[You are my] Dancing Queen

Ce n'était pas tant son visage ou sa chevelure qui attirait l'oeil, quoique à Keimoo, il devait y avoir désormais plus de roux que de blonds naturel et, à bien y regarder les bruns n'étaient étrangement pas légion. Pour en revenir au sujet, ce qui semblait surprendre fut cet accessoire ivoire, au pommeau nacré sur lequel Cammy se reposait, un pas sur deux.Une béquille ordinaire aurait davantage attiré l'attention et pourtant...
A croire qu'avoir un léger handicap était chose exceptionnelle ! Il n'y avait pourtant qu'à ouvrir les yeux sur le monde extérieur ou au moins, mettre les pieds dans un bâtiment médical pour se rendre compte que non, ce n'était pas un fait rare. Cammy ignorait au mieux les oeillades et certains murmures qui lui parvenaient en aggripant fermement le bras de Lawrence. Pas une seconde elle ne se dit que l'élégance et la grâce qui ressortaient du couple qu'ils formaient tous les deux étaient à l'origine des quelques chuchotements sur leur passage. Où était le vrai, où était le faux ?
L'ascension de la paranoïa de la demoiselle lui ôtait toute notion d'optimisme, ce qui n'était pas forcément un mal ! Disons, "un mal pour un bien" comme elle s'obstinait à le croire.

Sursautant aux exclamations admiratives de quelques spectateurs devant un cracheur de feu,  Cammy crut que son coeur allait bondir de sa poitrine. Il y avait bien trop de bruit, de mauvaises odeurs et de personnalités un peu trop excentriques, comme cet étrange individu aux cheveux blancs (était-ce une mode cette couleur ? ) habillé d'une - quoique magnifique - robe !

Elle souffla discrètement, préférant s'intéresser aux décors qu'aux acrobates. Cammy n'aime pas le cirque et autres prestations du genre. En quoi ceci reflétait le prestige des années 30 ? La seule chose qu'elle craignait, c'était de salir sa tenue et se faire dévorer toute crue par d'innombrables bactéries. Elle fut alors saisie lorsque Lawrence lui adressa la parole pour la première fois depuis leur entrée dans le chapiteau. Elle étira un petit sourire pour donner le change. Il fallait qu'elle voit les choses du bon côté pour une fois. Le beau populaire avait tenu à ce qu'elle vienne et avait mis les bouchées doubles en venant la chercher de façon si princière. C'était un peu comme un rêve de petite fille qui devenait réalité. De belles tenues, un bal et désormais, elle était "extérieure" et n'avait donc plus aucune crainte de renvoi ou autre. Majeure et indépendante, elle tenait les rênes de sa vie.

Et puis, le couperet tomba subitement. Cammy n'eut plus la force de simuler son sourire qui s'effondra. Son regard se fit rond dans un premier temps, incrédule. Elle chercha une trace de moquerie dans l'allure de son cavalier, un sourire en coin témoignant d'une mauvaise plaisanterie mais en même temps ce n'était pas son genre, du moins avec elle.
La petite Australienne n'eut pas le temps d'accuser le coup, ni de vraiment réaliser la portée de la déception qui pointait profondément en elle. Le temps de comprendre ce que venait de lui annoncer Lawrence, et d'y croire, un homme venait de les rejoindre avant que Swan ne puisse annoncer une promesse que Cammy ne souhaitait pas entendre.
Elle tourna alors son visage vers celui de l'homme qui venait de l'interpeler. Law lui souffla un murmure dans le creux de son oreille avant de filer à l'anglaise. Ebahie, elle observa la silhouette du blond s'éloigner, l'abandonnant à un pseudo-chippendale de bas étage, un peu trop bien imité malgré tout. Un frisson s'élança au travers de son échine qu'elle justifia par le manque d'élégance de l'asiatique. Ou plutôt, ce n'était pas qu'il manquait d'élégance... il y avait autre chose qu'elle ne savait définir.

Irritée d'avoir été manipulée de la sorte par un être qu'elle aurait presque qualifié d'ami, elle lut le carton d'invitation qui avait fini entre ses doigts, révélant ce nom: Han Yun-Jin. A défaut de relâcher la pression sur elle même, ou sur la source du problème en direct, elle s'en prit au visiblement nommé "Yun-Jin", par une remarque cinglante, enfin, qui était censée l'être.

- Cette chhh..ose ssur votre oreille est d..de mm-auvais goût.

Ainsi que le retour du begaiement. Elle voulut rajouter autre chose, mais les mots, pourtant clairs dans sa tête, furent incapable de trouver le chemin de ses lèvres. Elle était pourtant en bonne voie jusqu'à présent ! Elle ferma les yeux par dépit, tentant tant bien que mal d'ignorer cette peine qui commençait à l'habiller mieux que sa propre tenue, ce...déguisement. Elle se sentait tellement stupide.

- Excuse me.

Pas "Sorry". Elle annonçait ainsi sa prise de congé oubliant la traduction qui n'avait pu lui parvenir convenablement. L'aphasie faisait des ravages. Elle comprit alors, trop tard, que le meilleur moyen de s'en remettre, c'était d'éviter tout tracas.
Elle s'éloigna lentement, à son rythme, vers la sortie tout en sortant son cellulaire de sa poche dissimulée entre deux doublures de tissu. Ecrire un message de cette main droite, d'ordinaire maîtresse, n'était pas une mince affaire, surtout en s'appuyant de son autre main sur son seul support qui lui évitait toute chute. Mais visiblement, celle de l'appareil semblait inévitable, à peine après avoir écrit cinq lettres: "On my w.." . Observant le téléphone à même le sol, elle leva la tête en fermant les yeux. A peine commencée, Cammy ne pouvait même pas achever cette soirée sans peine. Elle savait qu'elle était incapable de se baisser et ne voulait pas demander de l'aide à quiconque. Cruel dilemma.

