Genre : Age : 31 Adresse : 3, rue la Chance, app. 11, quartier Hiryuu, avec Lawrence E. Swanster. 1580 Multicompte(s) : Kojiro Sekigahara
KMO :
Sujet: Dessins égarés ~ Lun ~ Ven 24 Juin 2011 - 11:17
Notre âme conserve ses secrets jusqu’à la tombe et accepte ses châtiments en silence.
Le stylet tapotait par petits coups brefs le calepin que je tenais délicatement, ignorant les rires et les cris qui s’élevaient de la cour derrière. Assis sur un banc, je veillais aux environs, mon regard bleu se perdant dans les masses informes des élèves chahutant sous les grandes ombres des bâtiments scolaires. JE cherchais l’inspiration, mais mes dessins ne s’étaient pas encore envolés. Seules quelques esquisses de visages enfantins, que mes prunelles accrochaient de temps à autres avaient eût le mérite de naître sous mes traits. J’eus un soupir. La rentrée à Keimoo se faisait avec douceur, et je retrouvais cette ambiance colorée de l’internat. J4aimais cet endroit, plus que tout autre foyer. JE n’avais encore pas retrouvé certaines de mes connaissances, mais mes estampes avaient su captiver,-pour le moment-, mon attention. Je n’avais eu que très peu de cours, et loin d’être barbé, j’avais pris plaisir à ressortir mes affaires scolaires et à travailler un peu. Le vent, portant les effluves nippones d’une nature omniprésente, je levais mon visage de la surface poreuse du papier, admirant le vol des pétales d’une quelconque espèce de fleur violacée. Pétales nageant dans le vent, autant lourds que gracieux qu’ils n’étaient légers et virevoltants. Mes prunelles suivirent leurs courbes ondulante dans l’apesanteur totale, puis lentement, leur chute jusqu’au sol, où, loin de rester immobiles, comme des poissons frétillants, heurtèrent la surface lisse de la terre, bondissant, pour enfin, aller mourir dans l’ombre d’un bosquet. Mon crayon, frénétique, se mit aussitôt au travail. Mon poignet, souple, forma les petits ronds représentant les pétales violets, portés par le vent. Penché sur mon travail, je me plongeais dans l’univers artistique des représentations. Je portais un jean déchiré, une veste de cuir, posée à mes côtés sur le banc, dénudant mes bras, mon torse habillé par une chemisette pâle, au dessin dorsal representant le pictogramme « baïto », travail, en japonais. Je tuais mon image sociale. Alala, où était donc passé le petit rebelle qui défie els consignes ? Mes lèvres s’étirent lentement sous le sourire naissant, et je relevais mon visage vers le ciel, les yeux fermés. Ressentir la chaleur du soleil sur sa peau procurait un bien incroyable. Une main se posa sur mon épaule. Mes paupières se soulevèrent lentement, et tournant la tête, je dévisageais le trio qui me faisait face. Deux racailles et un rebelle, certainement. Mon visage, impassible, n’afficha pas le trouble qui me gagnait. Que me voulaient t’ils ? J’étais japonais, et la politesse voulait que je reste discret et humble. Du moins, c’est ce que je m’ordonnais depuis que j’étais de retour ici. Le chef lâcha mon épaule, et jeta un regard aux autres.
« Si, c’est lui. »
Il plongea de nouveau son regard bridé, de jais, sur moi. Je savais que leur attention était surtout relative au fait que je me sois fait connaitre l’année dernière comme rebelle. Et que ma rentrée ici se faisait plus sous les hospices du gentil élève. Ma langue passa sur mes lèvres, et mon regard se fit plus interrogateur.
« Je peux vous aider ? »
« Tu m’montres tes dessins ? »
LA réponse me surprit. J’eus un froncement de sourcil bref. J’étais gêné, là. Je ne pouvais pas refuser, toujours en vue du règlement de politesse nippon. En même temps, je pressentais que ces mecs n’étaient pas des modèles. Pourquoi une action aussi naturelle ne l’étaient pas, pour eux ? Je tendis lentement mon calepin au plus mince des trois qui le récupéra. J’eus tord. D’une violente flexion du bras, il la lança au loin, par-dessus une rangée d’arbre. Les yeux écarquillés, je suivis la lente parabole de mon carnet de dessin, s’envolant dans le ciel, puis sa chute, dans les ramures de l’arbre. Mon sang ne fit qu’un tour ; je bondis par-dessus le banc, et attrapais le col de celui qui venait de lancer mon carnet. Ma poigne, dix mille fois plus puissante que la sienne, que les leur à trois réunis, le souleva.
« Species of jerk ! »
Je le jetais au sol, ignorant ses cris et ses insultes. Il avait eut le temps, dans sa panique, de me déchirer le col de la chemise. Je récupérais ma veste de cuir, et la jeta violemment sur mes épaules. Entre nous, cela me donna un air beaucoup moins gentil garçon. Ils reculèrent sous mon regard vénimeux, et je me détournais avec fureur, rejoignant avec haine la rangée d’arbre. Shit ! Où était tombé mon carnet ? Ignorant les kamis qui rugissaient sous l’affront ancestral que je commetais, à coup de pieds, je me mis à saccager un buisson pour retrouver mon carnet. En quelques secondes, je le retrouva. Dans les mains d’un… garçon. Je me stoppais dans mon massacre, car il s’était retourné vers moi. Alors là, ce mec était tout sauf japonais. Mon regard analysa une seconde ses traits occidentaux, puis je tendis lentement la main.
« Excuse moi… peux tu me rendre mon carnet, s’il te plait ? Ce sont des types qui l’ont balancé, et je voudrais le récupérer, s’il te plait ? » LA colère grondait encore dans ma voix, mais je ne m’en émus pas.
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Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Ven 24 Juin 2011 - 17:25
Je suis déjà dedans. Vivre, pour un mort, c'est le châtiment.
La cour de l’académie Keimoo ; à force de l’avoir traversé, Lun la connaissait par cœur. Il pouvait dire le nombre d’arbres qui y étaient plantés, les paniers de basket et les espèces d’êtres humains menacées qui y glandaient jours et nuits. L’insupportables paquets de fleurs rougissantes par le printemps et l’été. Glandaient, c’était le terme. Des gros glands qui finiraient peut-être en beau chêne à force de rester à ne rien faire dans la cour. Bien qu’ils étaient tous pour la plupart du genre lierre : à tenir les murs du lycée, de l’université. La jeunesse, elle était tellement habituée à ne rien faire qu’elle avait même inventé des mots pour qualifier leurs inactivités. Il ne fallait pas penser que Lun les critiquait. Il était comme eux : peut-être même pire qu’eux. Car des aspirations, il n’en avait aucune. Il ne vivait ni pour hier, ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Ni pour lui-même, ni même pour les autres. Il y a longtemps, un temps qui datait d’à peine une semaine, il avait une envie de vie. Un passé. Maintenant, il s’en moquait. Il se fichait bien de tout ce qui pouvait se passer. Il n’avait même plus honte d’observer les gens comme des rats de laboratoire. Ils ne méritaient guère mieux, ils ne valaient pas les peines qu’il avait eu pour eux. Lun redressa la main cachant un étudiant à sac à dos rouge avant de la refaire tomber.
Installé sur le dossier du banc, les pieds sur ce dernier, Lun s’amusait à descendre sa main et à la remonter. Imitant le geste d’un ami lointain. Cherchant à comprendre la signification que ce geste avait pour lui. Cherchant sans doute, aussi, à retrouver une part de lui-même. Le vide. Il ne s’était pas attendu à ce que le vide soit aussi calme en lui. Ne rien ressentir, c’était finalement appréciable. L’ancien populaire secoua ses mèches blondes attachées à un élastique, dont de nombreuses s’échappaient. Elles lui caressaient le visage, le rendant plus doux à l’œil. Il n’avait fait aucun effort vestimentaire : un vieux jean trop grand, un tee-shirt blanc avec une inscription ironique dessus. Des lunettes de vue. D’un point de vue extérieure, il ne ressemblait à rien. Trop grand dans des habits trop amples, il n’était charmant, ni même charmeur. Songeur. Des petites fourmis noires, inoffensives. Des petites fourmis rouges, désagréables. Des reines et des princesses qui veulent être vues. Des courtisans. Des travailleurs. Des nourrices. Une fourmilière. Une fourmilière où il n’était qu’un membre inactif. L’inactif d’une fourmilière n’a pas de rôle prédéfini. Il tourne en rond. A lire, on aurait pu penser que Lun était malheureux. C’était faux. Il était vide. Sans gloire, sans honte. Sans tristesse, sans joie. Juste un caillou. Qui roule, roule … Comme un groupe de musique. Passé, usé, vieilli, passé de mode. Il avait perdu tellement de temps à aider les autres et à les écouter. Des étrangers qui étaient passés dans sa vie et qu’il avait aimé sans même les connaître avec l’intime intuition qu’il devait être là pour les soutenir, les conseiller. Ils étaient malades, il les veillait et il leur disait d’aller chez le médecin. Ils étaient malheureux, il passait la nuit à les écouter. Et tout cela, il le faisait sans but. Car il aimait cela. Pourquoi cette idée de la vie avait changé ? Avant Lun pensait que si les autres étaient heureux, lui, il serait heureux. Il le pensait si fort, qu’il était vraiment heureux. Il aimait les voir rire, danser, chanter. Il pouvait avoir le cœur comblé juste pour un rire, un sourire. Maintenant, ils étaient morts à ses yeux. Personne ne vivait. Une terre brisée. Il se contentait d’écrire ce qu’il voyait. D’observer les gens sans entrer dans leurs vies, sans même leurs parler sans que ce soit nécessaire. Il pouvait rire, plaisanter, plus facilement qu’avant. Il souriait, mais il avait comme l’impression étrange que les autres autour de lui n’existaient pas. Ils n’étaient rien. Grouillant, se jouant, changeant. Voulant être vu, voulant être haït, aimé, reconnu. A quoi bon. Des singes mimant la même gestuel, utilisant les mêmes phrases, usant d’un langage collectif les réunissant et permettant de faire une distinction entre chaque tribu comme on peut le constater dans les civilisations les moins avancées. On a beau se dire civilisé, on reste des sauvages.
Un garçon est installé sur un banc en train de dessiner. C’est un joli tableau et Lun l’a sans doute vu. Cependant, il n’y a pas fait attention. Sa main était passée sur lui, le faisant disparaître, et réapparaître. Lui aussi n’existe pas ! Avant de passer sur un autre étudiant. Comme les enfants, les nourrissons, avant le troisième mois, qui pensent que tout ce qui disparaît de leurs vues disparaissent totalement. Tu es, tu n’es plus. Tu es …. Pourquoi avait-il aimé ce jeu ? Lun ne comprend pas. Il voudrait se mettre à la place d’un autre. Il veut y arriver. Il le doit, entrer dans sa tête. Sinon, il ne comprendra jamais. Il ne comprendra jamais.
Le jeune artiste inconnu installé sur le banc crayonne, crayonne cherchant l’aspiration ; et Lun crayonne le monde du bout des doigts. Un dragon, une princesse et un prince par ici. Un jeune gnome et un nain avec des chopes de bières par là. Lun n’a aucun talent dans le dessin. Ses bonhommes ressemblent plutôt à des bonhommes bâtons. Et la seule fois, où il est parvenu à faire un corps proportionné, un de ses amis qui dessine admirablement bien lui a prouvé en retournant le dessin que finalement il était totalement bancal. Gribouiller, il peut en être capable, mais il ne pourra jamais avoir le talent ruisselant des jeunes artistes en herbe. Il n’en ai pas jaloux. Ce qu’il voit dans sa tête est plus beau que ce qu’on verra jamais sur le papier. Le jeune artiste inconnu dessine sur du papier ; Lun dessine dans sa tête.
Rien d’intéressant. Ils sont nombreux les artistes à Keimoo. Pas de quoi fouetter un chat … Lun retourne à sa chasse. Cherchant un sujet intéressant. C’est pour un cours qu’il a, un sujet à rendre. Décrire un inconnu que vous aurez observé dans un environnement familier. Il faut un certain nombre de lignes. Sans doute une racaille, un rebelle ou un populaire ferrait l’affaire. Ils sont tellement éloquents que décrire leurs comportements devient facile. Son regard passe brutalement sur Jun Masato, un autre populaire, en train de rire et fumer de l’autre coté de la cour. Et Lun baisse le visage, tâchant d’être invisible.
Pourvu qu’il ne l’est pas vu …
Il reste ainsi, quelques temps. Plongé dans le silence, une cigarette non allumée sur le bout des doigts. Il voudrait cessé de fumer, mais il ne peut pas. Il reste longtemps, sans savoir que Jun Masato est depuis longtemps rentré. Puis un éclat de voix ! Lun redresse le regard, soudainement. Une bande s’est approchée de l’artiste de tantôt. Le populaire met une main dans sa poche. L’artiste n’a pas l’air d’un enfant, il doit savoir se défendre. Il descend du banc, jouant avec la clope, pour la faire tourner entre ses doigts. Curieux, attentif, tout en restant discret. Trois contre un ? Les racailles sont courageuses ! Uniquement si le nombre qui les opposent divisé par le nombre de leurs adversaires donne un résultat équivalent à trois. Le nombre fait la force ! Il fait aussi la couardise !
Lun ne sait pas que l’artiste est un ancien élève. Il ne se souvient pas de lui. Il faut dire qu’à part SES amis et ceux qui l’intéressent, le jeune homme n’a de yeux pour personne. Eventuellement pour ses coucheries. Mais avouons-le, elles sont tellement nombreuses que se souvenir de chacune d’entre elle, ce serait tenir un album photographique utile pour les inspecteurs de police, tellement il y aurait de fiché. Rien de glorieux à avoir Lun.
Elyott …
Lun regarde son téléphone portable. Deux jours sans nouvelle de son petit ami. Londres était peut-être loin du Japon, mais l’accusé de réception était bien arrivé. Dodelinant de la tête, Lun soupira en se penchant en avant pour observer le petit groupe, tout en rangeant son téléphone portable. La clope, toujours éteinte, à la main.
S’ils le frappent … J’appelle Elyott. S’il les frappent … Je lui envois un SMS. Si quelqu’un intervient … Il m’aime encore. … Si personne n’intervient …
L’écho des voix, basses, ne parvient pas à Lun. Il voit bien que le jeune artiste parle, mais ne saisit pas le motif de la question. Par contre, la racaille – comme la plupart, parle plus fort. Lun cerne le mot dessin. Tien ? Une racaille amateur d’art. Pourquoi pas. L’art est sensé être accessible à tout le monde.
Lun, qui a quitté son banc, se rapproche d’un arbre. A quelques mètres seulement de la scène, mais personne n’est assez attentif pour le voir. Ce n’est pas un arbre qui est là par hasard : il le cache des pions pour fumer en paix et du groupe par la même occasion ! La propagande contre le tabagisme n’étant pas encore passée de mode. Le populaire n’est plus altruiste. Qu’ils se pètent la gueule entre eux, tant mieux. Ce n’est pas son problème ! Qu’ils se débrouillent.
Toujours observateur, Lun sorti son téléphone portable pour taper avec une lenteur honteuse : [ Rassure-moi et dis-moi que tu n’as pas jeté mes paquets de clopes que j’ai oublié de ranger et qui traînaient sur la table ^.^’)]
Jusqu’à ce qu’un objet tombe à ses pieds. Assez intrigué, le blond reconnaît tant bien que mal le carnet tenu par la main de la racaille quelques secondes plus tôt. Visiblement, les dessins ne devaient pas être à son goût. Dommage. Lun le récupère avec lenteur et une certaine méfiance, s’attendant sans doute à ce que l’objet l’attaque. – on ne sait jamais - . Il en profite pour allumer sa cigarette, tout en s’adossant. Le carnet est ouvert, mais le blond le referme sans le regarder. Il ne bouge pas écoutant les pas parvenir derrière son dos, le bruit de feuilles qu’on dérange pour y chercher un objet égaré !
Il ne faut que quelques seconde pour que le garçon le rejoigne.
Lun se retourne légèrement en l’entendant. Malgré la colère de l’autre, il lui accorde un sourire. Pas de ceux qu’on lance par bravade ou moquerie, ni de ceux qu’on donne par gentillesse. Un sourire né simplement ainsi. Comme la courbe de la lune quand elle est là.
« Tu es excusé. » Murmure le jeune homme, suivant chaque geste de l’autre. Sans pour autant s’en approcher, et ne pouvant effectivement trop s’éloigner.
« Puis-je regarder ? » Toutefois, malgré sa question, Lun tend le bras, gardant du bout des doigts le carnet, prêt à le rendre à son propriétaire. La curiosité devait aller avec les sentiments. En les perdant dans un puzzle compliqué, Lun l’avait sans doute en partie perdu. Il souriait toujours, presque rieur. Donnant un léger coup de tête en direction de la chemise du garçon.
« Ta copine va croire qu’une groupie a voulu t’arracher ton tee-shirt. »
Lun tire sur sa clope, souriant toujours, sans un rire. Souriant, légèrement, les pointes de ses lèvres se levant. Un sourire que certain qualifierait de timide : ce n’était pas le cas. Il n’était pas timide.
La main tendue, l’autre gardant la clope, les cheveux en bataille et la mine blafarde, le populaire ne semble pas sur son meilleur séjour. Ses yeux d’un vert carnassier, pourtant, son bel et bien planté, résolu et moqueur, légèrement imputent dans ceux de l’artiste. Semblant vouloir dire : auras-tu le courage de me laisser le voir ? Ou bien, tout simplement : vient le chercher. Prends-le, puisqu’il est à toi. Mais garde-le cette fois.
« J’aurais pensé qu’ils auraient le dessus sur toi. Je suis déçu, les racailles de Keimoo ne sont plus ce qu’elles étaient. Affreusement déçu. »
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Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Ven 24 Juin 2011 - 18:41
Visage d’enfant à la peau trop pâle, trop fine pour être japonaise. Des yeux trop verts, trop profonds pour être fils de Susanoo. Un garçon étrange au charme androgyne. Un garçon qui comme un livre, était refermé, ne laissant voir qu’une façade mystérieuse.
« Tu es excusé. »
Mon regard tomba sur le carnet. Pas ouvert, pas abimé. Une seconde violé par un envol, fouetté par les lames d’un vent qui n’avait sut protéger son art, qui n’avait sut me prévenir d’une intention mauvaise. Les actes humains se ressemblent : d’abord internes et inférieurs pour ensuite exploser dans une bulle de violence. La distance nous séparait, le malaise que je ressentais nous séparait. Plus de colère, juste une profonde surprise, dans ma poitrine.
« Merci. »
Je m’étonnais. La colère me gagnait rapidement, souvent. Rapidement, je m’enflammais, frappant tout ce qui bougeait, transformant mes adversaires en proies, ne laissant aucune chance à tous ceux qui foulaient mon territoire. J’étais pourtant maitre de moi, mon sang calmé, par une simple phrase d’un inconnu. En quelques secondes, comme un assommoir dangereux, dont je venais de me laisser abuser. Je n’avais qu’à tendre la main, récupérer mon bien, et partir, mais ce regard vert me clouait sur place. Plus, vieux, plus jeune que moi ? Je n’en savais rien, et les prunelles sylviennes ne m’aidaient pas. Je me sentis rougir. C’était bête. Pourquoi réagissais-je ainsi, à la manière d’un gamin ? Je baissais les yeux, crispant mes doigts.
« Puis-je regarder ? »
« Si tu veux. »
Imprudence après ce qui venait de se passer ? Gosse effaré, angoissé à l’idée de rencontrer le regard d’un enfant inconnu mais dont il rêve d’aller jouer avec. Je mis ma main dans ma poche, recherche inconsciente d’une sécurité. Pourquoi ? En face des trois mecs, là bas, je n’avais pas eu peur. J’avais juste eu… la colère. Mais là, ce mec était …Décalé. Cheveux blonds, clope éteinte, jean et haut… presque normal. Mais une aura et un regard sciant sur place. Me sciant sur place.
« Ta copine va croire qu’une groupie a voulu t’arracher ton tee-shirt. »
Extra-terrestre a baissé son regard. Je relève le mien. Je souris. Il est humain, quelque part, il me met un peu plus à l’aise. Humour. Ou se trouve le siège de l’humour, Zack chéri ? Lobe frontal droit. Ce mec est donc humain. Du moins, il possède un hémisphère droit. Déjà c’est bon signe. Lui aussi sourit. Pourtant, d’un sourire vide, que je ne peux apprécier. Sourire pour de faux… mais sans tromperie… quel masque étrange et pitoyable. Je relève le menton. Il est des humains qui ont peur. Et ces humains ont développés des systèmes pour ne plus craindre. Posséder ses propres défenses et ses propres territoires, ses terrains de chasses sont de bonnes choses, car elles permettent de ne pas perdre pied lors d’un combat.
« Malheureusement, je pense que la seule personne à pouvoir faire ce genre de commentaire sera mon chat. Je n’ai pas le temps d’avoir une petite copine. »
L’humour. Merveilleux
« Ou un copain, qui sait. Faut être ouvert d’esprit ! »
Mes prunelles scrutent celles du mec. Plus vieux, je pense. Mais il y a quelque chose de bizarre, et je ne parviens pas à comprendre ce que c’est. Un copain… un mec… et un gosse… androgyne. JE fixe la cigarette. Est-ce une lâcheté ? Une saloperie, certainement. Je ne juge pas, mais je n’aimerais pas fumer. J’aurais l’impression de régresser.
« J’aurais pensé qu’ils auraient le dessus sur toi. Je suis déçu, les racailles de Keimoo ne sont plus ce qu’elles étaient. Affreusement déçu. »
Souvenirs, souvenirs. Mes yeux s’enflamment, mes poings se serrent. Ceci est pour moi une insulte. Je ne suis pas n’importe qui. Personne ne l’est. Mais dans un combat… je ne suis pas n’importe qui. JE n’aime pas perdre. C’est ma passion. C’est ce pourquoi je vis. Des roquets comme ces types n’auraient pas pût espérer me vaincre. Pas même l’idée n’aurait osé effleurer leurs esprits de dalmatiens pouilleux. Colère… Colère et passion sont mes points forts. Humour, mon péché mignon. La volonté de se battre dans la vie pour avancer, encore et toujours. En quoi est-ce marginal ? Ils ne sont plus ce qu’ils étaient ? Peu m’importe, face à moi, ils ne sont rien d’autre que des adversaires de bas étage. Et encore.
« Je prends ceci comme… une insulte. »
Ton plus froid, mais sourire tendre. Un peu comme un grand frère qui explique à l’enfant pourquoi ce qu’il a fait est mal. Pourtant l’âge n’était pas respecté. Je ne fuyais plus les prunelles vertes. Je le laisse regarder mes dessins. Maladroits face à ceux des artistes. J’aime en jalouser certains, car ils m’offrent ce sentiment de combattivité et cette volonté d’être meilleur, à chaque attaque. Combat d’une vie, pourtant si semblable partout, que ce soit avec un katana ou un stylet.
« Tu dis ça… mais moi je n’aurais pas supporté être vaincu par des gars comme eux. Ils n’ont pas d’honneur, ils ne prouvent pas qu’ils veulent vivre. Ils étaient juste là pour m’emmerder. Moi, je me suis défendu, j’ai combattu pour défendre mes idéaux. Quels étaient les leurs ? La moquerie ? La méchanceté ? S’ils avaient gagnés, et m’avaient frappé, j’aurais perdu un immense combat, …… je le pense. »
Je récupère lentement le carnet qu’il me tend maintenant. Mes yeux restent une seconde soudés aux siens, et mon cerveau réagit. Instinct de survie. Je ne suis pas attaquant face à lui, et c’est chiant. Je sors un stylo, beaucoup plus fin.
« Dis… je peux te dessiner ? »
Sourire énorme, qui étire mes lèvres. Excitation et vague malaise, sentiment puéril. Les pages volent entre mes doigts, je le fixe. Il a un visage vraiment fin pour un garçon. Tout comme son corps. Au combat, je n’aurais qu’à l’effleurer pour le faire tomber au tatami. Le cri de l’arbitre me parvient de là. « Hipon ! Soremade ! » Je saluerais. Vaincre sans panache… pff.
Invité Invité
Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Ven 24 Juin 2011 - 21:09
Le chêne et le Roseau - Jean de la Fontaine
Les gens n’aiment pas les détails, mais Lun ne voit qu’aux travers d’eux. Il regarde le jeune artiste qui tantôt n’existait pas dans son paramétrage. Physiquement, c’est un japonais, mais il y a un détail qui reste légèrement troublant pour toute personne : il a les yeux bleus. Lun est un occidental. Il sait que les japonais n’aiment pas être regarder directement dans les yeux. Lui, il ne peut s’en empêcher. Les yeux bleus voient différemment des autres, si Lun en croit les scientifiques. Il voit le monde en vert. Lun aimerait voir le monde en vert, car c’est sa couleur préférée. La couleur de l’espoir. Il aime le vert, pour l’espoir. Le bleu, pour la tendresse. Il aime le violet, pour la mélancolie. Le rose, pour la jeunesse. L’orange, pour la fantaisie. Et les autres couleurs pour d’aussi mauvaises raisons. Le jeune homme l’observe. Lun en serait presque intrigué. Il y a longtemps qu’on ne l’avait pas regardé aussi laconiquement sans y porter un contexte sexuel. Aux travers de ses yeux, Lun aimerait y lire ce qu’il pense. Afin de comprendre pourquoi l’Artiste ne part pas. Ne récupère pas son dû, d’un merci politesse et ne file pas à l’anglaise.
Puis, les yeux bleus regardent le carnet ; les yeux verts ne quittent pas les yeux bleus ; et le carnet ne regarde personne. C’est bien lui qui est le plus discret. Entre le bout de ses doigts, Lun le tient fermement. Il aime les dessins. Que ce soit ceux qu’on peaufine, termine à l’ordinateur et publie, fier de son travail. Ou les petits gribouillis sur les cahiers, les énoncés de textes et de problèmes. Un dessin serait un de plus beau cadeau qu’on pourrait lui faire, car il signifierait qu’on a pensé à lui, le temps de le dessiner. Cependant, Lun est distrait et frivole ; un peu négligeant et pas ordonné, et s’il le perdait, il en serait attristé.
L’anglais ne sait rien du caractère violent, enflammé et bouillant de son interlocuteur. Ca ne l’aurait pas effrayé. Lun aime la violence. Il l’aime tant qu’elle ne fait pas mal à l’autre. Il sait se défendre contre les coups de poings et si généralement, il ne le fait pas : c’est parce qu’il préfère qu’on le frappe lui, plutôt qu’on se mutile. Car lui, ne sait que rarement exprimer sa colère. Il boue, il râle, il garde en lui. Il écrit, il trépigne. Il excuse, il s’excuse. Et lorsque la violence dépasse les limites du tolérables, il prend un couteau, un ciseau, un rasoir. Le but n’est pas de se suicider, juste de s’éduquer. De se rappeler qu’il doit se calmer. Il se met en condition. Souvent, ça ne marche pas. Car Lun est Lunatique. C’est douloureux de ne pas pouvoir se retenir. Il voudrait canaliser tout cela. Avoir un peu plus de maîtrise.
« Oh. »
Il est un roseau. Le garçon devant lui est un chêne. Les chênes ne sont plus des glands. Il protège de la pluie. Ils servent à protéger du soleil. Lun est un peu étonné que le garçon accepte qu’il regarde son carnet. Il le ramène à lui, prenant soin de ne pas toucher le papier de sa clope dont s’échappe une évasive fumée. Lun regarde les traits, regarde le dessin. Ces yeux passent sur les détails, sur les défauts et les qualités. Sur le style de l’Artiste. Il pourrait rester ainsi, à regarder le dessin, pendant des heures – il lui semble. A tourner les pages pour regarder les autres. Cependant la présence à ses cotés l’oblige à redresser la tête, la penchant sur le coté.
« C’est normal qu’il n’ait pas aimé ton dessin. Il y a des pétales de fleurs. Les garçons ne doivent pas beaucoup aimé les fleurs. Ou ils n’aiment pas le dire. Il ne faut pas lui en vouloir. »
Car pour Lun, il était évident que si la racaille avait jeté le carnet à dessins, c’est parce que ces derniers n’étaient pas de son goût. Aux yeux de Lun, ils lui conviennent. Ils aiment la légèreté et la douceur, la tendresse qu’on ne peut pas percevoir dans le Prince aux yeux bleus mais qu’on devine dans ses dessins. Force et Courage. Il y a un petit coté Samouraï dans ce garçon. Le Japon, c’est un peu l’art de la tendresse. Avec ses fleurs, sa finesse, sa douceur. Pourtant, aussi loin qu’il y pense, Lun n’a jamais vraiment aimé le Japon. C’est un tout petit pays et seuls les accros des jeux vidéos, des mangas et des restaurants japonais tenus par des coréens rêvent d’y aller. C’est dommage. Le Japon a une culture riche et profondément enfoui dans de nombreuses civilisations. La culture, qu’on ne peut entr’apercevoir dans les différents aspects cités plus haut, est bien plus belle. Il faudrait pour vouloir vivre au Japon aimer leurs modes de vie, aimer la discipline, la hiérarchie, les mathématiques, la logique, le respect. Il faudrait aussi aimer la cruauté et la rudesse. Le Japon est doux d’apparence, mais l’apparence est toujours trompeuse.
Lun continue de regarder le carnet. Il se permet une touche d’humour pour la chemise du garçon, mais ne redresse pas la tête à sa réponse, plus absorber par les dessins. Ainsi, le jeune adolescent est hétérosexuel mais ouvert sur d’autres expériences. Il a sans doute raison. L’amour ne devrait pas avoir un sexe, mais un cœur. Lun y croit, ou y croyait. Que l’Amour est éternel, sans couleur, sans religion, sans sexe et contre toutes les différences. Il avait été amoureux ou il l’était encore. Le vide. Les yeux verts fixent le dessin sans le voir, cherchant à se souvenir de l’homme dont il avait été amoureux. Lun cherche son visage, ses mots, sa voix et son odeur. Il ne les trouve pas. Il y a quelques jours, encore, quand on lui parlait de lui : Lun avait les larmes qui montait aux yeux. Aimer sans être aimé. Aujourd’hui, il n’arrivait plus à ressentir l’émotion. Même cela lui semblait impalpable. Le garçon soupira à l’intérieur de lui-même, sans y perdre son sourire, il était finalement devenu le robot qu’il avait toujours rêvé d’être.
« Tu devrais le dire à ceux qui passent leurs nerfs sur certains en les traitant de tapettes. L’ouverture d’esprit, chez eux, doit se résumer en l’ouverture de leurs braguettes. »
La fin de la phrase est plus basse que le reste. Lun n’est pas spécialement fier de traîner dans les bars ou d’y travailler. Il n’en a pas honte non plus. Etre une poupée, c’est plus ou moins habituel. C’est une sorte de punition, pour ne pas être assez beau pour être aimé, ni assez laid pour qu’on lui trouve du charme. C’est un peu, comme tantôt, une mutilation de l’âme. Bien qu’aujourd’hui, l’âme de Lun est morte. Et sans doute, est-ce mieux ainsi.
