Confrontation [PV Ethan]

Un mois, c’est le temps qui s’est écoulé depuis la rentrée scolaire. Je suis désormais un étudiant à l’université, en sciences plus précisément. Souvent, les gens disent que l’on commence à changer à partir de la première année, que l’on devient plus mature à l’issue du cursus. Eh bien pour l’instant, je n’ai absolument rien remarqué, que ce soit chez moi ou chez mes camarades. La seule différence notable, c’est que je suis désormais coincé dans un amphithéâtre rempli d’inconnus qui viennent d’on ne sait trop où au lieu de croupir au fond d’une salle de classe. Rien de remarquable, n’est-ce pas ? Le professeur de physique, perché sur son estrade fait passer des polycopiés avant d’annoncer la fin du cours. J’attrape une feuille du paquet qui arrive devant, et refourgue le reste à mon voisin à l’arrière, je vais enfin pouvoir m’en aller et m’isoler, loin de tout ça jusqu’à l’heure de reprendre des activités de club. Alors, où vais-je aller aujourd’hui ? Club de littérature ou de basket ?

Oui, basket, vous avez bien lu. Moi, Hisaka Rika, détenteur du prix de la flemme, j’ai été contraint de m’inscrire dans un club sportif. Foutue administration, qu’est-ce que ça peut leur faire, que je sois un solitaire, et puis comme si le fait de donner des cours du soir n’était pas déjà ASSEZ fatigant pour une personne comme moi. Enfin, si d’un côté, encadrer un certain Miki Shinzou me laisse assez perplexe, avoir une excuse pour passer du temps avec Naoko m’arrange, dans un sens. Ca me donne une raison valable pour me rendre dans les locaux du lycée et la rejoindre, n’est-ce pas ? Enfin bref, ce n’est pas vraiment le bon moment pour penser à ça, je n’ai toujours pas décidé du club dans lequel je me rendrai quand la pause de dix minutes sera terminée. Pour m’aider dans mes choix, je sors une pièce de monnaie de ma poche de pantalon. Je jette un œil autour de moi, personne ne me regarde, je peux la lancer. Pile, le club de littérature, face, le club de basket.

Cling

Verdict ? La pièce est tombée devant ma table, je dois me lever pour voir le résultat. Yosh ! Pile. Nul besoin de faire des efforts physiques ce soir. Satisfait, je remballe mes affaires dans mon sac et me rends dans un autre bâtiment où se trouve la salle du club de littérature. J’ai entendu que la présidente avait quitté son poste récemment, en même temps…je ne l’ai jamais vue depuis que j’ai rejoins le club. De ce fait, c’est Coda-senseï qui a pris la relève en attendant qu’un élève se porte volontaire pour cette tâche. En parlant de présidence de club, je n’ai jamais vu non plus celui du club de basket durant les deux séances auxquelles j’ai assisté, ou alors je l’ai peut-être entrevu sans savoir qui c’était. Il faut dire que je suis …très en retrait sur le terrain, presque sur le banc de touche pour être exact. Je suis un fantôme. Alors que la plupart des étudiants profitent du soleil qui rayonne fort pour ce mois de Mai, je m’abrite sous la passerelle pour rejoindre l’autre extrémité du campus. Je suis à mon aise aujourd’hui, le fait que personne ne soit dans mes pattes quand je m’avance m’est très agréable et j’en profite pour traîner des pieds. Plus désinvolte que ça, tu meurs hein.

[…]

Un bout de chemin plus tard, j’arrive enfin devant le local réservé aux membres du club de littérature. Je pousse la porte coulissante, annonce mon arrivée et salue d’un bref hochement de tête les élèves déjà sur place. Comme à l’accoutumée, je dépose mes affaires dans un coin isolé, à l’abri de tout contact social que l’on pourrait me proposer. Plus important que cela, je tire ma chaise vers une partie de la salle où le soleil ne m’atteindra pas jusqu’au début de la soirée. Activité du jour ? Continuer ce roman qui m’attend dans mon sac depuis ce matin, un classique de la littérature quand on s’intéresse au folklore Japonais. L’histoire de Musashi, racontée par Eiji Yoshikawa. Les pages se tournent, les caractères imprimés s’enchaînent sous mes yeux, je ne vois pas le temps passer lorsque je vis au rythme effréné du quotidien d’un samouraï qui a marqué l’histoire du Japon. Complètement immergé dans la lecture, j’en oublie la réalité, ne pensant même pas une seule seconde que quelqu’un pourrait me sortir de mon univers.