Elle rouvrit les yeux en sentant une présence tout proche. L’inconnu s’était baissé et ramassait désormais son Gsm. Elle avait été odieuse avec lui, c’était du moins l’idée, mais malgré tout il lui était venu en aide. C’était de la pitié, hein ? La gentillesse était une denrée trop rare pour l’offrir après avoir été envoyé sur les roses. Cammy tenta de se tenir droite, pour ne pas afficher cette faiblesse pitoyable qu’elle était devenue surtout après avoir été piétinée par le faux-prince que représentait Lawrence. A la pensée de ce nom, une autre fusa : il ne perdait rien pour attendre, celui-là. C’était terminé, elle ne ferait plus confiance, ça faisait quatre ans que ça durait. Le 4 porte malheur, alors pourquoi avoir accepté d’aller à ce bal alors qu’elle savait comment le dernier en 2010 s’était achevé ? Elle s’était pourtant juré de ne plus participer à de tels évènements à Keimoo, et le fait d’avoir quitté la sphère académique ne changeait rien ! Cammy n’avait aucune volonté, était toujours la même petite naïve qu’elle était alors. Ça n’avait pourtant pas toujours été ainsi… Juste avant sa chute aux Enfers, elle avait passé de beaux moments. Elle avait eu des amis, faisait partie d’une petite troupe de théâtre, animait de temps en temps le club de littérature et était devenue la vice-présidente de club de découvertes culinaires. Ses tartelettes à la framboise avaient eu un succès tel que la cafétéria en réclamait toujours plus. Elle n’avait certes pas été la plus douée de l’Académie, mais sa moyenne avait toujours figuré dans le top 10. Une fois, une seule, elle avait été la première, tous niveaux confondus. Elle avait travaillé tellement dur, et ne s’était accordé que si peu de temps libre, juste un peu pour porter une aide bénévole à la crèche de l’hôpital. Et bien qu’elle ait toujours refusé de le reconnaitre, elle avait été populaire, d’une certaine façon. Une jeune fille avait même eu pour lubie de l’imiter en tout point, jusque dans son style vestimentaire. C’était l’époque où elle portait des jupes plissées, des chemisiers avec cravate ou foulard comme dans toute école privée japonaise….sauf à Keimoo, bien sûr, où l’uniforme n’existait pas.

Mais aujourd’hui, un inconnu lui ramassait son téléphone portable parce qu’elle-même était incapable de le faire. Elle détourna la tête, le visage impassible, ne désirant accorder le moindre regard à cet individu dont elle se fichait pour l’heure. Elle n’avait que faire de sa pitié.
Déjà, il n’était pas trop proche d’elle, ce qui était déjà pas mal. Dans son élan de pseudo-bienfaiteur, il respectait au moins l’étiquette japonaise, pour une Japonaise qu’elle n’est pas. D’un autre côté, il fallait qu’elle s’extirpât de cette situation car elle commençait sérieusement à fatiguer, à trop s’appuyer sur sa jambe et son bras gauche, sans resquiller le moindre mouvement. Quelle stupide fierté qu’elle affichait ! Elle ferait moins la maligne si d’un seul coup, elle perdait l’équilibre pour se retrouver affalée sur le sol crade du chapiteau. L’inconnu prit alors la parole, rapidement, déchirant le silence pesant qu’elle s’était plu à instaurer.

- J'ai choisi un accoutrement qui ne fait visiblement pas l'unanimité, mais vous pourriez au moins me laisser une chance. Comme vous me l'avez laissé la dernière fois que j'ai eu l'honneur d'être en votre compagnie.

Elle leva les yeux au ciel aux premiers mots. Hors de question d’accorder la moindre chance au premier venu, accoutré comme le leader d’un stupide boys-band français des années 90, à la sauce années 30. Elle n’eut pas le temps d’envoyer un « Non » sec et froid, enfin, elle aurait pu l’avoir largement le temps. Le jeune homme au torse exposé à la vue de tous parlait posément, et à ce propos, Cammy décela un petit accent, léger, qui ne lui était pas inconnu. Vraiment léger. Il n’était pas Japonais. D’ailleurs, le nom « Han Yun-Jin » ne l’était pas non plus…si ?
Puis, la fin de sa phrase lui ôta toute envie de tenter de l’interrompre, quand bien même les mots eussent trouvé d’eux même le chemin de la sortie. « La dernière fois » ? Ils s’étaient déjà rencontrés ? Elle avait tourné – ou plutôt, levé- la tête vers lui. Maintenant qu’elle le remarquait, il était très grand, ce garçon, cet…homme. Elle baissa les yeux vers son bien qu’il lui tendait, très poliment et alors qu’elle approchait sa main pour s’en saisir, il prononça un mot. Un nom, qu’on ne lui avait plus attribué depuis fort longtemps. Un nom qui lui rappelait son conte préféré, de son auteur préféré, un nom qu’elle avait choisi de porter lorsqu’elle avait fugué pour ne plus être retrouvé tout comme elle avait fait le choix à l’époque de teindre ses cheveux en noir pour se fondre dans la masse Japonaise. Mais… il y avait peu, pour ne pas dire ‘pas’, de Japonaise portant le prénom de…

- Alice.

Elle ôta prestement sa main, avant même d’effleurer celle de Yun-Jin, toute en poussant un petit hoquet de saisissement. La suite alla très vite. L’inclinaison de la tête respectueux, l’allusion au chapeau, l’origine du nom ainsi que de l’accent qu’elle venait de se remettre en tête… Bon sang, il était Coréen ! Dans la tête de la rouquine, quatre ans de sa vie défilèrent à vive allure en marche arrière, et c’est ainsi qu’elle se remémora d’une autre façon ce fameux Bal de la Saint Valentin qu’elle s’était efforcée d’oublier, effaçant ainsi le souvenir d’un gentleman, courtois, et très bon danseur. Il lui avait offert un Norigae qui avait toujours sa place dans son sac à main qu’elle portait toujours sur elle… Sauf ce soir. Elle aurait pu le porter d’ailleurs car, pour ce soir, il n’aurait pas juré avec le reste de sa tenue, contrairement à l’ensemble simple qui appartenait à sa mère, et qu’elle avait revêtu à l’époque.