Lun referme le carnet. Il lui fait une remarque, taquine, qui font enflammer les yeux de l’autre. Lun en rit, avec douceur, sans méchanceté. Il voit les poings se serrer. Bagarreur. Ce garçon lui rappelle des amis qu’il a perdu. Tête brûlée, sûr de lui, et pourtant capable de rougir et d’être étonné. Le jeune homme tend la main, s’apprêtant à la poser sur l’épaule de l’Artiste pour le calmer. Il s’arrête, en même temps que l’autre parle, le ramenant contre lui. Attirant le carnet contre son corps avec candeur. Il a eu peur. Il a peur des contacts. C’est nouveau, c’est étrange. Qu’importe, sans doute. Ca lui passera. Ca ne durera pas.
« Oh. » Encore, « Tu dois avoir raison. Pour moi, c’est tellement différent. Gagner, perdre. Etre le premier ou le dernier. Peu importe. S’humilier, être victorieux ou être le perdant. Que reste-t-il ? A Vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Si tu avais gagné, tu aurais été le vainqueur. Et s’ils t’avaient battus, tu l’aurais aussi été. Puisqu’ils sont lâches. Puisque tu es courageux. » Lun fait un mouvement vague de la main, cherchant sans doute à éclairer sa pensée, avant d’hausser des épaules. « Un truc dans le genre ! » Rajoute-t-il, toujours et éternellement souriant. Cependant, le sourire disparaît, le temps de laisser place à de la surprise. Les yeux verts s’écarquillants, les muscles se détendant.
Le dessiner ? Quelle sotte idée à traverser la tête de cet enfant pour qu’il veuille le dessiner. Lun l’observe, les courbes de son visage, son air glorieux. Sa force physique. Il y a chez cet Artiste, une ressemblance avec un souvenir que Lun n’arrive pas à palper. Il essaye depuis que ses yeux ont effleuré les dessins sans y parvenir.
Lun tend le croquis à dessin, essayant d’éviter tout contact avec l’autre personne. Il est, sans doute comme les grands traumatisés. Le pire, c’est qu’il en a conscience. C’est plus fort que lui. Imaginer que les autres puissent s’approcher de lui, lui dresse un nœud à l’estomac. Il est estomaqué par sa propre candeur et sa propre bêtise. Il le regrette, aussi. Il regrette de ne plus être capable de jouer la comédie.
Lun jette le mégot par terre, l’écrasant du bout du pied.
« Tu peux. Mais à une seule condition ! » Lun redresse le doigt en l’air, sérieux, comme un chef. Ses yeux fixant impérieux et menaçant le garçon devant lui, que le jeune homme juge de petit garçon. A tort, sans doute. Il lui faudra du temps pour l’apprendre ou l’affirmer.
« Tu ne devras le montrer à personne. Jamais. Ni par politesse, ni par gentillesse. Jamais. Je ne veux pas. »
C'était presque de la peur qui palpait chez le blond. Il devait disparaître, c'était une promesse.
Je ne veux pas être vu.
Le garçon se rapproche, restant simplement à une distance convenable.
« Je te remercie. (…) de me les avoir montré. Dessines-tu depuis longtemps ? »
Pas dénué de conversation et même plutôt bavard, le blond enchaîne sans laisser à l’autre le loisir de répondre.
« Je suis un peu jaloux. Quand j’essaye de dessiner, ça ressemble à rien. Une fois, j’ai voulu dessiner un lapin. Alors j’ai fait de longues oreilles, un gros corps et une petite queue touffue. Mais mon petit frère m’a dit : « Il est joli, ton cochon. » Alors, j’ai abandonné ma carrière d’artiste. …. Il faut être trop sérieux pour être un artiste. »
Et comme pour lui-même, Lun rajouta, tout en s’asseyant sur le sol. « Pourtant, je n’avais pas fait de queue en tire-bouchon »
Dernière édition par Lun Marv le Sam 25 Juin 2011 - 8:11, édité 1 fois
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Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Sam 25 Juin 2011 - 7:43
« C’est normal qu’il n’est pas aimé ton dessin. Il y a des pétales de fleurs. Les garçons ne doivent pas beaucoup aimé les fleurs. Ou ils n’aiment pas le dire. Il ne faut pas lui en vouloir. »
Dessiner n’est pas doux. Délicat, certes. Fin, précis. Mais c’est quelque chose de cruel. C’est un combat entre l’œil, la main, le cerveau, la réalité et l’imagination. Ce n’est pas ces combats qu’on voit dans les films entre différents protagonistes, ou bien ce que je suis moi-même capable de faire avec un sabre dans les mains. C’est un combat parallèle, où le but, finalement, n’est pas d’écraser l’autre, mais de se dompter à lui, afin de lui imposer sa volonté. C’est comme… une symbiose. On pourrait penser à une fusion, un acte sexuel entre tous les élèments, pour qu’ils soient ensembles, communiés… mais un acte sexuel n’est pas toujours tendre. Pas toujours harmonisé. Et pourtant, mon crayon court, revient, rature, recommence.
« Tu devrais le dire à ceux qui passent leurs nerfs sur certains en les traitant de tapettes. L’ouverture d’esprit, chez eux, doit se résumer en l’ouverture de leurs braguettes. »
Un monde sexuel qui est régi par une violence sexuelle. Rester maitre de se soi. Je n’ai jamais couché avec personne, j’ai dix sept ans. C’est pas mal, non ? C’est presque pas normal. Des gamins vont baiser avec d’autres, plus vieux. Un monde pas forcément pur, pas forcément déloyal. Juste une mentalité que je ne comprends pas. Pourquoi est ce qu’il a accepté que je le dessine ? C’était facile de feindre la timidité, de dire non. De sourire et de s’en aller. Mais il avait accepté. Le crayon éduque les courbes, les yeux bleus se lèvent, accrochent pour quelques secondes les verts, redescend légèrement sur le visage, fuit le regard. Redescend toujours, et le crayon continue.
« Oh. »
Les rôles s’inversent depuis le début. Je ne sais pas qui est l’ainé. Il parle avec le calme et le sérieux d’un petit enfant. Sans péjoratif. Il est comme un enfant dans sa voix. Mais il possède un corps adolescent. Un corps grand, fin, qui trompe. La première chose qu’on voit, lorsqu’on le rencontre. Et pourtant, sa voix est déstabilisante. Sa voix, sa manière de penser. Penses-tu, little boy, que ces mecs n’aient pas aimés mon dessin ? Je veux le croire, parce que c’est lui qui l’a dit. Mes pensées m’échappent, et j’oublie ma colère, j’oublie la réalité. Des emmerdeurs qui veulent emmerder. Cette vérité là, elle me file entre les doigts. Non, c’est parce qu’ils n’aimaient pas mes dessins. Tu crois ? Alors je leur pardonne. Mes doigts se crispent, sur le papier. JE suis ailleurs. Ni là, ni plus loin. Ailleurs, hors de porté, dans un dessin qui nait lentement.
« Tu dois avoir raison. Pour moi, c’est tellement différent. Gagner, perdre. Etre le premier ou le dernier. Peu importe. S’humilier, être victorieux ou être le perdant. Que reste-t-il ? A Vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Si tu avais gagné, tu aurais été le vainqueur. Et s’ils t’avaient battus, tu l’aurais aussi été. Puisqu’ils sont lâches. Puisque tu es courageux. »
A vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Une phrase qui m’échappe mnésiquement, tout le temps. J’aimerais bien la retenir pour toujours. Que pense tu ? Que la Victoire et la Défaite n’existe pas ? C’est philosophique, et je comprends cette pensée des choses. Mais pour moi elles existent. Parce que je les vis, au quotidien. Parce que comme pour certains vivent avec le bien et le mal tous les jours, je vis pour le combat. Peut on ensuite expliquer pourquoi on gagne ? Parce que je suis courageux ? Pour les arts, courageux, c’est défendre ce qui est juste. Pour moi, courageux, c’est me dresser pour mes idéaux. J’ai l’impression que c’est différent, mais au final, c’est la même chose, le même objectif. Pourquoi ne l’ai-je pas compris plus tôt ? Les yeux verts se lèvent. Mes lèvres esquissent un sourire. Défendre ses idéaux. Je les ai défendus. Pour un simple carnet de dessin.
« Un truc dans le genre ! » Oui. Un truc dans le genre…
« Tu peux. Mais à une seule condition ! »
Je me souviens son regard. Sérieux, calme, sévérité. Un petit garçon blond qui se dresse, ordonne, défend ses idéaux. Parce que je suis courageux ? Il explique, ses lèvres forment les boucles des mots japonais. Un gosse blond, plus vieux que moi, mais que j’identifie comme un enfant. Le vent souffle, porte ses complaintes dans les cheveux solaires. Qui est il ? Il faudrait que je l’immortalise. On me dit doué au dessin. Je me trouve maladroit, ne parvient jamais à atteindre ce niveau dont je rêve. Immortaliser. Dessiner par la pensée… c’est beau. On peut tout faire, à la perfection. Mais c’est facile. Sur le papier, il faut tout immortaliser, et surtout trouver l’ultime. L’harmonie.
« Tu ne devras le montrer à personne. Jamais. Ni par politesse, ni par gentillesse. Jamais. Je ne veux pas. »
Souvenir de sa voix, de son doigt qui se lève. Je sens la chaleur de son ventre. Je ne baisse pas le regard. J’aime trop avoir accrocher ses iris. Vert et bleu… un monde de couleur. Pourquoi a-t-il peur ? Il ne veut pas que je montre… pas que je le montre… on ne le reconnaitrait pas, de toutes façon. Je dessine trop mal. Le crayon se soulève. Je reste immobile. J’ai fini. Cheveux blonds, longs, portés par le vent. Visage pur, blanc, enfantin. Epaules et paupières, nez et lèvres, arcades et carotide. Je reste silencieux à fixer le dessin. C’est comme un malaise qui s’est installé depuis trop longtemps dans ma poitrine, mais que je ne remarque que maintenant. (…) Je l’ai bien réussi, celui là.
« Je te remercie. (…) de me les avoir montrés. Dessines-tu depuis longtemps ? »
« Je t’en prie. Depuis que je suis là, sérieusement. Avant, je dessinais, et j’aimais ça. Mais je ne dessinais que très peu. Ça me soulageait de peines ou de chagrins, c’était ma thérapie. »
Je ne cherche plus son regard. Pas pour le moment. Mes yeux se posent sur son crâne blond, aux mèches folles, qui tombent autour de son visage, avec légèreté et simplicité.
« Je suis un peu jaloux. Quand j’essaye de dessiner, ça ressemble à rien. Une fois, j’ai voulu dessiner un lapin. Alors j’ai fait de longues oreilles, un gros corps et une petite queue touffue. Mais mon petit frère m’a dit : « Il est joli, ton cochon. » Alors, j’ai abandonné ma carrière d’artiste. …. Il faut être trop sérieux pour être un artiste. »
Je retiens un rire, et me relaisse tomber à la première fois que j’ai dessiné. Il s’asseoit, au sol, et je le vois dire quelque chose dont le sens, cocasse, ne me parvient que l’instant d’après.
« Pourtant, je n’avais pas fait de queue en tire-bouchon »
« La première fois que j’ai dessiné un mouton… on m’a dit « il bien fait ton arbre. » ça m’a fait rire, et pourtant j’étais déçu. Je devais avoir sept ou huit ans. Mais je me suis dit « comment faire pour que les gens voient ce que je veux leur montrer ? » J’ai compris, à force de gribouiller, qu’il fallait que je me rapproche de la réalité, encore et toujours. Qu’il fallait que je décroche une image de la réalité pour la mettre sur le papier. C’est dur… parce que tu veux réussir du premier coup. Alors tu recommence, encore et encore, mais c’est jamais ce que tu veux vraiment. T’en as marre, tu déchire, tu recommence. Des années durant. »
Je m’assieds, loin et proche de lui à fois. Mes doigts attrapent le mégot de cigarette. Je la lève à la hauteur de mon visage, l’étudiant. Les cendres forment comme des minuscules montagnes, lointaines, dans un pays imaginaire, qui part en fumé. Je reprends mon carnet, ouvre une page, et pose le mégot dessus. Descend, lentement, comme on descendrait la lame dans la chair d’un homme.
« Donc finalement, le but, c’est pas de dessiner bien. Parce que ça existe pas. Il faut se mettre dans la tête des autres en utilisant tes doigts et ton cerveau. C’est compliqué, ça. Mais c’est parce que c’est compliqué que ça prouve que tu existes. Parce que tu l’as fait… »
Le pictogramme « feu » est né sous la cendre d’une cigarette éteinte. Le mégot tombe. Je prends la feuille, la détache du carnet, et la tends au garçon.
« Qui es tu ? »
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Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Sam 25 Juin 2011 - 10:18
Aux yeux de Lun, dessiner restera doux. Il y a des souvenirs dont on ne peut empêcher la douceur. Le froid d’un été qu’on promettait caniculaire et une clinique où on se déguise en indien pour faire passer le temps et en se disant qu’on le provoquera, peut-être, cette été indien. Lun y voyait le temps s’écouler au travers de fenêtres fenêtre qui à ses yeux avaient des barreaux qu’il ne pouvait franchir. Le téléphone portable posé sur l’assise, attentant l’impatience d’un SMS, avec la fébrilité d’un poisson venant d’être péché. Et puis, un ami était venu, un soir. Tâchant d’éviter les interdictions de visites. Des canettes de bière dans une main, un sac de bonbons de l’autre. Lun se souvenait de cette nuit-là, comme-ci, elle avait eu lieu hier. Lorsqu’on est un soi-disant génie, on peut se commémorer une scène en la visualisant et la décrire avec une exactitude, bien que contournée par ses propres sentiments. Bon nombre d’artistes ont ce talent. Ce n’était pas important. Lun n’aurait eu qu’à fermer les yeux pour retourner à ce soir d’été. Il pleuvait légèrement, un ciel pluvieux et maussade. Enfermé dans la chambre, il le regardait dessiner. Au travers de la fenêtre, dont il ne fermait pas les volets, il voyait la campagne, un chemin de fer, un canal où aucun bateau ne semblait passer. Il y avait des arbres touffus, et des petites maisons aux toits de couleurs. C’était ce que l’autre dessinait, le modifiant pour le rendre féerique, aux goûts de Lun et non aux siens. Il aimait la réalité, Lun aussi ; mais ils n'avaient pas la même. Avec une dextérité académique, dû à sa profession, l'Autre mélangeait leurs réalité. Malgré l’automatisme du geste, et la dureté du regard de l’homme, Lun y trouvait de la tendresse. La fumée opaque des joints échangés que l’autre roulait envahissant la pièce. Lun était de la vieille école, ni de bang, ni d’autres jeux. Un simple joint à faire tourner, une simple clope à garder. Si ce souvenir est si tenace aux yeux de Lun, c’est parce que toute la soirée, malgré la douleur de l’intraveineuse, d’un viol encore récent et de mauvais souvenirs, il était heureux. Au point de radier de bonheur. Il s’était fait un nouvel ami, disait-il, et l’autre aux cheveux de jais riait de son enthousiasme. Précautionneux, mettant pourtant en garde que les gens ne sont pas ce qu’ils paraissent être. Incapable pourtant et sans doute ne le désirant pas de calmer la joie extravertie du jeune Lun qui répétait inlassablement : je le sais. Je le sais. C’est mon ami. Voyons ! Avant de baisser légèrement de la tête, la rangeant dans sa main et de soupirer exaspéré que l’Autre ne puisse comprendre. C’était un effet du joint, de paraître encore plus présomptueux qu’à son habitude. L’autre avait rit, avant de se mettre à décrire la Suède qu’il avait visité. Usant de grands gestes, comme les espagnols et les italiens savent le faire. Rajoutant, sans doute, des détails grandioses pour voir les yeux de Lun s’écarquiller de plaisir.
C'était Maeki avait eu raison. Lun le savait maintenant. En réalité, croire en l'amitié, c'est être stupide. Lun perdu dans ses pensées réalisa brutalement qu’il n’était toujours pas seul. L’Artiste Inconnu était encore là. Secoua ses mèches blondes pour tâcher de faire fuir tous ses souvenirs qui affluaient depuis des jours, Lun regarda légèrement honteux l’autre. Il n’avait pas entendu la réponse à sa question. Il ne le dirait pas. Il aurait sans doute rit, s’il savait qu’on le voyait comme un enfant. Un enfant n’est-il pas sensé être innocent ? Lun ne se souvenait pas l’avoir été un jour. Ou plutôt il ne souvenait plus l’effet que produisait l’enfance : l’insouciance, la cruauté, la méconnaissance de la portée de nos actes. Nourrisson, on le disait en avance. Petit enfant, on le disait précoce. Enfant, on le disait doué. Adolescent, on lui répétait sans relâche qu’il n’exploitait pas ses capacités. Lun aurait aimé leurs faire comprendre qu’exploiter ses capacités, c’était se rendre malheureux. Aucun génie, aucun philosophe, grands inventeurs et autres personnalités n’ont été heureux. A 12 ans, Lun avait déjà lu toutes leurs mémoires. Il savait la peine d’Einstein de migrer aux Etats Unis en abandonnant sa patrie, son sentiment de trahison. De tous, c’était lui que Lun préférait. Il lisait aussi tous les autres livres lui tombant sous la main dans la bibliothèque de son père. Les contes de fée de son âge et les histoires de romances d’un autre. C’était eux ! Eux que Lun préférait, honteusement. Et plus, sa capacité à comprendre s'agrandissait et plus Lun voulait ne rien savoir ! Ne rien apprendre. Son objectif était de jamais travailler, ni à l'école, ni ailleurs. Ne pas en savoir plus ! Surtout pas. Les connaissances, c'est ce qui rend les hommes arrogants et malheureux. La joie, l'amour, les caresses, les câlins, les rires et les blagues, c'est ce qui rend les gens heureux. Les être superficiels sont les plus enviables !
Le Bonheur, l’Amour, l’Amitié, tout cela lui semblait si abstrait. Tellement beau. Bien évidemment, il avait des amis. Bien évidemment, dans son école de Londres Lun avait des amis, mais ils ne lui manquaient pas. Mais ils n’étaient pas une part de lui-même. Alors l’enfant se disait que plus tard, il aurait des amis. Et que toute sa vie, il rendrait ses amis heureux. Il voulait les voir heureux : pour observer, pour comprendre. Rapidement, sans le voir, il en avait fait des sujets d’expérimentation. Et puis un jour, l’Autre était rentré dans sa vie. Lun s’était rit de lui, protestant qu’il n’était pas son ami. Qu’il n’était que l’ami d’un ami décédé. Qu’il était là pour être gentil, mais qu’ils n’étaient pas amis. Rapidement, sa vie, aux revendications très floues, avait été chamboulé par cet Autre qui lui répétait inlassablement qu’il faut être terre à terre dans la vie. Qu’il faut apprendre à être un adulte respectable et que Lun serait très malheureux s’il croyait qu’on peut avoir confiance aux autres et les aimer car on vit seul.
« Se rapprocher de la réalité. » Répète Lun, encore et toujours pour lui-même, avant de hausser de la voix. « Au contraire ! Au contraire ! Je veux m’en éloigner. La réalité. »
La réalité c’est que cet Autre qui est dans l’esprit de Lun n’existe plus. Lun voulait croire qu’en se souvenant de lui, il le garderait en vie. Il ne fallait pas qu’il se rapproche trop de la réalité car son ami lui répétait toujours qu’après la vie, il n’y a rien. Qu’il ne faut pas se leurrer. Et qu’un esprit aussi analytique et scientifique que Lun ne devrait pas se conforter dans l’idée qu’il reste toujours une part de nous dans le cœur des autres. Doit-on respecter les croyances de celui qui meurt ou préférer les siennes par égoïsme ?
« Je ne dessinerais plus jamais. » Répondit résolu le jeune homme. Qui préféra ne pas préciser, qu’il n’existait pas. Il n’avait aucune vie, si ce n’est celle d’être au travers des autres. Vouloir rester à sa place avait longtemps été son leitmotiv, maintenant, il serait y rester. Ce n’était pas bien compliqué.
Lun, en tailleurs, laissa sa tête reposée sur l’arbre. Un genou, légèrement relevé, lui permettant d’y déposer son bras. L’autre retombé sur la cuisse.
« Les artistes sont trop cruels. Je le suis déjà bien assez sans en être un. »
Qui es-tu ? Encore une fois, Lun se tâcha de ne pas répondre ce qu’il pensait. Il fallait éviter la dramatisation. Parce qu’il n’était personne. Car il était, l’ami de ses amis. Mais qu’il avait promis de le protéger ! Et qu’aux yeux de Lun, une promesse c’est un serment ! Une allégeance ! Si tu promets, tu dois tenir. Tu ne dois pas mentir. Lorsqu’on lui promettait, avant, Lun y croyait sans le moindre doute. Sans confiance, mais avec certitude. Puisqu’il avait promis, se disait-il, il tiendrait sa promesse. Il se sentait heureux, soulagé, lié par ce serment. Lun avait promis souvent sans pouvoir y tenir. Il avait promis à Keio d'être toujours là pour elle. Il n'avait jamais su le faire correctement et la fâchait toujours. Il avait promis à Kumori qu’il le laisserait tranquille, qu’il se tiendrait tranquille. Sans jamais répondre à la question de savoir s’il le méritait. Il n’avait pas pu. Il s’était comporté en jeune écervelé, imbécile et heureux d’avoir un ami. Il avait promis à Tadacherii de le supporter et d'être gentil. Et à chaque fois, il se montrait irascible et moqueur quand il le voyait. Il avait promis à Shiki de lui parler lorsque ça n'irait pas, et il lui avait préféré cet inconnu au temple. Il lui préférait si souvent cet inconnu, et si injustement. Il avait promis à Elyott de ne plus jamais lui mentir. Mais Lun n’avait pu lui dire au travers de son dernier SMS que tout ne se passait pas si bien que cela au Japon. Qu’il n’aurait pas du revenir, si revenir signifiait perdre tous sentiments. Promettre et ne pas tenir, Lun le supportait mal. Il culpabilisait. Il avait honte de ne pas tenir, mais pas honte de perdre. Il se fichait bien qu’aux yeux de ses amis, il passe pour un maladif cinglé. Il les aimait plus que tout.
Lun avait promis qu’il protégerait Maeki Oyuki, un jeune homme pas si gothique que cela, qui vivait avant avec lui à Keimoo. C’était son meilleur ami, et Lun n’avait pas tenu sa promesse. C’était du passé. Tout cela ne comptait plus et n’existait plus. Lun en avait conscience. La promesse qu’il avait faîtes à son meilleur ami était de celle qu’on ne doit jamais trahir. Celle qui forme un sceau, une véritable protection contre le mal. Toutes les autres n’étaient que futilités et bêtises. Évidemment …
« Pardon. » Réalisa Lun. « Je ne suis véritablement pas d’une bonne compagnie. »
Il ne prit pas la feuille qu’on lui tendait.
« Lun, Lun Marv. (…) Je suis scolarisé à Keimoo depuis décembre 2008. L’école est grande, on ne peut pas connaître tout le monde. Avant j’effectuais mes études au lycée. »
Nettoyant ses genoux salis par le sol, le jeune homme eu soudain l'illumination qu'à rester dans ses pensées, il devait procurer une sensation un peu flottante.
« Si je continue comme ça, tu vas me prendre pour une vieille ombre desséchée. » Merci de ne pas préciser à Lun Marv que techniquement, une ombre ne peu pas se dessécher. Les cohérences de langages n’étaient vraiment pas le fort du jeune homme – un peu comme les fautes d’orthographe de son auteur.
Lun s’étira joyeusement, se redressant sur ses pieds, ignorant toujours la feuille.
« Allez, viens. Puisque tu aimes la victoire ! J’ai bien envie de te voir battre le chef de tout à l’heure. Histoire qu’ils ne leur en viennent pas à l’idée de venir te chercher des noises encore une fois … »
Lun pointa du doigt la poitrine du jeune homme avec un sourire moqueur : « A moins que tu ne sois un trop gentil garçon pour ça ? Si tu veux, je peux m’en occuper pour toi. Ici, aucune racaille ne me fait peur ! Le contraire n’étant pas réciproque … »
Et contrairement à ce qu’on pourrait pensé. Ce n’était pas de la vantardise. Lun savait se battre, enfin ... Il savait user de stratégie pour tricher et gagner.
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Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Sam 25 Juin 2011 - 11:46
Souvenirs. Les yeux verts de l’enfant-homme se perdirent dans une immortalité lointaine, au-delà du réel. L’envie de savoir où, qui m’aiderait à comprendre ce qu’il était. Mais aussi cet attirance magnétique de ses yeux qui me fit chuter en arrière, dans mon propre passé, abandonnant pour quelques secondes, pour quelques siècles cet instant présent.
« Surdoué, ce n’est pas forcément être excellent en maths. »
La naginata vole. Mon corps qui flanche. Je retiens un cri de frustration. L’ombre du sensei se dresse, son bras aussi.
« C’est juste une arme. »
Attaque frontale. Je cours. Je ne fuis pas. Je cours, c’est différent. Il faut que je trouve un angle surélevé pour un pointé décisif. Il ne me regarde pas. Son kimono lui profère une liberté de mouvements rotatifs impressionnants. La chaîne de l’arme meurtrière cliquète sur le sol. Ma lame chuinte à la sortie du fourreau, je bondis. Atterris au sol, à ses pieds, la lame du naginata à quelques centimètres de ma carotide.
« A toi de voir si tu veux l’utiliser comme les autres ou non. »
...
« Pardon. Je ne suis véritablement pas d’une bonne compagnie. »
Mes yeux se posèrent sur le visage du garçon, une seconde. Il ne prenait pas la feuille. J'aurais put être déstabilisé, ou vexé, mais rien ne m'habitait. Mon bras se baissait, presque imperceptiblement, centimètres par centimètres. Yeux verts, cheveux blonds, peau pâle. Un extra-terrestre! Un kami qui me foutait mal à l'aise, mais apaisant et mystérieux, ne pouvait me gêner de manière vraiment... mauvaise. Je ne répondis rien, mes yeux concentrés sur la feuille. Les cendres se soulevaient, lentement, disparaissaient dans le vent. Les garçons ne doivent pas aimer beaucoup les pétales de fleur. Pourquoi était-ce si injuste? Ma gorge se crispa. Une simple rencontre, comme toujours. Sauf que celle-ci me faisait mal. J’étais arrivé par un buisson, en colère, prêt à tout tuer, et je me retrouvais comme un con piégé par des yeux verts d’un gosse ancestrale. Envie de pleurer...? Non…
« Lun, Lun Marv. (…) Je suis scolarisé à Keimoo depuis décembre 2008. L’école est grande, on ne peut pas connaître tout le monde. Avant j’effectuais mes études au lycée. »
Je retiens un sourire. J’ai son nom. Lun. Marv, son nom de famille, mais… surtout son nom. J’en suis heureux. Il bouge, je frissonne. Mon regard suit le mouvement de ses doigts blancs, tandis qu’il essuie simplement ses genoux. La feuille de dessin a touché le sol ; c’est comme un glas qui sonne, quelque part. Il n’en veut pas. Tant pis. Dommage. Ne jamais dire dommage, dire adieu, à la place. Adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu, adieu ! ...
Mes doigts effleurent le sol, avec douceur. Pourtant je voudrais le déchirer. Il se lève, et j’entends le sourire de sa voix. Sans réfléchir, par automatisme, mes lèvres s’étirent à leur tour. Mon visage se lève vers le ciel, mon regard bleu tombe sur les cheevux fous qui dansent dans le vent. C’est une belle journée. Vent et soleil.
« Allez, viens. Puisque tu aimes la victoire ! J’ai bien envie de te voir battre le chef de tout à l’heure. Histoire qu’ils ne leur en viennent pas à l’idée de venir te chercher des noises encore une fois … »
Surprise. Mes yeux s’écarquillent, et je sens une rougeur monter mes joues. Quoi ? Pourquoi il dit ça ? Comment on en est arrivé là ? Mes pensées défilent à vive allure dans ma tête, mais incaptables, je ne parviens pas à saisir leurs sens. Un sourire moqueur nait sur les lèvres de Lun, et il prend une expression de défi, en me pointant du doigt. Mon sourcil se hausse, témoignant de mon trouble. C’est étrange… J’ai encore l’impression de chuter à une vitesse vertigineuse, tout en restant sur place.
« A moins que tu ne sois un trop gentil garçon pour ça ? Si tu veux, je peux m’en occuper pour toi. Ici, aucune racaille ne me fait peur ! Le contraire n’étant pas réciproque … »
Silence. J’ai penché le visage, impassible. Sentiment de colère, de rage, de puissance, d’impuissance, d’incompréhension et … neurasthénie. Mort. Je suis immobile, silencieux, dans le vent. Si je devais être un élément, je serais celui là. Doux et léger pour se dresser, la seconde d’après, grondant et furieux. Sauf que mon souffle est court, et douloureux, perdu dans ma poitrine. Je me lève, sans répondre. Il me suit ? Lun, tu me suis ? Je tourne légèrement mon regard, mélancolique, le regarde, et fixe mes yeux devant moi. Hasard et finallité font bon ménage comme on dit. Deux de mes camarades de kendo passent devant moi. Je lève la main. Ils se tournent. J’ai l’impression d’être un robot.
« Senta, peux tu me passer deux bokken, s’il te plait ? »
Senta, un asiatique, coréen, je crois, me dévisage, surpris. Il porte un sac long que je reconnais pour être ceux qu’il emmène au dôjo lors des entrainements. Il hausse les épaules, balance la sangle de son sac de manière à l’avoir devant lui, ouvre la fermeture éclair et révèle son matériel. Il me tend le sac, je choisis. D’un bref mouvement de la nuque, je le remercie.
« Je te les rends après. » « Ok ! »
Il me sourit et s’éloigne en compagnie de son ami. Je pèse les bokken et les place en obi. A la ceinture. D’où Obi-Wan Kenobi, d’ailleurs, qui signifie, « sabre à la ceinture ». Mais c’est un détail. Mes yeux se plissent. Je sais que la plupart des gens ne peuvent pas ressentir les auras. Les Japonais ont cette faculté. Tous ceux , nippons, qui me fixent savent que j’ai changé. Avec un sabre, je ne suis plus un élève à Keimoo. Plus froid, plus fort, plus sûr de moi. Un représentant du bushido. Si Lun me suit, il verra. S’il ne me suit pas, il ne saura pas. Je traverse la cour, sans un mot. Ils ont pris le banc sur lequel j’étais installé. Un d’eux lève son regard. Je tends un bokken vers eux, sans spécifié en particulier d’adversaire. Celui qui m’a touché l’épaule croise mon regard, et avec un petit sourire, prend la lame. Courageux. Défends tes idéaux. Il s’écarte du banc, et je le suis sur le petit morceau de pelouse, juste à côté. Le troisième lascar se place à côté de nous. C’est bien, au moins ils font preuve de respect envers les arts. Je me place en garde haute. Pas question de perdre du temps.
« Hajime ! »
Les yeux verts. Je plisse les yeux, et bondis sur mon adversaire. Sutemi. Attaque mortelle, sacrifiant ma vie. Ce n’était pas vraiment une attaque en elle-même, surtout une philosophie. Dans un combat, il fallait garder deux choses en tête : le Sutemi, et le Kyo, l’équilibre.
Après tout, je suis le vent.
Il est doué. Il pare mon attaque. Une attaque au ventre, d’une main, piquée. Il esquive en frappant sur ma lame. Je bloque son attaque de la puissance d’une caresse. J’ai les yeux rivés sur les siens, alors que lui cherche du regard où frapper. Je ne lui laisse pas cette chance. Mon sang ne fait qu’un tour. Saisir l’instant. Frapper. Et d’un coup, tuer.