Même le bruit de l’horloge positionnée au dessus de la porte du club ne parvient pas à me sortir de l’ambiance dégagée par ce roman. Les jambes croisées, le coude droit posé souplement sur ma cuisse, je tourne les pages sans prêter la moindre attention à mon entourage. Dans ce chapitre, Musashi continue son périple à travers le Japon, à cheval ou à pied, rien n’arrête ce brave guerrier, figure héroïque de la littérature Japonaise. Malgré la violence des coups portés par les différents protagonistes et les affrontements sanglants narrés dans cet ouvrage, je ne peux m’empêcher de prendre du plaisir à lire ces récits. Quelque part, je me sens soulagé de ne pas être né à cette époque où la lutte pour la survie était un passage obligatoire dans la vie d’un homme. Je n’aurais sans doute pas vécu longtemps, on m’aurait tué dans les premières pages du livre. Tout de même, être transpercé par la lame de Musashi, quelle sensation ce doit être.

Alors que je frétille d’excitation à l’idée d’être dans les dernières pages du premier roman de Yoshikawa, je n’entends pas la porte coulissante s’ouvrir à quelques mètres de moi, ou plutôt je fais abstraction de ce désagrément, me contentant d’exprimer mon mécontentement vis-à-vis de la situation par un simple pincement de lèvres, pas très expressif je vous l’accorde. Et puis le calme revient ou presque, le dernier hurluberlu à être entré dans la pièce commence à parler, mais encore une fois je l’ignore, trop attaché à l’intrigue, alors que l’intrigue est sur le point de se dénouer…ou pas, d’ailleurs puisqu’il reste encore plusieurs tomes après celui-ci. Bon sang, qu’on vire ce type qui parle fort, l’une des règles fondamentales du club de littérature, c’est d’être silencieux quand nous ne sommes pas en phase d’activités collectives – que je fuis, d’ailleurs – alors pourquoi est-ce qu’on le laisse parler aussi bruyamment ? Il y a vraiment des sauvages dans la vie, je vous jure.

Des bruits de pas, lourds, se rapprochent, sûrement toujours ce même type frustré, mais il ne me reste plus qu’une dizaine de pages alors je ne prends pas la peine de relever la tête. Ce n’est pas comme si cette personne en valait la peine de toute fa-…-çon. Sans que je puisse comprendre la situation, l’œuvre de Yoshikawa venait de voler en l’air, arrachant presque au passage l’une des pages de ce précieux trésor dans lequel je me réfugie depuis plusieurs heures. Tout est redevenu silencieux autour de moi…sauf lui. En me redressant après avoir voulu récupérer mon roman, je l’ai vu, ce type aux cheveux noirs que j’avais déjà rencontré pendant le festival d’hiver de l’académie. Je ne me souviens pas très bien de son nom, et je ne suis même pas sûr qu’il me l’ait dit la dernière fois que nous nous sommes vus. Je me contente de le regarder avec un air interrogatif. Que fait-il ici ?

« Tu te fous de ma gueule pour ne pas être au gymnase ? »

Ah. Ca…Eh bien, je ne saurais pas très bien par où commencer, c’est une histoire de pile ou face et…je ne peux définitivement pas me résoudre à lui dire ça, vu la façon dont il m’a agressé pour avoir séché une seule fois l’entraînement – bon d’accord c’est la troisième fois, je plaide coupable, mais je suis déjà venu deux fois alors ce n’est pas comme si je ne venais jamais – ce n’est pas vraiment le genre de personne avec qui on peut raconter une excuse farfelue, même si celle-ci s’avère véridique. Une fois mon bouquin récupéré – toujours ouvert à la page où j’ai arrêté de lire par ailleurs – je me racle la gorge, referme calmement l’œuvre de Yoshikawa-sama et remonte mon visage vers le type du club de basket. Mon regard est en accord avec le ton que j’emploie, froid et donc complètement décalé avec le sien qui reflète toute la hargne qu’il a en lui. Qui est-il pour me parler ainsi ?

« En général, on ne parle pas comme ça aux gens, surtout quand on attend quelque chose de leur part. »

Je soupire, je n’aurais pas voulu lui parler comme ça, mais être pris pour celui qui est en faute devant tous mes camarades du club de littérature – dont je ne connais pas le nom non plus en fait – est quelque chose qui m’agace assez profondément. J’ai beau être une victime, je ne compte pas me laisser faire cette fois-ci. Si d’habitude je laisse couler les choses sur mon dos avec un sourire en coin, le fait d’être contraint par le directeur de rejoindre le club de basket ne me plaît pas, et je n’ai pas l’intention de jouer si c’est pour qu’on me refile le fardeau de la défaite après les matches. Je ne suis pas un sportif, ne m’impliquez pas dans ces histoires là, tout simplement.

