• Journal
intime :
- Monsieur Ketsueki je vous en prie, entrez.
- ….
- Je suis ravie de vous voir enfin. Vous n'avez pas répondu à nos convocations précédentes.
- Ma boîte aux lettres allait exploser alors je me suis dis que j'allais venir.
- C'est très gentil à vous.
La psychologue scolaire s'installe derrière son bureau en me faisant signe de prendre place devant elle. Elle est plutôt bien roulé, j'ai eu raison de céder finalement. Mais honnêtement, je n'ai rien à lui dire. Je crois qu'elle a eu un petit mouvement de recul en me voyant débarquer, avec mes yeux bleus et mes cheveux rouges. C'est vrai qu'en entendant mon nom on ne s’attend pas à ce que je sois aussi … occidental. Moi ça me fait rire, mais là je me suis un peu retenu. Oui, il m'arrive d'être poli.
- Alors... Monsieur Ketsueki, qu'avez vous à me raconter ?
- C'est vous qui avez insisté pour me voir. Moi je n'ai besoin de rien.
- … Certes. Alors je vais poser des questions, et si vous voulez bien, vous y répondrez.
- Vous avez de la chance d'avoir de beaux yeux, si on fonctionne comme ça.
Je l'ai vu sourire mais ça ne veut absolument pas dire qu'elle va me lâcher la grappe, bien au contraire, du coup je me renfrogne, les sourcils un peu froncés, et mon sourire goguenard a disparu alors que je m'enfonce un peu dans mon siège.
- Vous avez la nationalité japonaise... Pourtant vos traits... Ne vous vexez pas, mais comment avez vous atterrit au Japon ?
- Par avion je suppose... Vous êtes de l'immigration ? J'ai été adopté et ma nationalité je l'ai enfilé en même temps que ma première couche.
Bon... Pas très glamour de parler de ça à une jolie femme, mais elle m'ennuie alors tout intérêt autour d'elle est complètement retomber. Je pourrais lui parler de mes premières dents ou de ma première gastro si je m'en souvenais. Du coup, je lui ai pas décroché un mot.
*
J'ai été adopté, oui, par une petite famille bien modeste dans la banlieue de Tokyo. A l'époque j'étais blond, aux yeux bleus, autant vous dire que j'ai pas eu une enfance facile. Les gosses sont parfois bien cruels. Moi j'avais rien demandé, leur pays j'avais pas prévu d'y aller. Tu m'étonnes, en même temps j'étais bébé. Le couple qui m'a accueillit ne pouvait pas avoir d'enfants, et à la place, ils avaient 3 chiens, très laids. Lui, il s’appelait, en fait il s'appelle toujours parce qu'il est vivant... je crois, Ketsueki Goro. C'est vachement original quand on y pense parce que ça veut dire « le cinquième », je vous laisse imaginer combien il avait de frères avant lui. C'est un homme lambda, pas très démonstratif et très souvent à son bureau comme la plus grande partie de la population japonaise. Il aime son travail, montre peu d'affection à sa femme mais quand il était présent ce n'était pas un trop mauvais père. Elle c'était, et c'est toujours aussi normalement, Ketsueki Haruko, d'un naturel calme et docile, qui reste à la maison pour prendre soin de sa famille, à savoir ses chiens et moi. Plus démonstrative que son mari, gentille et pleine de bonnes attentions, sous son air un peu naïf, elle est plutôt observatrice et elle écrit des romans qu'elle publie sous un autre nom. Bon par contre quand il s'agit d'observer que son fils se fait emmerder à l'école c'est une autre histoire.
Ah la politique de la langue de bois. J'ai toujours eu horreur de ça. D'ailleurs je pense que c'est en partie à cause de ce genre de manies que mes parents adoptifs et moi, on s'est très vite mal compris. A l'école je me suis pas laissé faire. Forcément, seul contre tous, ça endurcit. Les récréations, c'était souvent un rendez-vous bagarre. En plus quand j'ai commencé à plaire aux petites japonaises, c'est vrai quoi, j'étais mignon et original, on a rajouté « vol de petites amoureuse » à mes chefs d'inculpation. Pour moi l'école c'était l'horreur, et puis c'est pas ma mère qui allait remonter ses manches pour venir leur flanquer une raclée, du coup je me suis débrouillé tout seul. Au début ça marchait moyen, et puis j'ai fini par leur faire peur, à tout ces petits cons. Même aux filles, finalement.
*
- J'avais cru comprendre que vous aviez un... passif, au niveau de l'agressivité, ou du moins des bagarres.
- Quand on m'emm...bête, je me défends. Et puis avec tout ça, on se fait pas repérer par les bonnes personnes.
- C'est à dire ?