« Hippon ! »
L’arbitre improvisé est obligé de stopper la rencontre. Le vent souffle encore dans mes cheveux, câlin, complice, confident. Mon adversaire est à genoux, au sol, la lame de bois rouge pointé entre ses deux yeux. Mes muscles sont bandés, immobilisé par le seul mot qui peut me foudroyer en plein milieu d’un combat. L’ordre surpême pour interdire tout mouvement du combattant. Une seconde plus tard, et ce type, par fureur, ce serait retrouvé avec un trauma cérébral. Je reste impassible, puis lentement baisse mon arme. Je tends la main, ma peau parcouru par un frisson de colère. Adieu. Il me rend lentement mon bokken, et se lève, chancelant. Faiblesse. Il avait perdu. Mes yeux rutilaient d’une haine sans nom. Je pouvais me laisser gagner par la colère, ainsi, en quelques secondes. LE trio s’éloigne précipitamment. J’entrouvre mes lèvres, pour respirer, pour me calmer. Je sens encore la chaleur qui se dégage de moi, alors qu’en pleine attaque, je n’avais aucune maitrise rationnelle de mon corps. C’était tellement parallèle. De se sentir vivant, et d’être capable d’attaquer, en une seconde, pour détruire un homme. Et une fois refroidi, l’instant d’après, de se rendre compte de ses propres faits et gestes. Mon sensei me l’avait déjà dit, une fois. J’étais dangereux. Je ne me maitrisais pas, dans les combats. J’étais dangereux. C’était do… … Mes yeux se fermèrent un bref moment. Adieu adieu adieu. Lun était là. Je me tourne vers lui, un bokken dans chaque main. Je reste silencieux, à le fixer, comme un loup. Puis un sourire moqueur.
Note de l'Auteur : Ce n'est pas terrible, mais je ne voulais pas te faire attendre plus longtemps.
Les coups pleuvent, alors que Lun sent la fraîcheur d’une brise sur sa joue. Il observe, bien malgré lui, le combat régulier. Quelques part, ses yeux aimeraient se détourner : il plaisantait. Il n’envisageait pas un vrai combat, encore moins dans les règles de l’art. Il se voyait mal, après avoir été bousculé par une personne, sortir une épée et demander réparation d’un soufflet. Déjà, parce que qu’il n’avait pas de gants aux mains. Ensuite, car ce n’était pas très pratique. Lun était, plutôt, du genre à donner un coup de poing. Des coups de pieds. Il se disait que lorsqu’on veut prouver sa forcer, user d’une arme est une supercherie. Ce n’est plus la force qui compte, mais l’habilité, les compétences et l’entraînement de chacun. C’était peut-être pour cette raison, que malgré la répulsion qui lui inspirait, Lun aimait les racailles. Car elles étaient entières dans leurs violences. Elles étaient déchaînées, ne sachant pas se maîtriser. Luc Simon leur ressemblait un peu. C’était sans doute aussi pour cela qu’il était son meilleur ami. Car, il était différent de lui. Lun Marv ne savait pas bien où il en était. Toutefois, en voyant ce jeune homme se battre, un instinct de survie sur réveil en lui : il n’est pas mort.
Pourtant, Lun n’aime pas la violence. Aussi ridicule que ce soit, désormais, il regrette d’avoir rit de l’autre en lui proposant d’aller se battre. La violence du combat, la discipline de l’arbitre et l’acharnement des adversaires transforment l’atmosphère léger en marasme bouillant de ferveur. Impossible pour lui de stopper le combat – sans se mêler soudainement de la vie de cet inconnu. Impossible pour lui de partir, il ne veut pas être un lâche et abandonner l’autre alors que l’idée vient de lui. Alors, il regarde. Ses yeux passant sur chaque combattant. Attendant l’assaut final, le moment dernier. Son esprit incapable de vagabonder. Les regrets ne changeront rien : il y aura un perdant et un gagnant. Un gagnant qui s’en voudra de ne pas avoir su gérer sa force et un perdant qui en voudra aux autres d’avoir perdu. Aucun ne reconnaîtra entièrement sa victoire et sa défaite.
C’est un beau gâchis. Lun sursaute en voyant le coup se lever. Pourquoi faut-il se battre, en permanence, toujours ? Se battre pour qui. Pour quoi. Il n’a personne. Il n’a aucune raison de vivre. Aucun rêve. Aucune envie.
Le jeune homme, si grand de taille, soupire de soulagement lorsque l’arbitre sonne l’arrêt. Tuer un homme, Lun se disait qu’il en serait capable : si, et seulement si les circonstances et le moment propices aux meurtres se présentaient un jour où il ne se contrôlerait pas et serait violent. Il se savait violent : et il ne voulait pas l’être. A force d’avoir côtoyé des brutes, on le devient un peu nous-même.
Lun observe l’Artiste Inconnu, dont les yeux bleus l’ont touché, et désormais qu’il le sait soldat. Un soldat artiste, c’est un peu triste. Etre à la fois pour la liberté et la discipline, être à la fois pour l’imagination et pour la sobriété. C’est un peu comme cette feuille de papier que Lun a refusé : ce n’est pas qu’il ne voulait pas le dessin, c’est qu’il sait aussi qu’il le perdra. Les pétales de fleur se seraient fanés entre ses mains, même sur un dessin. Et qu’il s’en voudra. Lorsqu’on lui offre un cadeau, il se sent le devoir d’en prendre soin. Et il sait bien, qu’avec sa personnalité, ça devient difficile d’associer maladresse, vie rapide et prise en compte d’éléments matériels importants. Et, le jeune Soldat se retourne vers lui. Lun avance légèrement, d’un pas assuré, mais doux. Sans la moindre manière exagérée, sans y rajouter la rage d’un adolescent ou d’un jeune prétentieux. Simple dans sa démarche, le blond n’a pas besoin d’en rajouter. Ce qu’il est se dégage de lui comme la chaleur se dégage d’un feu de cheminée.
Lun pose sa main sur le poignet de sa rencontre, récupérant les bokkens avec une grande douceur, mais sans lui laisser le loisir de dire non. Ce n’est un contact que de quelques secondes, c’est sans doute futile : aux yeux de Lun c’est un contact toutefois. Un contact qui signifie qu’il rentre, légèrement, dans la vie de l’autre. Il ne veut pas !
Qu’importe. Soupirant, secouant joyeusement ses mèches blondes. Voilà ! Tu sais désormais ce que signifie qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. La journée n’aura pas été sotte d’apprentissage.
Lun, ne connaît pas Senta, mais il le reconnaît car ce dernier approche des deux. Il lui rend les armes, se penchant en avant pour le remercier calmement. Pas question de manquer de respect sans raison. Lun le fait souvent, par inconscience, manque de temps ou oublie des cultures des uns et des autres. Quand il peut, toutefois, il respecte chacun. Ce n’est pas pour eux, mais pour lui. Afin de ne pas culpabiliser de s’être mal comporté. La conscience est une vilaine graine à l’intérieur des corps qui fleurie ou s’enchaîne d’épines selon nos actions. Certains diront qu’ils ne l’entendent plus depuis longtemps, mais c’est faux. C’est la culpabilité, qui existe depuis si longtemps qu’on ne peut pas l’arrêter. Senta repart, comme il est venu. Chacun repart, comme il est venu. Le combat est terminé.
Il faut s’occuper de celui qui observe Lun comme un loup ironique. Lun se dit qu’il y a une logique en chaque événement. Un loup rencontre nécessairement la lune, c’est dans l’ordre des choses. Lun aimerait lui dire qu’il est idiot : s’il ne voulait pas se battre … Et si Lun lui avait demandé de sauter du haut du toit pour prouver sa force, l’aurait-il fait ? Enfin, ce n’est pas le moment de se poser ce genre de question.
Lun a posé sa main sur la joue de l’adolescent. C’était un enfant, au final. Un enfant qui voulait se battre et qui avait pris aux mots. Doucement, un peu ailleurs, il caresse du dos des doigts la joue du garçon. Avant d’hocher négativement de la tête, lui prenant la main pour l’attirer un peu ailleurs, lui rendant cette veste qui le rend séduisant.
______
Une pièce passe dans la fente du distributeur de coca, Lun fait un signe en direction de l’Artiste pour savoir s’il désire quelque chose. Récupérant la boisson pour lui-même, s’adossant au passage contre un mur. Il a repris un peu de couleur, du rouge aux joues. Le garçon ne se départie pas de son sourire, penchant la tête un peu en avant, une mèche de cheveux glissant devant lui. Il la repousse, quelques secondes plus tôt, relevant uniquement les yeux pour fixer l’Artiste sans le quitter des yeux.
« A quoi ça te sert, de te battre ? »
Le visage de Lun remonte vers le ciel au même moment, ouvrant sa canette. Avalant une gorgée de coca-cola. A quoi bon se battre ? Lun en avait assez ! Ils avaient gagné. Ils avaient tous gagné. Il l’avouait : il n’y arriverait jamais. Il ne comprendrait jamais pourquoi lorsqu’il regardait ses mains, l’envie de prendre un couteau et se tailler les bras étaient plus présents que le reste. Il aurait voulu se mutiler, jusqu’à ce que le sang coule, rassurer par cette présence de vie rouge en lui. Comme endormie par le propre rythme affolé de son cœur.
Le cœur bat sans cesse, il se bat sans cesse.
« Dis-moi, bonhomme, t’es quoi au juste ? »
Lun fait un signe, avec sa canette en direction de ce garçon brun aux yeux bleus dont il ne reprit toujours pas le prénom. Le vas et viens du passage à coté d’eux se calment un peu, les étudiants commencent à quitter l’académie et à rentrer chez eux. L’après-midi commence à décliner, la soirée ne tardera pas à être là. Lun le ressent par la fraîcheur, qui lui donne une légère chair de poule.
« Un soldat ? Un artiste ? Une racaille ? Puisqu’on doit tout mettre dans un cliché. C’est lequel le tien ? »
Soupirant, le blond reprend une rasade de boisson gazeuse et horriblement sucrée. La malbouffe, c’est un peu sa seule alimentation comme la plupart des jeunes. Et comme la plupart des adolescents, ça ne l’empêche pas d’être fluet. Il faudra qu’il se méfie en grandissant, sans le faire. Il n’a pas le gabarit pour grossir.
« Tu m’as fait peur. » Ce n’est pas un reproche, à la bouche de Lun, c’est un constat. Un constat qu’il n’a pas honte d’avoué. Le blond n’est pas de ceux qui ont honte d’avoir eu des émotions qu’on pourrait juger de faibles. Elles le sont toutes chez lui. Il a finit par s’y habiter. Et il se dit, que quelques part, que c’est les faiblesses qu’il a qui l’empêche de totalement sombrer. Même s’il donnerait sa vie pour ne plus les avoir. Il donnerait sa vie, pour lui.
« Alors ne te bats plus. Surtout si ça vient de moi. Par ma faute, pour moi, à cause de moi, ou … autre chose. Jamais. Je ne mérite pas qu’on me prouve quoique ce soit. Et tu n’as rien à prouver à personne … »
[i]Les garçons qui perdent ont toujours dans les yeux un regard unique. Un regard que les acteurs de film ne peuvent imiter, ou même les jeux vidéos, quelque soit la technologie et le graphisme mis en place. Il y a toujours au fond des yeux cette lueur que l'on apprend peu à peu à reconnaitre, à la fin de chaque combat. Pourquoi tu as lancé un combat dont tu connaissais la fin, Zack? Tu n'avais aucune peur de la défaite, car tu étais fixé sur ta certitude de vaincre facilement. Trop facilement peut être? Parce que c'est Lun qui te l'a demandé? Parce que c'est Lun qui te l'a demandé... parce qu'il y a au fond des yeux de Lun une lueur différente de celles que tu croise d'habitude? Ni la volonté ni la fatalité. Une absence de vocabulaire... cela se résumait à une absence de vocabulaire pour décrire les prunelles sylviennes de l'homme-enfant. Un homme-enfant... c'était exactement ça qui pouvait à peine, à peine, justement, décrire la poésie de l'être de Lun. Épanouit dans une adolescence presque achevée, Lun ne ressemblait à rien d'autre. Il était un enfant depuis longtemps oublié dans lequel je ne pouvais pas m'identifier. Mes yeux se déplacèrent au sol, n'osant affronter le regard vert. Pas uniquement à cause de la couleur... peut être aussi à cause de son Mû interne. Lun s'était il engagé sur cette voie? Mes lèvres s'entrouvrent, mais le souffle me manque et je n'ose pas demander si. De toutes façon, en supposant que ce soit la vérité, rien ne pouvait forcer Lun à me répondre. Et de toutes façon, il ne savait peut être pas ce qu'était cette idéologie japonaise. Je déplace mon visage, efface mes épaules pour bouger mon corps froid, et relève mes yeux sur lui quand il tend la main pour récupérer les bokken. Il me surprend, car il va plus loin; il ne veut pas les récupérer, il les récupère. Différence. Mes yeux s'écarquillent, le contact me brûle. Je serre mes doigts, et par instinct, mets la main sur le tissu de ma poche, tandis que le blond se détourne et rend les armes à Senta. Le blond? C'est péjoratif, je trouve. Je reprend ce visage de façade; la politesse avant tout. Imitant Lun, je m'incline par remerciement devant Senta. Mon camarade est grave, mais ne répond rien, et s'éloigne sans mot dire avec son ami. Je me relève, en inspirant profondément, pour chasser le trouble de mon esprit. Peut être suis-je trop japonnais. Et Lun ne l'est pas. Non, ce n'est même pas cela le problème. Les évènements s'enchaînent, toujours avec cette logique aporique. Je reporte mon regard sur Lun Marv, qui se retourne vers moi, et s'approche. Je ne bouge pas, penche la tête, en me disant que j'aimerais quand même être à des milliers d'années lumières. J'aimerais, Lun, que tu ne bouge pas. Que tu n'avances pas, mais que tu ne recules pas. Que je suis sécurisé, en grand lâche que je suis. C'est pour cela que je ne comprends plus rien, peut être...? Je vois sa main qui se lève, mon regard qui suit le reflet de ses ongles au soleil, et sa peau douce, très délicatement, contre la mienne. J'ai un serrement au coeur, mais je ne dis rien, et lui, secoue la tête, comme un enfant. Je ne réponds toujours pas, il prend ma main, et me conduit quelque part. J'aurais peut être dut dire « non » à tous.
On dit qu'il faut apprendre à aimer, avec le temps. Les secondes sont souvent des amies pour ceux qui sont perdus. D'un point de vue concret, je peux dire que je suis heureux de ne pas avoir cours ce matin. Ça me permet de découvrir certaines choses de la vie qui sont un peu lourdes à porter, quand même. C'est chiant.
Je suis adossé contre le mur, à côté du distributeur automatique, les bras pliés au niveau du sternum, tenant entre mes doigts une canette de soda que j'ai ouvert, mais auquel je ne touche pas plus que ça. Mes yeux mi-clos sur les reflets de l'aluminium portent des pensées trop farouches pour que quelqu'un ne puisse en comprendre le sens. Quelqu'un. Pas même moi. C'est comme si j'étais scindé en deux; un moi neurasthénique qui ne pense à rien de compréhensible, et l'autre, un moi beaucoup plus pratique (et tellement plus superficiel) qui revoie en boucle chaque secondes du combat. Et je m'injurie. Soupir. Un mouvement, la canette tombe, Lun se penche, la récupère, l'ouvre dans un claquement mousseux, et la porte à ses lèvres. Je ne bouge pas la tête, silencieux, tandis que la silhouette de Lun gigote. Haha. Gigote. Comme un gosse. Haha. (...)
« A quoi ça te sert, de te battre ? »
Le fait qu'il parle me surprend et ne me surprend pas. Encore une fois, cette idée de deux. Le superficiel et l'endormi. Je tourne mon visage vers lui, pensif, mais ne le regard pas. Pas tout de suite. Me battre? A rien et à tout... je vis pour cela. C'est ma passion. C'est ce que j'aime. On ne peut pas ôter la raison d'un homme de ce pourquoi il vit, n'est ce pas? C'est ce que dirait un philosophe. Maintenant, si l'on essayait d'aller au dessus des vieils adages, et que l'on dépassait les traditions? Si je m'empêchais de me battre? Que m'arriverait il? Serais-je encore moi même? Ce n'était pas une addiction... c'était moi. Je ne pouvais m'enlever à moi, pas vrai? A quoi ça sert de te battre? J'avais à tous les coups une bonne raison de le faire. Défendre un ami, l'envie d'obtenir un objet désiré, la volonté de relever un pari entre gosses des rues, la besoin de protéger ce qui m'était cher, ou bien obéir à Lun. C'était bête... si il m'avait demandé de sauter dans le vide, je l'aurais fait? Je n'en savais rien... peut être, parce que c'était Lun, peut être pas, parce que cela ne relevait pas du combat. Exactement. Parce que Lun m'avait demandé de me battre, j'avais accepté. S'il m'avait demandé d'aller m'excuser... je n'aurais peut être pas obéis... Peut être pas. Je n'en savais rien. Ce trouble était frénétique dans ma tête, faisait se bousculer mes idées avec douleur. Mes doigts se crispèrent sur la canette, la broyant. (la sculptant.)
« A me prouver que je suis incapable de tenir une promesse. »
(menteur). Tu es sûr? Je suis sûr de ça? Tu es incapable de tenir une promesse? Tu crois? Alors pourquoi le souvenir du mont Fuji revient? Menteur? Oui. Tu respectes tes promesses. Alors réponds sincèrement. Peut être qu'il faut aussi que tu réfléchisses différemment. Changer, toujours être à la recherche de la perfection, disait Miyamoto Musashi. Je souris. Ah ça oui, c'est facile à atteindre la perfection: personne n'a la même définition de ce mot. Il suffit donc de trouver la sienne, de personnelle, et c'est bon. Le problème, c'est qu'ensuite tu deviens jaloux de ceux qui travaillent toujours, parce qu'ils l'ont dépassés, ta perfection. Alors arrêtes de mentir. A quoi ça te sert de te battre.
« ....... A chaque combat, je me dis.... faut que je perde. Mais je gagne tout le temps. Avant je perdais. Et j'étais content, tu sais? Parce que je me fixais comme objectif de devenir plus fort. Et donc, j'avais un but. Mais, j'ai changé... je ne sais pas... mes muscles? Ma tête? Mon corps? Je gagne. Je deviens toujours plus rapide, plus précis, plus puissant. Toujours plus fort... et quand je regarde mes mains... je en comprends plus rien. J'aimerais perdre. Avoir quelqu'un à battre. Mais je ne le trouve pas. Alors ça devient obsessionnel. »
Je pose la canette sur le rebord du mur, sans la toucher, dégouté par l'odeur du sucre. Je plie mes bras, et les croise contre ma poitrine.
« Recemment, je me suis battu contre quelqu'un qui m'a battu. J'étais tellement heureux, au début du combat, parce que je savais que j'allais le perdre. Sauf que lorsque je me suis fait rétamé, je me suis rendu compte que ce type n'avait aucun honneur. Donc que j'avais gagné. Ça m'a un peu démoralisé. Quand est-ce que je dois gagner ou perdre, dans la vie? Je sais plus. »
Racontage de vie off. Je sens une légère rougeur me monter aux joues. Je ne veux pas jouer à la victime de la société. Surtout pas! C'était juste parce que Lun m'avait posé une question... et je n'avais pas réussi à répondre normalement. Je me décale du mur, récupère la canette, et m'avance de quelques pas, (méloigne) de Lun. Je bois, lui aussi, je souris, sans joie, et me retourne lentement quand à sa question.
« Dis-moi, bonhomme, t’es quoi au juste ? »
Je ne sais pas, Lun. J'aimerais qu'il lise ça dans mon esprit. Peut être qu'hier je le savais? Je sais plus... qui j'étais hier? Un gosse né d'un père anglais, un rebelle dans le sang qui, par instinct, va se replier à la société, devenant marginal, s'identifiant au plus grand sabreur de tous les temps? Un ado fermant les yeux sur la société, refusant de sombrer dans la fièvre noire de l'adolescence, comme c'était si bien expliqué dans « La nuit des enfants-rois »? Sais plus. Un Anglais qui s'impose la volonté d'être japonnais, alors qu'il a jamais respecté les règles, en dehors de celles du dôjo? Si j'étais si exemplaire, ça se saurait.
« Un soldat ? Un artiste ? Une racaille ? Puisqu’on doit tout mettre dans un cliché. C’est lequel le tien ? »
« Zakuro Fea. Rônin. »
C'est ça mon cliché. Je n'ai pas pût m'en empêché. Il peut sourire, je comprendrais. Je ne suis pas né il y a 2000 ans, et pourtant, je me présente sous un ordre révolu depuis longtemps, sous le Japon féodal.
« Tu m’as fait peur. »
Je me retourne totalement vers lui, angoissé, cette fois. Ressentir un unique sentiment me fait du bien, et je penche le visage, désolé. Voilà ce que je ne voulais pas. Je ne veux pas qu'il recule. Maintenant que je l'ai devant les yeux, c'est très bien. Je sens ma poitrine se soulever sous l'inspiration que je prends. Je n'ai pas le temps de répondre. Il ouvre de nouveau la bouche.
« Alors ne te bats plus. Surtout si ça vient de moi. Par ma faute, pour moi, à cause de moi, ou … autre chose. Jamais. Je ne mérite pas qu’on me prouve quoique ce soit. Et tu n’as rien à prouver à personne … »
Maintenant, je ressens la terrible envie de l'insulter. La colère fait serrer mes poings, mais je relâche toute la pression de mon diaphragme par une seconde vague de colère contre moi même. Exercice de relaxation que me faisait faire le sensei. Je relâche la pression de mes doigts, et la tristesse afflue de nouveau. Alors je m'incline.
Attentivement, Lun écoute le récit de Zakuro et il voudrait en rire tant lui-même pourrait dire l’inverse : à chaque fois, je me dis : il faut que j’y arrive. Mais je n’y arrive jamais. Avant, j’y croyais. J’étais content d’y croire. Parce que je fixais comme objectif d’être avec eux et de les voir épanouis : et donc, j’étais heureux. Mais j’ai changé. Je ne sais pas. Mon âme, mon cœur, mon esprit ? Je perds. Je deviens toujours plus stupide, plus lent, plus maladroit. Toujours plus faible. Et quand je regarde mes mains, je comprends enfin : j’aimerais y arriver. Avoir quelqu’un qui m’aime. Ou me tuer. Mais je ne le trouve pas. Je n'y arrive pas. Alors ça devient obsessionnel. L'envie de vivre, l'envie de mourir. Il ne le dirait pas. Ne rien dire, c'est tout dire. Cette fois-ci, pourtant, Lun jetait l’éponge. Assez ! C’était assez ! Il avait souffert. Personne ne comprendrait à quel point tant lui-même en parlait en riant sur un ton badin. Parce que ça ne servait à rien d’être malheureux, car c’était du passé. Il avait souffert à la mort de ceux qu’il aimait, à la trahison de ceux en qui il avait confiance. Il avait été battu, maltraité, violé. Il avait été rejeté, battu et abandonné. Et il avait continué à penser qu’en étant gentil, qu’en aidant les gens, il serait heureux de les voir heureux. Ne rien dire. Il avait continué à croire aux autres. C’était un jeu qui était terminé. Il en croyait plus en rien, il ne croyait plus aux autres. Ce n’était que des foutaises. Il s’était toujours battu, aujourd’hui il abandonnait. Aujourd'hui, Lun le savait. Personne ne viendrait le sauver, et dans sa haute tour, il resterait enfermé, trahi à tout jamais. Alors, il rirait, il sourirait, il ferrait semblant. Désormais, il ne ferrait plus QUE semblant.
« J’ai beau avoir vécu au Japon pendant deux ans, je ne me fais pas à vos formules de politesses », l’anglais aux cheveux blonds l’indique d’un signe distinctif de tête, souriant toujours de la même manière, un sourire triste au fond.
Les promesses, les paroles, les mots. Les phrases qu’on lance sans les écouter et qui blesse plus fort qu’un coup de poing. Lun ne sait pas exprimer ce qu’il ressent, il ne peut pas tout simplement en parler. Toutefois, le mot promesse résumé parfaitement sa pensée. « MENTEURS ! MENTEUSES ! Regardez-vous, écoutez-vous. Quand vous me parliez, moi je vous croyais. Vous m’auriez dit que le ciel était violet, que le soleil était vert et que la nuit nous réchauffait, je vous aurais cru. Vous m’auriez dit que lorsque chaque goutte de pluie est une pensée de votre cœur pour moi, je vous aurais cru. Et … » Ainsi Lun avait sans doute envie de crier. Ainsi Lun se taisait. Il n’irait pas les voir, il n’irait pas se fâcher. Les pierres tombales et les portes d’appartements fermées devant vous ne sont pas faîtes pour cela. Quand la mort ou l’oublie vous portent, vous n’avez plus qu’un choix : celui de vous taire. Ne rien dire.
« Sans vouloir te contrarier, tu devrais te réveiller. Même l’empereur n’a jamais tenu ses promesses envers vos chevaliers … Samurais. » Continue Lun, légèrement sarcastique. Il n’a pas le temps de parler des promesses. Il n’a ni le temps, ni l’envie. Les promesses, c’est ce qu’on lui doit. C’est le prix de leurs dettes. Il n’ira jamais les réclamer, il n’ira jamais leurs demander. Puisqu’ils ne tiennent pas les leurs, pourquoi continue-t-il de tenir les siennes ? Il serait si facile … Ne rien dire. Le dire, ce serait se noyer. Le ressentir, ce serait se finir. Ce serait si facile, la lame d’un cutter. Un bain, un médicament pour augmenter le flux du sang, un autre pour moins souffrir. Quitte à être lâche, il suffit d’attendre un peu que l’eau chaude l’endorme, assez pour ne pas se souvenir des autres. Il y a trop de responsabilités autour de lui, trop de gens qui dépendent de ses humeurs et de ses sourires. A quoi cela servirait-il encore de se battre ? D’essayer encore une fois d’exister. Lui, qui n’aime pas la mer parce que son immensité le submerge, se sent dans l’incompréhension. Rien ne sert de se débattre, de se battre, d’essayer d’être. Rien ne sert de vouloir affronter sa vie. La vie, Lun y croyait, comme tout le monde. Il croyait qu’après le mal vient le bien. Que s’il essaye de toutes ses forces d’être quelqu’un de bien, il parviendra à l’être. Comme un pianiste, il s’abandonnait sur son ordinateur, et il était rassuré de chacune des notes qu’il en sortait. Musique silencieuse, musique douloureuse. Il fallait oublier, jamais en parler. Ne rien dire. Et ceux, ceux-là. Ceux-là qui causent son chagrin ont bien fait de partir. Il ne les avait jamais assez mérité. Il n’avait jamais été l’ami qu’il faudrait. Il était un calvaire, pas un cadeau. Pourquoi a-t-il fallu qu’ils rentrent dans sa vie. Avant, c’était facile de jouer à la poupée, de n’être qu’un robot, souriant et tendant la main à tout le monde. C’était facile de coucher, sans aimer, sans se respecter. Il suffisait de ne pas trop se souvenir qu’on puisse être un peu humain, après tout. Puisqu’on respire et puisqu’on pense. Avant eux, c’était facile de subir les cris et les colères. De donner sans compter, d’être une image semblable à toutes les autres. Avant, tout me semblait plus facile. Il n’était pas heureux, mais il n’était pas malheureux. Il aurait fallu pour cela croire que le vide a des sentiments.
Le jeune homme hocha pensivement de la tête, se répétant la phrase de son homologue masculin. C’était une erreur. On prouve qu’on peut tenir ses promesses en les tenant. On ne prouve pas l’inverse. L’inverse se fait naturellement. Ne rien dire suffit, on prouve par les actes qu'on est des menteurs.
« Pas besoin de le prouver. Personne ne tient ses promesses. Personne n’essaye de les tenir. Il n’y a que les idiots pour croire qu’une promesse ça dure éternellement et que lorsqu’on promet, on tiendra quoiqu’il arrive. Tout le monde s’en fout. »
Idiot, car lui il y croyait à toutes ses promesses. Et dès qu’on lui en faisait une, un château se construisait dans son cœur. Un château de sable, qu’un coup de vent nettoyait rapidement. On l’avait trahi. La trahison, Lun aurait pu la pardonner, si cette trahison ne conduisait pas à une fin irrémédiable. Sans doute qu’il lui aurait pardonné s’il était revenu ensuite. Il aurait pu, malgré qu’il dise le contraire, il l’aurait fait. C’était son ami. Lun aurait pu pardonner à Maeki Oyuki si ce dernier l’avait trahi. S’il l’avait frappé, violé, ou si – pire – il l’avait abandonné pour partir loin de lui sans jamais le revoir. Il aurait pu lui pardonner toutes ses erreurs, toutes ses faiblesses, tous ses doutes et toutes ses phases de colère et d’incompréhension. Il aurait accepté une femme qui se serait marié avec lui et que Lun n’aurait peut-être pas aimée. Il aurait accepté de n’être qu’une connaissance, un chien, un pote. Il aurait accepté … Ce n’était qu’une erreur. Une erreur. Lun, se sentait tel le trésorier d’un cœur, il aurait du prévoir cette erreur. Il était responsable. Il était un assassin. C’était son ami. Et c’était de sa faute. Il ne pourrait jamais le dire trop haut, le dire de vive voix. En parler, ce serait le condamner. Il avait tué son meilleur ami et rien au monde ne pourrait jamais réparer cet acte. Lui, qui pensait que tout pouvait s’arranger, qu’en aimant on peut tout corriger, tout soigner. Qu’il suffisait de faire confiance en son cœur et que si l’intuition disait qu’il avait raison, il ne fallait jamais cesser de l’écouter. Il croyait … Il avait cru … Mais, le jeu était terminé. Le jeu était clos. Il n’y avait pas de seconde vie, de seconde partie, de seconde chance. Le pire, c’est qu’il ne lui avait jamais dit à quel point vivre sans lui n’était pas vivre. Il ne lui avait jamais dit, à quel point, il aimait sa vision du monde, son humeur calme et pondéré et son coté raisonnable et sage. Son coté froid, rassurant. Il était le perdant. Perdant en amitié, perdant en amour. Perdant. Soyez fiers, vous êtes les grands gagnants d’un jeu auquel Lun ne voulait pas jouer. Prenez ce que vous voulez, et partez. Laissez-le avec sa honte et sa culpabilité. Laissez-le voir les rails défilés devant ses yeux, en se posant la question de facilité : et si je trébuchais quand le train passe ? Pourquoi faudrait-il encore monter dans la voiture, dans le wagon, alors que d’autres restent sur le quai.
Avalant quelques gorgées de Coca-Cola, Lun sent son regard se poser sur le sol. Il avait promis à son meilleur ami de veiller sur lui et de le protéger. Il avait été incapable de le faire depuis le début. Incapable de garder ceux qu’il aimait auprès de lui. La solitude, il l’avait cherché, il l’avait trouvé. Il ne devrait ni s’en plaindre, ni en être malheureux. Il n’avait pas le droit de l’être. Il vacillait, parfois, retournant à ses anciens démons. Il ne fallait pas : il fallait rester humble, il fallait reconnaître que ce qui se passait de bien ce n’était pas de sa faute, et qu’au contraire, le mal l’était. Il avait mal agit. Lun ne savait pas bien en quoi, mais il avait conscience des conséquences. Il avait perdu ses raisons d’êtres. Il ne lui restait qu’une famille. Une famille, au fond, c’est beaucoup. Il restait pour eux. Il souriait pour ses quelques personnes qui croyaient en lui. Mais il ne voulait plus vivre, ni exister. Il était un assassin. Un assassin pas capable de se condamner.