« De toute façon, je n’ai pas mes affaires de sport sur moi. »

Et même si tu me files un maillot et un short puant la transpiration, ça ne me donnera pas plus la motivation pour rejoindre un club rempli de racailles. Quand j’ai assisté au dernier entraînement, il n’y avait qu’un seul type qui paraissait abordable, et encore, c’est sûrement parce que je ne lui ai pas adressé la parole. Je finis par ranger mon livre dans mon sac, si je ne peux pas être en paix ici alors soit, je vais me retrancher dans ma chambre.

La fermeture éclaire de mon sac bandoulière se referme quand je la fais glisser sous mes phalanges, longues et fines. Mon temps de parole achevé, je le laisse déblatérer son flot de menaces tel un serpent crachant son venin. Sérieux mec, t’es tellement frustré dans ta vie que tu viens me chercher des noises ? Mais d’un côté, il se montre plutôt convaincant quand il s’y met, un autre élève aurait opté pour la violence, mais lui a été plus réfléchi, le mail du directeur est un bon moyen de pression pour un boursier comme moi. Je lâche un soupir exaspéré, les paupières fermés et une main sur le front d’un air ennuyé. Bon, je crois bien que je vais devoir le suivre. Le ton qu’il utilise en me parlant ne me donne pourtant pas envie de lui obéir, je peux y discerner du dédain et du mépris. Un sportif dans toute sa splendeur quoi, capricieux et râleur. Tss…Pourquoi est-ce que je dois m’associer à ces gens là ? Franchement Shiori, tu réfléchis à ce que tu fais dans ton bureau là haut ou alors tu laisses faire tout le boulot à tes petites secrétaires incompétentes dans le domaine de l’éducation. Je n’ai pas besoin de me forger un esprit d’équipe, bordel, encore moins avec eux.

« J’ai déjà reçu ma punition, rejoindre le club de basket. »

Ce sont les mots que je lâche sèchement en me levant sans regarder le mec qui me fait face. Autour de nous, tout le monde semble s’être réfugié derrière un bouquin, n’osant pas intervenir. Je ne sais pas trop qui est ce type – à part l’ex de Miya – mais il n’a pas l’air d’inspirer la confiance chez les autres. Peu de temps après avoir scruté les alentours, j’enfile mon sac sur mon épaule et passe devant le sportif, le dos voûté et les mains dans les poches. Et puis me parler d’un violeur dans son club, merde quoi. T’es censé m’encourager à venir pour éviter que je sèche les prochaines séances, pas m’inciter à me faire porter pâle toutes les semaines. Puis Yoite, je ne sais même pas qui c’est en fait, ce nom ne me dit rien et ne s’associe tellement pas à un visage. Enfin bon, ce n’est pas comme si j’avais l’intention de sympathiser avec ces racailles. L’ironie et le sarcasme sont deux choses que je n’apprécie vraiment pas chez lui, définitivement.

« Laisse-moi déposer mes affaires au casier avant alors. »

Je sors d’un pas traînant de la salle du club sous le regard des membres du club de littérature. Je veux bien comprendre que je ne vous adresse pas souvent la parole et que je suis un fantôme, mais quand même, vous auriez pu prétendre à une activité collective. Bon d’accord, je crois bien que je suis en train de rejeter mon incapacité à me rebeller sur d’autres personnes, mais il faut me comprendre aussi. Etre contraint de rejoindre un club naze, pas intéressant, où je serai probablement mal noté, ça démotive. Mon rythme de marche est on ne peut plus lent, j’essaie de gagner de précieuses minutes à ne pas passer sur le terrain avec une balle et puis les autres. Et puis arrivé au niveau des casiers dans le hall de l’université après avoir franchi la passerelle, je m’arrête, d’un coup pour y déposer mon sac de cours et mes chaussures d’intérieur. Je tends mon bras droit et attrape un autre sac, plus petit. En fait, mes affaires de sport traînent ici depuis un moment.

« Au fait, si je suis vraiment trop nul pour votre équipe, rien ne vous oblige à me faire jouer. Shiori n’en saura rien, et chacun y gagne. »

C’est une solution un peu simpliste, mais ça reste une résolution du problème. Après tout, il a bien précisé qu’il n’attendait rien de moi, alors pourquoi être venu me chercher ? Tu pouvais me déclarer présent et jouer avec tes petits camarades, mais non, tu ne comprends visiblement pas ce que ça fait de se retrouver dans un univers qui ne te convient pas. La sueur dégoulinant le long du dos, le bruit des baskets qui crissent sur le plancher. Je déteste tout ça. Comment peut-on préférer l’odeur de transpiration à celle d’un livre fraîchement acquis ? Comment pourrais-je prendre autant de plaisir à dribbler qu’à faire glisser des pages imprimées sous mes doigts ? J’abaisse mon regard sur le sol, dégoûté, puis je reprends la route vers le gymnase. J’ignore quelle heure il est. Avec un peu de chance, j’aurais juste à m’échauffer un peu en solitaire sans être contraint de jouer avec les autres ou de devoir aller ramasser leurs balles.