Toute trace d’impassibilité fut anéantie en une fraction de seconde. Cammy avait l’impression de voir Yun-Jin pour la première fois depuis son arrivée. Elle détaillait désormais son visage, ne reconnaissait pas cette couleur si sombre qui ornait ces iris. Il portait des lentilles argentées la dernière fois, et son faciès portait un lourd masque de poudre blanche. A vrai dire, il n’était pas très beau alors. En même temps, le Chapelier n’était pas vraiment le Prince de ces dames. Malgré tout, il en avait eu la réserve, surtout lors de cette valse, la plus belle qu’elle ait partagée avec un homme. Cammy laissa alors s’échapper de ses lèvres un léger soupir, et n’en tenant plus, elle accrocha sa main droite à la manche gauche de la veste de l’homme, évitant ainsi de perdre l’équilibre.

- Oh…'Lew..is'. C’est bbien v..ous ?

Closant les paupières une énième fois, elle fut transpercée alors par un tel  soulagement qu’elle crut se mettre à pleurer. Ses lèvres se pincèrent, ses doigts resserrèrent leur étreinte et c’est alors un regard empli de gratitude qui s’ouvrit désormais sur l’officiel cavalier de la « lady ». Tout comme le petit sourire qui commença à se former.

Lui…il ne la trahirait pas. Pas vrai ?

S’il vous plait, là haut… Faites qu’il soit quelqu’un de bien. Faites qu’il ne m’abandonne pas, lui aussi. J’ai tellement besoin de quelqu'un. Je veux m’en sortir. Please.

- Please…

Ce dernier mot lui échappa.
Il lui fallait s’assoir.

Défaillir. En effet, la demoiselle n’en était pas loin. Les émotions n’étaient pas ce qu’elle maitrisait le mieux, surtout lorsqu’elle jouait le rôle principal de la pièce de théâtre qu’était sa propre existence. Sur cette scène étroite et remplie d’obstacles en tous genres allant de la simple racine d’un cyprès au torrent à la violence décuplée, elle venait de prendre place au sein d’une petite clairière au milieu de laquelle trônait une souche confortable. Cette souche l’invitait désormais à s’assoir, offrant aux yeux noisette de cette « Alice » fabriquée, une aura dorée, particulièrement chaude. Une brise agréable l’y entraina et, sentant ses pas claudiquer à son insu, elle se laissa guider en poussant un très léger soupir d’aise. Elle se sentait bien dans ce silence offert au milieu du brouhaha de ce qu’était en réalité le chapiteau du bal de Noël. Tant d’efforts ces derniers mois, pour se remettre sur les rails de la réalité, ruinés en quelques secondes.  Peine et plaisir, souffrance et espoir, cocktail d’infortune au même titre qu’alcool et ecstasy. Les années et ingrédients changeaient, les effets restaient les même, et s’amplifiaient.

Voilà la belle assise, sur sa souche au milieu des bois. La brise avait alors revêtu les traits d’un noble chevalier sans monture, aux épaules carrées et au visage volontaire. Elle posa un regard circulaire sur ce qui l’entourait dans cette forêt agressive, branches menaçantes prêtes à se repaitre de sa crédulité, se riant de sa précédente démarche hésitante et de ce que venait de lui faire endurer le Prince Blanc, qui n’avait pas eu le temps de lui promettre mots et merveilles.
Elle n’avait pas vu arriver le Chevalier Noir en revanche, laissant au loin les traits du Chapelier Argenté pour mieux la saisir, surgissant de l’ombre de la demoiselle. D’une certaine façon, il lui rappelait Shiro, Super-Mâle à la rescousse des demoiselles en détresse, l’élégance raffinée en plus. Entre deux arbres, elle aperçut ce garçon d’ailleurs, un petit rictus au coin des lèvres. Shiro agissait ainsi sur elle, sans faire quoique ce soit. C’était un ami, il la faisait rire et en sa compagnie elle pouvait aisément se sentir protégée. Un ange gardien comme on n’en faisait plus. Hélas, comme tout ange, il baignait dans la lumière et cette dernière l’avait englobé tout entier depuis quelques mois. Il était passé au rang d’archange et les chérubins joufflus volaient autour de lui désormais.
Le rictus de la sylphide s’évanouit alors, tandis que Shiro approchait le séraphin qui éclipsait tous les autres, Kuchiki y compris. La beauté incarnée, l’ange qui était passé au rang de dieu, l’Inaccessible : Narcisse de Lioncourt. A le contempler, Cammy sentit ses joues rosir derrière l’échafaudage de sa façade. On ne pouvait se débarrasser totalement d’un premier amour. Narcisse était celui qui avait fait chavirer son cœur dans tous les sens, et dans tous les sens du terme. Désespérément à sens unique. Lorsque le pincement vint remplacer le plaisir, elle détourna ses yeux de lui avec une pointe de vague à l’âme.