« C’est étrange de vouloir perdre. » Remarque Lun de sa voix fluette. « On peut accepter la défaite et l’aimer. Mais le vouloir … »
Pensif, le blond se demande si lui aimerait perdre. Il hoche négativement de la tête pour lui-même. Non, il n’aimerait ni gagner, ni perdre. Il ne veut pas combattre, il veut se reposer dans des draps. Il veut s’asseoir sur ses genoux, refermer ses bras son cou, poser sa tête sur son torse et l’entendre rire joyeusement. Sentir l’odeur de clopes et l’entendre pester contre les industriels et le manque d’engagement des personnes. Il veut l’entendre lui dire qu’ils ont tous torts, qu’il doit continuer de croire en l’amour, car ça le rendait beau. Et qu’il aimait le voir beau, son petit Antigone. Lui dire qu’avant il s’inquiétait pour lui, mais que maintenant, il voyait qu’il pouvait sincèrement rire et être heureux. Qu’il était son meilleur ami et qu’il serait toujours là quoiqu’il arrive. Qu’il fallait avoir confiance. Ne pas penser trop aux autres, parfois : l’égoïsme du bonheur permet de devenir généreux autrement. Lun aurait aimé l'entendre, à nouveau, dire cela. Ne rien dire et l'écouter et en rire. Confiance, confiance. Joli mot pour les cons.
Maeki avait eu tort. Lun n’aurait jamais du se disputer avec ses amis, il n’aurait jamais du vouloir qu’ils arrêtent de se mêler de sa vie privée. Il n’aurait jamais du se séparer d’eux. Il n’aurait jamais du se montrer égoïste et obstiné. Il n’aurait jamais du aimer. Il n’aurait jamais du leurs faire confiance. Il avait été un idiot, et il était encore plus idiot d’y croire encore. De croire toujours que les choses allaient s’arranger. On ne revient pas à la vie, pas plus qu’on ne revient sur ses pas. Il n’était qu’un objet, une poupée, qu’on peut abandonné et jeté sans s’en soucier. Il n'aurait jamais du rester avec Elyott. Il n'aurait jamais du vouloir changer. Il aurait du accepter la réalité. Il aurait du accepter Charles et ses mains, et il aurait du accepter la vie et son choix.
Car il n’avait pas de sentiments.
« Tu veux quelqu’un à battre, c’est bien cela ? » Remarque Lun, en souriant doucement. Il ne faudra pas compter sur lui. Pour mettre quelqu’un au tapis, c’est sans doute pas le pire, mais quand il s’agit de se battre légalement dans un sport de combat qu’il ne connaît pas : c’est une autre histoire. Ce n’est pas trop dans ses habitudes de suivre les règles et d’essayer de gagner. Il est plutôt du genre à donner des coups de pied par derrière, du sable dans les yeux, à cracher à la figurer et à se comporter en furie.
De toute façon, essayer de gagner, c’est déjà au-dessus de ses forces. Le garçon jette sa canette dans une poubelle, sans la terminer, dans une moue amusée.
« Tu sais. Il y a toujours meilleur que nous. Quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise. Pour ma part, ça m’arrange. Je n’aime pas être premier, et je préfère faire exprès de me tromper sur une réponse plutôt que de risquer une trop grande mention. C’est dangereux, en soit. Il faut savoir en dire assez pour ne pas passer pour un idiot, mais ne pas en dire trop aussi. Mais si tu veux juste te battre physiquement, battre quelqu’un dans ton art, tu devrais trouver des adversaires à Keimoo … »
Quand à savoir si le type n’avait aucun honneur. Lun préfère ne rien dire. L’honneur est une affaire de conception, on n’a pas tous la même. Peut-être qu’il en avait un et qu’il était juste différent de celui de ce garçon. Peut-être, ou peut-être pas. Lun avait de l’honneur, mais visiblement pas beaucoup de fierté.
Se plaquant le visage contre le mur, Lun remonta sa main sur le front, pour passer ses doigts dans ses cheveux, les ramenant en arrière.
Ah ! Les japonais et les excuses. Ce garçon ressemblait à Maeki, au moins sur ce point. S’excuser sans raison, simplement car on ne le fait jamais assez. Ainsi c’était vu aux yeux de Lun. Pourtant, lui-même s’excusait souvent – trop souvent. Mais c’est parce qu’il était souvent en tort, également.
Toutefois les poings serrés ne sont pas un signe d’excuse. Lun se demande à quel moment, il a pu énervé l’autre garçon. Il en tire un sourire légèrement moqueur, un peu vindicatif.
« Gagner … Perdre … est-ce si important ? Est-ce qu’en découvrant qu’une personne est plus forte que toi, ça te donnera un but ? Un objectif ? Une raison d’être ? Se battre pour toujours surpasser les autres, pour être le meilleur. Et se sentir bien lorsqu’on essaye ou qu’on y arrive ? C’est des buts louables. J’aimerais avoir les mêmes. En soit, exister pour se surpasser, c’est sans doute l’une des existences dont la tâche reste dans les plus honorables et les moins à même de faire souffrir. »
Lun sort une clope de son paquet, cherchant dans sa poche le briquet qui devrait aller avec pour l’allumer.
« Ecoute, on peut se retrouver plus tard dans l’après-midi si tu veux ? Au même endroit. J’ai un cours dans un amphithéâtre jusqu’à 18h00, on peut se retrouver ici à 19h ? Si t’as un truc de prévu, je comprendrais. Sinon, on ira manger un morceau. Et, … ne l’oublie pas … » Termine Lun en pointant du doigts la pochette à dessin, où l’autre garçon à ranger les pétales de fleurs. « Je le prendrais, à ce moment-là. »
Et sans trop savoir la réponse du garçon, le blond tourne les talons d’un pas lent, assez pour entendre ou se faire rattraper au besoin. Afin de se diriger vers l’amphithéâtre où il a cours. Il y a autre chose, aussi. Autre chose que Lun aurait dit, normalement, mais qu’il n’ose pas. Il sait désormais que les mots blessent. Zakuro a les yeux bleus. Il perdra toujours, quoiqu’il arrive. Il a les yeux bleus, naturellement. Et donc, naturellement, il ne pourra jamais représenter dans le cœur des Japonais, le Japon. Même en étant le meilleur, il restera un bâtard. Comme Lun reste une traînée. Le passé nous devance dans l’avenir.
On en voit bien qu’avec le cœur, L’essentiel est invisible pour les yeux. ~ Le Petit Prince
« Sans vouloir te contrarier, tu devrais te réveiller. Même l’empereur n’a jamais tenu ses promesses envers vos chevaliers … Samurais. »
Se réveiller? Est-ce que je m'étais plongé dans un rêve, ou dans un cauchemar? Finalement, je ne m'étais même pas rendu compte que je m'étais endormi. Etait-ce grave? De rêver? Ou de cauchermarder? Menais-je ma vie comme je l'entendais ou bien n'avais-je donc jamais ouvert les yeux? Il ne me semblait pas aporique de songer ainsi. Une simple idée, déguisant à peine un sarcasme, certes, mais qui me questionnait profondément. Pouvions nous passer notre vie endormis? Être mou... tout le temps... ce serait une forme de neurasthénie... Dormir tout le temps? Depuis notre naissance? A quoi nous servait la douleur, dans ce cas? A quoi servaient les stimulis “importants”, comme les anniversaires, les petites ou grandes joies de tous les jours. A quoi servait la vie si nous dormions? Est-e que notre ère avait passé un cap, en s'endormant? Est-ce que rêver signifiait dormir? Pourquoi était-ce si conflictuel dans mon coeur? Comme si une dualité dangereuse s'était engagé dans mon esprit, et que chaque idée murmurait doucement en faveur de sa cause. Oui. Car finalement, j'avais l'impression rien que par les mots de Lun de me réveiller. Par conséquent, dormais-je? Où est ce que j'étais ces dernières années? Trou noir. Je m'étais perdu. Enfoncé dans quelque chose dont je ne me souvenais plus. Disparu dans le fond de ma mémoire, et qui était tellement loin que je n'avais pas envie de chercher. Peut être pour ça? Pas envie de chercher. Peut être qu'en fouillant je saurais tout de suite. Je retrouverais la solution. Où est ce ue j'étais passé dans ma vie? Comme si j'avais simplement été une énorme paire d'yeux et d'oreille, à tout entendre, tout écouter, mais incapable d'exister, d'être soi. Pas sans les autres. Il fallait que les autres existent pour que je puisse me permettre de me créer. On m'avait donné la vie, comme à tous les enfants de ma génération, mais je l'avais reçu différemment. Peut être. Je ne savais plus.
Si Lun existait, là maintenant tout de suite, est-ce que moi j'existais?
« Pas besoin de le prouver. Personne ne tient ses promesses. Personne n’essaye de les tenir. Il n’y a que les idiots pour croire qu’une promesse ça dure éternellement et que lorsqu’on promet, on tiendra quoiqu’il arrive. Tout le monde s’en fout. »
..... Moi, chez moi, j'ai dessiné 100 dessins. Je les ais tous comptés, tous ceux qui sont accrochés à mes murs. Quand les gens rentraient dans ma chambre, malgré que je ne leurs ais pas forcément donnés la permission, c'est la première chose qu'ils voient. La centaine de dessins scotchés à ces murs blancs, murs blancs que je veux cacher. Pas parce qu'ils me font peur, où me rapellent de mauvais souvenirs. Je ne crois pas que ce soit cette raison. Parce que les murs sont des supports à mes idées. J'ai déjà dessinés sur mes murs blancs, au crayon de bois. Ecris, même, parfois. Mais j'ai gommé, tout le temps, parce que je n'avais pas le droit. Alors j'ai oublié, et puis un jour j'ai fixé un premier dessin au dessus de mon lit. Puis un autre. Et encore un autre. Parfois je les rate, mes dessins, mais je les accroche toujours, parce qu'ils sont comme une preuve à mon combat; à mon envie de dire: regardez mes cents dessins. Vous les avez vus? Vous les voyez tous? Et bien c'est moi qui les aient dessinés, parce que coup de crayon après coup de crayon je les aient fait naitre, malgré tout. La persevérance, l'envie de réussir, l'envie de toujours devenir meilleur. Il y a une évolution, partout, et mes murs racontent un histoire; celle du combat. Je ne m'étais jamais promis de dessiner. Jamais. Mais je m'étais ordonné d'être le meilleur en sabre. Pourquoi y avait il une barrière? Est-ce que l'un des deux était constructif? À quoi ça me servait le dessin? Puisque mon âme était dévouée à l'acier de ma lame? Puisque j'aimais ressentir les fibres de mon corps, brûlante, lorsque j'ésquivais une attaque? Lorsque je sentais le mouvement de mes rotules, de mon bassin, quand je me baissais pour fondre mon arme sur les mollets de mon adversaire, qu'ensuite, d'une torsion, je frappais fort dans son épaule, le forçant, l'imposant, de toutes mes forces, et ce de forces bien plus puissantes que sa volonté à lui, d'ouvrir les doigts et de lâcher son sabre? C'était comme une mosaïque de sentiments. Qui finalement n'avait rien à voir avec le dessin. Rien à voir du tout. J'avais entendu quelque part que dessiner stimulait le cerveau droit. Mon père, en riant, avait lâché: “continue à dessiner, tu auras le cerveau droit hyper entrainé.” Certes. A quoi ça servait le cerveau droit? Pourquoi n'y avait il pas un seul cerveau? Est ce que c'était vrai que le cerveau gauche était specifié à certaines choses, et le droit à d'autres choses? Pourquoi, alors, y avait il toujours cette idée de dualité, de conflit interne? Comme si, depuis la naissance, on devait se battre, faire les bons choix, choisir. Toujours choisir. On ne pouvait donc pas se permettre de se laisser porter par la vie, sans réfléchir, d'être passif? Si moi je voulais être passif, je n'en avais pas le droit? Mais pas que moi... tout le monde. Personne n'avait le droit d'abandonner dans la vie, parce qu'on était nés comme ça. Avec plusieurs cerveaux. Droite gauche, en haut, en bas, quelqu'un avait dit: il y a toujours la possibilité de faire un choix. Est-ce que c'était possible de ne pas bouger? De rester au milieu? Encore, non, c'était un choix. On passait sa vie à choisir. D'où la différence. Je pense que c'était de ça... Pourquoi est-ce que j'aimais le dessin? J'avais envie de dire “parce que j'aime le sabre”. Effectivement, deux activités opposées. Peut être pas contradictoires, mais opposées. Il y a toujours ce plaisir qui existe, depuis que ma chambre est tapissée, chez moi. Je me dis qu'à chaque fois, à chaque fois que je termine un dessin que je suis fier d'accrocher, c'est exactement comme si je rajoutais une pierre à un édifice. Sauf qu'à la différence de l'édifice, la seule limite sera peut être la surface carré de ma chambre. Et encore. JE pourrais en accrocher au plafond, et sur les fenêtres, et même par dessus d'autre dessins. Un édifice qui ne se terminait pas. Peut être que je ne saurais un jour plus dessiner. Là ce serait la fin. Et encore... je réapprendrais peut être? Rajouter une feuille sur une autre. Mais pas dans le but de la cacher, mais bien de former une châine de dessins. Est-ce la différence avec le sabre? Quand je m'entraine, quand je tiens l'arme dans la main... j'ai mes connaissances ultérieures qui ont été remplacées par d'aures, neuves, plus importantes car j'avais changé de niveau, en sabre. C'est une énorme différence avec le dessin. C'est une énorme différence avec la vie. Parce que je sais que mes promesses n'engagent que moi. Pas ceux à qui je les aient faites. Peut être me trompais-je? Au final..... je n'ai jamais fait beaucoup de promesse. De temps en temps, la promesse de garder un secret, de ne surtout pas aller dire que cette fille est amoureuse de ce garçon, mais ce garçon a embrassé cette fille, qui elle est amoureuse de ce garçon. Ce genre de promesse est futile. Peut blesser, certes, si rompue. Mais tellement futile pour les autres, au final. L'important c'est de savoir si on est capabe de tenir une promesse nous même? De savoir si on est capable de ne rien dire, de ne pas partager, même si on en meurt d'envie, de combattre cette envie, d'aller au delà, d'arriver à une certaine volonté de fer. Respecter les promesses... pas pour l'autre... pour soi. Pour devenir plus fort. Parce que si on respecte ses promesses, c'est qu'on est forts. C'est que l'on est devenus plus fort. Et que cela nous place à l'élite de ceux qui ont une volonté et qui y parviennent, et c'est ça qui fait toute la récompense personnelle d'avoir sut tenir ses promesses. On est fier de soi. Après, des fois, on oublie, oui. Mais on est fier de soi, et c'est ce qui compte. Alors... dire que je suis idiot? Parce que moi j'y crois aux promesses. Je veux croire que je peux continuer à vivre, à grandir, comme cet enfant que j'étais, et qui souriait, parce qu'il avait tenu parole. Et qu'il était heureux et fier d'avoir tenu parole, ne serait-ce que pour rapporter la gomme prêtée, et finalement pas volée. Simplement ce bonheur d'avoir respecté la promesse. La promesse qui grandit comme le coeur et le corps grandit. Plus tu grandis et plus l'importance et le niveau de fierté. Je suis peut être idiot. Mais pas malheureux.
« C’est étrange de vouloir perdre. » Remarque Lun de sa voix fluette. « On peut accepter la défaite et l’aimer. Mais le vouloir … »
« Pour moi c'est étrange de t'entendre dire que les promesses ne servent à rien. C'est comme renier quelque chose de vital, tu ne crois pas? »
Ce n'est même pas sarcastique... ni de la colère. Lun défend son idée. Je défends la mienne.
« Tu veux quelqu’un à battre, c’est bien cela ? »
Je ne réponds rien. Je ne sais pas ce qu'il entend par “quelqu'un à battre”. Je ne sais même pas s'il a compris ce que je veux. Je ne sais même pas si j'ai compris ce que ce je veux. Peut être que je ne l'ai jamais expliqué...
« Tu sais. Il y a toujours meilleur que nous. Quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise. Pour ma part, ça m’arrange. Je n’aime pas être premier, et je préfère faire exprès de me tromper sur une réponse plutôt que de risquer une trop grande mention. C’est dangereux, en soit. Il faut savoir en dire assez pour ne pas passer pour un idiot, mais ne pas en dire trop aussi. Mais si tu veux juste te battre physiquement, battre quelqu’un dans ton art, tu devrais trouver des adversaires à Keimoo … Gagner … Perdre … est-ce si important ? Est-ce qu’en découvrant qu’une personne est plus forte que toi, ça te donnera un but ? Un objectif ? Une raison d’être ? Se battre pour toujours surpasser les autres, pour être le meilleur. Et se sentir bien lorsqu’on essaye ou qu’on y arrive ? C’est des buts louables. J’aimerais avoir les mêmes. En soit, exister pour se surpasser, c’est sans doute l’une des existences dont la tâche reste dans les plus honorables et les moins à même de faire souffrir. »
Est ce qu'il faut toujours chercher à comprendre les gens? Je croise les bras et le fixe. Est-ce que c'est nécessaire de connaître les modes de pensées des gens avec qui tu parles? De savoir ce qu'ils pensent, la manière dont ils réfléchissent, argumentent, et expliquent? Se mettre dans la tête et le coeur d'un autre? Pourquoi? Puisqu'on nait seul?
“...Hey... Je ne sais pas...”
« Ecoute, on peut se retrouver plus tard dans l’après-midi si tu veux ? Au même endroit. J’ai un cours dans un amphithéâtre jusqu’à 18h00, on peut se retrouver ici à 19h ? Si t’as un truc de prévu, je comprendrais. Sinon, on ira manger un morceau. Et, … ne l’oublie pas … » Termine Lun en pointant du doigts la pochette à dessin, où l’autre garçon à ranger les pétales de fleurs. « Je le prendrais, à ce moment-là. » J'hoche la tête. C'est très dur à comprendre, tout ça. Je ne suis même pas sûr d'avoir compris moi même. Lun, tu es ... dur à comprendre, tu sais? Je le salue, et attend qu'ilait tourné au coin du bâtiment pour jeter la canette encore pleine dans la poubelle.
« La mémoire se travaille » disent les plus grands scientifiques. Ils ont raison. Il a été prouvé que les médicaments pour Alzheimer n’avaient que peu d’effets sur les patients. Au contraire, il était prouvé désormais que les visites régulières des proches, le rappel de leurs souvenirs ainsi que le travail de l’entourage les aidaient à conserver la mémoire. Toutefois dans le cas du jeune Lun Marv, âgé de tout juste dix-neuf ans, il était trop tard pour y remédier. Etourdi, il oubliait les heures, les rendez-vous et devait en permanence tenir un agenda pour parvenir à rester à peu près correct dans son emploi du temps. Malheureusement, il avait aussi tendance à perdre son agenda. C’était peut-être le malheur d’être occupé en permanence : on ne voit pas le temps passer. Lun travaillait beaucoup, mais ce n’était jamais suffisant. Toutefois, il avait besoin d’argent. Et l’argent ne se trouvant pas en haut d’un arbre à billet, il fallait bien bosser. Surtout depuis que ses deux pères réceptifs lui avaient coupé les vivres. Daniel parce qu’il avait des difficultés d’argent, lié à la crise économique et aux mauvais placements. Les études de ses deux enfants et les aides économiques qu’il donnait à sa clinique lui prenaient beaucoup de temps. Il n’avait plus les moyens de subvenir au train de vie de Lun, Richard parce que Lun refusait de lui adresser la parole et qu’il évitait son contact, comme au Moyen-Âge, on évitait de toucher des lépreux.
Ce visage. Lun le connaissait. Il l’avait déjà vu. Il y a une heure, il y a un jour, il y a un an. Un visage simple, deux yeux étourdissants. Un écrin à azur. Il ne se souvenait plus de son prénom. Il ne se souvenait plus de son nom. Pourtant, à le voir, là, dans la cour. Il savait qu’il l’avait déjà vu. Et, le blond aurait pu parié qu’ils avaient rendez-vous ensemble.
Il n’était donc pas surprenant que le rendez-vous fixé à un inconnu aux yeux bleus dans un parc soit oublié par l’apprenti journaliste. Lun n’avait plus pensé à cette rencontre. Si le destin n’était pas venu frappé à sa porte en s’infiltrant par les fenêtres laissées entrebâillées, jamais Lun Marv n’aurait eu mémoire de Zakuro Fia et n’aurait eu souvenir de leurs premières rencontres. Il ne fallait pas trop lui en vouloir : même ceux que Lun aimait, il était capable de les oublier au profil d’un fruit à manger, d’un tableau à regarder, d’une photographie à prendre, d’un amour à aimer. Le jeune homme semblait volage et perdu dans ses actions. Egoïste et égocentrique, il était comme le solo d’un violon. Si agaçant et attachant qu’on finissait souvent par lui pardonner d’être aussi monstrueux. Et puis, cette fois-ci, il avait une excuse. Il avait perdu son meilleur ami. La seule personne au monde qui l’empêchait de prendre le train lorsqu’ils se voyaient, lui payer des glaces en hiver et du thé en été. La seule personne au monde qui glissait sans cesse des mots dans ses tiroirs, riait devant les éloges des pompes funèbres et disait que le dernier requiem entendu l’avait rendu joyeux. La seule personne au monde, aussi, qui avait aimé Lun tel qu’il était. Mais aussi, plus étrangement, qui avait tenté de le protéger à sa manière. Il se serait battu pour lui. Et ; Lun l’avait abandonné. C’était un peu comme une habitude chez lui : de trahir ceux qu’il aimait. Il l’avait fait avec tant de personnes avant. Lanaru, Vérité, Miu, Tadashii, Sora, Jin, Jun, Luc, Setsumi, Ayame, et les autres. Autant de personnes proches de Lun dont Lun avait un jour, décidé d’oublier. Ou de faire semblant. Juste car faire semblant, c’est toujours moins douloureux, pensait-il.
Encore une fois, il fallait lui pardonner
.
Le mois d’Octobre était arrivé. Frais et doux, Lun s’occupait de ses enfants et travaillait. Il n’avait pas le temps à consacrer à ses amitiés et à ses amours. Par ailleurs, il n’avait pas le cœur à se réjouir pour eux. Bien que son moral allait mieux, il en avait assez de se faire avoir par la fièvre des amitiés. Cette année 2012 qui arrivait, il se le promettait, il ne se laisserait pas ENCORE UNE FOIS avoir. Il ne se laisserait pas encore une fois aller à la faiblesse des sentiments. Cette année, ce serait différent. Et puisqu’il fallait bien tenir ses résolutions, Lun se jura aussi de ne plus faire la moindre promesse. Et il tenait bon, même s’il était déprimé plus qu’à l’ordinaire. Car être seul, c’est pas tous les jours marrants. Il parvenait à éviter à se lier. Il n’avait revu personne, sauf peut-être … Enfin. Presque personne. Peu de monde. Une ou deux. Peut-être trois. Pas plus, c’était certain. Il avait fait tant de promesse à Maeki Oyuki. Il n’en parlait plus beaucoup. A quoi bon revenir sur le passé sans arrêt. Maeki l’avait trahi et trompé. Lun le savait. Il disait vouloir l’aimer et le protéger : mais il en avait eu assez de lui comme tous les autres. Ce qui faisait le plus mal à Lun Marv, c’était sans doute de savoir que le garçon avait du le haïr dans ces derniers instants.
Se précipitant dans la cour, le souffle court, Lun se maudit intérieurement. Avec sept heures de retard, il était évident que Zakuro n’était plus là. Le jeune journaliste se maudit, glissant la main dans ses cheveux trop blonds, relevant un regard vers le ciel. Un instant, il pensa qu’il allait pleurer : car il avait dit qu’il viendrait. Puis, il se rendit compte que seule de la rage sortait de son corps. Alors, il se rendit au distributeur, acheta un nouveau soda et l’ouvrit tout en rentrant dans le bâtiment. Au diable cet artiste aux yeux bleus. Il s’en fichait ! Il se fichait de tout le monde. Il se fichait de ce dessin ! L’autre n’avait qu’à le brûler, tiens !
Bref, Lun Marv avait oublié Zakuro.
Encore une fois, il faudrait lui pardonner.
Le mois de Novembre arriva, aussi doux et froid qu’à son habitude. Revêtant son manteau, l’automne laissait tombé la nuit plus rapidement. Ce jour-là, Lun était retourné dans la cour de récréation. Il s’était installé sous un arbre, un cerisier pour être original, mais qui n’était plus en fleurs. Attentif, le jeune étudiant s’était mis à écrire et à peindre. L’esprit ailleurs, la pensée nostalgique, il rêvait d’un moment féerique avant de crever sa bulle avec un sourire coquin. Il était de bonne humeur puisqu’il ne pouvait pas être en deuil en permanence. D’humeur joyeuse, presque moqueuse. Il avait envie de s’amuser et cherchait du coin des yeux, une victime dans la cour de récréation. Le froid créant une légère buée opaque à chacune de ses respirations. Peu étaient les étudiants qui s’aventuraient dans le froid. Lun pesta intérieurement. Aucun visage qu’il ne voyait ne lui était connu. Décidément, il était trahi par son absence. Toutefois, il se rapprocha tout de même d’un groupe étudiant, leva la main pour attraper une branche couverte d’eau de pluie, et la tira. La branche s’ébroua, laissant les étudiants trempés. Autant les pauvres victimes, que Lun aussi. Le blond se mit à rire, alors que les filles grognaient sur l’immaturité des garçons.
« Ecoute. Je comprends. » Murmura Lun Marv dans un sourire sarcastique, au téléphone. « Mais, j’aurais préféré que tu fêtes noël avec moi, Elyott. » Le garçon marchait dans la cour, allant et venant, revenant. Il leva les yeux au ciel. Il l’aimait, il l’aimait non ? Alors pourquoi se sentait-il de moins en moins heureux de l’avoir au téléphone. Il lui manquait. En réalité, il lui manquait horriblement. « Ecoute, le mieux, c’est peut-être que … » Commença Lun, avant de sursauter en voyant un fantôme passer dans la cour du lycée. Il le fixa, étourdi par cette apparition. Un ancien ami ? Le garçon haussa des épaules. Il s’en fichait bien. De lui, autant que des autres. « Elyott, sérieusement. Est-ce que je te manque ? Est-ce que je te manque ? » Lun soupira. « Laisse tomber, il doit être tard chez toi. Je téléphonerais plus tard. Amuse-toi bien. » Il raccrocha, rangeant le téléphone dans la poche de son jean arrière. Connard ! Pensa-t-il, tout en regardant le ciel. Si Elyott l’aimait … S’il manquait à Elyott … Elyott serait là. Il serait là près de lui. Il aurait pris le premier train. Il ne l’aurait jamais laissé partir. Il l’aurait rattrapé. Il l’aurait enserré. Il l’aurait gardé dans ses bras, prisonnier à jamais. Un prisonnier heureux. « Bah … » se murmura Lun, « un de perdu … » Un de perdu, un de perdu. Soudainement, Lun senti un glaçon dans son cou. Il se retourna, juste à temps pour voir des jeunes filles étudiantes s’enfuir en courant. La vengeance pour l’autre jour ? Se questionna Lun en souriant d’avantage.
Et … Keio, et … Shiki ?
Encore une fois, il faut lui pardonner.
Enfin, le mois de décembre pointa le bout de son nez. Quelques flocons de neige, un froid mordant. Lun en avait les joues rouges et le nez brûlant. Les yeux pétillants, à cause de la température. Le jeune homme était à nouveau dans la cour, habillé chaudement. Il portait un jean, un gros pull en mailles vert foncé et une écharpe blanche assortie à ses mitaines et à son bonnet. Marchant d’un pas nonchalant, il se stoppa soudainement … Un jeune homme marchait dans la cour. Lun sentait la buée revenir sur ses lèvres. Encore une fois, il faisait froid. De plus en plus. Le bout de ses doigts était endolori et douloureux, et il aurait vendu son âme et son corps contre un thé chaud. Malheureusement, la machine du couloir principale était en panne. Et Lun n’avait aucune envie d’aller dans d’autres pour y chercher un peu de chaleur. Il aimait la cour et ses allées et venues. Maeki s’installait là, parfois. Il regardait les personnes aller et venir. Lun se demandait encore pourquoI.
Et ce jeune homme, là, qui marchait. Il lui était tellement peu inconnu. Pourquoi ?
Ce visage. Lun le connaissait. Il l’avait déjà vu. Il y a une heure, il y a un jour, il y a un an. Un visage simple, deux yeux étourdissants. Un écrin à azur. Il ne se souvenait plus de son prénom. Il ne se souvenait plus de son nom. Pourtant, à le voir, là, dans la cour. Il savait qu’il l’avait déjà vu. Et, le blond aurait pu parié qu’il avait rendez-vous ensemble.
Rapidement le blond alla à sa hauteur.
« Ecoute, on peut se retrouver plus tard dans l’après-midi si tu veux ? Au même endroit. J’ai un cours dans un amphithéâtre jusqu’à 18h00, on peut se retrouver ici à 19h ? Si t’as un truc de prévu, je comprendrais. Sinon, on ira manger un morceau. Et, … ne l’oublie pas … » Termine Lun en pointant du doigts la pochette à dessin, où l’autre garçon à ranger les pétales de fleurs.
Zakuro Fea ..
« Mon petit Ronin » S’exclama joyeusement Lun, alors que la mémoire lui revenait. Marchant d’un pas désormais plus rapide, il se posa face au garçon sans la moindre gène. Et cela malgré le fait qu’il ne s’était jamais pointé au rendez-vous qu’il avait lui-même fixé. Et qu’il avait oublié ce garçon jusqu’à le revoir à cet instant.
« As-tu perdu un combat depuis la dernière fois qu’on s’est vu ? »
Continua le blond, qui était toujours aussi bavard, surtout maintenant qu’il avait retrouvé le sourire. Il avait retiré les mains de ses poches, mais ne fumait pas. L’envie ne lui venait pas pour l’instant. En des gestes rapides, il illustrait ses propos. Observant l’autre jeune homme avec une curiosité nouvelle, différente de la première fois. Ses cheveux blonds retenus par son bonnet, lui dissimulant légèrement le visage.
Lun sourit, se penchant en avant, attrapant au passage les mains de Zakuro.