Bon, je dois bien l’avouer, ce type est un peu plus futé que les sportifs de base, il a bien remarqué que je traînasse pour perdre du temps, et il semble y mettre son cœur pour que je comprenne que mon petit jeu ne fonctionnera pas. Tch, j’esquisse un faible sourire en lui tournant le dos, il va falloir que je redouble en ingéniosité et que je devienne plus rusé que ça si je ne veux pas l’avoir entre les pattes à chaque fois que l’envie de sécher une séance me prenne. En tout cas, ça semble mort pour celle-ci, maintenant que ce type est vaillant au poste, on dirait bien qu’il est coriace. Je ne discute pas plus longtemps à ce sujet, ne préférant pas jeter de l’huile sur le feu avant que la situation soit redevenue un peu plus…à mon avantage ? La trotte qui nous sépare des casiers dans le hall de l’université s’achève après quelques minutes de marche seulement, et il est toujours collé à mes basques. C’est à ce moment là que je lui fais part de mon idée, sous forme de proposition même, mais comme je m’y attendais, elle ne passe pas.

Quel ennui, franchement. Je pousse un soupir, mais je ne rétorque pas, ça serait consommer bêtement de l’énergie, continuer de lui répondre c’est un peu comme argumenter face à un mur, n’est-ce pas ? Bon, direction le gymnase après avoir récupéré mon sac de sport, c’est assurément l’endroit où je n’ai pas vraiment de bons souvenirs si ce n’est la dernière session de gymnastique où j’ai joué au fantôme en me vautrant sur les grands tapis moelleux et confortables. Ah, c’était agréable ça, mais…courir, et surtout devoir interagir avec des autres personnes, ça me paraît vraiment insurmontable. Dans les mangas que j’ai lu, la teamwork, ça se travaille jusqu’à ce que les joueurs d’une même équipe puissent se comprendre d’un simple échange de regard, un mouvement ou un signe distinctif quelconque. Cette osmose…bah franchement, elle pue. En fait, je n’aime pas les mangas qui parlent de sport, ils me fatiguent rien qu’en transpirant sur le dessin, ew.

En tout cas, suite à la réfutation de ma proposition, l’autre jeune homme se décide enfin à se montrer plus sympathique que les fois précédentes. Même si sa remarque reste moqueuse au sujet de mon niveau de jeu (lamentable, si vous êtes vraiment lent à la détente), il est moins agressif que dans la salle de cours où il a provoqué l’esclandre du mois – je suppose – mais maintenant que nous sommes seuls, je suppose que c’est inutile. Il a totalement ruiné ma réputation. Durant des mois après le bal organisé par le campus, j’ai dû me cacher et me faire encore plus petit que d’habitude jusqu’à ce que je n’entende plus des remarques du genre « Ah, mais c’était pas le cavalier de Miya ? ». Tu ne comprends certainement pas à quel point je suis attaché à ce euh…mode de vie confortable où tu es anonyme aux yeux du tous, quand tu n’es pas contraint de te plier à des obligations sociales comme saluer tes camarades de classe et pire encore, devoir tenir une conversation cohérente avec eux sous prétexte que tu vas passer l’année scolaire en leur compagnie. Totalement dégueulasse.

« Je suppose que je n’ai plus trop le choix maintenant, même si la raison pour laquelle tu veux me faire jouer m’échappe encore. »

Ma foi, quel crétin accepterait de laisser un mec pas capable de se faire remarquer sur le terrain – même par ses coéquipiers ? Eh bah, je crois que j’ai rencontré un abruti comme ça aujourd’hui. Cette réflexion me pousse à sourire, est-ce que je deviendrais arrogant ? Nah, pas plus de d’habitude. Alors que nous marchons encore vers le complexe sportif et plus précisément le terrain de basketball, la voix de mon interlocuteur s’élève sans que je m’y attende, alors…à quel sarcasme vais-je avoir le droit de goûter cette fois-ci ? Ben en fait aucun, et j’en suis vraiment surpris, pour le coup. Les membres du club ? J’y réfléchis une demi-seconde, je me souviens à peine – vaguement – de leur silhouette, alors leurs noms…Je hoche la tête pour affirmer que je ne sais absolument rien d’eux, et là…il commence à me faire une présentation assez subjective des membres du club. Alors en conclusion, on a un connard (Makkuro), un mec aussi lourd que celui qui se tient à mes côtés (Eden), une personne qui a l’air cool (Rei) et encore un connard (Yoite). Mais il semblerait qu’une personne manque à l’appel. Arrivé devant les portes du gymnase, je me retourne vers mon accompagnateur, le regard interrogatif.

