Un SMS vient d'arriver [Elora Van Alen]

Emi avait du mal à marcher à ses côtés. Elora était grande et avançait à une vitesse soutenue. Elle avait envie que tout cela se terminât le plus rapidement possible. Pour cela, elle se dépêchait d’arriver à la cantine. En plus, comme c’était l’heure de déjeuner pour de nombreux étudiants, il était peu probable de trouver des places de façon très facile. Il fallait donc y parvenir rapidement pour avoir des chances d’avoir des places quand même. La jeune hollandaise continuait son chemin sans se préoccuper de tout ce qui l’entourait. Elle bousculait plusieurs élèves, pressés eux aussi, mais elle ne grognait pas. C’était eux qui le faisaient, mais elle ne leur répondait pas et traçait son chemin.

Pendant ce temps, elle fut quand attentive aux paroles de la jeune étudiante qui, d’un coup se mit à s’expliquer et à s’excuser pour toute cette situation. Elora soupira et leva les yeux au ciel pendant un court instant. Elle n’avait vraiment pas besoin d’une quelconque justification de sa part et surtout, elle n’en avait que faire de ses excuses. Ce n’était pas sa faute, mais celui du secrétariat et de la mauvaise gestion de l’administration. Peu lui importait aussi le fait que c’était dû au fait qu’elle était la meilleure de sa promotion chaque année. Comme si celle qui avait les meilleures notes était la mieux placée pour aider les autres élèves ! Ce n’était vraiment pas du tout le cas. C’était pitoyable.

- Sérieusement, tout cela, je m’en fiche, dit-elle franchement, honnêtement et de façon tout aussi froide qu’auparavant.

Elles arrivèrent enfin à la cantine et comme elle s’en doutait, il y avait beaucoup de monde. Elle commença alors à faire la queue, silencieuse. Elora ne supportait pas d’attendre, et donc c’était vraiment très rare qu’elle vînt manger à la cantine. Normalement, elle s’achetait à manger autre part ou alors elle ramenait un bento avec de la nourriture qu’elle avait préparée la veille et qui restait dans le réfrigérateur. Les autres se retournèrent alors, surpris de sa présence et ils commencèrent à chuchoter en commentant celle-ci de façon négative pour la majorité d’entre eux. Elle perçut quelques regards inquiets et elle s’empressa de leur rendre un regard qui suffisait à les détourner d’elle. Les deux femmes attendirent une bonne dizaine de minutes avant d’être servies.

- Bah là où il y a de la place, répondit Elora comme si c’était un fait avéré.

Elle se dirigea donc vers le seul endroit où il restait une table vide, un peu à l’écart. Elle déposa son plateau sur cette table et jeta un regard dégoûté vers la nourriture qui se trouvait dans son assiette. Ce n’était vraiment pas du tout appétissant. Elle avait hâte, pour la première fois, d’être le soir pour pouvoir se rendre à son club de cuisine et préparer un bon repas avant de le manger. Elle regrettait d’être venue au final. Mais elle avait très faim, son ventre grondait de plus en plus. Elle commença par la salade de carottes râpées qu’elle avait prise pour l’entrée.

- Bon, quelles sont tes questions ? demanda-t-elle peu de temps après s’être installée. Qu’est-ce que tu veux savoir ?

« Que nous puissions en finir le plus vite possible ! » pensa-t-elle très fort. Elle avait envie de terminer de manger ce repas aussi rapidement qu’elle le pouvait et ainsi, retourner en cours dès la fin du déjeuner.

A peine elle eut porté la première bouchée de carottes rappées à sa bouche, qu’elle en eut une expression de dégoût. Elles étaient tout simplement horribles à baigner dans une sauce plus que douteuse. Elle leva les yeux au ciel et soupira. Visiblement, elle n’allait pas manger autant qu’elle l’aurait espéré et son ventre crierait famine toute l’après-midi. Ce n’était vraiment pas la journée vu qu’elle avait des cours jusqu’à la fin de la journée. C’était celle où elle avait le plus d’heures. Mais elle n’avait pas le choix. Elora n’était pas du genre à se forcer à manger quelque chose lorsqu’elle n’appréciait pas. Elle préférait encore souffrir de faim, ce qui lui était arrivé beaucoup de fois dans sa vie. Au vu de sa maigreur, on pourrait penser qu’elle était anorexique ou avait un déséquilibre alimentaire. Ce n’était pourtant pas le cas, heureusement. Mais la jeune hollandaise se permettait parfois de ne pas manger et donc, de mourir de faim pendant la journée. Elle déposa donc le plat avec les carottes et ne le toucha pas.

