfaitement, et pouvait donc prédire plus ou moins ses gestes. Ah ! Et en plus, il voulait qu’elle l’excuse de ce genre d’affront-là. Le prix serait un peu plus élevé que précédemment, coco. Un pull contre une bousculade était une chose. Mais la porter alors qu’elle n’avait rien demandé, pour impulsivement décider qu’elle serait mieux à un endroit qu’elle ne reconnaissait pas, c’en était une autre. D’autant plus que, à présent, la distance entre elle et son casier avait du doubler. Voire tripler, à la vitesse à laquelle ce tabana avait couru. Il fallait le vivre pour le croire.

- Mon pardon a un prix. En ces circonstances, il aura augmenté, bien sûr.

Elle afficha un nouveau sourire malin. L’ambiance ne prêtait pas au rire. Mais l’ambiance ne la concernait pas.

- Deux choix : des explications, ou… ton pantalon.

Il avait le droit de s’expliquer. Et s’il ne voulait pas, il lui donnerait son pantalon. Oh non. Répondre à ses hormones agitées n’était pas le but de la manœuvre. Elle l’imaginait bien, humilié de devoir rentrer chez lui dans un accoutrement de pervers. Les deux choix étaient tout aussi convenables l’un que l’autre.
Tenma restait cependant sur ses gardes. Rien n’écartait encore la thèse possible qu’il soit purement et simplement dérangé. Elle recula encore d’un mètre, démontrant ainsi de ses doutes. S’il pouvait également se dépêcher, elle devait s’attacher les cheveux. S’attacher les cheveux, et trouver un coin chauffé où se reposer en attendant la fin de l’orage.

- Tu as trois secondes.