« Et sinon…T’es qui toi en fait ? »

Je cligne des yeux innocemment. C’est vrai ça, je l’ai déjà rencontré pendant le festival culturel, mais je ne me souviens pas de son nom, ni de pourquoi il connait le mien d’ailleurs. L’air gêné, je me gratte nerveusement la tête avant de pousser la porte qui mène au vestiaire. Je pose mes affaires sur un banc et jette un œil autour de moi, tous les autres sont déjà là…Enfin, ça ne m’étonne pas plus que ça en fait, c’est plutôt moi qui ai un léger retard…Euphémisme haha. En quelques minutes à peine, j’ai changé de vêtements. Adieu la chemise et la cravate de l’étudiant Japonais de base et bonjour…les vêtements trop larges. Franchement, j’ai vraiment l’impression de flotter dans cet accoutrement, c’est désagréable.

Arrogant et grognon ? Bon encore grognon, je veux bien comprendre que c’est l’image que je renvoie, mais arrogant, je ne vois vraiment pas. Il n’a peut-être tout simplement pas eu de chance, déjà que je tombe dans son club, et en plus que je ne sois pas spécialement motivé à jouer. Je laisse couler cette remarque en haussant les épaules, tu vas me jeter des balles dans la gueule ? Ce n’est pas comme si je n’y étais pas habitué. Tu vas me punir en me faisant faire de tours en plus ? Eh bah je prendrai mon temps. Chaque problème a une solution, après tout. Le seul moyen de pression que tu as sur moi, c’est de baisser ma note de participation au club, mais les notes négatives n’existent pas, alors je ne m’inquiète pas trop. Avoir zéro, c’est déjà ce à quoi je m’attends depuis que j’ai reçu la lettre d’information de Shiori. Avant d’entrer dans le gymnase, il me présente donc les autres membres du club, sans décliner lui-même son identité. Il a fallu que je lui pose la question pour enfin avoir un nom sur sa tête de rapace.

Ethan Matthews, un nom bien stéréotypé, un Américain. Je ne prends pas la peine de me présenter en retour, après tout, s’il est capitaine du club et s’il m’a recherché, il a bien fallu qu’il consulte le registre des membres. Il me laisse rentrer dans le vestiaire où je me retrouve seul, dans cette atmosphère sportive qui me paraît si étrangère. Je déboutonne lentement ma chemise pour enfiler un maillot à la place, puis un short. Je suis absolument ridicule dans cette tenue, mais je suppose que c’est trop tard pour fuir maintenant. Après quelques minutes seulement, je suis hors du vestiaire, flottant dans ces vêtements trop amples pour ma carrure. Ethan n’est pas très loin. Alors que les autres membres du club s’échauffent, le capitaine s’approche de moi et me dévisage. C’est bon, pas la peine d’en rajouter, je sais que j’ai l’air lamentable dans cette tenue.

« Ou-ouais, j’y ai déjà joué. Au lycée. »

Jouer, c’est un terme bien vague. Faire le fantôme sur le terrain et marcher derrière ses coéquipier serait une description bien plus fidèle à la réalité, mais bon. Regarder les autres courir autour de moi me donne presque le tournis, je n’ai pourtant pas envie de les rejoindre pour autant. Bon, qu’est-ce que je fais là ? Suis-je censé lui faire une démonstration de mes talents ? Je m’approche du charriot qui contient les balles oranges et en choisit une au hasard, elle me paraît assez bien gonflée. Sans trop de tact, je la fais rebondir…un peu haut. Elle passe carrément au dessus de ma tête et je suis obligé d’attendre qu’elle rebondisse encore une fois pour la rattraper. Trop bien gonflée. Ou plutôt, trop nul en dribble pour être objectif. Je lance un regard vers le panier de basket, je ne suis pas vraiment meilleur pour viser, au contraire. Et je vais éviter de lancer la balle sans l’autorisation de quelqu’un, je risquerais de l’envoyer dans la tête d’un joueur par inadvertance, ça serait vraiment dommage…haha.