Puis, elle se concentra sur la réponse d’Emi qui, en réalité, ne l’intéressait pas autant que cela. Mais elle avait finalement accepté de répondre à ses questions et de l’aider. Le seul souci, c’était que la jeune étudiante n’avait pas du tout les mêmes motivations que la hollandaise. Pour cette raison, Elora soupira longuement car elle estimait vraiment qu’elle perdait son temps. Si la japonaise recherchait de l’aide, elle n’était pas venue taper à la bonne porte parce qu’Elora n’était pas plus objective des étudiantes de ce cursus qui fût. Quand elle ait commencé ses études, elle savait parfaitement où elle souhaitait aller puisque cela faisait des années qu’elle rêvait de suivre cette voie. Elle était déterminée et elle travaillait dur pour obtenir ce dont elle avait envie, comme toujours elle l’avait fait jusque-là. Elle était loin d’être là simplement parce qu’elle aimait un peu l’architecture. Si la jeune fille était réellement passionnée, elle ne le montrait pas vraiment et cela agaçait un peu Elora. Avec une telle motivation, elle ne parviendrait certainement pas jusqu’au bout et abandonnerait en cours de route, prétextant que le cursus était trop difficile. Elle en connaissait des tas de gens qui avaient fait cela.

- Bon, ma chère, je suis pas la mieux placée pour t’aider, expliqua Elora. Vois-tu, moi, je veux travailler dans l’architecture depuis que j’ai 12 ans ! J’ai toujours travaillé pour en arriver là où je suis car je le voulais. J’étais motivée et déterminée et j’en voulais. Je ne serai donc pas objective et je ne t’aiderai certainement pas suffisamment ou comme tu t’attends à ce que je t’aide.

L’honnêteté dite avec méchanceté, cela qualifiait bien la jeune hollandaise. Après tout, l’on disait bien que la vérité faisait mal et qu’elle n’était pas toujours bonne à entendre. Mais Elora s’en fichait pas mal en réalité. Emi devait savoir à quoi s’en tenir. Bon, en réalité, la hollandaise commençait à se poser sérieusement des questions sur son avenir. Après avoir travaillé en tant qu’architecte aux Etats-Unis, elle était revenue plus que motivée pour terminer son année et obtenir son diplôme. Mais les normes n’étaient pas les mêmes en Amérique et au Japon, et maintenant qu’elle s’en rendait compte, elle se demandait si vraiment elle parviendrait à être architecte d’intérieur comme elle le souhaitait. L’architecture trop traditionnelle japonaise ne l’excitait pas tant que cela au final et celle-ci était encore bien trop ancrée pour que l’architecture occidentale fût appréciée par de nombreux japonais. Elle hésitait donc, mais elle se disait qu’elle verrait bien dans quelques mois lorsqu’elle terminerait son année. Puis, ce n’était pas comme si elle ne pouvait pas se permettre de ne pas travailler. Elle avait suffisamment d’argent pour vivre sans avoir besoin d’un vrai travail.

- Pourquoi tu me racontes ta vie ? s’étonna-t-elle. Cela n’a rien à voir avec le cursus !

Les problèmes d’intégration d’Emi ne lui importaient que très peu. Si Elora avait quitté le Japon pendant un an et demi, cela ne voulait pas dire qu’elle ne revenait pas dans un pays qu’elle connaissait parfaitement bien. Elle y vivait depuis toute petite et elle avait tous ses amis ici. Elle n’avait aucun souci, comme la jeune étudiante, pour s’acclimater comme celle-ci le disait. Aucune compassion donc, car elle ne comprenait pas du tout le sentiment d’Emi, vu qu’elle ne le ressentait pas elle-même. Ici, elle avait l’impression d’être réellement chez elle. Keimoo était toute sa vie.

- Comme je te le disais, je ne suis pas là par hasard, moi, continua-t-elle. Tous mes cours me plaisent, sauf peut-être les mathématiques, mais je travaille dur pour avoir les meilleurs résultats et terminer mon année majeure de ma promotion. Comme toujours. Beaucoup de professeurs sont ennuyants en revanche, va falloir que tu t’accroches pour ne pas abandonner en cours de route. Il y a énormément de travail personnel à fournir en dehors de tout ce que tu apprends pendant les cours. Donc si tu es vraiment passionnée, alors tu feras tout pour y arriver. Sinon, tu crouleras sous les devoirs et tu ne parviendras pas à tout gérer.