Les secondes, les minutes puis les heures, j’avais gardé le regard tourné vers un ciel obscurissant le bleu de mes yeux, au fil du temps passé. Ce temps passé à attendre. Combien de temps ? Précisément ? J’attendais. En lui même, le verbe était beau. J’étais assis, j’étais un de ces remparts contre la trahison humaine. J’attendrais des mois ainsi, je savais que j’en étais capable. Mes muscles ankylosés, je n’osais plus regarder ma montre. La vie se déroulait autour de moi avec une lente progression, faisant s’ébranler en douceur les murailles de mon esprit. Ce n’était pas juste. Combien de temps ? C’était un effort, en lui même. Et le rendez-vous ne venait pas de moi. Je pouvais attendre. Encore une minute. Puis deux, puis une infinité. Mais le ciel s’assombrissait, dix neuf avait tracé dans le ciel son sillon cobalt, et je restais assis, balançant doucement mes jambes dans le vide. Je réfléchissais. C’était triste et dommage. Je ne voulais même pas me mettre en colère. Peut être Lun avait il eu un empêchement. Peut être une voiture, alors qu’il ne regardait pas. Je l’avais deviné rêveur. L’était-il au point de rejoindre les étoiles ? De manière trop radicale ? Un frisson courut le long de ma nuque. C’était tellement dommage… Mince, j’étais triste ? Je relevais mes yeux sur le ciel. Bleu. Bleu foncé. Je rabaissais mes yeux sur une vision beaucoup plus terne et grise ; celle des alentours de la cour. C’était vraiment triste. Je crispais mes doigts, crissant les extrêmités de mes ongles sur la surface mordante du bitume. Roi d’un univers solitaire, je me perdais dans la mélancolie, sachant pertinemment que j’avais fait disparaître avec une implacable logique toute trace de pugnacité quand à mon attente. Je lui laissais encore une minute pour venir. Et encore une minute. Puis une autre …. Encore… La douleur de mes doigts était vive. Trop présente pour que j’ignore la colère. Je penchais la tête, faisant glisser mes mèches ébènes sur des joues rougies par le froid. Yeux obscurcis, doigts refermés, lèvres fermées sur des pleurs silencieux. Oh, ce n’était pas la peine de pleurer. Tout avait une cause, Aristote. Quelle était la cause d’un lapin ? Je me relevais lentement, touchant le sol, redressant mon dos, jetant mon regard sur un paysage ne m’inspirant plus.
« As tu perdu un combat, depuis qu’on s’est vu ? »
Les journées. Elles passaient, encore et encore, sans aucune prétention, se chargeant simplement d’éloigner de mon souvenir un peu plus le détail de l’attente. J’avais attendu longtemps. Peut être pas assez ? Qui sait ? Peut être était-il venu ? Qui sait ? Je me chargeais d’oublier. Je n’allais pas me rendre triste pour cela. Le temps passait, je vivais. Les journées, les cours, l’université. Chiant, long… toujours la même trame, avec des détails différents. Un rire, un sourire, un camarade que l’on croise et une main qui se perd. Un baiser qui s’égare, aussi, peut être… les fous rires avec Alix, les discutions glanées avec Elio, et les moqueries échangées avec Gabriel. Des journées d’enfant, qui se croit adulte, mais qui trouve sa place dans une innocence parfaite, perdue entre la vulgarité et le sexe. Mais une innocence qui s’apprivoisait, formidablement élégante. Des devoirs, en perspectives, qui s’ammoncelaient, autant sur mon bureau que dans mon agenda. Pour le bureau, ce n’était pas grave ; Gaby et petit Lindsey ne dormaient jamais dans la chambre ; je les mettais sur leurs bureaux, créant des montagnes de livre, faisant s’élever savoir et connaissances dans des pyramides sidérantes. J’accumulais un peu tout. Colles, conneries, rires et fous rires. Mais aussi les dessins, tiens…. Collectionnés, triés, rangés, ils obscurcissaient toute une rangée de ma penderie, entassés dans des dossiers portant tous les noms qui les différenciaient. Il y avait le dossiers « fleurs ». Il y avait le dossier « Lun ». Créé exceptionnellement. Lui, je l’avais mis tout en dessous.
« Tu ne devras le montrer à personne. Jamais. Ni par politesse, ni par gentillesse. Jamais. Je ne veux pas. »
Je ne l’avais pas montré. En fait, je ne les montrais que rarement. Mais la fierté d’avoir tenu ma promesse me remplissait de joie. Et de colère. Parce que pour lui, les promesses n’existaient pas. C’était tellement… difficile ! Tellement cruel ! Comment refuser leur existence ? Il m’avait plongé dans un trouble ombrageux, faisant se dresser sur la question une ombre haineuse. Je lui en voulais. Je lui en voulais pour ne plus avoir d’espoir. Qu’est-ce qui l’avait poussé à dire cela ? C’était véritablement … moche. Vocabulaire de gamin, entêtement d’âne, je faisais à moi tout un seul un beau guignol, perdu entre ses pensées et sa vie active. Oh mon dieu, tout le monde était comme ça ? - Damn it.
« J’ai beau avoir vécu au Japon pendant deux ans, je ne me fais pas à vos formules de politesses »
La politesse, c’est simplement le langage utilisé entre deux chiens ayant la rage. La manière de communiquer afin de faire plaisir à l’autre. Et un peu à soit même. Le Japon n’était rien d’autre qu’un pays de chiens enragés. Des chiens enragés qui connaissent les conséquences de la douleur et qui en tirent profit pour ne plus souffrir. Ou pour souffrir le moins possible. Pourquoi me répétais-je sa phrase, ces derniers temps ? La politesse, la politesse, je la voyais, narguant mes journées remplies de ces recherches à la liberté. La politesse était une enclave aux mots. Pour s'en désenchaîner, il fallait certainement savoir très bien parler. Un jour peut être aurais-je le niveau de mordre avec politesse. Dans ce genre de réflexion, le mieux était de sourire. Nos vies étaient gouvernés par ces besoins, opposés à ces nécessités. Qui voulait, pouvait. Et pas l'inverse. Surtout pas l'inverse.
(…)
Je marchais. Je marchais dans ces couloirs infréquentables, trop fréquentés, harponné contre les murs par les recoins des cartables trop larges ou trop haut ; posés sur des épaules, les sacs devenaient de véritables ennemis, obstacles à la bonne circulation des élèves, ils mordaient les reins, griffaient les joues, et arrachaient les baladeurs, brisant en une seconde les univers musicaux dans lesquels s'enfermaient les élèves déjà lassés de cette journée de cours en perspective. Je marchais dans ces couloirs, les bras repliés devant moi, comme en garde de boxe, cherchant à prendre le moins de place possible afin de me faufiler au mieux dans ces bref interstices se jouant du passage irréguliers des élèves entre eux. Des masses. Nous étions des masses. Mouvantes, nomades, elles s'opacifiaient, grossissaient ou s'amaigrissaient uniquement en fonction du passage de tel ou tel professeur. Lorsqu'une porte de classe s'ouvrait, c'était soit pour faire entrer, soit pour faire sortir. Et tout n'était en suite plus qu'une question de stratégie. Il y avait les fonceurs, les balèzes, ceux qui dégomaient tout ceux ayant le malheur de se placer sur le chemin. Ne perdant pas de temps, ils mettaient leurs mains devant eux, et bousculaient contre les murs les élèves plus petits ou moins audacieux qu'eux. Généralement, il s'agissait de garçons. Ou étrangement, de filles toutes petites. Malgré l'avantage de ma taille, je n'adoptais que très rarement cette attitude. Je faisais parti des « souris ». Ces élèves qui, attentifs, veillaient au moindre mouvement pour se jeter en avant, afin de voler une place ou deux, et avancer ainsi à travers les dédales, progressant à la manière d'un rougeur dans un labyrinthe. Nous étions certainement les plus détesté ; notre zèle ne dépendait que de nos vices ; lutte moqueuse, nos mouvements lestes arrachaient parfois des insultes à ceux qui coincés depuis plusieurs moments entre deux paires de sac, nous regardait filer avec une avide envie. Et puis, il y avait aussi les moutons. Souvent désintéressés, ils ne faisaient aucun efforts pour se rendre plus rapidement à tel ou tel lieu. Il s'agissait en général des élèves avec leur portable, ou leur mp4 dans les oreilles. Regards éteints, mouvements mécaniques, ils suivaient le mouvement du troupeau, veillant de temps à autre à ne pas perdre de vue un de leur camarade. En hiver, en vue de la température extérieure, le port des manteaux devenait obligatoire. Et de ce fait, ralentissait encore plus le flux de passage dans les couloirs. Oh Lord, la terrible souffrance que celle de la fermeture éclair venant griffer votre joue encore endolorie par le froid... J'avais les mains rouges, et balançant mon sac d'une épaule à l'autre, je cédais à l'irritation, et bousculais les deux filles devant moi, avantageant ainsi ma position de plusieurs mètres. Ignorant leurs protestations scandalisées, je me faufilais en travers de la marée humaine, atteignant ainsi l'escalier D. Par là, j'arriverais en dessous le préau, que je ne supportais pas pour son confinement d'élève. Mais hors de question de rebrousser chemin, pour revenir en arrière. Dévalant les escaliers avec un certain équilibre, je me trouvais bloqué à la seconde marche du dernier étage par un blocus d'étudiants discutant avec un professeur et ralentissant tout le débit. Soupirant, je passais ma jambe par dessus la rambarde, et me laissant aller à une certaine puérilité, glissais jusqu'en bas. J'entendis des reproches exploser dans mon dos, mais me retourner, juste avant d'ouvrir la porte, je vis plusieurs garçons faire de même. De ce fait, les étudiants et le professeur s'écartèrent, ce qui libéra le débit. Me jetant à l'air libre, je cherchais des yeux quelques connaissances, sous le préau. Grouillantes et omniprésentes, ces tâches sombres qu'étaient les universitaires m'arrachèrent un sourire. Cela ferait un dessin tellement abstrait, tellement flou. Voici la définition de la société ; « tâches sombres, floues et grouillantes. Comme des fourmis. » Je lâchais un gloussement, rendu imperceptible dans le brouhaha plosif du préau. Il faisait froid, et il était logique que pour avoir chaud, il fallait se regrouper de la manière la plus « pingouesque » qui soit. Bien sûr. Je priais pour l'âme des agoraphobes. Cherchant des yeux la tignasse rousse (quoique brune, ces derniers temps) d'Elio, je tombais sur le minois angélique d'Alix. Je la saluais, mais engagé dans une violente discussion avec une fille au profil de paon, je la laissais passer, assez heureux de la voir. Elle était mon amie, et c'était formidable de reconnaître à quel point ne serait-ce que la vue d'un être cher pouvait raviver la joie en vous, même lorsque tout allait mal. Cela s'appelait « représentations auto-résilientes. » Ou la capacité de certaines choses à faire se redresser le moral des personnes en souffrance. Une chanson, une feuille d'abre chutant d'une branche, tout ce qui redonnait le sourire sans même être exceptionnel. Je me glissais vers l'extérieur du préau, plongeant en travers cette foule en délire d'autre chose que de moi. De partout, ça pianotait. Les japonais étaient fous. Ils écrivaient leurs sms avec une agilité des doigts des plus surprenantes. À croire qu'ils étaient nés avec la meilleure technologie qui soit entre les mains. Je retins un ricanement. Lui, par exemple. Profil type, pas forcément très recalé d'un point de vu esthétique. Cheveux assez longs, cachant ses oreilles, et valsant en mèches folles sur son front aplati, il portait des lunettes à la mode, ce qui grossissait cependant ses yeux bridés, intensifiant son regard noir. Ses dents blanches étaient dévoilées dans un sourire amusé, tandis que ses lèvres laissaient s'échapper des bribes de conversation avec un de ses amis que je ne voyais que de dos. Il portait une chemise à carreaux, sous son épais blouson, et malgré ses lunettes, malgré ses airs de faux-intello, il tenait dans ses mains un ordinateur portable, tapotant avec une vitesse sidérante sur le clavier. Je m'approchais discrètement, et le contournant, reconnu un des opus de Final Fantasy. Pas le meilleur, songeais-je en m'éloignant à nouveau. Moi je préférais le VII. Ils étaient nombreux, les étudiants amenant ordinateurs, Ipad, DS, ou Gameboy color, pour les puristes. Ils formaient à eux tous le peuple japonais en sa plus tendre effervescence. Des geeks. Nous étions tous des geeks. Impossible de résister, c'était obligatoirement plus fort que nous. Moi je m'efforçais d'être un geek artiste. Vieille école, accessoirement. Crayons de bois et gommes, mes meilleurs amis. Je n'avais pas cours de la matinée. Cherchant l'inspiration, je me sentais d'humeur à me trouver un endroit sec pour dessiner. Il allait me falloir traverser ce maudit préau, la cour, et fouiller en fonction de mes points stratégique toute la topographie des lieux. Je m'en réjouissais d'avance ! -ironie...-. Retenant un soupir, je me remis à me faufiler, animal affublé d'une charge bien trop pesante, à travers ces corps chauds, puants, et bruyants. Je débouchais à l'air libre une éternité plus tard. Jetant un regard en arrière, je retins un ricanement méprisant. Les élèves avaient vraiment l'air de refuser de vouloir dépasser la limite du préau. Je levais le visage vers un ciel anthracite. L'hiver était beau. Me mettant à marcher plus librement dans la grande cour, traversée par beaucoup moins d'élèves, je traçais au sol des empreintes, relatant mon parcours dans des territoires aplanis et vierges, par endroit. Futilité enfantine, pendant de longues minutes, je jouais à me retournais, observant avec un plaisir évident se tracer au sol mes empreintes de Doc Martens. Motifs périodiques, les vaguelettes de mes semelles faisaient se soulever des myriades de flocons blancs. J'eus une brève pensée pour Ethel et le massacre dans la laverie. La neige, ce jour là, avait été artificielle, à quelques mois de Noël. Noël, on y était, maintenant. Je me demandais ce que je voulais comme cadeau. Relevant le visage, totalement, je laissais couler sur ma peau une brève pluie, douce et câline. Je voulais peut être des nouvelles d'Angleterre, des nouvelles de mon père, de ma mère, et des nouvelles d'Angeal. Il avait promis qu'on se retrouverait, alors je lui faisait confiance. Sortant les mains de mes poches, je remontais mes doigts jusqu'à mon col, réhaussant ces derniers pour protéger mes lèvres du froid. J'aurais peut être du prendre une écharpe...
« Mon petit Rônin! »
Interpellation soudaine, à laquelle je ne réagis pourtant pas sur le moment. Pas physiquement. Mentalement, le dernier mot avait provoqué en moi un frisson presque sauvage. Qui me connaissait assez pour m'apostropher ainsi ? Est-ce que c'était à moi qu'on parlait ? Qui était-ce ? Je tournais mon regard vers la gauche, enveloppant la source de la voix d'un regard bleu. Lun. Un énorme sourire barra mes lèvres, et je me tournais totalement vers lui, tandis qu'il se plantait devant moi, toujours aussi grand. C'était fabuleux. J'avais un cadeau de Noël avant l'heure. Deux grands yeux verts, des cheveux blonds, qui dépassait d'un bonnet que j'avais envie d'arracher pour voir ses mèches lumineuses fouetter le vent. Mon sourire n'en fut qu'élargi. Comment vas-tu ? Que fais-tu ? Tout se passe bien, dans ta vie ? Ce genre de question se pressèrent dans ma bouche, mais curieusement je les tus. Le soir même, j'avais tout fait pour ne pas être en colère. Mais j'avais été profondément déçu. Pas de son attitude, je ne savais rien de ses raisons. Non. Simplement que je ne l'aies pas vu. Mes yeux chutèrent sur ses mains, une seconde. Avais-je vraiment besoin de me mettre en colère ? De rester taciturne et de rendre violent mon regard ? Oh, je crois que je n'en avais pas envie, au final. Il était là, devant moi, et c'était tout ce qui comptait, non ? Mon sourire revint aussi rapidement, et j'abaissais du bout des doigts mon col.
« J'suis content de te revoir, Lun. »
Oui. J'étais formidablement heureux, même. Mais peut être était-ce exagéré que de témoigner de trop ses sentiments ? Il dégageait lui une jovialité impressionnante. Me prenant les mains, sa question me déstabilisa avec une telle soudaineté, que je me demandais s'il ne me tenait pas pour éviter que je ne tombe. Pensée cocasse, qui m'arracha un éclat de rire misérable.
« As tu perdu un combat, depuis qu’on s’est vu ? »
« Non. »
Je souriais. J'avais des choses à lui dire, et des choses à lui donner. Je devais lui rendre le dessin. Qui était, soit dit en passant, dans ma chambre, sous le tas, dans la penderie. Tas, qui s'était vu m'arracher un hurlement terrifié, quand suite à un coup de vent provoqué par une fenêtre restée ouverte, s'était dispersé aux quatre coins de la chambre. J'avais tout retrié, tout replacé. L'organisation de ce travail inutile m'avait pris une longue heure. Je reportais mon attention sur Lun.
« Non, parce que je n'ai pas combattu. Mais toi ? Tu vas bien ? »
Question rhétorique, bien que quelque part, la réponse soit attendu avec une certaine impatience. Je percutais aussitôt sur sa phrase, bien que celle-ci soit toujours aussi surprenante. Mes yeux se plissèrent dans un sourire.
« En tout cas, tu me dois toujours des fleurs. »
Je n'avais pas oublié. Bien au contraire. L'instant de colère qui m'avait pris lorsque mon cahier de dessin s'était envolé, lorsque j'avais soulevé du sol ce garçon, l'insultant, puis que je m'étais précipité. On était geek artiste ou on ne l'était pas. Et que je l'avais récupéré entre les mains de ce que j'avais pris pour un petit garçon juste un peu grand. Comment il était devenu un message de désespoir, étrangement. Pas en lui même, pas en péjoratif... mais ses mots m'avaient blessés. Comment il avait fait se dresser en moi un mur protecteur, à l'égard de nos avis sur les promesses. Les promesses... je ne lui avais pas « promit » de lui offrir ce dessin. Je lui avais tendu, puis il avait refusé, puis il me l'avait réclamé, et j'avais acquiescé. Jamais je n'avais promis. Irritation. Pourquoi est-ce qu'il aimait les fleurs ? Enfin... je supposais qu'il les aimaient. J'aurais adoré transformer mon esquisse réalisée ce jour là pour combler tout le blanc de la feuille, en le remplissant de milliards de pétales. Mais cela aurait gâché, je crois, la prestance de mes fleurs de cerisiers. Alors j'avais laissé le dessin tel quel. Dessin, envolé, dans ma chambre, qui oscillait dans le vent. J'avais tout ramassé, en une heure. Mes yeux s'écarquillèrent.
« Oh. »
Je crois que... D'un mouvement d'épaule, je plaçais mon sac sur ma poitrine ; l'ouvrant en tirant d'un coup sec sur la fermeture éclair. Je ne fouillais pas longtemps, écartant juste mon trieur et un classeur. Il était là, reposant sagement contre ma colonne vertébrale. Je l'avais vu tomber, comme tous les autres dessins, mais ne l'avait pas rangé, m'étant d'abord concentré sur tout ceux qui menaçaient de s'envoler par la fenêtre. Et pris par ma tâche, je ne l'avais pas rangé, alors qu'il était tombé près de mon sac. Et ainsi, avant de partir en cours, j'avais, à tout hasard, fait mon sac, glissant le dessin à l'intérieur. Moi, qui si précautionneusement, veillait à ne jamais sortir de dessin en dehors d'une pochette. Devais-je encore parler de hasard ? Ce dernier m'assommait par la justesse de ses actions et/ou conséquences. Tout à une cause. Aristote. Je relevais sur Lun un regard clair ; my Lord blessed me. Soupir. Du bout des doigts, je tirais, la feuille de mon sac.
« La durée d'attente du paiement aurait du être plus longue que cinq secondes, mais apparemment, les dieux sont pas okay sur ce sujet là. Heh. Lun. »
J'achevais ma phrase en lui tendant la feuille. Malgré mes soins attentifs, un flocon, un minuscule flocon, étoilé et glacial vint se poser sur les pistils atrophiés d'une sakura centrée. L'eau imbiba le cœur de carbone de la fleur. Damn. Je soupirais, glissant mes doigts dans mes poches, dévisageant le profil de mon homologue anglais.
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Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Ven 6 Jan 2012 - 2:05
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir nous regardent passer Répétant après moi les mots que j'ai tressés Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux
Louis Aragon (La Diane Française, Seghers 1946)
_____Les coïncidences serpentent la vie de nombreuses personnes. Il suffit parfois de si pour changer le monde et provoquer qu’un homme devienne un bienfaiteur ou un dictateur. Il suffit parfois d’une mort pour changer un homme bon en un tueur qui a provoqué la mort de son meilleur ami. Lun était responsable de la mort de Maeki Oyuki. Il en avait conscience et savait qu’il vivrait le restant de ses jours avec le doute d’être l’inquisiteur de la corde où avait glissé le cou de son ami. C’était sans doute pour cela, que lorsque pour rire, des amis lui disaient : va te pendre, il frissonnait de peur. Il n’y avait pas un seul jour où Lun ne voyait pas une corde. La peur le conduisait à d’étranges comportements. Il regardait souvent derrière lui quand il marchait, s’attendant à être rejoint par son meilleur ami. Il composait mécaniquement le numéro de son ami, et tombait toujours sur une messagerie électronique vocale. Il ne passait jamais dans la rue de son premier appartement. Il inventait des histoires lorsqu’on lui demandait à quoi il pensait, et qu’il pensait à lui. Il n’en parlait jamais. Ou simplement à des gens qui ne se posaient pas la question de sa douleur.
On pense que lorsque les mois passent, la douleur en est moins grande. C’était sans doute vrai pour certaines personnes. Aux yeux de Lun, le mois passait et les questions augmentaient dans son esprit. Il y avait dans le suicide, l’inexplicable. Les faits divers avaient parlé d’un jeune homme brillant, mort trop jeune, dont aucun proche n’aurait pu douter des problèmes ou des envies suicidaires. C’était comme une danseuse dans une boîte à musique. Lun tentait de remonter l’histoire, mais il tournait en rond. Il jouait, rejouait, et rejouait la même musique. Il s’en voulait, le plu sincèrement du monde. Il aurait du sauver son meilleur ami. Il aurait du être là, au lieu de sangloter sur lui-même. Au lieu de ne penser qu’à lui-même. Pleurer parce qu’on aime ? Il avait été égoïste. Affreusement cruel et immature. Amoureux de qui, de quoi, pourquoi et comment ? Lun Marv se trouvait stupide d’avoir aimé. Il se trouvait assez pathétique pour avoir supplié quelqu’un. Pour avoir perdu fierté et courage dans un combat auquel il n’avait jamais voulu se battre. Il avait aimé et il avait oublié à quel point, Maeki l’aimait.
Pourtant, Lun l’aimait. Lorsque des larmes venaient dans ses yeux de serpent, il allait jusqu’à chez lui. Maeki posait un café. Il lui mettait un sucre et demi. Posait sa main dans ses cheveux. Puis, il laissait Lun parler de tout, de rien. Il le laissait se taire. Et enfin, il lui demandait avec douceur : ce qui n’allait pas. Lun tournait autour du pot, évitant les sujets, avant d’avoir l’envie de tout raconter. C’était douloureux au départ, puis ça allait mieux. Puis, Lun accompagnait Maeki dans la cuisine. Il s’asseyait sur la table de travail, remuait les jambes, en souriant. Maeki parlait alors longuement, en riant. Il lavait les tasses. Lorsque Lun était heureux, il lui envoyait un message. Il lui racontait ses joies. Ses rencontres. Son coup de cœur, son béguin pour une fille qui l’avait fait rire et qu’il oubliait la semaine suivante. Il lui parlait de l’amour de sa vie. Il lui dessinait des paysages. Lui racontait des histoires, lui comptait ses mésaventures. Et Maeki n’était jamais impatienté. Il répondait toujours. Que ce soit à une photographie, un message, une colère, un rire ou un dessin. Et lorsqu’il ne pouvait pas le faire, il s’excusait avec douceur. Lun aimait l’entendre parler de sa voix d’homme formée. Lorsqu’il le prenait dans ses bras, Lun se sentait si petit, si faible, si fragile. Il fermait les yeux, fermer ses bras sur sa taille.
Quand les parents de Maeki, son frère, ses amis et Lun mouront, qui se souviendra de Maeki Oyuki ? Qui se souviendra de cet être qui n’en faisait qu’à sa tête et n’avait rien de conventionnel. Qui se souviendrait de ce qu’il disait, de la voix qu’il avait. Des blagues qu’il faisait. Qui se souviendra qu’il avait regardé Hachiko en pensant au propre chien de son enfance et qu’en riant, il avait pincé la joue de Lun qui avait boudé idiotement pendant quelques minutes. Qui se souviendrait de l’odeur de son parfum, de ses yeux marron et de son nez qui se retroussait comme un enfant lorsqu’il était contrarié par une phrase ?
_____Lun regardait le dessin de fleurs sans rien dire. Il fixait ce dessin, en souriant, pensivement. Il pensait à son meilleur ami qui adorait les fleurs. Il aurait aimé l’entendre râler lorsqu’il aurait jeté un mégot de cigarette par terre et louer les bienfaits des végétaux. Il aurait même aimé partager un dernier soir à boire. Il aurait aimé : il aurait aimé : il aurait aimé. Zakuro n’a pas beaucoup changé, toutefois, il est touchant. Lun se demande combien d’être, qu’il verrait pour la seconde fois, aurait une réaction aussi douce après avoir subit le coup du lapin. Le jeune Soldat Japonais semblait avoir pris le parti d’accepter l’anglais tel qu’il était. C’était tellement rare, que Lun ne savait pas trop quoi dire. Il semblait que Zakuro avait une patience d’ange. C’était loin d’être un ange, cependant. Ce qui était une bonne chose : jamais Lun n’aurait aimé rencontrer un ange. Ils sont trop égoïstes, imbus de leurs personnalités, cruels et stupides. Ils vivent dans un ciel où ils ne regardent jamais les étoiles briller trop occuper à compter leurs argents. Les anges vivent heureux et ne comprennent ni le malheur, ni la haine, ni la colère. Pour eux, la famille c’est joie et paix. Pour eux, les amis, c’est facile à trouver. L’argent, vient facilement. Et évidemment, les anges ont dieu pour père. C’est plus facile pour trouver un emploi et avoir des solutions à tous les problèmes.
Les doigts de Lun passent sur le dessin. Ils décrivent avec douceur l’esquisse des pétales de cerisier. Maeki Oyuki aurait aimé ce dessin. Il aurait adoré voir la finesse des traits, lui qui avait toujours un carnet, un crayon à papier, une gomme et un petit couteau à tailler sur lui. Lui qui voyait dans une mer, un paysage à dessiner. Qui voulait se souvenir d’une feuille d’automne et qui prenait en photo, les troncs des arbres pour étudier les formes qu’il voyait en les regardant. La neige tombe toujours entre les deux jeunes hommes. Les joues de Lun ont rougi par le froid, le bout de son nez et la jointure des ses doigts également. Son cœur, pourtant, lui semble plus chaud. Zakuro ne l’a pas oublié. Zakuro ne l’a pas oublié.
Lun redresse un visage souriant. Depuis qu’il est revenu, il n’a pas pu avoir des nouvelles de Jun Masato, de Kodaa Lewi’s, de Tadashii Tsumi, de Sora Kumori, de Setsumi Hiûjiro, de Wunjo Ivanova, d’Elio Carolis, d’Akane et des autres. Lun ne sait même pas s’ils se souviennent de lui. Lui qui portait en permanence sur lui, un bracelet d’argent, un pin’s de mousquetaire, un porte-clé avec une pêche, un collier donné, une photographie oubliée, une facture d’achat pour un cadeau, une partition de musique commencée et tant d’autres choses. Lui qui les avait aimé à en mourir et à en renaître. Des traîtres. Se murmura en lui-même Lun Marv. Il avait fait le choix de partir, mais ils avaient eu le choix de l’oublier. Ils avaient fait ce choix. Lun les détestait. Il ne le dirait pas. Il n’aimait pas la haine. Il ne le dirait pas, ce serait leur donner l’importance. Il était seul à mourir, mais il préférait encore mourir que d’aller vers eux. Les traîtres, cracha mentalement Lun, qui utilise la fierté comme excuse. Des lâches, des gosses, des crétins, des idiots, qui font mal pour ne pas qu’on leur fasse mal. Qui nous oublie par peur d’être oublié.
L’anglais rangea avec précaution le dessin dans une pochette plastique de son sac. Il jeta, même, un regard en direction de Zakuro pour s’assurer que ce dernier ne tenterait pas de lui reprendre. C’était à lui maintenant. Il le garderait toujours chez lui. Il ne le laisserait à personne. Ne l’abandonnerait jamais. Lun s’était rapproché de Zakuro, il avait posé son front sur son épaule, refermant les yeux.
« Je vais mieux. »
Redressant le regard en direction du ciel, Lun soupira lentement. Un flocon de neige lui tomba sur la joue, sans qu’il n’y fasse attention. Il allait mieux, il le pensait. C’était moins triste de penser à Maeki, c’était plus facile. Lun savait parfaitement désormais qu’il était responsable de sa mort. Il acceptait de payer les conséquences. Il allait rompre avec Elyott. Il allait rompre. Il le fallait. Lun ne reviendrait pas à Londres. Il terminerait ses études ici et il ferait ce que Maeki aurait aimé faire. Il refusait d’abandonner son ami, une nouvelle fois. Il n’était pas un lâche, lui. Il n’abandonnait personne. Personne, se murmura Lun à lui-même.
« Je suis un peu déboussolé par le Japon. Je l’avais quitté en fête, joyeux et capable de dompter les événements. Je le découvre victime de catastrophes naturelles et de crises économiques. Le monde s’ébroue sous la peur de l’inconnu. Toutefois, je crois, que jamais je n’ai été aussi calme. »
_____Lun s’était installé sur un banc, malgré le froid, malgré le temps. Lorsque le cœur est glacé, on ne pense plus à le réchauffer. Peu lui importait de mourir, ici et là de froid. Personne ne se retournerait sur son passage lorsqu’il mourrait. Qui se ficherait de savoir s’il avait été bon, s’il avait été mauvais, s’il avait été pour être solidaire envers des idéologies qui ne pouvaient dépasser la vie scolaire. Qui se ficherait de savoir qu’il avait été le populaire de son école ? Il serait oublié, les gens continueraient leurs vies et personne ! Personne ne voudra se souvenir de ce populaire junkie qui fumait et buvait. Il ne resterait qu’un fait divers cité lors des réunions de classes. Lun refusait de finir ainsi. Tout le monde était si fier de Maeki. Etre mort l’avait rendu aimé. On ne déteste pas les morts.
Lun le détestait. Plus encore que tous les autres. C’était un traître, un idiot, un salaud, un CONNARD. Putain, comment peut-on abandonner tant de personnes uniquement pour des conneries précaires et inutiles. On ne meurt pas pour des broutilles. On ne meurt pas, par fatigue, par alcoolisme soudain ou par échec amoureux. On ne meurt pas idiotement sur un champ de bataille en Afghanistan à cause de crétins pas capables de se défendre eux-mêmes ! On ne meurt pas, car on est une grande sœur de seize qui tombe amoureuse sans retour et qui pense que l’éternité de la mort est préférable à une année de plus de vie sans l’autre. On ne meurt pas pour rien. Car ce n’était rien. Qu’est-ce que c’était que tout cela ? Lun aurait préféré entendre mille plaintes, subir mille tentatives, aller dix mille fois sauver et aider. Plutôt que ses réussites qu’il n’arrivait pas lui-même à faire.
C’était lui qui … aurait du ?
Lun soupira. Il voulait mourir, mais il aimait la vie. C’était compliqué, dans sa tête. Il savait qu’il n’avait aucune raison d’être là : mais il était là. Ce n’était pas à lui de remédier à l’erreur qui avait été commise et de se détruire tout seul. Bien qu’il y arrivait parfaitement seul, il était vrai.