Un sifflement agréable voleta jusqu’à son ouïe. Dark Knight s’imposa à elle avec un tel contraste qu’elle en fut saisie, une deuxième fois. Elle n’osa prendre la parole et se contenta de fixer les prunelles de cet homme imposant comme un bouclier à ses yeux. Elle cherchait la sécurité, et ne désirait en aucun cas se retrouver seule pour le moment. Elle avança ses frêles mains gantées de soie nacrée vers les siennes et le supplia du regard. Ne m’abandonne pas. Elle resta accrochée à ses onyx quelques secondes, lorsqu’un coup de tonnerre suivi d’un éclair la fit tressaillir, fissurant ainsi la bulle qui l’entourait jusqu’à voler en éclat. Cammy n’eut pas la force de pousser un cri, mais un sanglot lui échappa. Ses mains s’ôtèrent à celles de Yun-Jin, et elle tourna la tête. Une blonde à la robe dégoulinant de pourpre, s’égosillait sur un garçon aux cheveux d’ébène qui tenait dans sa main une cruche vide. Cammy le suivit des yeux et bien qu’elle ne le voyait que de dos elle reconnut son allure. Mais que se passait-il ?  Qu’était devenu ce monde qui faisait des hommes les plus courtois, de redoutables individus au point qu’une simple rencontre des années plus tôt en fassent de simples lueurs d’espoir ? Ce Temps qu’elle se plaisait à étudier depuis des années faisait de l’Humanité une bien vilaine chose.
Elle ferma les yeux un instant, le temps de se reconstruire un éden au centre de cet Enfer qui l’entourait. Souviens-toi Cammy, respire lentement et ne te précipite pas. Prends ton temps, et si contre les mots, tu buttes, n’engage pas de lutte. Ne coupe pas la tête de l’Hydre, deux autres risquent de repousser. Suivant les conseils de son orthophoniste, la rouquine expira tout en rentrant le ventre, plusieurs fois de suite. Non seulement cette technique l’aidait dans son langage, mais en plus elle la relaxait. Ouvrant les paupières, elle étira un sourire, confortablement assise sur sa souche dans cette clairière désormais silencieuse. Lewis était là, douce brise obscure…chevauchant une trappe invisible prête à l’expulser, à tout moment, de sa bulle reconstituée.

- Vous semblez avoir changé, depuis notre précédente rencontre. Parlez-moi de votre parcours, parlez-moi de vous.

Comme par magie, le bégaiement s’était envolé.

Cammy se voyait aisément dans la description que fit Yun-Jin de lui-même, durant les quatre années qui ont espacé leurs deux uniques rencontres. Ce n’était peut-être pas dans les mêmes domaines, mais oui, elle aussi avait beaucoup étudié – ce qu’elle faisait de mieux – avait essuyé des échecs, pour la plupart d’ordre relationnel, et ça avait semblé ne pas vouloir en finir si bien que, malgré son désir d’être en paix, le fait était qu’elle était toute seule. Hormis ses parents avec qui elle passait le plus de temps, elle traçait le chemin de sa vie en solo. Ça n’avait pas toujours été ainsi, mais depuis la grosse mésaventure de sa vie, elle avait préféré se noyer dans son océan d’ouvrages plutôt que de chercher un compagnon ou une compagne de route. Elle ne devait qu’au hasard le peu de partage avec autrui provoqué pour la plupart par une rencontre fortuite. C’est pourquoi la simple invitation de Swanster avait éveillé en elle une pointe d’excitation, un petit goût d’aventure dont elle avait perdu la saveur en quelques années, alors qu’elle rêvait de chasse au trésor, l'espoir de faire de son existence quelque chose de palpitant.  C’était ainsi qu’elle avait fini par apprécier Noahki Saigara, qui, par son imprévisibilité, avait réussi à la faire sourire, ne serait-ce qu’intérieurement. Il avait réussi par son simple contact, à la faire redevenir telle qu’elle était avant que les choses ne se gâtent. Mais il avait fini par partir, lui aussi, alors que la jeune femme réalisait qu’il avait pris une place importante dans sa vie.

Elle baissa les yeux, désolée pour Yun-Jin, autant que pour elle-même. Fixant un point fixe sur la table, elle ne voyait pas d’issue à sa solitude à moins que l’homme qui lui faisait face ne lui apporte un peu de renouveau, un peu de lumière. Le sourire qu’il lui lança alors la surprit et à son tour, elle étira un petit sourire malgré l’interrogation qui flottait sur ses traits. Si Yun-Jin trouvait une issue au bout de ce tunnel, alors c’était déjà ça de pris. Elle ne souhaitait à personne de se retrouver dans une impasse aussi abrupte que la sienne. Son sourire se fit plus sincère, elle était ravie pour lui. Sourire qui s’estompa un peu à l’évocation du retour du Coréen dans son pays natal. Ce n’était pas ainsi qu’elle-même pourrait s’en sortir. L’Australie ne lui apporterait plus rien, le Japon était devenu sa nouvelle patrie.
Elle tenta d’effacer de son esprit le fait que Yun-Jin aussi ne resterait plus longtemps dans les parages, et qu’ainsi, il n’y avait aucune chance pour qu’ils deviennent un peu plus proches. Mais cette révélation avait eu l’effet d’une bombe dans le cœur de l’Australienne qui, tant bien que mal, parvint à garder un visage souriant. Au moins, elle savait à quoi s’en tenir. Il ne fallait plus qu’elle espère, elle se devait de profiter de l’instant, et ignorer cette boule qui se formait aux creux de sa gorge et dans sa poitrine.
Quelques instants plus tard, après ce baisemain qu’elle considéra comme un adieu à ses espérances, elle se tint un peu plus droite, à l’instar d’une gifle qu’elle s’infligea intérieurement. Une petite moue amusée sur les lèvres, elle jouerait le jeu du Chapelier jusqu’au bout.

- Et bien, je compte sur vous Monsieur… comment dois-je vous appeler ?

Non pas qu’elle avait oublié le nom du jeune homme, mais elle ignorait quoi de Han, de Yun et de Jin était le nom, ainsi que le prénom. Et elle ne voulait pas paraitre impolie ou familière. Ce à quoi elle ajouta d’ailleurs.

- Je pense que vous pouvez m’appeler Cammy. J’aimais beaucoup Alice, mais il ne manquerait plus que je souffre – en plus de tous ce que j’endure déjà – d’un dédoublement de la personnalité.

Et un petit rire en sauce, en prime. Elle ne voulait pas s’imposer la barrière du nom de famille. Puisque de toute façon rien ne durerait, autant mettre un petit peu de folie dans cette brève rencontre. Et lorsque minuit sonnerait, elle préparerait son départ, comme toute fausse princesse qui se respectait. Ce qui lui laissait moins de trois heures désormais.