« J-j’ai de bonnes connaissances théoriques, mais elles ne seront sans doute pas utiles pour le jeu. Je te l’ai dit…je suis nul en sport. »

Angle de tir, trente degrés dans le sens trigonométrique, par rapport au panier. Un simple calcul suffirait à déterminer l’équation de la courbe qui permettrait à la balle d’avoir la bonne trajectoire pour qu’elle rentre au milieu du panier. Malheureusement, je n’ai ni la force nécessaire, ni les capacités pour mettre en mes calculs en application réelle. Je laisse tomber la balle au sol, elle rebondit plusieurs avoir avant d’atterrir aux pieds du capitaine de l’équipe. Soupir.

« Et sinon, j’fais quoi maintenant ? »

Pas assez musclé, pas assez fort, pas assez tout. Ce sport n'est définitivement pas fait pour moi. Et dire qu'en vue de l'effectif de l'équipe, je vais sûrement devoir être titulaire pour les matchs. Eh bah, je crois que Keimoo n'aura jamais de score aussi lamentable s'ils décident de m'inclure dans le jeu.

Me préparer à ce que je vais attendre, faire de ce que les autres disent de moi une réalité a toujours été ma zone de confort. Ai-je déjà essayé d’en sortir ? Pas vraiment. Je suis lamentable en sport, très peu endurant, peu apte au jeu collectif. C’est bien simple, les sessions de tennis au lycée, je les ai passées à jouer contre le mur en prétextant me sentir mal, sans jamais faire l’effort de chercher un coéquipier. Bah, je n’en voulais pas de toute façon. Quelque part, cet espace de protection que je me suis créé arrangeait tout aussi bien les autres que moi, nous y trouvions tous quelque chose à gagner. Alors pourquoi est-ce que maintenant…tout devrait changer ? Je me mords la lèvre inférieure alors que le capitaine du club m’énonce les parcours des autres membres, aucun d’eux ne veut devenir pro ? C’est un fait, mais ce qui fait la différence entre eux et moi…c’est qu’ils aiment ce qu’ils font, et moi non. Et personne ne pourra me dire le contraire, c’est sans doute cette ferveur qui les a poussé à atteindre une réputation nationale, ou presque. Même dans les journaux de Nagoya, on parle de cette équipe, ne vous foutez pas d’moi.

Je reste silencieux, n’ayant rien à redire concernant la tirade de Matthew-san. Un peu plus loin, les autres membres du club s’échauffent déjà, quelle motivation, ils se préparent sans que personne ne leur dise quoi faire. Enfin, je suppose que c’est normal quand on a affaire à un parasite colérique comme capitaine. D’ailleurs ce dernier ne serait-il pas en train de m’observer ? Légèrement paniqué, je fais un pas en arrière et manque de perdre l’équilibre. Qu’est-ce qu’il me veut au juste ? S’attend-il à ce que je devienne le larbin parce qu’on ne peut rien faire de moi ? Je n’étais pas très loin du compte. Quand il a ouvert la bouche pour me dire que je dois prendre du muscle, j’ai senti une vague de chaleur me monter aux joues. Du muscle ?! C’est quoi ça déjà ? Je me renfrogne aussitôt, alors il a vraiment l’intention de me faire participer aux matchs…putain.

« Mais je-…Même avec un entraînement régulier je ne pourrai pas développer une-une masse musculaire suffisante! »

Les miracles, je n’y crois pas. Statistiquement parlant, compte tenu du temps libre que j’ai, c’est impossible. En effet, il n’y a qu’à jeter un œil aux autres joueurs, ceux du club ou ceux des autres écoles. En plus d’être grands, ils sont larges du dos et massifs. Il me faudrait plus d’un an pour acquérir assez muscles pour ne pas m’envoler à la moindre collision. Le basketball a beau ne pas être un sport violent, les contacts physiques ne sont pas inexistants, surtout quand l’arbitre a les yeux rivés ailleurs que sur l’action. Etant plus du genre à lever les bras en attendant que la balle me tombe dessus qu’à essayer de feinter l’ennemi, je pense que je serais le premier à me faire sortir du terrain pour blessure haha. Mon regard croise de nouveau le sol, comme si j’avais accepté le fait de lui être inférieur. Je déteste cette sensation, ces fourmillements qui me parcourent le dos à chaque fois que je dois baisser les yeux. Quelque part, j’ai tout simplement honte de voir mon reflet dans les pupilles de l’américain, je n’ai pas envie de voir son sourire moqueur sur ses lèvres.