« Les gens recherchent la plume magique de Dumbo. Ils pensent qu’un rien les aiderait à s’envoler. Ils se trompent. Seuls eux-mêmes peuvent arriver à s’en sortir. »
Les gens passent dans la cours. Lun le fixe d’un regard vide. Des singes de vie, singeries et idioties. Il a vieillit, il est bien trop tard pour lui pour revenir en arrière. Pourtant, il lui semble être un peu heureux. Auprès de ses enfants, dans son travail et en sortant le soir pour boire avec des potes. Il n’a pas besoin d’amis. Il n’a pas besoin d’eux. Il n’a besoin de rien. Ni même de soutien. Ni de la plume magique ou de la formule de sorcier qui aide à s’envoler et à ressembler aux oiseaux. Lun vole déjà, souvent comme Ycare. Souvent trop près du soleil. Il est près à se brûler les ailes. Se brûler les L. Car si les ailes ne portent qu’un l, c’est que sans cesse les hommes ont voulu les couper.
« Dis-moi Zakuro, es-tu amoureux ou attiré par quelqu’un d’ici ? Il y a sans doute une personne qui t’attire. Allez, dis-moi ! »
Navré. De tout. Du temps de réponse. Des déceptions causées. De ne pas avoir relu. Du reste. D'un mauvais texte. Mais j'ai tenu ma promesse, Avant la fin du monde.
‘‘Entre la vie et la mort, il n'y a qu'un pas, entre la tristesse et le bonheur, il y a une route infinie.’’ de Michel Linh
Say my name So I will know you're back you're here again For a while Oh let us share The memories that only we can share Together
Un sentiment d’impuissance apporta à Lun une réponse lorsque Zakuro évoqua qu’on lui avait déjà parlé à son propos. A quoi bon essayer de se débattre ? Il y aurait toujours quelqu’un pour se souvenir de lui. A dire vrai, Lun s’en fichait un peu désormais. Il ne portait pas son ancienne popularité comme une croix, ni même comme un triomphe. Il avait été populaire, c’était un fait. A l’époque où on le croisait dans chacun des couloirs, chacun des lieux. Il était difficile de passer à coté de lui. C’était il y a longtemps et cette époque ne lui manquait pas. Lun Marv trouvait ça assez pathétique ceux qui recherchaient la reconnaissance sans cesse. Etre connu à n’importe quel prix était un but qui ne l’avait jamais effleuré. Il n’était pas de ceux qui iraient participer à des émissions de téléréalité ou qui essayerait d’avoir assez d’amis pour atteindre des statistiques où il ne pourrait plus être disponible pour aucun d’entre eux. Quelques amis lui suffisaient et une vie tranquille aussi. Toutefois, ça ne l’empêchait pas d’être moqueur et provocant. De répondre aux baisers qu’on lui offrait ou d’accepter la plupart des sorties qu’on lui proposait. Il était ambigu, complexe et souvent dans un paradoxe qui était en soit, une preuve de sa grande humanité. Non, Lun se refusait à répondre. S’il était une fleur, son jardinier était décédé. S’il était une fleur, alors on ne l’avait pas vu. Comme dans l’histoire de la petite sirène, il était immortel et désirable avant d’avoir aimé. Puis, il était tombé amoureux et avait voulu devenir humain pour s’approcher de lui, sacrifiant son don. Etre près de celui qu’il aimait était suffisant, mais le voir amoureux d’un autre l’avait contraint à devenir cette écume qu’il était désormais. Il ne fallait pas se tromper, Lun Marv ne pourrait jamais redevenir celui qu'il avait été. Il n'était plus au sommet de sa popularité. Toutefois, il était en train de se découvrir un nouveau visage et de grandir, d'évoluer et de changer.
Tell me about The days before I was born How we were as children
« Il paraît que j'ai tendance à confondre la fiction et la réalité. Dis, Lun. Tu t'es déjà battu pour que tes rêves remplacent ta réalité, hein ? Si tu ne l'avais pas déjà fait, alors est-ce que tu serais quelqu'un de sensé ? Est-ce que ce serait juste de vivre si l'on était entièrement empli de noir, de violence, et de colère ? Si on était triste à en mourir ? Ce serait juste, tu crois ? »
Ce sont les mots de Zakuro. Les mêmes mots auraient pu être prononcé par Lun. Comment répondre à sa propre question ?
Comme-ci, il était possible de savoir ce qui est juste. Ce serait tellement facile, s’il y avait un livre du Bien et du Mal. Un endroit qui nous dirait que nos actions nous conduisent vers le bon chemin et qui nous indique une jauge de possibilités. Si on pouvait prévoir par avance ce qui semblerait être le bon chemin. Bien évidemment, on pourrait alors prendre les bonnes décisions et sans contraindre avoir une possibilité d’actions qui influerait forcément positivement dans nos vies. En réalité, on agit sans savoir ce que nos actes auront comme conséquence et sans percevoir la justesse de chaque événement. La vie n’est pas juste ! Si elle était, elle ne laisserait jamais un enfant mourir de faim pendant qu’un journaliste filme la scène pour l’immortaliser, sous les yeux de milliers de téléspectateurs blasés. Si la vie était juste, songea Lun Marv, il n’y aurait pas cette femme qui dort tous les soirs dans sa voiture car son mari la battait et qu’elle n’avait pas d’autre choix que de partir ou de le laisser la tuer. Rejetée par les associations qui n’ont plus de place, abandonnée par sa famille, elle survit comme elle peut. Si la vie était juste, je serais mort aujourd'hui. Et il serait en vie.
Lun demeura un instant stupéfait de la question de Zakuro. Ses yeux verts ne pouvant se détacher de son homologue. Cherchant une réponse qui apportait un tant soit peu d'espoir. Car la première phrase qui lui était venue à l'esprit était : que non, ce n'était pas juste. Mais que quand la tristesse était trop grande, on était déjà mort. Des morts avec un coeur qui bat et qui ont une juste de revivre. En parvenant à croire ...
You touch my hand These colors come alive In your heart and in your mind I cross the borders of time Leaving today behind to be with you again
En réalité, Lun n’avait pas de réponse car lui-même ne savait pas bien où se positionner dans ce monde et cette histoire. Il se sentait souvent malheureux à en crever. Le poids de son passée, de ses démons et les sentiments du présent l’envahissaient. Il ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas simplement oublier comme les autres le faisaient. Ils agissaient tous comme-ci les faits étaient loin d’eux et que désormais, ils en avaient tiré une forcé pour pouvoir continuer. Lun ne se sentait pas plus fort d’avoir eu des amis morts, d’avoir été violé, d’avoir été trahit et d’avoir aimé. Il se sentait juste lasse et fatigué. Epuisé par une course qui l’avait conduit là, sur ce banc, à cette discussion. Une discussion où une suite de questions le laissait silencieux et perplexe.
We breath the air Do you remember how you used to touch my hair ? You're not aware Your hands keep still You just don't know that I am here
En réalité, il se sentait mal et égoïste d’être aussi malheureux en étant autant privilégié. Il vivait dans un pays riche où il avait accès à la technologie. Il ne mourrait pas de faim et avait un toit où s’abriter, un lit où dormir, des amis à qui parler et une famille sur qui il pouvait compter. Pourtant, son cœur un labyrinthe plongé dans une mer de larmes. La première question était la réponse à ce malheur.
Il s’était battu pour que ses rêves deviennent une réalité. Il avait cru jusqu’au bout qu’une histoire d’amour auquel personne ne croyait et que chacun critiquait pouvait fonctionner.Il avait eu confiance en ses amis ! Il avait pensé qu'ils étaient unis à vie. Il avait cru en une personne que tout le monde critiquait et dont même leurs amis crachaient à la figure tant elle ne semblait pas convenir à Lun. D’un coté comme d’un autre, personne n’y croyait. Pas même la moitié. Sauf Lun. Au plus profond de son âme, il avait cru qu’un jour, la pluie disparaîtrait. Qu’il verrait les lumières briller et qu’une main se tendrait pour prendre la sienne et lui dire au travers d’une brume épaisse : Je suis là. Cesse de courir, cesse de chercher. Je suis là et plus rien au monde ne pourra te faire du mal sans que je sois sur son passage pour l’en empêcher. Mais le sacrifice de sa voix et de son immortalité, n'avait pas suffit.
It hurts too much I pray now that soon you're released To where you belong
La réalité l’avait rattrapé malgré lui. Lun était un ballon d’hélium, où les rêves parvenaient jusqu’au plus haut des monts et il avait tendance à croire qu’il suffisait de croire pour que ça fonctionne. Seulement, Maeki Oyuki était décédé. C’était un fait. Impossible à changer. Impossible à modifier. Personne ne pourrait jamais le ramener à la vie. Personne ne pourrait jamais retirer la douleur dans le cœur de Lun Marv. Et ; le ballon d’hélium avait été attaché à une pierre de la réalité. Une pierre, sans doute tombale, qui l’avait entraîné jusqu’à la première mer sous ses pieds pour le noyer sous la tristesse.
Détournant ses yeux de Zakuro, Lun dégluti. Il y avait peu de souvenirs peu tristes dans sa mémoire.
Il en parlait peu. A dire vrai, il n’en parlait pratiquement jamais. Ce serait trop compliqué et douloureux. Les gens s’étaient remit à vivre, comme-ci Maeki n’avait jamais existé. Plus personne n’en parlait vraiment. On avait pleuré, puis on avait oublié. Lun ne se voyait pas déranger ses amis en leurs racontant ses rêves. Ou ses cauchemars.
You touch my hand These colors come alive In your heart and in your mind I cross the borders of time Leaving today behind to be with you again
La nuit passée, encore, Lun avait rêvé. Il était assit sur un banc, semblable à celui où il se trouvait maintenant. Ses cheveux étaient attachés en une tresse qui lui donnait un air presque féminin, et il portait une longue tunique blanche avec un pantalon blanc. Ses pieds étaient nus. Il sentait la douceur du vent sur son visage, sans qu’il n’en soit agressé. C’était un semblant de caresses, lui apportant un réconfort. En regardant autour de lui, Lun remarqua être dans une clairière au milieu d’un bois. Il s’était levé, et avait avancé vers son centre. En relevant les yeux, une pluie d’étoiles l’étourdit. Soudainement, il avait entendu son prénom. Lun s’était retourné, encore et encore, jusqu’à avoir le tournis. Cherchant de part et d’autre de la clairière d’où venait cette voix. Jusqu’à ce qu’elle s’éteigne d’elles-mêmes. Alors, Lun avait sentit une main s’accrocher à son pied droit. Il avait baissé le regard, et une forme avait commencé à sortir de sous la terre. Tout autour de lui, des milliers de formes sortaient, se mouvant. Des squelettes à forme humaine, putride, dont l’odeur manquèrent de le faire vomir. Effrayé, Lun était monté sur le banc, après s’être débattu pour retirer la main qui le tenait. Et au milieu de cette foule de mort-vivant, il avait vu une personne se tenir. Les cheveux longs, mal coiffés, attaché en une queue de cheval. La personne s’était assise, jouant un air de guitare. Un air que Lun connaissait parfaitement : Say My Name de Within Temptation. Les paroles elles-mêmes semblaient se mouvoir de la guitare. Lun avait posé ses pieds sur le sol, et l’herbe si verte semblait s’être enduite de sang. Les pieds rougis, le blond avait avancé dans cette marre gluante et prenante. Il s’était approché, cherchant à rejoindre Maeki Oyuki. Ses pieds refusant de courir, l’obligeant à marcher ainsi.
Puis Maeki Oyuki avait redressé les yeux. Lun avait vu une corde à son cou, et ses yeux vitreux, des morts qu’on tarde à trouver. Se stoppant dans sa course, le blond s’était arrêté. Il avait voulu murmurer qu’il était désolé, qu’il était vraiment désolé. Qu’il n’avait pas voulu l’abandonner. Qu’il n’avait pas voulu le laisser. Qu’il voulait être avec lui. Hier, aujourd’hui et demain. Qu’il était désolé. Vraiment désolé. Mais plus les pensées le submergeaient, plus le sol se dérobait à ses pieds. Lun s’était senti noyé dans un flot de sang, et le goût métallique du breuvage l’avait enseveli.
Please say my name Remember who I am You will find me in the world of yesterday You drift away again Too far from where I am When you ask me who I am
Une main, l’avait soudainement tiré de là. Lun avait plongé ses yeux dans ceux de cet autre. Un autre qu’il connaissait, sans parvenir à saisir tous les souvenirs qu’ils partageaient. L’oubli avait fait son œuvre dans la douleur. L’autre avait posé sa main sur sa joue, passant son pouce sur ses lèvres. Je suis là, avait-il murmuré.
Les mots avaient été comme un coup de tonnerre. Lun avait redressé les yeux. Les étoiles s’éteignaient une à une. Alors le blond avait fixé l’Autre avait douleur. Se redressant, il avait pointé du doigt derrière. Une jeune fille se tenait, semblant attendre. Lun avait sourit : Menteur. Et il s’était évanouit en poussière d’écumes, se réveillant en sursaut.
Lun déglutit légèrement, cherchant la réalité. Cherchant Zakuro du regard. Ce n’était pas le moment de repenser à ses cauchemars qui le traumatisaient. Les mauvais rêves ne doivent pas dépasser l’ordre de l’illusion. Il ne servait à rien de chercher à les comprendre. Ils ne lui apprendraient qu’une chose : qu’il était coupable. Coupable d’avoir aimé. Coupable de ne pas avoir vu le mal être d’une personne qui semblait pourtant si bien, la dernière fois qu’il l’avait vu.
A quoi bon ressasser la mort ? A quoi bon essayer de faire semblant de ne pas s’en souvenir, également ? A dire vrai, Lun était plein de colère, de tristesse et de haine. Il en voulait au monde entier de ne pas avoir été là pour Maeki Oyuki. De ne pas avoir vu qu’il allait mal. D’avoir été ignorant à sa douleur et de l’avoir laissé mourir. Il était haineux envers sa propre personne pour les mêmes raisons. Il était en colère contre ses amis de ne pas comprendre à quel point, maintenant, lui-même était malheureux et en proie au doute. A quel point, lui-même souhaitait rencontrer un salut profitable. S’endormir pour ne plus rêver. S’endormir pour ne plus croire aux contes de fée, aux sornettes, aux bêtises. Il aurait préféré mourir mille fois qu’aimer encore, il aurait préféré mourir mille fois que de voir son ami mort. Pourtant il était encore en vie, trop lâche pour fuir. Trop lâche pour partir.
A dire vrai, il était aussi plein de tristesse, au final. C’était elle qui prenait le pas sur le reste. Mais au milieu de tout cela. Au milieu de la douleur, de la tristesse et des larmes. Au milieu de la haine et d’injustice qu’il ressentait, il y avait une boîte à musique qu’on ouvre. Une musique et de l’espoir. Des rires partagés, des amis qu’il aimait retrouver. Lui, il n’était pas que ça … Non. Lun sourit doucement.
- Je crois qu’il suffirait de continuer à avancer. De continuer à y croire.
Quelques part, il y avait ce jour-là, avec cette fille-là, à la fête foraine. Au stand de tir, ils s'étaient échangés un baiser. Il y avait les sorties avec les mousquetaires, bras dessus, bras dessous, les rires échangés, les verres bus. Et toutes ses soirées, à fumer, à boire, à oublier la vie, à se battre sur un lit, sur un canapé, dans une rue. Ses moment où il avait été plaqué contre un mur. La main prise alors qu'il montrait la peinture d'un célèbre artiste. Et Elyott, les joues rougies par le froid, enseveli par une épaisse écharpe, lui montrant son jardin. Il y avait les enfants qui riaient et l'appelaient par son prénom. Son frère qui le cherchait toujours du regard, lorsqu'il rentrait chez lui. Et puis, son père qui préparait une tarte aux pommes, à chaque fois. Comme pour lui dire : tu vois, je me souviens, que c'est ton dessert préféré. Il y avait toutes ses personnes qui étaient sans cesse là. Une vie de tristesse rempli de nombreuses joies. Peu importait qu'il avait un pied en enfer, près d'eux : il était au Paradis.
Lun repoussa une mèche blonde de devant ses yeux, son regard tendre posé sur le jeune homme. Il chercha dans sa poche, un paquet de clopes, afin de s’allumer une cigarette. Il trouva parmi elle, un briquet violet – offert autrefois par un ami. Il ne marchait plus. Lun le savait. Il du se résoudre à prendre une boîte d’allumettes. Mais le briquet, dans sa poche, lui rappelait : Je crois en toi.
Je croirais toute ma vie en toi. Tu es sot de douter parfois du contraire !
- Je crois qu’il faut se battre pour que ses rêves deviennent une réalité. Peu importe le prix à sacrifier, la vie elle-même ne mérite son nom que lorsqu’elle est offerte au profit du bonheur. Le sien ou celui d’autrui. Pas le genre de bonheur éphémère de biens qui ne nous donnent qu’une satisfaction passagère. La tristesse, la colère, le noir, la violence … C'est la vie. Il faut aimer être ainsi, car ça prouve notre existence même et on ne peut vraiment être heureux sans avoir été malheureux.
Say my name These colors come alive In your heart and in your mind I cross the borders of time Leaving today behind to be with you again
Lun se tut, tirant une taffe de sa clope, cherchant un peu ses mots avant de continuer encore plus doucement. Se parlant plus à soi-même qu’à son camarade.
- Ce ne sont que des sentiments. Evidemment, il serait facile d’être malheureux et d’en mourir. De penser qu’il serait plus juste pour tout le monde si on n’existait pas. Mais en réalité. Ce qui a été peut être. Et lorsqu’on parvient à pardonner, qu’on accepte la tristesse, la colère comme des états, alors on comprend que le noir total n’existe pas même dans l’espace. La nuit n’est jamais noire, le monde ne l’est jamais. On ne l’est jamais.
Say my name
Se redressant, en jetant sa clope à moitié consommée, Lun prit la main de Zakuro dans la sienne. L’entraînant vers les jardins de Keimoo, vers les serres. Là où il avait rencontré à de nombreuses reprises Elyott. Là où il avait déclaré sa flamme à Wunjo, en vain. Là où il voyait sans cesse le fantôme de Maeki, en train de jardiner. Relever la tête dans un sourire, et lui dire, le nez rougi par le froid : Si on parle à une plante, elle grandi moins vite mais elle devient plus robuste. Il faut prendre le temps de grandir, petit Lun, pour devenir fort.
Pour devenir fort, il fallait prendre le temps de grandir et de parler. D’échanger et de découvrir. Lun se retourna, lâchant la main de Zakuro pour sourire tendrement, tournoyant une seconde sur lui-même.
- Quand je suis triste à mourir, je regarde le ciel. Je me sens tellement heureux, quand le froid me mord les joues, que je vois toutes ses nuances. Et je regarde les gens. Il y a tant de bonté, de gentillesses et de couleurs dans ce monde. Je m'allume une clope avec un des briquets que j'ai volé à mes amis. Je porte un de leurs vêtements. Je pense à eux ! Ce qui ne serait pas juste, Zakuro … Ce qui ne serait pas juste, ce serait de mourir. Ce serait d’abandonner. Quand on triste à mourir, il faut se souvenir de ça. Des levées de soleil, des lumières de noël, des rires de ceux qu’on aime. Il faut croire. Quand nos rêves nous brisent et semblent trop loin à atteindre, il faut juste …
Lun cessa de parler, fixant Zakuro dans les yeux. Ses longs cheveux blonds retombant sous sa course folle, flottant légèrement autour de lui. Ses yeux verts s’illuminant sous la compréhension. Il avait pensé à lui. Mais il s’agissait de Zakuro. Il s’agissait du jeune soldat artiste. De celui qui cherchait des réponses au travers des nuages. Zakuro, si tu crois que tu es lié à mon destin, alors lies-toi à moi. Ca ne fait rien. Je ne sais pas si je t’aimerais, mais je te découvrirais. Il nous faudra du temps pour se connaître, du temps pour s’apprivoiser.
Mais il ne faudra pas lui en vouloir, s'il ment un peu. Si Lun ment un peu et qu'un jour, il disparaissait pour rejoindre celui qui n'est plus. Car, même le petit Prince fut mordu par un serpent pour rejoindre sa Fleur. Et si la Fleur avait pu faire de même, ne l'aurait-elle pas fait ?
- Dis-moi, … Pourquoi es-tu triste à mourir ? Qu’est-ce qui te fait tant mal ? Qu’est-ce qu’il se passe dans ton …
Lun pointa le cœur du jeune homme, y posant ses mains refroidies. Y posant la première, puis la seconde. Son visage, assez proche de celui de Zakuro, pour sentir désormais son souffle. Ses yeux questionneurs l’interrogeant avec insistance.
Une de ses mains quitta presque immédiatement l’emplacement, pour que le bout du doigt se pose sur la tempe de Zakuro.
- Que se passe-t-il, là ? Dis-moi. Zakuro souffla Lun, les yeux brillant malicieusement, mais sincèrement. Pourquoi es-tu en colère ?
« Qu'est-ce que tu racontes. Pourquoi ?, murmurais-je, en prenant entre mes mains le visage de Lun. Tu m'as oublié. »
(…)
Il y avait dans les yeux de Lun une lumière éteinte. Une lumière qui me semblait appartenir à un passé que je ne pouvais pas comprendre, ou pas atteindre ; comme intime, et inaccessible, la lumière flamboyait, noyée sous des litres de larmes. Ces larmes qui étaient comme asséchées, et qui creusaient le lit d'un paradoxe me reculant toujours un peu plus de la vérité que pouvait seulement représenter ce regard. Il y avait dans les yeux de Lun une beauté et une laideur effarantes ; un regard humain, peut-être, un regard tellement humain que cela ne se copiait pas, ne s'imitait pas, et ne se captait que par hasard. Un regard que mon cerveau hurla à la photographie : je crois que je ne voulais pas oublier ces yeux. Un regard qui m'impressionna, mais qui, quelque part, me donna l'impression de ne pas savoir quelque chose que je ne pourrais pas comprendre. Et cela n'avait rien d'effrayant. C'était juste épouvantablement triste.
Les yeux verts glissèrent, pour plonger ailleurs, dans une autre réalité ; m'épargnant de la douleur que pouvait représenter ce face à face. Alors je sentis simplement le vent qui glissait contre ma joue, comme une main, pour me consoler, et m'apprendre que cela n'avait rien de grave, et que la douleur des autres ne m'appartenait pas. Pendant une seconde, je me remis à penser à Yui Valentine, qui semblait se dresser entre nous, devant moi, pour répéter son ordre ridiculer. « Ne souriez pas. » Cette phrase, ancrée et encrée dans ma mémoire, qui venait et murmurait dans le noir de mes pensées, pour s'imposer, comme une petite vérité à la totalité de mon existence. Ne souris pas, Zakuro, car il y a des fois où il ne faut pas sourire. Ne souris pas, c'est un ordre, et il faut que tu en comprennes l'essence même. Je ne pouvais pas me permettre de sourire face au regard de Lun, car il était noyé sous des trombes de sentiments que je ne comprenais pas. Et j'avais l'impression que je trahirais en souriant. J'avais l'impression qu'en essayant d'être moi-même et naturel, je trahirais. Et cela me déstabilisait. On avait enlevé mes armes, on m'avait coupé les bras et les chevilles, et on m'avait poussé sur la tatami en me demandant d'affronter un adversaire blond aux yeux verts. J'étais consterné en comprenant à quel point mes armes et mes défenses se mêlaient entre elles, et à quel point mon dit adversaire pouvait y être insensible. J'avais l'impression de me perdre moi-même, et d'avoir oublié quelque chose de vital, qui m'aurait permis d'arracher Lun Marv à ce silence trop prenant. Ce silence si étrange, si étouffant. Il y avait le vent, qui soulevait nos mèches respectives, comme un minuscule allié ; pour nous rappeler que malgré tout, nous étions là, quelque part, vivants. J'avais besoin, et envie de lui toucher l'épaule. De dire « Heh, Lun, ça va ? ». Mais j'en étais bien incapable, parce qu'il m'avait effrayé, dans sa condition si humaine, si sentimentale, si intense. Il m'avait désarmé, et je ne savais plus comment affronter ce qu'il venait de mettre face à moi. Alors le vent, simplement, l'odeur de l'hiver et les couleurs du présent qui glissait autour de nous, ralenti par le peu d'attention que je lui accordais. À quoi pense-tu, Lun ? Dans des courbes appuyées, mes yeux se plissèrent, et je me laissais porter par le vent, pour revenir à des pensées qui s'égaraient. Un randori ; un combat souple. Au karate, au collège, en Angleterre, j'étais particulièrement doué. Fort. Le meilleur, en fait, et je m'en vantais presque, rien que par l'éclat de mes yeux, quand je cherchais un adversaire. C'était une séance banale, un mercredi soir, un de ceux qui s'alignaient si tristement mornes depuis que j'avais découvert le Japon. J'étais pressé de retourner dans mon pays maternel, pressé d'abandonner les terres grises et bitumées de l'Europe. J'avais en tête des rêves de cerisiers et de forêts à perte de vue. Le collège et l'anglais étaient des choses qui ne m'intéressaient plus, et les visages blancs qui défilaient devant moi ne s'accrochaient même plus dans ma mémoire. Un garçon s'était mis devant moi, et dans un « Oss » calme, s'était désigné comme moi adversaire. J'avais plaqué mes mains contre mon do-gi, en m'inclinant, tandis qu'autour de nous, les autres adversaires se faisaient face en se saluant. Le « Hajime » résonnait, sur ma droite, et récupérant immédiatement, dans un réflexe martial, ma garde, je me mettais à sautiller, amusé et furieux. Ces deux sentiments, qui dictaient ma conduite, qui se mélangeaient si parfaitement, qui polissait si exactement cette philosophie du combat. Amusement et fureur. Dans des claquements de kimono blancs, les premiers coups s'échangeaient autour de nous, tandis que j'oscillais légèrement la tête, embrassant du regard le corps tout entier du garçon. J'étais sûr de moi. Très sûr, même. À dix sept ans, c'était facile d'être le meilleur. Il suffisait de tabasser l'autre en se disant qu'on le respectait. Et de ne pas craindre la douleur. L'important était d'économiser son souffle, de frapper aux endroits stratégiques. L'important était de gagner. Son ura-mawashi explosa contre mes côtes, défonçant mon souffle, me jetant au sol. Les genoux sciés, et la respiration bloquée quelque part dans mon ventre, j'étais resté sur le sol, une seconde, en me disant que le coup n'avait pas eu lieu, puis je m'étais relevé d'un coup, furieux. Il n'y avait plus eu la moindre trace d'amusement dans ma tête, et la colère avait rongée ma poitrine comme un animal sauvage lâché au milieu de la foule. J'avais essayé de récupéré mon équilibre, puis la douleur était brusquement apparu : en retard, mais implacable. Je m'étais immobilisé. Fair-play, mon adversaire avait fait de même, mais je n'avais pas essayé de répondre à ce qu'il me disait. Je ne voyais, je ne sentais, je n'entendais que cette douleur, sourde et profonde, du coup qui venait de me terrasser. J'étais debout, mais je venais de perdre de manière magistrale. Parce que ma garde n'était pas assez assurée. Parce que j'avais eu trop confiance en moi. Parce que je n'avais pas essayé de me remettre en question, parce que je n'avais pas cherché à comprendre l'autre, et parce que je m'étais trop concentré sur la fin du combat, sans vivre l'instant présent. Combat de merde, avais-je longtemps commenté cette rencontre. Mais par honte, par orgueil, et par chagrin. Par ma propre incapacité à être « intelligent », à être pragmatique face à la situation. Mon égo blessé dans sa moindre fibre, ce randori m'avait fait faire un pas en avant ; même si la pilule avait été vraiment, vraiment dure à avaler. Alors quand Lun releva ses yeux, et chercha les miens du regard, je faillis sourire. Je faillis, car je me demandais maintenant si lui aussi avait avalé la pilule. S'il avait remis en cause ses erreurs, et si lui aussi avait souffert du coup de pied qu'on ne voit pas venir. Qu'on voit arriver, mais qu'on ne peut plus bloquer, parce qu'on a fait l'erreur de croire qu'il n'existerait jamais.
« Je crois qu’il suffirait de continuer à avancer. De continuer à y croire. »
J'ai cru en moi. J'ai eu mes doutes et mes colères, mes besoins de frapper contre des arbres en hurlant et en pleurant. Et ce ne sera jamais « la dernière fois ». Mais j'ai cru en moi, parce que je visais toujours là où je n'étais pas encore. Je visais le but, l'objectif, et le rêve d'être meilleur que moi-même. De battre le seul adversaire qui ne s'avouerait pas vaincu : moi. J'avais décidé depuis bien longtemps de continuer et d'avancer. D'y croire. Même si ça faisait mal, et que je m'arrachais les tripes à courir et à frapper. Même si ça faisait mal, et que je voyais dans les yeux de mes adversaires une douleur que je faisais semblant d'ignorer. Je connaissais la douleur qu'un coup pouvait m'infliger, avais-je dit à Chess, mais je ne pouvais pas savoir quelle douleur ressentait celui que je frappais. Il y avait la victoire, il y avait la défaite ; il y avait le monde qui s'organisait sur ces deux vérités. Il y avait le perdant et le gagnant, le gagnant et le perdant ; il y avait toutes les conséquences de ces deux concepts ; il y avait tout ce qu'on en ferait. Est-ce que le gagnant serait perdant, une prochaine fois ? Est-ce que, parce qu'il avait perdu, le défait ferait en sorte d'être le gagnant la prochaine fois ? Ou se laisserait-il abattre ?
J'avais tellement gagné. Et tout autant de fois, j'avais perdu.
« Je crois qu’il faut se battre pour que ses rêves deviennent une réalité. Peu importe le prix à sacrifier, la vie elle-même ne mérite son nom que lorsqu’elle est offerte au profit du bonheur. Le sien ou celui d’autrui. Pas le genre de bonheur éphémère de biens qui ne nous donnent qu’une satisfaction passagère. La tristesse, la colère, le noir, la violence … C'est la vie. Il faut aimer être ainsi, car ça prouve notre existence même et on ne peut vraiment être heureux sans avoir été malheureux. »
Cette dernière phrase me faisait penser à la même remarque, prononcée quelques années plus tôt, par Angeal. « On ne peut pas vivre sans être mort avant. » Je n'avais pas du tout compris ce qu'essayait de me transmettre le sensei, car l'illogisme de sa phrase m'avait laissé sur ma faim. J'avais compris qu'il y avait quelque chose à tirer de cette leçon, ou remarque s'il fallait qu'elle le soit, mais j'avais été incapable d'en extraire l'essence. Peut-être la phrase de Lun était-elle plus accessible, puisque je la ressentais et la comprenait totalement, aujourd'hui.
« Ce ne sont que des sentiments. Evidemment, il serait facile d’être malheureux et d’en mourir. De penser qu’il serait plus juste pour tout le monde si on n’existait pas. Mais en réalité. Ce qui a été peut être. Et lorsqu’on parvient à pardonner, qu’on accepte la tristesse, la colère comme des états, alors on comprend que le noir total n’existe pas même dans l’espace. La nuit n’est jamais noire, le monde ne l’est jamais. On ne l’est jamais. »
« Si, Lun. Jamais très longtemps. Mais il y a des endroits de la Terre où les nuages existent. Où ils cachent la lune, où ils cachent les étoiles, et où les réverbères sont éteints. Il y a des endroits où les gens, de temps en temps, n'ont plus de lumière. »
C'était un murmure, un simple murmure, et je n'avais pas cherché à croisé son regard. Simplement à réfléchir à ces yeux embrumés d'Angeal ; à ces chagrins de ma mère, et ces envies de mort de ces enfants.