Spoiler:

Séquence Glenn Miller. Comme elle aimait ce musicien ! Même s'il est plus représentatif des années 40' que des années 30', elle n'allait pas s'en plaindre. "American Patrol" flottait dans l'air et transmettait sa joie musicale à toute l'assemblée.

La soirée prenait de ce fait un tout autre tournant. Pour une fois, les évènements ne se déroulaient pas trop mal. Yun-Jin offrait à Cammy un second souffle, en bonne petite brise salvatrice entourant la jeune femme. Sur son petit siège, à l'écart du passage, la demoiselle jetait de temps à autres des oeillades sur ce qui l'entourait, principalement sur Lawrence et Narcisse. Lorsqu'elle croisait le regard du premier nommé, elle prenait un air condescendant, voire hautain. Elle lui en voulait et pourtant était sensible aux yeux de cocker qu'elle crut aprecevoir dans les traits du Prince. Le regret transparaissait clairement en lui. Elle ne résisterait pas longtemps à ce regard lourd de remord. Mais il était puni comme un enfant pris en faute. Et Lawrence E. Swanster resterait, dans l'esprit de l'australienne, au coin pour un bon bout de temps. Ainsi, elle décidait: si sa soirée se poursuivait aussi bien, elle lui pardonnerait. Dans le cas contraire, elle le rayerait définitivement de sa vie. Elle se sentait obligée d'agir ainsi désormais. Quiconque était responsable d'éventuelles souffrances dans son microcosme s'en retrouverait éjecté. Quitte à se passer de toute vie sociale.

Yun-Jin. Quelque chose dans le prénom de l'homme résonnait bizarrement au fond d'elle-même, sans qu'elle ne sût se l'expliquer. Une impression de déjà-vu, comme une porte de dôjô qui se ferme brusquement ou un repas offert qui ne serait jamais partagé. Un grand parfum de tristesse. Elle étira un sourire léger, et hocha positivement la tête. Elle l'appellerait donc ainsi. De plus, elle n'aimait pas trop lui attribuer ce surnom qui était devenu le petit nom de son chat. Peu après, l'attention du Coréen sembla subitement attirée par quelque chose. Tournant la tête, elle chercha une éventuelle personne à l'apparence excentrique ou particulièrement attirante. A la place, elle croisa le regard de Narcisse, subtilement caché derrière la carrure imposante de Kuchiki. Cette fois, au lieu d'afficher l'allure de ces frêles jeunes pucelles en manque d'expérience sentimentale (elle se reconnut pourtant à 100% dans sa propre description), ce fut un large sourire qu'elle offrit à l'adonis, qui voulait dire "Si tu veux jouer à cache-cache, boy, tu as perdu: je t'ai trouvé." Cammy ne se rendit pas compte qu'à ce moment précis et ce, grâce à la présence de Yun-Jin, elle avait réagi de façon naturelle, comme à cette époque révolue où elle avait confiance en elle et qu'elle baignait dans la réussite, à deux pas de la grande popularité. Revenant à l'objet de son intérêt principal, à savoir Yun-Jin, ce dernier avait sorti un petit trésor de son chapeau invisible.

- Voilà, je pensais bien qu'on arriverait à trouver la Fontaine de Jouvence.

La rouquine regarda la petite étiquette rose et bleue de la bouteille d'Evian, au cercle du goulot encore soudé à son bouchon clair. Cette marque française étant un peu considéré comme un luxe au Japon, Cammy fut saisie dans un premier temps de cette subtile apparition puis leva les yeux vers celui qui la tenait.

- Vierge de toute nuisance, cette fois.

Si  Cammy devait, là maintenant, donner une note de un à dix à Yun-Jin, elle lui offrirait sans hésiter un vingt, avec diplôme à la clé. Elle affichait alors, sans s'en cacher une telle reconnaissance à l'égard du Coréen qu'elle s'offrirait bien le plaisir de se lever et de le serrer dans ses bras. Ce n'était rien qu'une petite bouteille d'eau en apparence, mais la symbolique de la pureté n'avait aucune égale à cet instant précis. Elle se saisit simplement de la bouteille, petit trésor à elle toute seule. L'ex-étudiante était émue, personne ne ouvait en douter. Du bout de ses doigts habillés de nacre, elle caressa le cercle de plastique en murmurant un "Merci" qui trahissait toute la sincérité qu'elle s'efforçait de masquer en partie mais qui s'échappa de ses lèvres sans vouloir tenir compte de ses états d'âme intérieurs. A son tour, elle se lança sans hésiter et fit craquer l'ouverture. Elle avait tellement besoin de s'hydrater qu'elle porta aussitôt la bouteille à ses fines lèvres avec le minimum requis de tenue. La source glissa dans sa gorge, rafraichissant tout son être et lui offrant ainsi un plaisir insoupçonné. En quelques gorgées, la moitié de la bouteille avait disparu dans le gosier de la demoiselle. Il n'y avait pas meilleure boisson que de l'H2O, surtout de cette qualité. Un véritable nectar terrestre. Refermant la bouteille qui avait consommé une partie de son rouge à lèvres, la jouvencelle essuya une goutellette du bout de son index, avant qu'elle ne glissât vers son menton. Elle n'eût pas le temps de faire le moindre commentaire quant au fait qu'elle n'avait pas préféré utiliser de verre, ni s'en excuser, que Yun-Jin reprit la parole. Une autre mélodie envahissait les ondes, une authentique sérénade au - presque - clair de lune.  

- Ma chère, mes bras se souviennent d'une cavalière aussi gracieuse que délicieuse. Et ils leur tardent de goûter à nouveau à ce plaisir.

Dans un premier temps, Cammy ne réalisait pas que les conditions se prêtaient parfaitement à une danse, loin de la valse qu'elle avait magnifiquement partagée avec Yun-Jin près de quatre ans plus tôt avant de s'effondrer dans ses bras. Elle aussi avait bien envie de d'y goûter à nouveau. Elle n'avait rien consommé de suspicieux, portait une superbe robe dans un cadre certes pas très idyllique, mais dans un univers historique loin des absurdités contemporaines. Un voyage dans le temps, son plus grand rêve.

