Retrouvailles [PV Elora] (Terminé)

« A la semaine prochaine, Yoshida-senseï ! »

J’entends la porte coulissante se fermer alors que j’adresse un signe d’au-revoir à la fille qui m’a salué. Le dernier groupe de troisième année quitte la salle, me laissant seul face à ces rangées vides. Plus rien ne bouge, comme si le temps s’était arrêté, je souris légèrement, ce silence est d’un triste. Néanmoins, je peux enfin m’affaler sur ma chaise de bureau après une longue journée de cours, les adolescents ont été assez difficiles à gérer aujourd’hui, mais je ne peux leur en vouloir car après tout…Il y a eu la première chute de neige ce matin. Avec la douceur d’une patte de félin, les premiers flocons avaient atteint le sol, suscitant la joie de la majorité de mes élèves, face à ce spectacle témoignant de leur âme encore innocente, je n’ai pas pu les réprimander et j’ai même fini par les rejoindre…juste quelques instants.

C’est à la vue de la fine pellicule blanche que mon côté enfantin ressort encore plus, si je n’avais pas un cours à donner, j’aurais sans doute accouru au milieu des terrains de sport et aurais laissé mon empreinte un peu partout, pour le simple plaisir de le faire, tout simplement ? Et pourquoi est-ce que je n’irai pas maintenant ? L’air béat, je me redresse et me lève de ma chaise, saisis les quelques papiers qui me servent de plan de cours et les fourre à l’intérieur de mon sac. A mon tour, je quitte la salle en prenant soin d’éteindre les lumières. Aujourd’hui, je vais m’amuser. Je traverse allègrement les couloirs, faisant ainsi pouffer de rire certains étudiants restés à l’intérieur du bâtiment pour ne pas affronter les températures hivernales.

Nous sommes au début du mois de Décembre et je commence doucement à me remettre de mes émotions. La rentrée d’automne a chamboulé pas mal de choses dans ma vie, entre ma rencontre avec une collègue atypique, la dure période où je dois faire face à mon traumatisme datant que l’enfance, les débuts de mon « amitié » avec le capitaine du club de natation. Rien qu’en pensant à lui, je ne peux m’empêcher de glousser comme une adolescence, ça fait un moment que je ne suis pas allé le voir d’ailleurs, mais je suis un peu timide parfois…Beaucoup plus que lors de mes années lycées où je comblais un certain manque affectif par la présence de jolies jeunes filles autour de moi. Arrête de culpabiliser Hayden…Elles étaient toutes consentantes, ravies d’être au bras d’un des garçons les plus populaires de l’époque, elles ne m’ont jamais vraiment aimé au fond, et moi non plus.

Un soupir s’échappe d’entre mes lèvres, faisant apparaître un nuage de fumée marquant la différence entre la température ambiante – certainement négative - et celle de mon corps. Je suis bel et bien dehors, la tête tournée vers le ciel cotonneux lâchant quelques flocons dansant au gré du vent, même s’il fait nuit à cette heure-ci normalement, le reflet de la lumière des lampadaires sur la neige me permet de me situer. Toujours déterminé à rejoindre le complexe sportif où je pourrai m’amuser librement, je m’engage à présent sur la passerelle reliant le lycée à l’université. Cela fait deux jours que trois sont cassées alors même là, nous ne sommes pas à l’abri du froid. Alors que mon regard s’abaisse, une silhouette féminine se dessine peu à peu. Si au début je n’en tiens pas rigueur, je finis par m’y intéresser lorsque j’arrive à quelques mètres d’elles, puis à une trentaine de centimètres.

Soudainement, je m’essouffle, mes yeux s’écarquillent, je perçois l’effet d’une rafale de vent glacial s’écrasant sur mes joues, déjà rosies par le froid. Les premières secondes, je ne dis pas un mot et je reste figé sur place. Puis ma surprise s’estompe radicalement, remplaçant mon air stupéfait par un sourire bienveillant. Cela faisait bien quatre ou cinq ans que je ne l’avais pas vue, que je ne lui avais pas adressé la parole. Sous mes yeux se trouve une ex-petite-amie parmi tant d’autres, à peu de choses près, elle avait quelque chose de spécial, peut-être pas comme vous le pensez car effectivement, je n’ai jamais été amoureux d’elle, mais autre chose…Elle me ressemblait ? Ce devait être quelque chose comme ça. Notre rupture ne m’avait fait ni chaud ni froid, sentimentalement parlant, mais tout de même, après avoir appris pour son arrestation, je suis revenu vers elle en pensant lui apporter mon soutien.

«Elo’ »

Après toutes ces années, il n’y a qu’une chose que j’ai pu dire correctement : son surnom. Quelque chose de relativement étrange étant donné la courte durée de notre relation. Je ne peux que sourire bêtement en pensant à son rejet, sans vraiment le pouvoir, je crois que je l’ai compris…au moins un peu ce jour là.  Malgré le temps passé et un chemin relativement différent, nous revoilà réunis, une fois de plus. Je m’approche un peu plus d’elle, l’air serein. La jeune femme quant à elle, n’a pas changé dans les grandes lignes, elle possède toujours cette présence que l’on ne peut pas ignorer, cette beauté si exotique au pays du soleil levant. Epoustouflante, c’est sûrement le mot qui lui convient le plus. Je sais qu’elle m’a vu, m’a entendu, je suis si proche qu’elle pourrait presque entendre les battements de mon cœur. Même si elle feint l’ignorance, je suis prêt à rester là, à l’attendre comme j’avais promis que je le ferai.