« Quand je suis triste à mourir, je regarde le ciel. Je me sens tellement heureux, quand le froid me mord les joues, que je vois toutes ses nuances. Et je regarde les gens. Il y a tant de bonté, de gentillesses et de couleurs dans ce monde. Je m'allume une clope avec un des briquets que j'ai volé à mes amis. Je porte un de leurs vêtements. Je pense à eux ! Ce qui ne serait pas juste, Zakuro … Ce qui ne serait pas juste, ce serait de mourir. Ce serait d’abandonner. Quand on triste à mourir, il faut se souvenir de ça. Des levées de soleil, des lumières de noël, des rires de ceux qu’on aime. Il faut croire. Quand nos rêves nous brisent et semblent trop loin à atteindre, il faut juste … »
Il n'y eut pas de suite, et le froid qui nous environnait sembla ciseler autour de mon cœur une pellicule de givre, qui éteignit doucement les palpitations de la myocarde. Il y avait ce rêve d'être samouraï, face au mont Fuji. Il y avait ces fleurs de cerisier, qui oscillaient sur les branches minces de l'arbe du Japon ; ces fleurs qui dans leurs balancements irréguliers et doux, laissaient s'échapper les minuscules pastels roses que représentaient les pétales de sakura. Il y avait ces hurlements, ces pleurs, et ces heurts quand mon maître avait disparu. Quand il y avait eu ce brusque silence, qui plus tard, avait pris la silhouette du mot « abandon ». Il y avait eu cette illusion massacrée ; ce rônin enchainé à mes chevilles, et cette condition même d'être une sorte de zombie. Il y avait eu tout ce temps qui s'était passé, toute cette colère que j'avais cherché à évacuer, mais qui résistait, et qui avait laissé ses résidus rouges dans ma poitrine. Il y avait toujours eu cette quête du moi-même, mais qui était maintenant accompagné du « l'Autre ». Il n'y avait jamais eu cette injustice, comme disait Lun ; d'avoir envie de mourir. Jamais je n'avais abandonné. Ma fierté masochiste ; celle d'encaisser les coups, pour ne pas oublier que la douleur signifiait la vie. Parce qu'on m'avait dit que les cadavres ne saignaient pas. Alors j'avais toujours continué à marcher, et à avancer. Les Noël ou les levers de soleils ne représentaient que des idées abstraites, lorsqu'une rame de métro ou qu'un tube de mascara étaient maintenant des éléments importants à ma vie. Mourir serait injuste ; parce qu'il fallait que je vive ces choses-là.
« Que se passe-t-il, là ? Dis-moi. Zakuro. »
C'était curieux. J'avais aimé la manière dont il avait prononcé mon prénom ; avec une simplicité désarmante, mais qui me plongeait maintenant dans un désarroi consterné, puisqu'il touchait maintenant à ma tempe, avec cette même facilité enfantine. Une fois de plus ; comme s'il m'avait poussé face à lui sur le tatami, sans que je sois en mesure de me défendre. C'était une sensation qui n'avait rien d'agréable, d'enviable, et je ne voulais ni perdre ni gagner ; je voulais simplement arrêter de me battre, et je voulais qu'il arrête. Je voulais qu'il arrête, parce qu'il commençait maintenant à me faire mal. Sciemment ou non, je me sentais agressé, et cette violation de mes droits dans ma tête me dérangeait. Cela me donnait l'impression d'avoir commis une erreur, et d'être fautif. D'être le coupable d'un échec monumental. Mais je n'avais rien fait.
« Pourquoi es-tu en colère ? »
Mes prunelles se fendirent, et ignorant le rire qui se mêlait dans son souffle, je levais brusquement mes mains, cassant leur état de passivité gelée, pour venir m'emparer du visage de Lun, et immobiliser son regard vert droit dans le mien. Pourquoi étais-je en colère ? Sa question hurlait dans ma tête, et le grondement moqueur qui s'éleva de ma gorge m'évita toute futilité.
« Qu'est-ce que tu racontes. Pourquoi ? Tu m'as oublié. »
Un tout petit peu plus ; presque imperceptiblement, mes doigts se crispèrent contre son visage.
« Je t'ai pardonné, et socialement, humainement, cela n'a plus d'importance. Mais je me rends compte que ça a plus d'importance que ce que ça avait encore jusqu'à hier, quand je t'écoute aujourd'hui. Je me rends compte que j'ai parfaitement le droit d'être en colère et de ne pas te dire la vérité ; je peux te mentir, et te dire que c'est à cause des fleurs, alors que c'est sans doute à cause de Yui Valentine ou de Chess, je n'en sais rien. Pourquoi je suis en colère ? Parce que j'ai l'impression que tu essaies de m'apprendre quelque chose de très important, mais que tu es toi même incapable d'écouter ce que tu devrais respecter ou faire. J'ai l'impression que tu essaies de réparer tes erreurs en expliquant quelle est la bonne conduite, dans la vie ; que tu sais comment vivre de manière heureuse et sincère, mais que tu fais tout pour ne pas le faire. Je n'arrive pas à croire que tu puisses réellement te satisfaire d'un briquer, Lun Marv, quand je me rend compte à quel point tu attaches beaucoup plus d'importance à la personne en lui-même. Moi, il s'appelle Chess. S'il venait à disparaître, que je reçoive uniquement son livre, le sien, son Aliss, en me disant « Comme ça, je me souviendrais de lui », j'ai l'impression de me mentir à moi-même. Ce n'est pas avec des morceaux de mémoire, des morceaux du passé qu'on peut être heureux. Ce n'est pas avec une fibre d'un ami qu'on a un ami. Aliss ne vaut rien s'il n'y a pas Chess. Sans Chess, je ne connaitrais même pas ce livre. Alors que vaut un vêtement, un briquet, si la personne ne peut plus avoir cet objet ? Pourquoi est-ce que tu me dis ça ? Pourquoi est-ce que tu essaies de me faire croire qu'avec ce qui n'est pas la vérité, on peut avoir moins mal au cœur ? »
Je le lâchais.
« Si nous étions amis, et que je te donnais mon écharpe et que nous éloignions, je serais triste que tu te souviennes de moi grâce à cette écharpe, parce qu'elle te rappelle qui je peux être. Je serais triste de n'être pas plus qu'un petit rafistolage dans ton esprit ; quelque chose que tu trouves et dont tu te souviens par une association d'idée. J'aimerais prendre toute ta vie, toute ton cœur, toute ton âme. J'aimerais être assez égoïste pour que, si je viens à disparaître, tu n'aies pas besoin de cette écharpe pour te souvenir de moi. Simplement bien plus. »
Bien plus que des lambeaux, et même si « je me souviens d'eux grâce aux vêtements que je porte, qui leur appartiennent, grâce au briquet », était un message fort, il me semblait triste. Moqueur. Hypocrite, et désespéré. Mes poings se crispèrent, et je plissais les yeux, en interrogeant de toute mon âme Lun.
« Pour un ami, il faudrait se passer de souvenir. Oublier le passé, oublier le fait qu'il faut continuer et aller de l'avant. Il faudrait tout abandonner, arrêter de combattre, même si c'est injuste ; même si ça fait mal. Pour un ami, il faudrait être simplement là. Est-ce que tu as été là ? »
J'avais envie de croiser les bras, pour le contempler de ce regard moqueur, mais je tendais les bras, ouvrant les mains devant moi, pour recevoir un baptême aux nuances de flocons et de lumière blanche. Mes doigts et mes cheveux pointillés par les éclats du ciel ; j'ouvrais une vérité qui n'appartenait qu'à moi. Une vérité qu'il était libre de prendre, de comprendre.
« Un samouraï se doit d'être intime avec l'idée de la mort. Je crois que par rapport à beaucoup de gens de l'Académie, je crains peu la mort. Je n'ai pas peur de disparaître d'un coup. Il y a beaucoup de projets que j'ai mis en place, et que j'aimerais voir aboutir. Mais si je dois mourir, là maintenant, je ne peux pas dire que je suis attristé. Alors, oui, il y a des projets, de belles choses qui ne verront pas le jour. Il y a des rencontres qui ne se feront pas. Mais il y a ce que j'ai fait, aussi ; il y a ces amis que j'ai, et la vie que j'ai. Si je meurs, je ne serais plus leur ami. Mais aujourd'hui, en cet instant, je les aime, parce que j'existe et qu'il existe. Pas parce que je décide de me souvenir d'eux, mais parce que moi je suis là ; et que dans mon moi, il y a eu. C'est comme ça que ma vie se construit ; cet échange se base sur ce que je possède réellement ; ma vie. Elle ne se partage pas. Et c'est pareil pour eux ; je ne peux pas porter leur vie ; je ne peux pas emprunter leur vie. Ils sont là, je suis là, et c'est moi qui voit comment, par rapport à eux, je peux les faire exister ou exister pour eux. C'est être là quand nos vies se correspondent. C'est être l'un pour l'autre ce qu'il faut. Ce n'est pas décider d'être toujours là ; car on ne peut pas avoir la vie de l'autre. On ne peut pas être toujours là. Les fils ne sont pas liés ; ils ne sont même pas « un ». Il sont forcément deux, et ils s'entremêlent. Deux éléments différents ne peuvent pas s'assembler totalement, puisqu'ils sont deux dès le départ. Mais ils peuvent essayer. Ils peuvent créer quelque chose qui sera unique. »
Dans un chuintement sonore, je refermais mes poings, et ramenant mes bras, vint les croiser sur ma poitrine, pour fixer Lun, les sourcils froncés. Le vent avait constellé l'intérieur de mon écharpe de centaines de petites étoiles tranchantes de froid, qui collaient maintenant au tissus et à ma peau, dans une double surface à ma peau et mes vêtements. Je soupirais.
« J'ai faim. »
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Sujet: Re: Dessins égarés ~ Lun ~ Ven 10 Mai 2013 - 16:08
Les colères de Lun Marv étaient aussi courtes, rares et inexistantes dans la vie de tous les jours que les éruptions volcaniques au centre de la France. Seuls les personnes pouvant se vanter d'être les amis très proches du garçon ou des ennemis dont la proximité étaient identiques pouvaient se vanter d'en avoir vu. Seulement, ils s'en passeraient bien pour la plupart : car face à eux, et surtout au début de leurs relations, elles étaient nombreuses, injustes, pleine d'inquiétude, de demandes de mots et de tests. Ne croyant pas être au même niveau que tous les autres et devant prouver qu'on va l'abandonner, Lun testait et testait encore les nerfs de ses camarades. Sans accepter pour autant qu'il fuit, car c'était lui ensuite qui allait les chercher.
Rares étaient les amis qui avaient surmontés cette étape. Kodaa, John, Shiki, Sora, et quelques rares autres avaient fini par prendre une place considérable dans le cercle de l'amitié. Même si Kodaa devenait de plus en plus un ami ambigu, comme l'était Jun Masato et auquel Lun ne savait plus vraiment si c'était de l'amitié ou de l'amour : et si l'Amitié pouvait alors résister aux sentiments amoureux.
Lun s'était relevé, laissant la main de Zakuro sur son visage alors que ses yeux verts se posèrent implacables sur le garçon. De tendresse, le regard en gardait un souffle, un souffle qui était l'âme du garçon. Le visage toutefois était autrement plus sérieux : le sourire avait disparu, les sourcils s'étaient froncés créant des rides d'expressions et augmentant l'effet vert d'une forêt profonde des iris du garçon. Sa bouche, légèrement sèche, dessinait un petit arc de cercle dont les pointes se terminaient en direction du sol : de la colère. C'était l'expression principal de son visage, alors qu'encore sous une certaine surprise, Lun absorbait les mots.
La main était sur son visage, légèrement crispé, elle lui faisait mal. D'un revers de la sienne, Lun la repoussa et l'attrapa. Il la garda, quelques secondes dans la sienne, écoutant le discours de l'autre. La poigne du garçon était forte, sans violence. De lui-même d'ailleurs, il relâcha Zakuro, et sans le quitter des yeux, il chercha dans sa poche de pantalon son paquet de clopes. Le réflexe était anodin et stupide mais Lun demeurait un cinglé de la nicotine et puisqu'il devait essayez de trouver un moyen de s'occuper l'esprit pour ne pas tourner les talons et fuir : son réflexe préféré et salutaire. Seulement, si Lun voulait fuir, actuellement : ce n'était pas pour échapper aux reproches de son ami. C'était uniquement car Lun ne voulait pas le blesser. Le blesser physiquement. Le jeune homme le savait : lorsqu'il sentait la colère monter en lui, il était capable d'en venir aux mains très rapidement. Et alors, peu importait qu'en fasse ce soit un niveau international d'un sport de combat, peu importait que ce soit la plus puissante des racailles : Sora en avait fait les frais, d'autres également : Lorsque Lun se mettait en colère, ce n'était pas un être humain qui se battait. C'était un animal sauvage qui même s'il prenait des coups, en donnait bien d'avantage. Et surtout, il visait là où on apprenait aux combattants à ne pas viser. Le blond le savait, il ne se battait que peu. Il savait qu'il n'hésitait pas à mordre, à griffer, à pincer, à cracher, et le plus souvent à appuyer exactement où il fallait, sans même le savoir. Sans doute, car il est évident que n'importe qui, que l'épaule, le poignet, le cou, le sexe et les autres parties du corps où on est fragile : l'est également pour les autres personnes.
Lun émit un petit sourire, il l'émit ? Car un petit rire accompagna ce sourire. Là, il détesta Zakuro. De toutes son âme et de toute sa chair. Il le savait ! Lun savait bien que ce n'était pas en gardant un souvenir de Shiki chez lui, que ça lui permettrait de ne pas être malheureux en pensant au garçon. Il savait aussi que ce n'était pas le collier autour de son cou qui l'empêchait d'être en colère ou triste car il pensait à celui qui lui avait donné. De la même manière, et surtout : Que Lun savait bien que ce n'était pas en gardant la poupée de Maeki, que son meilleur ami lui reviendrait.
Oui. Mais. Mais. Que lui restait-il d'autre ? Qu'est-ce que Maeki avait laissé à Lun de plus que des souvenirs, qui s'ils deviendraient un jour peut-être heureux, n'étaient pour l'instant qu'une vague de colère immonde qui renfermait son cœur comme la marée noire tue les animaux qui s'y trouvent ? Qu'est-ce que Lun avait de mieux pour se raccrocher, que ce collier face un ami absent qui ne donnait pas de nouvelle, que ce cadeau face à Shiki qui s'était éloigné de chacun pour vivre sa propre vie, et les souvenirs du Corbeau face à la mort de ce dernier ? Lorsque Lun parlait de Maeki, il en parlait avec détachement. Il ne voulait pas accabler les autres, mais il avait besoin de l'évoquer. A dire vrai, il avait parfois juste l'envie de le tuer, de le tuer malgré qu'il soit mort. Il l'insultait le plus souvent, ou se moquait du fait que sa mort n'ai entrainé aucune peine dans le cœur des étudiants de l'académie qui ne l'aimaient pas. Personne n'aimait vraiment les amis de Lun, autant que Lun les aimait. Et ça, le gamin en avait la certitude.
Il avait aussi la certitude, que s'il ne se raccrochait pas à un objet physique, s'il ne gardait pas ces objets sur lui, il perdrait pied. Que lorsque ça n'allait pas, s'il n'avait pas le briquet de quelqu'un, lui rappelant des souvenirs, il ne s'en sortirait pas. L'exemple de Maeki en était un facile. Lorsque Lun sentait qu'il ne pensait qu'à lui et qu'il se tournait de plus en plus vers le monde des morts que vers celui des vivants, il allumait une clope :
Comme maintenant. Alors, son visage se calmait et sous la lueur d'une flamme orangée sortant d'un briquet violet, Lun se sentait relativement mieux. Ses cils battaient, sous l'impulsion de paupières qu'on ouvre et qu'on ferme, et son regard fixait avec tendresse cette flamme dont les reflets dansaient dans ses yeux.
Il est rare que je sois en colère. Là, je ne sais pas tellement ce que je ressens. Il parle, il parle, et il parle encore. Je ne lui ai pas demandé de juger mes propos. Certes. Il doit avoir le droit de donner son avis. Il me semble en tout cas, qu'il a le droit. Sauf que son avis me fait mal. C'est facile de faire mal, quand on sait utiliser les mots. Il suffit de bien les placer, de prendre une attitude qui va avec. Je le sais, je blesse facilement. Sauf que le plus souvent, je ne le fais pas exprès. Je me souviens que l'autre jour, j'ai dit à un de mes amis : tu n'as rien d'intéressant à raconter ? Je lui disais cela, car nous étions tombé l'un sur l'autre par hasard (j'étais avec un pote commun et lui aussi, et ces derniers s'étaient donnés rendez-vous sans nous le dire.) Hors nos deux potes se sont éloignés pour discuter, et je me suis retrouvé seul avec mon ami. Comme il ne parlait pas, et que j'étais le seul à parler, j'ai eu la maladresse d'utiliser cette phrase. Maladresse, car ce n'était pas méchant dans l'intention, mais lui l'adopta comme le fait que sa vie n'était pas intéressante. Vu qu'il manque de confiance en lui, que c'est un garçon brillant mais qui n'arrive pas à séduire les filles et qui a de gros problèmes d'argent pour payer Keimoo, il l'a d'autant mal pris.
Les mots blessent, les silences aussi. Au final, ce n'est jamais simple de savoir quoi dire. Alors je fume, et je l'écoute. A l'écouter, on dirait qu'il essaye de me sortir de ma torpeur, de mes pensées, de mes idées. A l'écouter, on dirait qu'il pense être dans un combat verbal contre moi qu'il veut gagner. Zakuro, Zakuro, Zakuro, Je l'aime bien ce garçon dans le fond. Je ne sais pas tellement pourquoi. Il n'a rien de particuliers. C'est un rebelle, selon les dires des uns et des autres. Je le vois plutôt dans les sportifs. Un rebelle, ça ? Il faut dire que l'image que je me fais de la rébellion est loin d'un adolescent dont la confiance en lui passe souvent du moins cent au plus cent sans juste milieu. Qu'est-ce que je lui trouve ? Il est attendrissant.
Même si sa tendance à voir certains comme des Dieux m'effrayent un peu. Je n'aime pas cette impression qu'il y a une distance entre les élèves et qu'on ne se voit pas tous à la même valeur. J'en avais discuté l'autre fois, avec un collègue de travail. Pour lui, le directeur du journal est une tête, et il a beaucoup plus de valeurs que nous. Pour moi, c'est un mec qui a bossé ou qui a eu de la chance, mais avec l'un ou l'autre, je pourrais parvenir à être au même niveau que lui. Ce qui ne me rendra pas supérieur, je serais un supérieur hiérarchique, mais dans la valeur humaine : nous demeurons au même stade.
Lun se perd dans ses idées, fumant sa clope. Il écoute d'un oreille sourde, un sourire doux sur le visage le garçon, la colère a disparu. Il l'écoute, sans l'écouter, perdu dans des pensées, des souvenirs. Lorsqu'il sent la colère augmenter, il se pose des questions dont le but n'est pas d'avoir la réponse. Il se demande qu'elle est la date de la première création d'une peinture trouvée, en dehors des préhistoriques, et si on peut considérer que l'Église a saccagé l'art lorsqu'elle obligea qu'on recouvre les peintures de leurs monuments où on voyait le sexe des personnages d'une feuille de vigne.
Non. Lun refusait de remettre en cause ses erreurs. Il refusait qu'on l'oblige à le faire. Il refusait tout simplement où devait aller cette conversation. Et c'était visible, dans son sourire, dans sa clope, dans le fait qu'il se soit levé, que la conversation n'irait pas vers la repentance. Elle n'irait pas, car Lun avait déjà conscience de ses erreurs. Il n'avait pas conscience de celles que Zakuro lui reprochait. D'autant, que le garçon qui se sacrifiait continuellement pour ses amis, ne comprenait pas comment l'autre pouvait insinuer le contraire ?
Alors peu à peu, Lun se demande si Zakuro n'est pas qu'un égoïste. Cette pensée le frappe, comme par surprise, alors qu'il le fixe sans rien dire. Lun ne sait pas quoi répondre à cette question. Il lui semble que non, il n'a pas l'impression que l'autre le soit. Pourtant, il ne se pose des questions qu'aux travers de sa vie et de lui-même et il n'essaye pas de se placer …
A ma place ? Il n'essaye pas de se placer, à ma place. Cela dit, je ne pense pas que ce soit de l'égoïsme. Il essaye juste de répondre à une question, à la sienne, mais je ne la comprends pas. Je ne sais pas ce qu'il veut de moi et où il veut en venir. Je ne comprends pas ce qui lui pose problème et je ne peux donc pas l'aider. C'est un vrai problème auprès de ceux qui tournent toujours autour du pot. Il voudrait qu'on devine, qu'on sache à leurs places, qu'on lisse dans leurs pensées. Toutefois, si les pensées avaient êtes faîtes pour être lues, nous ne serions pas les seuls à les entendre. Ce qui doit être dit, doit l'être. Et il ne faut pas passer par d'autres voies qui conduisent souvent vers l'incompréhension.
Les mots se suivaient, et Lun demeurait dans le silence. Incapable d'avoir un avis, incapable de penser. Il essayait, mais tout lui semblait flou. Il ne retenait qu'une chose : Pour un ami, il faudrait être simplement là. Est-ce que tu as été là ?
Shiki avait eu des problèmes, Lun n'avait pas vraiment su l'aider. Sora était allé dans la case Coma, et Lun n'avait pas su l'aider. Kodaa par celle de l'expulsion, même résultat du coté de Lun.
Maeki était mort. Pas Lun. Et Lun n'avait pas su l'aider.
Et Zakuro ? Lun cligna des yeux, le vent emmêlant ses cheveux. Quand devait-il aider Zakuro ? Il l'avait oublié ? Peut-être, sans doute. Comme on oublie un rendez-vous, ce n'est pas vraiment qu'on oublie la personne, c'est qu'on pense à autre chose. Lun n'avait pas oublié Zakuro, pas plus qu'il n'oubliait ses amis ou Jun Masato, il avait juste « pensé à autre chose. » Comme Zakuro ne devait pas penser à tous les gens qu'il connaissait en permanence, pendant les combats, pendant l'acte sexuel, pendant …
Lun soupira. Il était désolé. Désolé d'avoir blessé son ami. Toutefois, … le garçon écouta. Il était près à se mettre à table, à la table des excuses. A essayer de comprendre le samouraï.
Sauf que ce dernier ne lui en laissa pas le temps.
Si Lun n'exprimait plus de colère, il exprimait une certaine surprise. La mort habituée pour les samouraïs ? Crétin. C'était la seule pensée du jeune journaliste à l'instant. La mort ne devrait être habituel pour personne. Encore moins pour une jeune homme, qui était encore dans le fond qu'un enfant. Qu'est-ce que Zakuro connaissait de la mort ?
De quel droit se permettait-il de dire qu'on ne serait plus ami, sous le prétexte que l'un est mort et l'autre vivant ? Les morts n'épousent pas les vivants, c'est une phrase des Noce Funèbre. Toutefois, la pensée des vivants envers ceux qui sont morts suffit à leurs garder un souffle de vie.
Sous la surprise, Lun ne savait ni comment réagir, ni quoi dire. Il se contentait de regarder un peu bêtement son camarade. Finalement, ce dernier termina son discours, et Lun laissa sa clope tomber sur le sol. Entièrement consommée.
Zakuro avait refermé ses poings, et ses bras, les croissant devant lui. Lun le fixait, écoutant le fait qu'il avait faim. Il avait faim ? C'était la conclusion de tous ses mots, de toutes sa colère qu'il venait de lui vomir à la figure sans explication, sans raison. Il lui crachait sa colère et il s'attendait à ce que Lun ne dise rien, ne fasse rien ? Qu'il se contente de lui proposer un hamburger ?
Les yeux de Lun se posèrent rapidement sur le garçon, il s'approcha, légèrement. Assez pour voir le froid qui se collait sur le garçon, alors que lui-même ne le ressentait pas. Les sentiments provoquent un très bon moyen d'augmenter la température corporelle.
Dans un bruit sonore et grave, le poing de Lun s'était écrasé sur le haut de la joue de Zakuro, profitant que ce dernier est les réflexes moins rapides par la propre position qu'il avait adopté.
Un seul coup, alors que le corps qui garçon vibrait de colère, les larmes ravalées. Lun ne pleurerait pas ! Il s'était assez humilié, avec Kodaa Lewi's. Il ne pleurait pas à nouveau. Il ne ferrait pas cet honneur à ce samouraï de pacotille.
« Si tu t'en fous de mourir aujourd'hui, si la mort te fais pas peur, si … » C'était des mots, des mots d'une phrase dite lentement malgré la colère qu'il ressentait, son index se dirigeant vers le haut du toit des immeubles.
« Si tu n'es pas triste de mourir, Zakuro-San. »
Lun fixa Zakuro, sa main revenant à lui, jouant dans ses cheveux, alors que son pas se détournait pour partir. Partir, rapidement. Toutefois, à demi-dissimulé sous ses cheveux, au trois quart tourné pour partir, il rejeta un coup d'œil en direction du garçon.
« Alors crèves ! »
Les mots étaient froids, durs, violents. Autant que le garçon pouvait les rendre à l'instant. Il ne se rendait guère compte de ce qu'il disait, la seule chose qu'il voulait : c'était blesser, blesser comme on venait de le blesser. Se venger, le plus rapidement possible, pour en finir le plus rapidement possible. Pour ne plus à avoir à garder contenance.
Alors pour éviter les larmes, Lun prenait une apparence plus froide, plus glacée et plus monstrueuse qu'il ne l'aurait voulu.
« Et cette fois, je t'oublierais vraiment ! »
La langue de Lun frappa sur son palais.
Il demeura ainsi, fixant l'autre, près partir, les yeux vibrant de colère et la main encore douloureuse. Et Lun le savait, au moindre mot de l'autre, il frapperait encore, encore et encore jusqu'à ce que Zakuro se taise.
Car, ce que Lun retenait de ce que Zakuro avait dit : c'est qu'il se fichait de mourir. Comme Maeki se fichait de mourir. Pour eux la mort, c'était juste la fin, et rien après. Ils ne se demandaient pas ce que les autres ressentaient. Ils se disaient juste, qu'on s'en remettrait : qu'on se remet de tout.
Des connards !
Ce n'était que des connards.
La peur de la mort, c'est la preuve qu'on aime la vie. La peur de l'abandon, c'est la preuve qu'on aime une personne. Et ne pas avoir peur, ce n'est pas être courageux. C'est être lâche, être un lâche qui a déjà abandonné le combat.
1J'ai pas encore relu donc c'est plein de fautes, je t'adore x) ! Désolé du temps de réponse. C'est beaucoup moins longs (et tu peux répondre moins longs) car vu qu'il y a des ''actions'' je ne veux pas trop avancée, sans savoir les réactions de Zakuro.
Le coup partit. Plus dur qu'une gifle de fille, moins violent qu'un réel coup de pratiquant, mais toujours aussi douloureux, quelque soit mon homologue. Je n'avais jamais aimé être giflé par les filles, parce qu'en général, elles pleuraient après. Et la gifle n'était que les prémices à ces douleurs qui te serraient ensuite la poitrine quand tu voyais les larmes couler sur leurs joues. Les coups de poings, les uppercuts, les crochets droits et les tsuki ne me faisaient pas mal, en général. Ils m'envoyaient une douleur, mais parce que je n'y attachais pas d'importance. Parce que dans mon quotidien de tatami, de claquement de sabres et de heurts de mains contre les mâchoires, poings fermés ou non, l'impact des phalanges ne me faisaient plus mal. Ne m'effrayaient et ne blessaient plus. Il y avait toujours quelqu'un pour frapper plus fort que moi, pour faire plus mal, et laisser plus de marques sur mon corps. Mais je ne considérais pas la sensation comme de la douleur, parce qu'à ce mot, j'avais attaché trop de sens péjoratif. Si j'avais mal sous un coup, j'oubliais le terme « mal » pour me concentrer sur la sensation, et ne m'accrocher qu'au fait que je sois vivant, et pratiquant.
Non. J'avais l'orgueil, peut-être, de considérer que dans mon éducation martiale, je n'avais pas mal.
« Si tu t'en fous de mourir aujourd'hui, si la mort te fais pas peur, si … »
J'aurais du fermer les yeux, je pense. Fermer les yeux, plaquer mes mains contre mes oreilles, et me détourner pour ne plus voir et ne plus entendre. Plus rien de ce qu'il allait dire n'aurait pu me toucher si je l'avais totalement ignoré et dédaigné dans sa présence d'être, dans son existence et dans son fait de se tenir face à moi. Je ne voulais pas croire que c'était parce que j'avais provoqué, parce que j'avais dis ce qui m'avait semblé juste. J'avais ignoré, et délibérément les sentiments de Lun, parce qu'à mes yeux, ils avaient été injustes. On ne pouvait pas se permettre, à mes yeux, de dire qu'une amitié résidait dans le fait de porter le t-shirt d'un ami disparu. Je ne pouvais pas. Parce qu'un ami était tellement plus. Parce que porter ses affaires, c'était le remplacer par soi-même. Je ne pouvais pas accepter imaginer qu'en mourant, quelqu'un prenne mon sabre et se dise la preuve vivante que j'ai pu exister un jour. Je ne pouvais pas accepter n'être remplacé que par le souvenir. La mort, à mes yeux, résidait simplement dans ce fait de disparaître, indubitablement. Et devant toute la colère et l'incompréhension de Lun, je me rendais compte que mes mots, mes dires, mes faits et mes pensées ne tenaient pas la route. Je me rendais compte, foudroyé par ces yeux verts, qu'il y avait bien plus important, et que je ne m'en étais pas rendu compte. Et découvrir que j'avais loupé quelque chose, et que je sois incapable de mettre le doigt, et de poser les yeux sur tout ce qui animait la fureur au fond des yeux de Un venait lacérer ma poitrine, comme un chat rendu fou. Non. Non, je n'étais pas triste de mourir. Je refusais d'être triste. Je refusais de sentir. De ressentir. Parce que sinon, Lun, ce serait terriblement blessant. Parce que je mourrai dans l'erreur de ce que je ne voulais pas. Parce qu'en essayant de me convaincre, aussi indirectement soit-il, tu étais en train de me faire mal ? Non. Non, je ne voulais pas. Je ne voulais pas avoir mal. J'étais le plus fort, quelque part. J'étais le plus fort, parce que je n'avais pas peur de mourir, et parce que j'étais un samouraï. Parce qu'il n'y avait rien qui m'engageait, à par mes propres choix. Je refusais d'avoir mal. Non. Hors de question.
« Si tu n'es pas triste de mourir, Zakuro-San. »
Dans sa voix, il y avait eu comme le yame d'un arbitre trop accusateur. Et comme dans les combats, quelque soit la force de mon adversaire, quelque soit mon niveau par rapport au sien, je refusais de ressentir la douleur. Je refusais d'avoir mal, quelque soit la violence du coup. Je le refusais.
« Alors crèves ! Et cette fois, je t'oublierais vraiment ! »
Indubitablement, j'avais mal.