- Me ferez-vous l'honneur de rendre jaloux tous les invités de ce bal ?

Elle sortit brusquement de ses pensées, examinant Yun-Jin comme s'il était fou. Avait-il conscience de la stupidité de sa demande ? Comment pouvait-il l'inviter à danser - si toutefois il s'agissait bien de cela - au vu de son handicap ? Elle rencontrait déjà des difficultés pour se mouvoir, peinait à marcher et, malgré l'aide de son accessoire d'appui, craignait de trébucher à tout moment. C'était absolument insensé, il n'en était pas question. Elle ouvrit la bouche, mais ne trouva pas les mots, comme à chaque fois qu'elle se sentait oppressée. Elle baragouina un son, papillona des paupières qui tentèrent de prendre le relais, mais elles ne pouvaient émettre de parole.
Yun-Jin s'accroupit alors, face à elle. Cammy sentit ses dernières limites vaciller, elle n'était pas triste pour autant... Mais sincèrement désolée de son refus à venir. Le Coréen s'obstina, tentant de la convaincre en cherchant les bons mots. Tant de douceur et de gentillesse émanaient de lui qu'elle le laissa lui-même chercher ses mots, sans s'évertuer à en faire autant. De toute manière, elle n'y parviendrait pas.
L'entendre prononcer son prénom l'interpela. De ce fait, elle était parfaitement attentive, soutenant sans la moindre difficulté le regard insistant de l'étudiant. En aucun cas oppressant. Et puis...

- Laisse-moi t'offrir le bal que tu mérites. Fais-moi confiance.

Cammy se figea un instant, la salle devint alors totalement silencieuse. Plus de trappe, plus rien. Juste une bulle solide, une lumière étincelante, et... eux deux. Face à face. Elle ne pensait pas "mériter" quoi que ce fût, mais les paroles de Yun-Jin l'emplirent de bien-être. Elle se sentait...cette princesse qu'elle rêvait d'être lorsqu'elle avait six ans.
Les traits de la jeune femme s'adoucirent à son tour. Elle acquiesca, s'en remettant ainsi complètement à Yun-Jin et pour corroborer son accord, se leva lentement, le plus gracieusement possible, malgré son état. Puis elle se tint droite, désirant en aucun cas exposer sa faiblesse manifeste, comme à son habitude.

- Moonlight Serenade. Il doit rester un peu moins de trois minutes. Je pense pouvoir te les offrir. Let me trust you.

Il était arrivé, quelques fois dans son pays natal, qu'on fasse un baisemain à Cammy. Sans compter ceux des pièces de théâtre auxquelles elle avait participé, le nombre devait s'élever à cinq. Ou six. Et à chaque fois, c'était toujours de la même façon: elle avait serré poliment la main de l'individu, qui s'était retrouvée prisonnière de celle de l'homme qui, sans gêne aucune, avait porté ses lèvres au-dessus de la main de l'adolescente d'alors. Elle avait en horreur ce genre de pratique, toujours très mal effectuée. Celui de Yun-Jin n'y faisait pas exception pour plusieurs raisons (ne pas le faire à une jeune fille, pas sur une main gantée, si la dame a la tête couverte) , mais à la grande surprise de l'Australienne, celui-ci ne la dérangeait pas. Mieux encore, ça ne l'embarrassait pas le moins du monde.
Elle n'eut toutefois pas le temps d'y réfléchir longtemps car le Coréen glissait alors son bras dans son dos. Un peu étonnée sur le coup, cet état passa rapidement à la stupeur lorsque ses pieds décollèrent du sol. Instinctivement, la main droite de la demoiselle alla aussitôt s'agripper à l'épaule gauche de Yun-Jin, tandis que l'autre se posa sur... le torse de l'homme, pour assurer son propre équilibre. Un hoquet de surprise s'était alors échappé de sa gorge.

- Yun-Jin ! Qu'est-ce que tu... Oh doux Seigneur !

C'était comme si elle avait parlé à un mur. Fermant les yeux pour ne pas voir sa propre chute survenir, Cammy colla son visage contre sa main et donc contre l'épaule de son cavalier. De cette manière, elle évitait également le regard que portait une partie de l'assemblée sur elle, sur eux. Malgré le fait que le temps lui semblait interminable jusqu'à ce que ses pieds retrouvèrent la stabilité - bien que douteuse - du sol, le trajet n'avait toutefois pas été désagréable. Yun-Jin sentait bon, un léger parfum flottait à la surface de sa peau, celui d'un savon ou d'un gel douche. Rien de très puissant mais agréable, hygiénique. Pour une phobique des microbes comme l'était Cammy Logan, cela avait sur elle un pouvoir rassurant et donc, de confiance. En plus de ça, les bras de Yun-Jin étaient confortables et puissants à la fois. Elle se sentait protégée, alors qu'elle détestait qu'on foulât d'un peu trop près son espace vital, intime. Une fraction de seconde, un éclair foudroya ses souvenirs. Elle y aperçut la silhouette longiligne et filiforme d'un homme pourvu d'une très longue chevelure humide, noir corbeau. Elle ne rendit pas compte du murmure audible - seulement pour une oreille plus proche que la sienne - celui d'un seul mot qu'elle prononça: "Jin".