- Quand vous savez frapper, et que vos résultats ne sont pas excellents, au lieu d'aller chez les petits intellectuels, c'est les mauvais genres qui vous ouvrent leurs bras.
Elle note absolument tout, ou presque, dans un carnet. Heureusement que je garde ma petite vie dans ma tête, j'ai horreur qu'on écrive quand je parle.
*
J'ai fini par me faire des amis. Au collège. Mais pas ceux que mes parents auraient souhaité je pense. A force de me voir me défendre, ou d'agresser ceux qui me regardaient de travers, j'ai fini par attirer l'attention d'un petit groupe de yankees en devenir. Y avait beaucoup de garçons, quelques filles et un chef un peu plus âgé qui avait décidé de me passer à tabac. Rite initiatique qu'ils ont dit. J'ai eu mal pendant un moment, puis il est revenu me voir pour me dire que je pouvais venir avec eux. C'était en début d'année. 2 mois plus tard, je le virais du groupe avec le même rite initiatique de sortie. La vengeance est un plat qui se mange froid et j'avais encore les côtes en vrac. Là, je me suis teint les cheveux.
On était plutôt inséparables et constamment amochés à force de passer notre temps à chercher les emmerdes. Les jeux qui n'étaient destinés qu'à faire peur quand on était gamin ont petit à petit évolué. Au lycée, peu de notre groupe allait encore en cours. J'y allais encore pour que le reste du temps, on me foute la paix. Depuis un moment déjà, mes parents étaient dépassés. Je crois que le jour où j'ai ramené les trois filles du gang à la maison, j'ai dépassé les bornes du tolérable. D'un autre côté, je suppose que c'est de leur faute. S'ils avaient été attentifs aux histoires de la petite école, j'aurais peut être pas pris un aussi mauvais chemin.
*
- Vous leur en voulez ?
- De quoi vous parlez ?
- Vos parents, ne n'avoir rien fait, enfin... je crois.
- Oh ils ont dû essayer mais je suis un peu tête brûlée.
- Et vous ne vivez plus avec eux, à votre âge. Qu'est ce qu'il s'est passé ?
- J'ai décidé de faire mes études ailleurs et puis de toute façon ça soulage tout le monde. On se parlait plus et les voisins les regardaient de travers.
- Mais... Comment faites vous pour subvenir à vos besoins ?
- Ah ça ! J'ai un mécène.
- Je ne suis pas sûre de comprendre.
- Un genre de tuteur.
*
En fait, tout a changé quand on a fait une connerie de trop. D'habitude, avec nous les Black Blood – une référence à mon nom et prénom mais ils trouvaient qu'en anglais c'était plus classe -, les gens ressortaient simplement sur des brancards. Mais je sais plus trop ce qui s'est passé ce jour là, si c'était sous mes coups, ou sous ceux des autres. Ceux d'en face étaient plus nombreux, alors on était remonté à bloc. C'était une bagarre entre gang, comme d'habitude, avec des barres de fer, des battes de baseball. C'était violent mais on savait, et on le cherchait aussi. Puis y a eu ce type, on l'avait jamais vu avant, une nouvelle recrue peut être. Il a sorti un couteau pour se défendre et il a poignardée une de nos camarades. Quand on a vu Ran se plier en deux et la tâche noire s'étendre sous ses vêtements, on s'est jeté sur lui. Sa bande nous a laissé faire, soit parce qu'on avait l'air trop enragé soit parce qu'ils étaient d'accord avec notre châtiment. Quand on a eu fini de frapper... Il ne bougeait plus. Et puis les sirènes ont retentis, et on pouvait pas rester là. Alors on s'est tiré en les laissant dans la rue. Caché derrière des panneaux publicitaires, ou sur des escaliers servant d'issues de secours, le groupe est resté à observer de loin les ambulances récupérer les corps et les policiers délimiter la zone. Personne n'avait touché au couteau pour qu'on sache ce qu'il avait fait, cet enfoiré.
Quand je suis redescendu il faisait jour et je rasais les murs pour qu'on arrête de regarder ma gueule de chien de combat amoché. Et encore j'étais pas le pire. Quelques semaines plus tard, une voiture noire bloquait la petite rue que je remontais pour rejoindre le lycée et quand on m'a demandé de monter, je l'ai fais. C'était pas des flics.
C'était mon père.
Le vrai. Oui moi aussi j'ai eu un peu de mal quand il m'a dit ça, j'ai jamais aimé la réplique « Luke, je suis ton père. » dans Star Wars. En tout cas, j'ai vite compris d'où je tenais ma façon de parler. Lui il avait un accent russe, il vivait là bas d'ailleurs et s'appelait Vladimir Dezrodnov. Je vous jure qu'y a pas plus cliché pour un gros parrain de la mafia. Mais j'ai rien dis. Pas spécialement parce que j'avais peur, juste parce que j'avais pas envie de l'ouvrir. Il avait les mêmes yeux que moi, et ça m'a pas spécialement plu, mais j'ai dardé les miens dans les siens le temps qu'il parle. Il les a pas détourné une seule fois pour m'expliquer mon histoire à la con.
