Alors à droite c'est le panneau d'affichage, et ici... [PV. Shiori Ando]

« Un nouveau monde, une nouvelle vie »
N’avait elle pas déjà entendu ce genre de réplique dans un film ? Certainement, mais pour l’occasion, Shiori estima qu’elle était en droit d’emprunter cette phrase qui collait si parfaitement a la journée qu’elle s’apprêtait a affronter.
La jeune fille ouvrit lentement les yeux, luttant contre l’éblouissement comme si c’était la première fois qu’elle voyait le soleil.
Aujourd’hui, elle allait une fois de plus changer de vie, passer dans un nouveau monde. Elle le faisait si souvent ces derniers temps qu’elle en était venue à se demander si elle n’avait pas, sans s’en rendre compte, acquis le pouvoir de voyager entre les dimensions. D’abord elle avait dû passer de Hokkaido à Tokyo et maintenant, des cours privés a la plus prestigieuse école de la ville, et ce, en l’espace de 6 mois. Il y avait de quoi être déboussolé. A tel point, qu’elle se demandait souvent où elle se réveillait le matin.
Aujourd’hui d’ailleurs, elle mit un moment a reconnaitre sa propre chambre, quasiment ensevelie sous valises et cartons.
Ah, oui.
Aujourd’hui était le jour où elle quittait une fois de plus la demeure familiale et où elle emménageait au pensionnat de Keimoo.

« Shiori, dépêche toi de te lever, nous allons être en retard. En plus je dois aller a la boutique, alors je n’ai vraiment pas de temps à perdre ! »

La voix de sa mère au travers de la porte acheva de réveiller Shiori. Enfin, « réveiller » c’était un grand mot. Elle était a présent debout au pied de son lit et rassemblait les vêtements qu’elle avait préparé la veille, histoire de s’éviter une tâche trop intellectuelle de si bonne heure.
Son uniforme… Ah non, Il n’y avait pas d’uniforme à Keimoo… Elle grimaça en enfilant une simple jupe et une chemise, vêtements les plus banaux qu’elle ait pu trouver. Un uniforme, ça assurait l’anonymat, la discrétion, de pouvoir se fondre dans la foule… Porter ses propres vêtements, c’était parler de soi, montrer ce que l’on était aux autres… Shiori avait mis des heures à choisir cette simple jupe bleue et ce banal chemisier blanc. C’était ce qui lui rappelait le plus son uniforme, les vêtements les plus passe partout et les moins révélateurs qu’elle ait trouvé.
Après une rapide toilette et une tartine, Shiori descendit rejoindre sa mère qui l’attendait déjà dans l’entrée. Elle allait la déposer à Keimoo et Shiori savait qu’il était inutile de lui en demander plus.
Elles se dirent au revoir d’un signe de main et la jeune fille regarda un moment la voiture s’éloigner, ses deux valises posées à ses pieds. Cette fois elle y était pour de bon, dans un nouveau lycée, dans un nouveau monde… Un frisson la parcourut à cette simple idée. Elle avait aimé les cours par correspondance. Ainsi, elle n’était pas obligée d’établir un contact social avec qui que ce soit, et elle s’épargnait l’embarras de devoir s’exprimer. Quelque chose lui disait que les choses seraient différentes ici… à Hokkaido, elle connaissait beaucoup de monde. Elle n’avait pas besoin de faire d’efforts, parce que les gens savaient qu’elle n’était pas du genre a parler beaucoup. Certains même l’appréciaient pour cela. Mais ici…

*Inspire… Expire… tout vas bien se passer. Tu n’auras cas être totalement invisible, comme d’habitude, et ne pas t’attirer d’ennuis …*

Malgré ses résolutions, Shiori mit quelques minutes a saisir ses valises et à se diriger vers le secrétariat. Elle n’avait que le papier qu’on lui avait remis à son inscription, et ignorait encore tout de sa classe ou de sa chambre.
Sa chambre… Serait-elle seule ? Aurait-elle des colocataires ? Un nouveau frisson la parcourut à cette simple pensée ! Mais où pourrait-elle échapper à la foule dans un endroit pareil ?!
Comme elle le craignait, la secrétaire lui confirma qu’elle avait deux colocataires, deux jeunes filles dont elle avait déjà oublié les noms, mais qui, selon la bonne femme derrière son bureau, étaient absolument charmantes. Soit…
Elle était à présent Shiori Ando, lycéenne de la classe 2-B, occupante de la chambre 104, membre du club de photographie…
Elle ne savait pas exactement pourquoi sa mère avait insisté pour qu’elle s’inscrive à un club. Peut être espérait elle la sortir de son mutisme en la forçant à se mêler aux gens… Certes elle aimait la photo… C’était même là son seul plaisir… Mais elle n’appréciait pas pour autant partager ses œuvres !
Après avoir rapidement déposé ses bagages dans sa chambre (ouf, ses deux colocataires semblaient être absentes !), Shiori se mit en quête du hall du lycée, où était soit disant affiché son emploi du temps… Evidemment, comme pour chaque déplacement, la jeune fille se munit de son appareil photo. C’était étrange, mais elle se sentait plus en sécurité avec le petit appareil noir dans sa sacoche…
Après avoir failli se perdre un demi million de fois, Shiori finit par trouver le dit hall du lycée. C’était un endroit plutôt vaste, remplit d’élèves qui papotaient joyeusement, se racontant les dernières nouvelles, passaient à toute allure pour rejoindre leurs salles de classe, ou trainaient devant le tableau d’affichage. Beaucoup trop de monde et beaucoup trop de bruit pour que Shiori se sente à l’aise, mais bon, il fallait bien qu’elle le récupère ce fichu emploi du temps !
Avec une inspiration, Shiori afficha son air le plus neutre possible et se lança dans le hall. Elle l’avait travaillée cette expression. Détendue, un vague sourire aux lèvres, un air déterminé pour être sure que les gens autour pensent qu’elle ait un but particulier et qu’il serait de bon ton de ne pas la déranger… tout était calculé !
Tout… Sauf ce grand dadet aux cheveux rouges qui lui barrait le passage à la dernière minute ! Elle tenta tant bien que mal de le contourner, mais le bouscula légèrement malgré tout. Tant pis, elle n’allait pas s’arrêter pour autant. Elle arriva enfin à sa destination, devant le fameux emploi du temps de la classe 2-B. Elle fouilla quelques secondes dans son sac pour trouver un stylo et du papier, mais une voix (ou plutôt un grognement) lui fit redresser la tête.