Et puis, fin de ce flash que Cammy oublia instantanément. A la place, l'image d'une autre personne s'imprima dans son esprit, cette fois sans la quitter. Qu'aurait dit Noahki s'il avait vu la scène qui était en train de se dérouler ? Elle n'eut pas le temps d'aller plus loin dans l'imaginaire : ses pieds s'étaient réconciliés avec le sol. Sa concentration sur l'évènement à nouveau focalisé sur Yun-Jin, elle n'osa détacher son regard du sien, par crainte de visualiser quelque chose de déplaisant qui la mettrait cruellement mal à l'aise. Elle n'était toutefois pas totalement rassurée, mais elle avait voulu faire confiance à son cavalier, aussi elle y mettait un point d'honneur. Avait-il conscience de l'effort incommensurable et du courage dont elle faisait preuve ? Personne n'avait eu le loisir de se retrouver si près de sa personne. Elle ne le tolérait pas, ne le supportait pas. Garder ses distances, fuir, éviter tout contact étaient son lot quotidien, son habitude, son réconfort. Depuis quelques secondes, elle était terrorisée, craignant le pire. Elle savait sa béquille hors d'atteinte, se trouvait dans un espace public où des personnalités pas très catholiques pouvaient aisément lui en faire voire des vertes et des pas mûres, et surtout, elle était persuadée d'être malvenue en ces lieux. Elle avait fui l'Académie une première fois suites aux accusations injustes qu'on lui avait portées, s'était tuée à la tâche dans un projet d'expansion du club de jardinage et de rénovation des serres si bien qu'on ne la voyait quasiment jamais sinon pendant les cours et éventuellement, à la bibliothèque. Elle avait ainsi espéré se rendre invisible. Mais pouvait-on se faire oublier avec une chevelure si voyante ? Au final, elle n’avait pas tenu le coup et avait quitté l’Académie, cette fois pour de bon. En y repensant, était-elle réellement partie la tête haute ? Vu ce qu’il lui était ensuite arrivée, c’était à croire que le Ciel avait décidé de la punir lors du séisme. Quelle allait être sa prochaine punition ? Le glas sonnerait-il de la main même de Yun-Jin, de celle du Comité, de Lawrence, de tous en même temps ? Tant de maux lui martelaient le crâne qu’elle ferma fortement les yeux tandis que Yun-Jin l’étreignit pour amorcer les gestes basiques de la danse, qu’elle se savait incapable d’accomplir. Elle tenta de se concentrer sur Glenn Miller. Soudain, elle se sentit une fois de plus bien trop proche de l’homme, et rouvrit les yeux. Ses pieds avaient rompu d'avec le sol, mais pas comme précédemment. L’étreinte occasionnée pour la danse était réellement trop intime. Beaucoup trop pour pouvoir s’y habituer en moins de trois minutes quand bien même Yun-Jin lui fit la promesse de ne pas la lâcher. Comment pouvait-il y parvenir ? Elle n’était certes pas très grosse, mais maintenir une cinquantaine de kilos plus d’une minute dans cette position…. Il fallait être réaliste tout de même.

Une question alors, incongrue. Il parlait d’un cadeau. Le norigae ? Oui, il lui avait plu, mais elle pensait qu’il le savait déjà. Il ne pouvait pas remettre un tel souvenir sur le tapis, surtout vu celui qui y était rattaché. Mais alors lequel ? La bouteille d’Evian ? Non, ridicule.

- Un c…cadeau ? Qquel cc..adeau ?

Evidemment, comme Cammy n’était pas à son aise, elle rencontrait des difficultés à se concentrer sur sa respiration. Et maintenant qu’elle le voyait de bien plus près,  le charme naturel de l’homme avait bien plus d’effet sur la rouquine. Il n’avait pas la beauté de Narcisse, ni même celle de Lawrence, mais son charisme et sa virilité écrasaient les leurs.

Là, contre Yun-Jin, Cammy se savait comment se sentir. Elle se devait d'être rassurée, voire protégée mais les conditions ne s'y prêtaient pas vraiment. Pourtant, elle avait pris la délicate décision de faire confiance à Yun-Jin, sous l'influence de ce dernier. Il l'avait charmée si rapidement que tout portait au piège. C'était trop lui demander, elle n'y parnevait pas. Les muscles contractés au maximum, elle était entrainée lentement dans la danse, mais la musique ne lui parvenait presque pas aux oreilles. Les seules sensations qu'elle éprouvait résidaient dans l'observation du sol, si loin et mouvant, ainsi que dans le toucher. Son corps contre celui de Yun-Jin et réciproquement, raisonnaient comme une impression de débauche. Les règles de bienséances n'autorisaient pas une telle familiarité, ni une proximité à la limite du scandaleux. Pourtant, là n'était que la projection de ce qu'elle imaginait dans le regard d'autrui et pourtant, elle n'entendait pas de murmure autour d'eux. Ou la populace se fichait royalement de cette prestation de danse hors norme, où le couple était tout simplement observé dans le silence le plus total. Quoi qu'il en fut, Cammy n'y prêta plus la moindre importance dès lors que les murmures de Yun-Jin flirtèrent avec son ouie.

Il avait ri. Un rire élégant de sa voix si suave et grave. Etait-ce vraiment le cas d'ailleurs, où était-ce l'impression que Cammy en avait ? Oh non, il ne fallait pas: elle était en train de se laisser emporter par le bien-être que Yun-Jin dégageait naturellement. Elle avait d'ailleurs instinctivement fermé les yeux, se laissant bercer par les compliments de cet homme aux bras et mains si larges. Elle ne se souvenait pas d'un tel contact à l'époque. Yun-Jin dégageait au jour de leur unique rencontre passée une allure similaire à celle d'un danseur de ballet entre ses bras, raison pour laquelle elle s'était totalement abandonnée dans ses bras avant que tout ne tourne au vinaigre. Ca n'avait plus rien à voir aujourd'hui, l'homme qui la portait n'était plus le même. Avait-elle aussi beaucoup changé ? Il l'avait si facilement reconnue, alors qu'il lui avait fallu jouer aux devinettes pour qu'elle l'autorisât à conserver toute son attention avant de reconnaitre enfin le Chapelier qui se cachait sous les traits de ce si bel homme.

"Si bel homme" ??? Non Cammy, ne commence pas à penser de cette façon, ou tu vas te faire dévorer toute crue !!