Sombre tableau que voilà, mais Elora n’avait rien d’autre à dire que tout ce qu’elle pensait. Si elle, elle avait toujours étudier beaucoup plus que demandé, cela n’excluait pas le fait que les professeurs s’attendaient toujours à ce que les étudiants fissent beaucoup de travail personnel chez eux. Ils ne donnaient que les bases et le superficiel et c’était aux élèves d’aller chercher le reste. Cela prouvait leur réel intérêt pour l’architecture. C’était donc un cursus plutôt difficile, où la concurrence était rude mais au moins, très rapidement les élèves qui ne tenaient pas étaient renvoyés. Dès le premier semestre de la première année, un quart de l’amphithéâtre ne venait plus et la deuxième année se voyait diminuée de la moitié des étudiants. Si Emi voulait réussir, elle en avait du travail à fournir, donc. Au moins, elle était désormais préparée à ce qui l’attendait. Il valait mieux cela, peut-être que cela la motiverait un tout petit peu.

Il fallait avouer que la jeune hollandaise n’avait pas mâché ses mots alors qu’elle parlait à l’étudiante en première année. Ce n’était vraiment pas du tout son habitude de prendre des gants quand elle disait quelque chose. Elle était franche et honnête la plupart du temps, mais toujours sur un ton froid et méchant. Elora n’était pas connue pour être l’élève la plus gentille et généreuse dans cette académie. Bien au contraire, tout le monde la savait populaire mais ne l’approchait pas, craignant ses moqueries et ses mauvaises paroles qui blessaient toujours. Encore plus depuis le moment où elle était revenue des Etats-Unis. Elle s’était complètement fermée, se protégeant en quelque sorte, et même ses anciennes connaissances ne la reconnaissaient plus du tout. Sans se préoccuper réellement de ces dernières, elles s’étaient éloignées d’elle pour éviter tout conflit.

Quand elle eut fini son long discours sur le cursus dans lequel elle était depuis le début, elle jeta un rapide coup d’œil à Emi pour savoir la façon dont elle le prenait. Un silence s’installa et Elora comprit qu’elle était certainement en train de digérer les paroles qu’elle venait d’entendre. Sa réaction prochaine était cruciale pour la hollandaise, car cela lui permettrait de voir si la jeune fille était vraiment motivée ou pas. Elle ne connaissait pas sa vie et d’ailleurs, elle ne voulait pas en savoir plus. Cela ne l’intéressait pas du tout. Pourtant, elle eut quand même envie de voir si Emi était déterminée et sérieuse en ce qui concernait ce cursus. De toute façon, même si c’était dur à entendre, il valait mieux qu’elle sût la vérité tout de suite. Comme cela, elle savait à quoi s’en tenir. Quelque part, Elora avait plutôt l’impression de lui faire une fleur plutôt que de la rabaisser. La décourager était important pour la faire réagir. Soit elle était motivée et se dépassait pour y arriver, soit elle ne l’était pas et quittait rapidement le cursus.

Alors même que les deux femmes n’avaient pas encore terminé leurs déjeuners, Emi remercia la hollandaise pour tout ce qu’elle venait de lui dire. Elle lui souhaita une bonne journée et finit par se lever pour partir. Intérieurement, Elora était vraiment très contente parce qu’elle n serait plus dérangée pour l’instant. Elle avait dit tout ce qu’elle avait sur le cœur et ne savait plus quoi d’autre lui raconter. Visiblement Emi n’avait pas apprécié tout, mais au moins, elle n’avait plus de questions à lui poser, ce qui ravit énormément Elora. Elle ne la regarda même pas s’habiller et continua simplement de manger ce qu’elle avait dans son assiette, bien que ce fût peu appétissant et qu’elle avait du mal à terminer.

- Bon courage à toi si tu es réellement sérieuse en ce qui concerne ce cursus ! rajouta-t-elle une dernière fois avant que la jeune fille partît pour de bon.

Elle lui avait offert son plus grand sourire pour terminer cette conversation, mais il était loin d’être chaleureux. Il s’apparentait davantage à un sourire froid et moqueur. Désormais, tout était entre les mains d’Emi. Si elle voulait se donner les moyens de réussir, alors c’était tant mieux. De toute façon, Elora ne s’en préoccupait pas plus que cela puisqu’elle allait quitter l’établissement d’ici quelques mois. A la fin de cette année, elle obtiendrait son diplôme et ne verrait pas du tout la réussite ou la faillite de la jeune fille. Prenant encore quelques bouchées de ce qu’elle avait sur son assiette, elle finit par balayer la salle du regard. Vraiment, elle ne s’y sentait pas à sa place parmi tous ces gens. Elle prit ses affaires et même si elle avait encore faim, elle partit de la cantine pour rejoindre la bibliothèque où elle se mit à étudier entre ses deux cours.