« Tu n’as pas froid ? »

Cela m’étonne d’elle, la voir ici alors que le froid pourrait abîmer sa peau. Bah, elle doit bien avoir ses raisons, peut-être qu’elle attend son compagnon ou son chauffeur. Je hausse les épaules, me frottant vigoureusement les mains pour me réchauffer en attendant sa réponse.

Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me réponde sérieusement, venant de sa part, je n’aurais pas été étonné si elle m’avait remballé en disant que ce ne sont pas mes affaires. Un mec qui bosse sans donner de nouvelles, ce n’est définitivement pas son petit-ami, mais bel et bien un amant. Cette réflexion me fait sourire, connaissant les manières de la jeune femme et son rôle de diva qu’elle joue à la perfection, elle ne permettrait pas de telles choses à un véritable prétendant. Il n’y a pas d’amour dans cette relation. D’un côté, cela ne m’étonne pas plus que ça en sachant qu’elle a brisé beaucoup de cœurs lors de nos années au lycée, mais les quelques mots que j’ai échangé avec elle m’avaient laissé penser qu’elle avait pu changer sur ce point là aussi. Bah…Nous sommes encore jeunes, ce serait un tort de ne pas faire toute sorte d’expériences tant que nous le pouvons encore.

Puis vient ma deuxième question, rapidement suivie par sa réponse. Ainsi, elle est venue avec les transports en commun le matin même, fort étonnant puisqu’il me semble qu’elle se fait conduire depuis un certain nombre d’années, et s’inquiète de la complication des évènements. J’ouvre ma bouche, mais aucun son n’en sort. En une fraction de seconde, j’ai crû que j’allais lui proposer de venir de chez moi, et puis la raison m’a rattrapé. Indécent ? Venant de la part d’un ex, ça l’est certainement. Inapproprié ? Elle a rejeté mon aide alors qu’elle était dans était dans un sacré pétrin, finalement la neige n’est peut-être pas si terrible. Trop rapide ? Je fais mon apparition après des années où nous nous sommes perdus de vue. Définitivement, elle pourrait croire que je suis mal intentionné.

Afin de passer à autre chose, je lui propose des boissons chaudes, qualité de la machine en salle des profs garantie ! Elle ne me répond pas, perdue dans ses pensées. Je n’insiste pas, prenant ce silence pour un refus nous assumé. Je me contente de rester à ses côtés, le regard rivé vers l’averse de neige qui reprend de plus belle. Apaisé, la voix de la hollandaise s’élève à nouveau, tout d’abord légèrement troublée, puis confiante avant de retomber dans l’hésitation. J’ai du mal à assimiler les informations qu’elle vient de me transmettre, si bien que je lui adresse un regard confus, les sourcils froncés. Alors que chaque mot se décortique lentement dans ma tête, je laisse échapper un « Pardon ? » assez timide, avant de me ressaisir.

« Je…Oui. Enfin. Bien sûr. »

Ai-je vraiment besoin de préciser que je suis embarrassé ? J’avais complètement laissé de côté l’idée de l’emmener chez moi, c’est pour cela que lorsque c’est elle qui me l’a proposé, je me suis senti vraiment con, comme un adolescent qui invite sa copine chez lui pour la première fois. Je constate néanmoins que je ne suis pas le seul à être dans cet état là, Elora n’a pas trouvé d’autres moyens que regarder ses pieds pour dissimuler sa gêne. Attendri par ce comportement enfantin – bien qu’ayant moi-même les joues rouges – je me mets à bégayer tout en sortant mon téléphone portable de ma sacoche.

« Je vais prévenir mon frère. J’habite à deux rues d’ici, mais je te préviens…C’est assez modeste haha. »

Le quartier entourant l’académie étant assez prisé, j’ai été plutôt satisfait de trouver un appartement assez grand pour mon cadet et moi-même. Deux chambres, une salle d’eau, une petite cuisine intégrée dans ce qui nous sert de salon, c’est un endroit où nous dormons surtout. De ce que je sais, aucune présence féminine n’a été introduite chez nous depuis Avril dernier, donc je suppose que ce sera une première. « Met une assiette de plus, on a de la visite ce soir. Range un peu le salon. Et habille-toi correctement. » J’envoie le message en espérant que Chris le voit avant notre arrivée et qu’il comprenne que je suis sérieux à ce sujet (d’habitude c’est moi qui m’occupe du ménage). Tentant de paraître serein, je retourne auprès la jeune femme, lui faisant signe de me suivre.

Nous quittons la passerelle peu de temps après. La neige fraîche craque sous mes pieds, ravivant un peu plus que d’habitude mon âme d’enfant. Arrivé au niveau du passage piéton, nous patientons jusqu’à ce que le signal soit vert. De temps en temps, je me retourne vers elle pour vérifier que tout va bien, qu’elle arrive à marcher dans la neige qui s’entasse. Arrivé à destination, je sors mon trousseau de clé et l’invite à rentrer dans l’immeuble une fois la porte ouverte.

« Bienvenue. »

La voix de mon frère retentit dans la cage d’escalier, au premier étage pour être plus précis.