Lentement et avec beaucoup d'hésitation, elle osa relever ses yeux du sol pour les porter sur leurs doigts entremêlés. Cette simple vue évoquait tellement de choses, pas seulement le simple fait de joindre leurs mains pour une danse, mais au delà de la mélodie, du slow, c'était l'étreinte de deux individus qui s'appréciaient sans même avoir pris le temps de bien se connaitre. Elle avait déjà éprouvé ce sentiment. Avec cet ange inaccessible. Mais Cammy en avait tellement souffert qu'elle ne souhaitait plus jamais revivre une telle déchirure et elle s'était promis de ne plus jamais sombrer dans une agonie similaire. Voilà pourquoi elle avait si souvent rejeté Noahki, voilà pourquoi elle préféré ignorer le béguin qu'il avait ressenti pour elle. Pourquoi aurait-elle été la seule à subir les échecs ? Au final, Noahki avait quitté le pays et n'avait même pas daigné lui envoyer une seule lettre. Il lui avait pourtant dit qu'il lui écrirait. Tout en observant sa petite main dans celle de Yun-Jin, elle se gifla mentalement. Ce n'était pas juste qu'on la fasse tomber sous le charme de ces individus qui semblait l'apprécier mais qui au fond, ne voulaient pas vraiment d'elle. Yun-Jin aussi l'abandonnerait, comme tous les autres. Son regard roula de leurs mains sur la longueur du bras puissant de son cavalier, puis sur son cou de taureau comparé au sien, sur sa pomme d'Adam. Ce n'était pas juste. Elle l'en empêcherait. Elle ne savait pas encore comment, mais "HAN Yun-Jin" devait rester à ses côtés.

La musique fit son retour aux oreilles de la jeune femme qui ne réalisait pas qu'elle se détendait à nouveau depuis qu'elle s'était fixée un nouvel objectif. Elle l'écouta, sans pour autant remonter son regard vers celui du grand brun. Il était encore trop tôt se laisser aller à la contemplation du visage du l'Intello dans de telles conditions. Elle n'avait rien à dire, ce serait trop embarrasant. Pourtant, elle savait que de son côté, le cavalier s'offrait tout le loisir de la contempler. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle elle n'arrivait pas à franchir cette limite. Et les limites étaient importantes pour Cammy. Elles étaient ce qui la rattachait aux bonnes moeurs dans ce pays qui n'est pas le sien.

Yun-Jin déversa un autre flot de paroles agréables autant que troublantes. Il savait vraiment user des bons termes pour charmer ses partenaires. Il était évident qu'il avait de l'expérience en la matière ce qui, d'un autre côté, lui faisait un peu perdre de sa crédibilité.  D'une, parce que Cammy n'aimait pas les séducteurs. Et de deux...

"...  parce que tu aurais peut-être porté ce que contenait le paquet que j'ai déposé pour toi au pied du sapin du centre commercial. "

Elle interrompit brusquement le fil de ses pensées tortueuses. Si elle saisissait le sens des derniers propos de son cavalier, cela voudrait dire que... Elle leva d'un bloc ses yeux vers ceux de son partenaire. Seth était régulièrement passé par le centre commercial et lui avait régulièrement rapporté du Sapin des paquets qui portaient son nom. Cammy avait rarement eu autant de présents. Et bien que l'enveloppe de Yui lui soulevait bien des questions, il y avait un cadeau anonyme qui l'avait ravie bien plus qu'il ne fallait. Une pièce raffinée, ornée de dentelle qu'elle comptait porter à la Saint Sylvestre.

- Ne me dis pas que...

Elle était blanche, élégante, bien mieux taillée que sa propre création qu'elle portait alors.

- Cette magnifique robe... c'est toi ?

Elle baissa le regard, un peu intimidée en se rendant compte qu'elle ne savait absolument pas comment le remercier. Elle ne pouvait pas lui sauter au cou parce que d'une, elle était déjà dans ses bras, et que de deux, cela ferait jaser, définitivement. Sur l'instant, tandis que l'émotion l'enveloppait une fois de plus, elle eut une idée. Ca lui coutait puisqu'elle avait mis un point d'honneur dans ce petit détail pour des raisons évidentes, mais pour l'heure, c'était tout ce qu'elle pouvait faire. Sa main qui n'embrassait pas celle de Yun-jin se détacha de l'épaule de ce dernier, et, tandis qu'elle se rendait compte que cette prise en moins ne changeait rien à son équilibre, elle la releva vers sa propre nuque. Elle tritura quelque chose au travers du tissus de sa coiffe, comme si elle l'ajustait.
Pourtant, elle fit tout le contraire. D'un seul geste, lent et précis, elle ôta son couvre-chef, en même temps qu'une épingle qui permettait de maintenir le chignon simpliste dissimulé par dessous. Ainsi, tout en remontant lentement ses noisettes vers les onyx de son compagnon, ce que Cammy avait mis tant de coeur à cacher se deversa en une cascade sur ses épaules. Moonlight Serenade touchait à sa fin, tout comme ce 24 décembre. Toutefois, avec un petit sourire, Cammy ajouta.

- Pour te remercier. Et en espérant, que tu n'éprouves plus de regret à l'idée de ne pas m'avoir vue la revêtir.

Elle capta une oeillade. Juste derrière Yun-Jin. Puis une autre. Puis des murmures. Elle ferma les yeux mais ne put se boucher les oreilles. Elle voulait juste....s'enfuir.
Sa coiffe munie de ses plumes, rubans et autres perles argentés jonchait le sol, avant de se faire piétiner par une "Populaire" trop maquillé, qui se mit à rire aux éclats avant de s'éloigner.
Cammy regarda sa création avec une pointe de regret, s'efforçant à penser que ce n'était que chose matérielle sans importance...qui ne lui avait absolument pas pris une journée de travail ! Juste deux. Mais ça ne faisait rien! Rien du tout...

La chanson s'estompe, ne se donnant même pas la peine de finir convenablement. Minuit avait sonné.

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