Je suis donc le fils d'un super mafieux, qui a trompé sa femme avec un super canon. Ce qui fait de moi son super bâtard. Il aurait pu se passer d'explications, mais il a tenu à raconter sa grande décision de m'envoyer au Japon, chez la sœur d'une de nos gouvernantes japonaises. Ma famille d'adoption donc... J'ai toujours pas ouvert la bouche, même pas pour demander ce qu'était devenu ma mère. J'ai juste froncé les sourcils, stoïque, attendant qu'il développe. Quand on vient me chercher, on explique ce qu'on veut et je parle après. Comme chez un psy, et seulement si j'en ai envie. Il ne m'a pas caché qu'il avait arraché un nourrisson à sa mère mais ça me dépasse. Pour la protéger ? Ou juste par cruauté ? Ce n'est pas que je regrette ma vie ici, mais j'aurais pu avoir une enfance plus cool avec des blonds un peu partout, dans la neige de Moscou.
C'est après que j'ai compris. J'avais un frère, un grand, un vrai du coup, de la famille Dezrodnov. Vladimir eu une très légère expression de dégoût quand il m'apprit que son héritier avait été tué depuis quelques mois. Il ne lui restait plus qu'un seul fils... Moi.
Ça me fait une belle jambe, croyez moi. Si je fais mes preuves ici j'aurais, ô joie, le grand honneur d'entrer dans la famille Dezrodnov, de passer devant tous ses favoris, et de devenir héritier par le sang, le demi sang, bref... De quoi avoir beaucoup d'ennemis ces prochaines années.
Mais j'ai l'habitude, je m'en fou. Par contre je grimace. Devenir le chien d'un type qui m'a envoyé dans un autre pays parce qu'il avait oublié de mettre une capote, ça me reste un peu en travers de la gorge. Il me parle d'empire mais j'en ai rien à cirer. Recevoir des ordres, avoir des responsabilités, quand on veut vivre pour soit même, c'est pas la voie à suivre.
Je bouillonnais littéralement sur mon siège à chaque mot qu'il prononçait avec son air suffisant. Il ne savait pas ce qu'il avait laissé au Japon, il ne me connaissait pas. Peut être qu'il avait eu vent de mes carnages avec mes « amis », ce qui lui permettait de connaître, certes, mon côté un chouilla violent, mais ça ne faisait pas de lui quelqu'un en qui je voulais avoir confiance. Cependant... J'avais la vague impression qu'il n'étalait pas toutes ses cartes et j'ai déchanté en ravalant mon panache quand il me cloua au sol avec des menaces. Apparemment, je ne lui étais pas totalement inconnu et mes conneries il en avait fait une liste, dont celle du fameux soir. Et j'avais quand même envie de vivre ma vie, aller à l'université et continuer de me balader impunément comme je l'avais toujours fait. J'avais maintenu des résultats moyens, ce n'était pas pour rien. Et là tout de suite, je doutais avoir le choix dans ma réponse. Une grosse partie du deal se faisait là dessus. J'acceptais et j'aurais pas d'ennuis, on viendrait même pas me demander où j'étais cette nuit là, et celles d'avant.
J'ai dis oui. Je m'occuperais de quelques petites choses pour lui quand le moment serait venu, en creusant ma place, en échange je redevenais financièrement son fils. Il avait quelques petits moyens de pression et moi j'avais besoin d'argent et de quitter mes quartiers habituels, mes connaissances, moins de reconnaissance. Avant que je sorte de la voiture, il est revenu sur un point qui me surprit mais l'idée de le discuter ne me vint même pas en tête. « Si tu ne cherche pas à retrouver ta mère. » .
J'ai haussé les épaules et je suis sorti. Très honnêtement j'avais des envies de meurtres. Et je me fis le serment qu'un jour ce type paierait pour ce piège. Je n'étais pas une roue de secours.
« Dasvidania que votre grâce trépasse. »
*
J'ai refusé d'aller étudier en Russie, et c'est comme ça que je suis arrivé à Keimoo devant cette psychologue avec la nouvelle condition d'apprendre le russe. Les Ketsueki, j'en ai encore le nom et je peux y retourner de temps en temps pour les vacances. Ils sont encore mes responsables légaux, je pense que ça fait plus clean. Je n'ai rien eu à leur dire, et je ne sais pas ce qu'ils savent mais ils sont beaucoup plus souriant depuis que je ne suis plus un poids financier et moral.