« Pressée, p'tite chose ? T'as failli me faire tomber. Je comprends qu'on trouve parfois des choses intéressantes sur ce fichu panneau mais de là à déborquer d'autant d'enthousiasme ; il y a des limites quand même ! »

Mince… Le grand dadet aux cheveux rouges… Il ne manquait plus que ça… Shiori prit une grande inspiration, et de la voix la plus neutre possible répliqua :

« Je suis désolée, je ne regardais pas où j’allais. Je vous prie de m’excuser. A présent pourriez-vous vous écarter s’il vous plait ? »

Elle avait opté pour la politesse la plus formelle, voyant qu’il semblait plus âgé qu’elle. C’était souvent le moyen le plus simple de ne pas s’attirer d’ennui. Quoique avec cet énergumène, il en faudrait peut être plus…

Non, non, non, mais non! Pourquoi fallait il toujours qu'elle finisse par tomber, d'une façon ou d'une autre, sur les ennuis? Pour n'importe qui d'autre, une telle rencontre n'aurait surement rien eu d'inconvenant, mais la façon dont ce garçon la détaillait mettait Shiori mal à l'aise au plus haut point et elle aurait mille fois préférée tomber sur n'importe qui que quelqu'un de trop curieux... Elle connaissait ce regard. Beaucoup l'avaient regardée de cette façon par le passé. il était immanquablement prélude à une raillerie... Ne pouvait-il pas tout simplement la laisser regarder son emploi du temps et s'en aller? Certes elle était nouvelle, et blonde (ça n'aidait pas pour la discrétion...) mais tout de même ! Lui n'était pas très passe partout non plus dans son genre . Déjà rien que sa taille le rendait repérable a une distance considérable et ses cheveux rouges semblaient crier « Eh oh !! je suis là ! Regardez moi ! »... Si lui ne passait pas inaperçu, c'était par choix, Shiori elle aurait mille fois préférée être une japonaise classique : cheveux noirs, yeux marrons en amande etc... Elle avait songé à se teindre les cheveux avant d'entrer a Keimoo histoire de ne pas attirer trop l'attention, mais elle n'en avait finalement pas eu le courage...
Par réflexe, Shiori recula devant le regard inquisiteur du garçon, baissant la tête pour cacher un peu plus son visage derrière sa frange.

« Dis, p'tite. T'as décidé de t'habiller ainsi pour te la jouer "ninja", genre "on ne me voit pas", c'est ça ?»

Et voilà maintenant il critiquait sa tenue... Dire qu'elle avait espérée pouvoir s'ouvrir un peu plus ici par rapport à son ancienne école... il semblerait que tout allait se passer exactement de la même façon. On la regarderait de haut, on la dénigrerai, elle se ferait toute petite et puis on l’oublierait... Elle avait pourtant fait de son mieux pour paraître normale, se fondre dans le paysage, ne pas paraître bizarre... Pas facile quand tout ce dont on a envie, c'est partir le plus loin possible, quelque part au milieu d'une vaste campagne, et prendre des photos a longueur de journée... Elle avait pourtant apprit à faire semblant au cours des années. Semblant que tout allait bien, semblant que les moqueries n'étaient pas mal intentionnées, semblant qu'elle était normale, comme tout le monde... Soupirant, Shiori se décida finalement a relever les yeux. Il l'observait toujours et même si elle avait une furieuse envie de lui coller un coup de sac et de s'enfuir, Shiori se maitrisa et prit une profonde inspiration avant de répondre, toujours sur le ton le plus civil possible.

« Je ne pense pas que mon choix vestimentaire te concerne, ni te devoir une quelconque justification. »

La jeune fille avait abandonné le vouvoiement qu'elle avait adopté en premier lieu. Il ne semblait pas être du genre a se préoccuper de ce genre de marque de politesse, vu l'effet que celle-ci avait eu lors de sa première demande... Si il y avait bien une chose que Shiori savait faire c'était s'adapter. Visiblement le grand dadet aux cheveux rouges n'avait pas l'air d'avoir envie de se pousser du milieu. Fort heureusement Shiori n'était pas pressée, et hormis le fait que la foule l'inconfortait, cela ne la dérangeait nullement d'attendre qu'il se décide enfin a se mouvoir de devant le tableau d'affichage. La dite foule d'ailleurs commençait a se dissiper et les élèves rejoignaient leurs cours respectifs. Shiori lâcha un léger soupir de soulagement en voyant le hall se vider peu à peu. Avec un peu de chance...

« Tu n'as pas un cours a rejoindre ? »

Si elle était chanceuse, leur rencontre serait abrégée... Mais Shiori n'était pas du genre chanceuse aujourd'hui...