Contre toute attente, la seule chose que je vois apparaître, c’est une balle, orange et noire. Je la prends mollement d’entre les mains du capitaine, sans aucune conviction. Qui aurait crû que mon année universitaire allait si mal commencer ? Moi qui pensais m’être enfin débarrassé du sport, je me retrouve dans ce gymnase, à devoir m’entraîner à lancer une balle. Pathétique. Tiens, quelle coïncidence, à chaque fois que je me trouve lamentable, il se remet à parler, comme pour me conforter dans mes pensées. A quoi est-ce que je pensais ? J’ai failli faire un lapsus en répondant que je pensais être vraiment naze en sport, et encore plus en sport collectif, mais je me ressaisis rapidement et lui réponds d’un ton neutre.

« Euh…Je pensais à l’équation de la trajectoire de la balle.»

Mouvement dans un champ uniforme, c’était tombé aux examens de sciences l’an passé. Enfin, ça n’a rien de surprenant étant donné que ce qui tourne autour de la physique mécanique est capital dans le programme de la dernière année de lycée. Néanmoins, toutes ces connaissances acquises ne me servent pas aujourd’hui, pas en sport en tout cas. En effet, la force s’exerçant sur la balle dans ce champ ne dépend que de sa masse et de son accélération. Deuxième loi de Newton. Etant donné que sa masse reste stable, seule l’accélération peut changer la donne. Or, celle-ci dépend de la vitesse que je donne à la balle…qui est quasi-nulle dans mon cas. Enfin, assez parlé de physique pour le moment, mon interlocuteur va peut-être s’impatienter à force d’attendre une réponse de ma part. En licence maths ? Je secoue la tête, pas vraiment.

« Je n’ai pas de spécialité cette année. Je fais des sciences et j-j’hésite entre les maths et l’informatique. »

En d’autres termes, une discipline où on peut automatiser les étapes en réfléchissant, du moins dans la plupart des cas, contrairement à d’autres matières où il faut utiliser un raisonnement différent selon le sujet. Il n’y a pas moyen que l’adversaire soit assez bête pour refaire plusieurs fois les mêmes erreurs pendant le jeu, il n’y a pas de solution définitive quand on est sur le terrain, on doit constamment réfléchir à élaborer une nouvelle stratégie de jeu…à moins que cette équipe se fiche complètement de la stratégie et fonce tête baissée vers les paniers. Enfin, ça reste très peu probable en vue de leur classement l’an passé. Mon regard se focalise une nouvelle fois sur la balle, je la fais glisser entre mes mains, le contact n’est pas aussi désagréable que ça finalement. En revanche, ce qui est un peu gênant c’est…

« Matthew-san, pourquoi est-ce que des gens nous observent ? »

Un peu plus loin, à l’extérieur du terrain, des élèves. Ils ne sont pas beaucoup, mais assez pour me gêner. Des groupies ? Des fans ? Ou peut-être des gens d’autres écoles venues faire du repérage ?

Observation

J’ai bien compris que le capitaine de me demandait pas d’avoir exactement la même carrure que les autres membres, ça ne serait pas réalisable en temps et en heures de toute façon. Toutefois, une question subsiste. En vue de l’activité du club, il semble y avoir des membres réguliers et puis d’autres qui viennent pour le loisir. Comment fais-je pour le savoir, me diriez-vous ? C’est simple, quand je suis venu assister à la réunion d’intégration (en bref, la première séance), il y avait beaucoup plus de monde que ça, enfin j’exagère peut-être un peu, mais une bonne dizaine de plus. Des nouveaux élèves et des curieux parmi eux, certainement, mais aussi des gens qui se sont inscrits, finalement. Aujourd’hui l’effectif est beaucoup plus restreint, cela me laisse penser que ce n’est pas une séance officielle du club, nan…C’est un entraînement de l’équipe des titulaires. Une équipe de basket, c’est combien de joueurs déjà ? Cinq. Exactement le nombre de personnes qui sont présents le terrain actuellement. Ils n’ont donc pas besoin de titulaire, alors…c’est quoi le problème ?

«Juste une question. Vous êtes assez pour avoir une équipe de titulaires, et y a eu au moins quatre inscrits permanents au club. Me faire assister aux séances est une chose, faire de moi un remplaçant pour les matchs en est une autre. Et… »

En fait, je me rends compte que mon discours fait vraiment fainéant de base qui n’a pas envie de se remuer le popotin quand d’autres personnes sont aptes à le faire à sa place. Dans un sens, cela ne me dérange pas car j’assume complètement ÊTRE cette personne lamentable qui peine à traîner son corps chaque jour, mais ce n’était pas mon intention de le dévoiler – hahaha – dans la formulation de ma question. Les joues légèrement rosies par la honte, je finis par achever ma dernière réplique, laissée en suspend durant quelques instants.