- Est ce que je peux y aller ?
- Vous ne m'avez pas dis grand chose. Il faudra revenir.
- Non.
- Je vous demande pardon ?
- Je vous excuse.
- … Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
J'ai baillé, c'est mauvais signe. Je m'ennuie. Et j'ai faim, d'ailleurs je me lève et elle ne me demande pas de me rasseoir. Je suppose qu'elle voit une petite victoire dans le fait que je me sois présenté à la convocation.
- J'ai faim... Et c'est bientôt l'heure du repas. Je me demande ce qu'on mange ce soir... Demandez à quelqu'un d'autre si vous voulez une histoire pour vous endormir ce soir.
Je passe ma main dans mes cheveux teints en rouge. J'adore dénoter dans les rues du Japon. Poliment, je m'incline devant Fujiomori-sensei et je sors.
Ma vie à Keimoo se passe plutôt bien depuis un an. Loin d'être tranquille mais je continue à avoir peu d'amis, il faut dire que je n'en veux pas. Un petit groupe de méchants me suffit. On s'amuse bien mieux et je retrouve les sensations que j'avais au lycée avec ce groupe de tarés.
Maintenant j'ai 20ans, j'entre en 2eme année à Keimoo, en sciences, et je vie et je me débrouille tout seul. Enfin... presque. Je partage mon appartement avec mon serpent, Red Velvet, un adorable petit python pas si petit que ça, et ça fait un an que mon père paye, comme c'était prévu, absolument tout, même mon logement est à son nom. Enfin au nom de mes parents adoptifs, en fait. L'argent transite par eux, pour les frais d'inscription, et pour que je mange aussi... C'est quand même mieux si je me nourris. Et ça fait moins louche, je pense. J'ai pas trop à m'en faire même si le géniteur aurait pu me trouver un endroit plus classe où crécher et puis c'est pas franchement ce que j'appelle la liberté. Mais ça tournera un jour, pour l'instant je profite.
En contre partie je m'occupe de certaines de ses petites affaires, c'est là que je me rend compte à quel point il a le bras long, et je me débrouille plutôt bien, j'apprends. Tant que ça marche, il m'appelle pas. Et puis j'ai pas non plus de grosses responsabilités, tant mieux parce que je préfère faire tomber des climatiseurs de ma fenêtre... C'est pour le cours physique, j'expliquerais un jour.
Je compte pas faire le larbin toute ma vie et je vais profiter de mes insomnies pour tracer ma route, moi aussi.
• Relations proches et familiales :
Goro & Haruko Ketsueki : Ses parents adoptifs. Relations tendues depuis son entrée au collège, il part de chez eux à partir de sa rencontre avec son véritable géniteur. Haruko appelle de temps en temps, et Makkuro a l'autorisation d'y retourner de temps en temps pendant les vacances. Cette famille d'adoption ne lui manque pas à proprement parler. Ils se parlent peu, et il n'est toujours pas retourné les voir depuis.
Son père adoptif lui est totalement indifférent. Peu présent, éternellement, il n'avait jamais lié de liens particuliers avec lui et ça n'arriverait donc jamais.
Avec sa mère c'est différent, l'amour de l'enfant qu'il avait été n'est pas absent, mais il est lointain, les cassures de ses mauvaises expériences, suivies de celles de ses mauvais choix sans mains tendus de la part de ses parents ont déliés tout les liens de la petite enfance. Il ne lui en veut pas, d'autant plus qu'il sait maintenant qu'il a été refourgué comme une voiture volée.
Vladimir Dezrodnov : Son géniteur avec qu'il n'a aucun atome crochu. Il fait parti de la mafia russe, comme une sorte de bras droit, gauche, peu importe, mais plutôt bien armé, et puissant, gérant d'une bonne partie du business du "patron" dont il serait plutôt proche. Leur seul lien, c'est l'arrangement qu'ils ont passé tout les deux. Mais Makkuro a d'autres projets pour sa personne, et n'a pas l'intention de rester son « gentil petit bâtard » toute sa vie, comme Vladimir se plait à le surnommer parfois. Les relations entre eux sont froides, presque professionnelles malgré que ce parrain de la mafia semble accorder de très gros espoirs à l'enfant dont il s'était débarrassé.
La seule ambition que Makk nourrit à son sujet, c'est de lui pourrir la vie. Sa famille en Russie, il n'en veut pas, son empire non plus, pour l'instant du moins, où alors juste pour s'en servir, contre lui, qui sait.
Sa véritable mère : Makkuro évite d'y penser. Il ne sait ni à quoi elle ressemble, ni comment elle s'appelle. Le deal, c'est aussi de ne pas chercher à la retrouver et c'est ce qu'il fait. Il n'en pas vraiment envie. Il ne saurait pas quoi lui dire.