« …Et je ne dis pas ça parce que je n’ai pas envie de j-jouer, ce mot semble m’écorcher jusqu’au plus profond de mon âme, mais c’est juste que…je ne comprends pas comment vous pouvez compter sur moi pour jouer un match si vous voulez gagner. »

L’envie de gagner brûle dans les yeux de capitaine, celle d’arracher la victoire aux autres plus précisément. Quand il parle de son sport, je peux sentir Ethan frétiller à côté de moi, et même s’il essaie de faire des efforts pour m’intégrer, cet aspect de sa personnalité me gêne…un peu. L’autre garçon finit par s’asseoir sur un banc pour mieux m’observer, de quoi me faire détourner le regard une nouvelle fois, je ne vais pas réussir à me concentrer si on me fixe de la sorte, c’est désagréable. Dissimulant une grimace derrière un faux sourire, je me remets à contempler le ballon orange. Prendre du muscle hein, ça paraît bien ennuyant tout ça.

« Je ne vais pas me faire prier plus longtemps, j’ai compris que je n’avais pas le choix de toute façon, mais ne t’attends pas à des miracles, je n’ai aucune idée de comment on fait pour travailler en groupe. »

Désolant n’est-ce pas ? Pourtant, c’est bien le cas, la preuve…Regardez comment s’est terminé mon dernier exposé de mes années au lycée ? Imposé en binôme, j’ai fini par convaincre le professeur d’annuler sa décision et finalement, j’ai pu le présenter seul avec un autre sujet que celui du départ. La raison ? Une prise de tête avec une « camarade de classe », Désirée quelque chose, un nom pas Japonais en tout cas. Ca avait plutôt bien commencé pourtant, j’avais réussi à plus ou moins bien gérer mon stress face à une personne à qui je n’avais jamais parlé, et puis…Tout avait dégénéré, c’était comme si je m’étais pris un verre d’eau froide sur le visage. Croyez-moi, me sociabiliser ne m’a jamais rendu plus heureux, au contraire, elle m’a apporté des problèmes que je n’avais pas lorsque tout le monde ignorait mon existence.

Bref, j’arrête de me plaindre, apparemment Ethan a quelque chose me demander, observer les autres joueurs et me dire si mes connaissances pourraient s’appliquer à eux. Je hoche la tête, ce n’est pas comme si je pouvais me rendre utile autrement pour l’instant. Pour être honnête, j’ai peu d’expérience sur des sujets réels, donc ça risque déjà d’être plus compliqué que ça en a l’air. Mais voyons un peu leur jeu. Ils sont rapides, assez brusques dans leurs mouvements, mais pas assez pour risquer d’avoir des pénalités de la part de l’arbre. La force et le moteur de l’équipe de basketball de l’académie Keimoo, c’est bien leur jeu agressif et principalement offensif. J’imagine que c’est ce qui a fait la différence l’an passé, personne ne connaissait ses zigotos et ils ont sûrement été sous-estimés jusqu’à un certain stade de la compétition où des analyses ont été faites sur leur jeu, par des gens compétents, des professionnels. Quand l’américain revient me voir après être allé régler quelques affaires avec les visiteurs inattendus, il me demande un diagnostic direct. Urgh, difficile de juger en une dizaine de minutes d’observation, mais je peux au moins m’avancer sur un point.

« Disons q-que…ce n’est pas facile. Ils ne sont pas vraiment théoriques, n’est-ce pas ? »

Au moment où je finis ma question en me tournant vers le capitaine de l’équipe, un peu hésitant, un grand « BOUM » retentit derrière moi. Je fais volte-face. Un …dunk ? Ou quelque chose comme ça, je connais assez vaguement les termes techniques. Le joueur qui vient de marquer est toujours accroché au panier quand la balle a lourdement frappé le sol, puis il se laisse tomber à son tour, pas vraiment plus délicatement si j’en crois les ondes qui secouent mes jambes. Rectification, ils ne sont pas vraiment théoriques ET ce sont des bêtes, des monstres. Les yeux plissés, je laisse échapper un sifflement de dédain en direction de la personne qui m’a effrayé avant de me re-concentrer sur ma tâche principale.

« Matthew-san, v-vous m’avez donné leurs noms avant, mais je-je n’ai aucune idée de qui est qui sur le terrain. »

Voyons, qu’est-ce qu’il avait dit comme prénoms ? Yoito, Edam, Raya, Makuron ? Aucune idée, ça m’est complètement sorti de la tête. En tout cas, j’espère ne pas trop me tromper si je dois leur parler un jour….J’espère ne JAMAIS avoir à leur parler.