Je n'avais pas relevé les yeux. J'avais baissé mes prunelles sur le sol, pour ne pas l'offenser, et j'avais attendu une seconde. Une seconde. Une seconde terrifiante, dans laquelle bouillonnait toute mon incompréhension, toute la violence de la chose. À n'en pas douter, le fait qu'il me touche était dégueulasse, énervante, et il s'en était fallu d'un cheveu pour que je n'explose mon genou contre son plexus, achevant le mouvement d'une harmonie de combat par mes phalanges refermées dans sa mâchoire. Il s'en était fallu d'un cheveu pour que je ne brise les règles d'une norme sociétale qui ne me permettait pas de frapper. Quelque part, dans un pays qui n'était pas le mien, dans un livre de religion qui ne m'appartenait pas, quelqu'un avait dit « si l'on te frappe sur la joue, tend l'autres ». Quelqu'un avait dit ça. Cet homme là ne devait pas connaître l'honneur des heures de Tokigawa. Mais moi non plus je ne pouvais plus me borner sur le bushido. Pas en cet instant. Parce que le garçon qui venait de me frapper était étranger, et que de par mes yeux bleus, j'appartenais autant à ce monde extérieur que je réfutais. J'avais attendu cette seconde terrifiante, et voyant qu'il ne rajoutait rien, avait salué brièvement, en baissant la tête, puis l'avais contourné, pour ne plus le regarder, et ne plus lui adresser la parole. J'avais crispé les mâchoires, ignorant la sensation perfide sur ma joue, ignorant l'élancement et la rougeur qui devait être en train d'y naître. J'avais contourné le blond aux yeux verts, relevant mes yeux pour contempler ce qu'il y avait derrière lui, et j'avais avancé sur ce à quoi il tournait le dos.
Entrouvrant mes lèvres, j'inspirais. Lun était loin derrière moi, maintenant. Abandonné derrière moi, moi derrière lui, avec tous nos sourires et la tranquillité de nos premiers propos. Son premier sourire lorsqu'il m'avait regardé était bien loin, maintenant. Bien loin, emporté par l'hiver, un peu comme les fleurs de sakura. Le froid avait anesthésié ma joue endolorie, et les élèves piaillant avaient un peu disparus. Certains restaient comme des tâches sombres, autour de moi, mais suffisamment loin pour que je n'en touche aucun. Aucun d'entre eux. Le frisson de colère qui secouait mon corps n'était rien d'autre que de la frustration, m'assurai-je, en marchant à pas lent. De la frustration qui se dissiperait lorsque j'aurais réussi à me persuader que j'avais raison, et pas lui. Il ne pouvait pas avoir raison. Il ne pouvait pas dire que c'était bien d'avoir peur de la mort. Il ne pouvait pas dire que c'était important de s'attacher à la vie. Il n'en avait pas le droit. Parce qu'en agissant ainsi, il détruisait toutes mes barrières. En démystifiant mes pensées, mes codes d'honneur, en m'imposant sa réalité, la réalité, en m'imposant la mort comme quelque chose d'existant, il imposait l'idée que je puisse mourir. Que je puisse disparaître en ayant conscience, sans doute, d'avoir fuit, échappé, ou raté certaines choses. D'avoir commis des erreurs, d'avoir subi des échecs. En m'imposant cette idée d'une mort qui existait et qu'il fallait considérer, Lun Marv me rendait profondément malheureux. Mon poing s'écrasa contre l'écorce d'un sapin, explosant le gel et la surface tendre de l'arbre.
(…)
2 ans plus tard.
L'effervescence de la ville agitée de Keimoo me faisait poser les yeux sur le mouvement, où que je tourne le regard. La foule s'agitait, grondait, se disloquait, pour ne devenir que des résidus de débordement, et les humains bougeaient dans tous les sens. Les voitures klaxonnaient, dans les résonances aux cris des hommes, ou des mamans qui ordonnaient aux enfants de ne pas courir, les bruits des centaines de milliers de pas qui claquaient sur le sol, les bouches qui remuaient dans tous les sens, … Du bruit. Du bruit, partout, du mouvement, de la gesticulation, et le tout dans la normalité d'une société urbaine. Assis sur un trottoir, un plat froid de ramen dans les mains, mon sac remplis de mes affaires scolaires posé à côté de moi, je contemplais le monde. Les yeux ouverts, mes cheveux ramenés en arrière, je ne faisais pas en sorte de passer pour un SDF, et souriant aux gens qui, -pour ceux qui se donnaient la peine-, posaient sur moi un regard étonné, je secouais la tête, n'hésitant pas à rire devant les commentaires surpris de ceux qui me demandaient si j'avais un problème. Le plat instantané en lui-même, que je venais de m'acheter, jouait un rôle particulièrement important, car depuis que je me l'étais acheté, les gens s'approchaient beaucoup moins de moi. Non, messieurs dames, je n'avais pas besoin de votre argent, ni de votre condescendance. J'avais tout simplement une flemme épouvantable à me chercher un banc. Et puis, tout l'intérêt de ma distraction relevait du fait de ma contemplation d'en bas. Assis sur ce trottoir que vous fouliez, j'observais mes chaussures, comme vous pouviez regarder les miennes ; mes Doc Martens, aux semelles abimées, mais au cuir entretenu. Je surveillais vos pantalons et vos jupes, tout comme vous pouviez poser le regard sur mes hanches habillées par un jean sombre, mais pas sale. Non, je n'étais pas un SDF, messieurs dames. Nope. J'étais étudiant, et s'il le fallait, je vous sortais mon cours d'économie, pour vous le balancer à la tête. Apportant les nouilles à ma bouche, souriant, je contemplais les hauts de cette foule bigarrée. Moi, je portais un sweat à capuche. Bleu-gris, dans sa nuance un peu délavée. Contre le mur blanc, avec mon cartable d'écolier, ma gueule souriante, et mes ramens, non, je ne voulais et ne pouvais pas ressembler à un SDF. Simplement à quelqu'un, un japonais, sans doute, un peu bizarre, un peu excentrique. S'asseyait-on sur le sol, pour manger ses nouilles instantanées ? Heh. Sur mes lèvres, le doute de toutes les questions qu'il fallait se poser, déchiffré en un sourire. Un simple sourire, qui gardait à distance les gens trop observateurs.
Le monde et son mouvement, la ville et sa cadence, dans leurs paradoxes et leurs liens, m'intéressaient. Ne me fascinaient certainement pas comme il l'aurait certainement été sur le cas Mitsumasa, mais j'avais accroché cet intérêt, un simple intérêt, et je voulais simplement regarder. Quoi ? La ville. Je voulais regarder le quotidien de ces gens, qui passaient autour de moi. Terminant mes ramens, je me relevais finalement, considérant que j'occupais depuis trop longtemps la place, et que j'avais besoin de bouger, de remuer, en me prêtant à ce jeu de mouvement. Ramenant la sangle de mon sac sur mon épaule, me levant, en étirant mon dos, je m'approchais d'une poubelle, pour y jeter la boite de ramen et ses couverts en plastique. Le temps que je me retourne suffit au destin à se la jouer comique, et dans la perception d'une pensée, dans la caresse d'une existence, mon œil accrocha le souvenir d'un visage, ma pensée s'éclata sur la reconnaissance de ces traits. Sans bouger, sans même me manifester, au milieu de la foule, je regardais Lun Marv passer à côté de moi. Je le suivais des yeux, des fois que je me serai trompé. Mais j'avais imprimé, enregistré, vu, et reconnu ces yeux verts, ces cheveux blond et ce visage trop différent du flot japonais. Je me rendis compte que je me mordais la joue lorsque le sang vint informer ma langue de sa propre amertume féodale. Remontant la sangle de mon sac sur mon épaule, sans réellement prendre le temps de réfléchir, je remontais à contre courant la foule, suivant indéniablement le parcours de Marv. Plusieurs, peut-être trop, corps s'étaient placés entre celui de lun et du mien. Trop peu pour que je ne le perde pas de vu, assez pour pouvoir me soustraire si lui venait l'idée de se retourner. J'étais gêné à l'idée qu'il puisse me voir. Je voulais le toucher, lui parler, mais avant tout, je voulais que cela se fasse de face, que je me montre, et pas qu'il me surprenne. Alors j'avançais, naturel, au milieu des autres, un peu plus grand, certes, mais brun. Lui, avec sa blondeur, il était une petite bougie qu'on remarquait facilement.
Tapotant contre ma hanche avec mon portable, j'observais lun prendre la direction du centre-ville. Je le suivais, amusé comme un gosse qui jouerait à Sherlock Holmes, ou à Conan Edogawa. Shinichi Kudo peu amateur de foot, je me glissais sur ses pas, veillant à ma discrétion, mais au final, si peu amusé de l'acte, de la chose en elle-même. Si coup de poing avait deux ans, la frustration n'était pas digérée. Dissipée dans son essence pour ce qu'elle avait été, elle s'était transformé. De la rencontre que j'avais gardé en souvenir de Lun Marv, j'avais la sensation de n'avoir jamais réellement tourné la page correctement. Je n'avais eu que trop peu l'occasion de le rapprocher, par la suite, et je ne m'étais jamais saisi de la chance. J'avais toujours esquivé, feinté, pour ne plus lui parler. Par crainte et colère. Peut-être. Puis, il y avait eu Chess. Autour de nous, les tramways se mirent à défiler. La mort et lun étaient deux concepts, deux idées, deux existences, qui l'une et l'autre, s'étaient attachées dans ma perception. Certainement, l'individu Marv avait du connaître bien plus que moi la mort de personnes dont il était proche. Et de ce fait, en prenant conscience que j'avais été injuste et cruel en imposant la dictature de mes idées féodale, je considérais que je devais certainement m'excuser auprès de lui. Il y avait cependant ces événements dans la vie qui faisaient paraître claires les idées, les pensées, mais la réalisation des gestes restait sombre. Nébuleuse. Presque inaccessible, en fait. Dans des cliquètements, les tramways démarraient tout autour de nous, et je regardais Lun, de loin. La mélancolie que m'apportait cet homme, je crois que je l'appréciais. Oui, j'appréciais cette mélancolie. Parce que je pensais que ressentir autre chose que de la mélancolie à notre égard aurait été le signe que j'avais stagné, et que je n'avais pas changé. En deux ans, pourtant, j'avais grandi, dans tous les sens, mais j'appartenais à un passé que je devais assumer, et lun était de ces souvenirs que je ne voulais pas se voir oublier dans la honte de mes propres erreurs. Je refermais mes doigts sur mon portable. Non. Lun était important à mes yeux, parce qu'il restait accroché à mon cœur, quand bien même c'était moi qui m'était conduit en petit con. Le premier. Peut-être n'aurait-il pas du me frapper. Un sourire étira doucement mes lèvres, et je regardais autour de moi. Peut-être prendrait t-il le prochain tramway, hm ? Aurais-je le temps de m'approcher, de lui présenter mes excuses ? Les gens bougeaient, tout autour de moi, tout autour de lui, et je restais une seconde pensif, choisissant instinctivement de faire réagir l'écran tactile de mon portable. Tournant finalement sur la gauche, vérifiant que lun ne me regardait pas, je traversais les rames, pour rejoindre l'autre côté du quai des tramway, laissant un léger sentiment de satisfaction me courir dans la poitrine, quand le soleil vint réchauffer mes joues. Nous nous étions quittés sur un au revoir gelé, sur une ambiance glaciale, et sur un ciel d'hiver. L'été approchait. J'envisageais les choses de manière cycliques. Me rangeant sur le rebord, perdu au milieu des autres personnes qui attendaient leur tram, je relevais les yeux sur lun, qui ne semblait pas s'écarter. Bien. Je choisissais la fonction des messages, dans mon portable, et tapotant mon sms, l'envoyait, presque rêveur de la chose.
// From : Litchi To : Chess 13:54:38 Eyh, toi. Si je ne survis pas à ce que je vais faire, tu m'en veux beaucoup ? Faudrait que tu viennes me ramasser à la petite cuillère. Oh, et pour mon âme. Quoique ce sera sans doute trop tard. Tu essaies avec la bouche, hein ? Des fois que tu y arriverais. //
Jetant un coup d'oeil sur l'écran qui annonçait les horaires d'arrivés des tramway, j'inspirais. Tu es complètement con, Zakuro. Complètement con. Je glissais ma chaussure sur le rebord, laissant un coup de vent secouer mes mèches devant mes yeux. A côté de moi, un vieil homme en costard ouvrant un gigantesque journal, ses yeux, derrière ses lunettes en métal, se posant avec soin sur les mots qu'il lut. Je reportais mon attention sur Lun. Je me demande ce qui se serait passé si je l'avais frappé à mon tour. Je m'en serais certainement bien plus voulu que ce que je pouvais ressentir en cet instant là. Il n'empêchait que la douleur dans ma poitrine existait. J'eus un vague souvenir de ce que j'avais ressenti à ce moment là. Le déni de la douleur. Le refus d'avoir mal. Heh. Voilà un mensonge dans lequel je m'étais trop caché, peut-être. Si je mourrai aujourd'hui, est-ce que je serais triste ? Le tram dans lequel monterait Lun arriverait avant celui-ci. Une minute d'écart. Ce serait amplement suffisant, songeais-je, en laissant une moue un peu boudeuse apparaître sur mon visage. Ce serait amplement suffisant pour être royalement con. Mais aussi royalement humain. Dégonflant mes lèvres, je les étirais finalement en un sourire pensif. Au coin de la rue, dans un sifflement annonciateur de son arrivée, le tramway apparut. Je l'observais, et j'observais les gens se lever des bancs, pour se préparer à monter dans le tram. Je tournais les yeux vers le jeune homme blond.
« Eyh ! Eyh ! Lun ! Lun Marv ! Oh ! »
Agitant le bras, je fis en sorte qu'il me voit, qu'il me regarde, et je lui souriais. M'assurant d'avoir son attention, récitant bêtement dans ma tête un « namu amida butsu » qui me fit plus flipper qu'autre chose, je m'avançais sur les rames, quittant le quai, descendant sur la voie. D'un pas. Personne ne fit réellement attention à moi. Jusqu'à ce que le second tram, dans mon sens, cette fois, n'apparaisse. Il y eut une question, discrète, presque timide, que quelqu'un m'adressa. Je rangeais mon portable dans ma poche, avançant d'un autre pas, tournant le visage vers le tram côté lun qui arrivait. Le tram qui se mit à furieusement clignoter et siffler. Des gens paniquèrent, et quelqu'un se mit à hurler. Dans ma tête, les prières se tûrent, j'abandonnais mon sourire, pour me concentrer sur une dimension qui m'apparut être le parfait mélange de lucidité et d'ivresse mentale, et je plongeais en avant. Je plongeais en avant, me fondant dans cette aspiration de vent, dans ce mouvement du tout et du vide à la fois, dans cette caresse du gigantesque qui côtoie le minuscule. Dans ce suicide désorganisé. Mon sac fut le premier à heurter l'avant du tram. Mon sac bougea, s'arrachant de mon épaule, s'envolant, et s'éventra. Je vis le ciel pleurer des pages d'économie sociale et de mathématiques, des dessins griffonnés, des livres et des crayons bousculés par le temps et l'espace, pleurés par un ciel bleu. Mon sac fut le premier à toucher ce tram, et ce fut aussi le dernier. Tombant sur les genoux, explosant mes rotules contre le sol, je me relevais immédiatement, grisé par l'adrénaline qui déferlait dans mon corps. Mon premier réflexe consista à tendre les mains devant moi, et considérer que je possédais encore un corps. Le second, fut de me retourner, et d'observer ce massacre de mon cartable, ces feuilles et ces dessins égarés par la violence du geste assurément inconsidéré, et ces visages choqués, horrifiés. Ces regards qui allaient de l'avant du tram qui se mit enfin à freiner, à moi, et ma vie possédée, reconnue, et désirée. Le cœur massacrant de son rythme l'intérieur de ma cage thoracique, je tendais la main, récupérais le poignet de Lun, pour lui sourire sans réellement m'en rendre compte, et lui intimer de me suivre, de nous écarter. Je ne courrais pas, mais j'en mourais d'envie. Je voulais, et devais m'éloigner des trams, mais maintenant, entre mes doigts, il y avait Lun et tout ce qu'il pouvait me dire. Me parlait t-il ? Je l'ignorais. Je souriais comme un débile, ébahi d'être en vie, charmé, ravi, et simplement heureux. Peut-être était t-il silencieux ?
Lorsque j'eus mis assez de distance entre le lieu de mes petites folies suicidaires, et moi, je cessais de marcher, lâchais lun, et me pliais en deux, pour respirer d'un grand coup. Tout l'air qui emplit mes poumons me brûla de l'intérieur, et je me relevais lentement, une étrange douleur au niveau de la poitrine. Indubitablement vivant. Vivant. J'avais envie d'épingler ce mot sur mon front, et de le river dans les yeux de Lun. Je plongeais mes prunelles bleues dans son univers vert. À la place, je refermais le poing, le levais, et vint le poser près de l'emplacement du cœur de Lun.
« Si je devais mourir aujourd'hui, est-ce que je serais triste ? Oui ! Oui, parce que tu ne peux pas savoir à quel point je suis amoureux d'énormément de choses, et que je ne veux pas partir sur un sentiment de défaite. Je ne veux plus perdre, et j'ai trop d'amis avec qui vivre des centaines de choses pour pouvoir me permettre de dire que je ne serais pas triste de mourir aujourd'hui. J'ai … je te demande pardon. Des réponses que je t'ai fourni la dernières fois. Ces réponses là étaient fausses. Je suis désolé. Je te présente mes excuses, Lun. »
La chaleur était étouffante, accentuée par l’humidité et la moiteur de la ville où l’ombre et la végétation manquaient. Les affaires d’hiver avaient été remplacé par celles du printemps. Les étudiants tentaient de cacher leurs transpirations et l’odeur par des déodorants dont les effluves flottaient dans l’air de manière nauséabonde. Lui, il se tenait sur le quai du tram, sans raison précise. Il attendait celui qui allait venir ; ou descendait de celui qui venait de partir. Il se tenait sur le quai de la vie sans raison précise. Sa silhouette fine cachée sous un tee-shirt trop large, dont un début d’auréole, sous les bras, du à la transpiration commençait à apparaître. Il avait chaud, trop chaud, au point que son visage était légèrement brillant. Lun Marv n’avait jamais supporté les fortes chaleurs, encore moins lorsqu’elles commençaient à apparaître. Il avait déjà attrapé, des coups de soleil, durant la semaine et son épaule avait pelé un peu. Il n’aimait pas ce bronzage parsemé de tâches plus blanches provoqués par le coup de soleil. Il n’aimait pas sentir ses mains devenir moites dès qu’il tenait trop longtemps ses poings fermés ou un objet entre elles. Il n’aimait pas sentir la fumée de ses cigarettes lui brûler le fond de la gorge pas assez humide. Toutefois il aimait l’été. Il aimait ce mois de juillet avec ces fleurs de cerisier, ses jupes et ses boissons fraîches.
Sa copine travaillait à l’hôpital et Lun se demanda s’il pouvait aller la rejoindre. Elle était à l’association pour une cause qui le dépassait et dont il se fichait ; mais il savait que ça lui tenait à cœur. Il se demanda s’il devait envoyé un message à un ami, il avait vu la plupart d’entre eux tout au long de la semaine. A moins qu’il ne devait aller chercher en avance ces enfants au centre de loisir. Sauf que Judith lui avait dit le matin même qu’ils partaient à la fête foraine. D’ailleurs, Judith lui avait aussi demandé de faire des courses. C’était pour ça qu’il s’était retrouvé sur ce quai. Il lui semblait. Seulement, Lun ne savait pas s’il avait envie de faire des courses : il avait trop chaud. Devait-il aller étudier ou rentrer. L’hésitation l’obligeait à rester immobile, légèrement abrité par l’ombre des bâtiments. Devait-il rentrer à pied, ou prendre un autre tram pour le centre-ville ? Devait-il aller au centre commercial ou à la bibliothèque ? Est-ce que Elyott avait reçu sa lettre.
Est-ce que Elyott avait reçu sa lettre ? Et … Lun avait fait quelque chose d’affreux. Quelque chose de si affreux qu’il ne pourrait plus jamais revenir en arrière. Cela n’avait rien à voir avec Elyott, et pourtant le garçon, ne pouvait s’empêcher de l’associer. Si quelqu’un, tel que son ancien ami l’apprenait, si quelqu’un comme ces amis l’apprenaient, alors il ne serait plus jamais capable de se regarder en face. C’était déjà le cas. Lun eu envie de prendre une douche. Il devait se laver. Il devait nettoyer ces mains, son corps, son visage. Il devait essayer d’enlever ce qu’il avait fait, car sinon. Sinon, il était certain que les autres devineraient. Le pire, c’est que souvent, il oubliait ce qu’il avait fait.
Le journaliste redressa les yeux vers le ciel, son regard tendre se perdant un peu plus dans ses pensées. Souvent Lun avait pensé à Zakuro sans oser aller le trouver pour s’expliquer sur ce fameux soir où l’anglais avait frappé le japonais et s’était montré particulièrement odieux. L’homme s’était dit que le garçon ne lui avait pas pardonné ses mots et son geste déplacés et que ça ne servait à rien d’aller vers lui. Que c’était trop tard. Il avait songé à s’excuser sans parvenir à le faire. Il s’était trop souvent excusé auprès d’autres personnes pour en avoir le cœur brisé. Ils étaient amis, autrefois. Il lui semblait. Est-ce que c’était vraiment de l’amitié ? Finalement, il ne l’avait jamais oublié. La séparation, sous forme de dispute, avait laissé des traces. Lun se sentait responsable de celle-ci. Il avait provoqué l’engueulade. Zakuro avait voulu être son ami et Lun s’était permis de le juger, de le critiquer, de le frapper et de s’en prendre à lui. Il n’était pas foutu de garder son calme. Avait-il changé en deux ans ?
Deux ans étaient passé depuis la dernière fois où il avait parlé au jeune homme. Deux longues années qui avaient fait penser à Lun que cette histoire était totalement terminée.
Ce fut pour cette raison que lorsque Lun entendit son prénom et son nom de famille, il ne pensa pas une seconde à Zakuro et regarda surpris en direction de la voix qui l’appelait. Qui pouvait ainsi crier après lui, de manière si peu distraite, obligeant les gens à les fixer : et les étudiants de l’académie présents à se tourner, amusés, curieux, agacés ou indifférents au spectacle. Etrangement, Lun senti une rougeur naître sur ces deux joues. Il était gêné, d’être ainsi appelé. Généralement, c’état lui qui allait vers les autres … Et puis. C’était cette voix qui le gênait. Cette voix où il n’arrivait pas à mettre un nom dessus. Ce fut pour cette raison, que lorsqu’il vit Zakuro, ces deux yeux de jade s’éclairèrent candidement sous la surprise et qu’il demeura comme pétrifié, ses mèches blondes s’envolant sous le peu de vent que le mois de juillet offrait. La chaleur était étouffante, insoutenable, et le garçon avait l’impression qu’il allait mourir. Il entendit des rires de filles derrière lui, le bruit d’un appareil photo. Sans doute quelques groupies amusés par une scène les dépassant. Lun avait aussi remarqué cela : sa popularité était différente d’autrefois. Elle était moins grande mais plus puissante sur ceux qui restaient. Ses écrits dans le journal de la ville commençait à se faire connaître et il y avait enfin une raison de l’aimer en dehors de ses aspects rebelles. De l’aimer pour une part de lui-même.
Son tee-shirt et son bermuda lui tenaient toujours trop chaud, et pourtant, il eu un frisson en voyant Zakuro se rapprocher de lui. Un instant, l’anglais songea à fuir, mais pour quelles raisons aurait-il fuit ? Lun frissonna encore, son instinct lui disant pourtant de ne pas demeurer là, il fixer son ancien ami avec cet air perdu.
Son esprit pourtant ne criait qu’un type de phrase : lâche-moi ! Pars ! Ne t’approche pas !
Mais l’autre s’approchait, au milieu des rails, au milieu du danger. Et Lun, au lieu de le faire partir, le fixait. Se demandant ce que comptait faire le jeune Samouraï. Il compris, un peu tard, le voyant passer trop près de la mort.
Pendant une seconde, une seconde entière, Lun pensa que Zakuro avait voulu mourir devant lui pour lui prouver qu’il n’avait ni peur, ni n’était triste de l’idée de la mort. Lun pensa perdre un autre de ses amis. Il pensa que c’était fini.
Qu’il lui faudrait vivre avec ça.
Le garçon ne vit pas que Zakuro se rapprochait de lui, trop perdu dans l’idée qu’il venait d’être un assassin. Il venait de tuer Zakuro ?
Une main se posa sur son poignet et Lun senti qu’on l’entraînait. Le garçon, manqua de tomber, tant il ne s’attendait pas à être tiré. Pourtant, il ne fit aucun mouvement pour repousser Zakuro, se débattre et n’eu que la réaction, assez simple, de le suivre. Son regard, toujours aussi surpris, posé sur la crinière brune devant lui.
Lun aurait pensé que le samouraïs l’avait oublié. Que venait-il de se passer ? Zakuro voulait-il les venger ou est-ce que quelque chose de grave était arrivé à leurs amis en commun ? Qu’est-ce qui avait fait, qu’aujourd’hui, contrairement à tous les autres jours, le Japonais ne détourne pas son regard de lui et ne parte pas dans la direction opposée.
Il se souvenait qu’ils s’étaient tous les deux longuement parlé, la dernière fois, et que Zakuro lui avait cité tellement d’amis et de personnes proches de lui, que l’anglais avait eu l’impression de n’être personne. Personne pour Zakuro, personne pour les gens qui l’aimaient. Il n’était à ses yeux qu’un pote parmi tous les autres amis.
Ils s’arrêtèrent.
Le cœur de Lun battait la chamade. Il sentait chaque battement plus fort que les autres. L’anglais se demandait s’il allait se faire frapper, disputer et ce qui pouvait se passer dans la tête de son ancien ami ? Au lieu de ça, il entendit des mots, des mots qui se suivaient, rapides, surs, comme un discours que Zakuro aurait longuement répété dans sa tête avant de lui dire. Etourdi, Lun entendait chaque mot, et prenait conscience de ce qu’ils signifiaient. C’était des excuses.
Il devait aussi s’excuser. Cela, Lun le savait. Il le savait et pourtant, il en était incapable. Malgré lui, il demeurait à fixer bêtement Zakuro, ses yeux toujours choqué d’avoir été tiré, au travers de la foule, de ce contact physique, qu’il n’avait pas lui-même imposé. De cette maison fraîche sur sa peau trop chaude.
Ce ne fut qu’une seconde de silence, entre eux deux. Les bras de Lun s’étaient tendus, enlaçant le cou du jeune homme, sa tête tombant sur son épaule, ses yeux se fermant, alors qu’il respirait son odeur. Son cœur battant la chamade tentait de se calmer au milieu de ses émotions.
Zakuro ne l’avait pas oublié. Zakuro ne l’avait pas rayé de sa vie. Il s’était excusé, il avait essayé de le comprendre. Deux ans. Deux ans qu’ils s’étaient perdu de vue et Lun avait le sentiment que la dispute datait d’hier.
Ces doigts s’agrippèrent sur le haut de l’autre dans cette étreinte.
‘‘T’es … vraiment con.’’
Lun se redressa, une part de lui manqua de se mettre à pleurer, au lieu de cela, il se mit à rire. Il avait un peu de mal à respirer, tentant de le dissimuler l’air de rien. La course l’avait surpris, son cœur s’était emballée sous l’émotion, et avait doublé en intensité sous l’effort. La main de Lun se posa sur son front, qu’il senti légèrement collant. Cette pensée l’agaça, il aurait aimé être comme dans ces maudits films, où on ne transpire pas et où ne voit jamais le héro aller au toilette et se retrouver dans la merde car il n’y a rien pour se nettoyer.
‘‘J’ai soif.’’ Murmura le blond, entre deux respirations.
‘‘Je …’’
Lun se mordit la lèvre. Il n’y arrivait. Il n’y arriverait pas. Il voulait s’excuser, dire qu’il était jaloux de Zakuro. Lui parler de Maeki, de cette époque-là. Lui dire les raisons qui l’avait fait se mettre en colère. Lui expliquer qu’il trouvait ça courageux de dire qu’on a peur de mourir, même s’il faut être un peu triste à l’idée de la mort. Il voudrait lui parler de tout cela.
Il ne peut pas. Alors, il s’assoie, cachant son visage entre ses bras, semblant reprendre sa respiration. Et c’est une voix, légèrement cassée qui raisonne :
‘‘… T’es complétement débile.’’
Et Lun le pensait sincèrement. Bordel, si Zakuro voulait lui parler et s’excuser, un simple SMS aurait suffit, il n’avait pas besoin de mettre sa vie en danger. Il n’avait pas besoin de …, des larmes coulent sur les joues de Lun, qu’il ne peut retenir, qu’il ne peut empêcher. Etait-il fou ? Etait-il complétement fou ?
Le garçon frotte ses yeux contre son bras, les efface, il n’est pas question de pleurer maintenant. Il se remet à rire, plus joyeusement cette fois-ci.
‘‘Bordel, tu as vraiment foutu la pétoche à tous les gens sur le quai. T’es dingue, tu sais ? Et tu as grandi. Trop. Deux ans, bordel. Zak, ça doit faire deux ans que tu ne m’as pas adressé la parole, ni pardonné pour ce que j’avais fait. Et le seul moyen que tu trouves pour le faire, c’est de provoquer la panique dans un tram un jour de canicule ?
Dis-moi, depuis quand es-tu passé de petit garçon à rebelle ?’’ Questionna malicieusement le blond, cessant enfin de parler.
Un instant. Oh, un si bref instant. Un instant d'obscurité, d'incertitude et de frissons. Un instant qui me hurlait ce souvenir de la neige qui tombait sur nos fronts. Une neige qui venait refermer la douleur brûlante de sa morsure sur mes bras, me faisant oublier le soleil et son contact apoplectique sur le monde, sur cet univers duquel il propageait son existence ; et les vibrations éclatantes de sa vie à notre égard. J'oubliais. J'oubliais, pour me souvenir quand le garçon aux yeux verts referma ses bras sur moi. C'était simple, c'était humain, et ça me suffit totalement. C'était Otsû, c'était Takezo, c'était pur, mais simple, et c'était suffisant. C'était ces retrouvailles d'une rencontre construite sur des mots, des sourires, un contact, et l'image, peut-être, d'une cigarette qui roule sous le vent. Un instant brisé, massacré, dissipé par cette étreinte. Alors ne pas pleurer et ignorer la neige pour revenir sous le soleil devint un obstacle suffisant pour que j'ai simplement envie de le surmonter, et de lever la main, pour venir la poser sur l'épaule de lun. S'accrocher à ce passé qui fondaient nos souvenirs et construisait notre manière d'envisager le présent pour l'appréhension de l'avenir était important à mes yeux. Comme les promesses, comme les sourires et les murmures.
« T’es … vraiment con. »
Mes doigts se crispèrent sur le tissu qui couvrait son épaule, accentuant le sourire qui vint barrer mon visage. Absolument. Et tellement con. Mais quel con. Le plus grand à mes yeux. Moi-même. Un ricanement glissa entre mes lèvres, et je l'observais reculer. Dis, lun, tu regardes ce que j'aimerais regarder avec des yeux différents des miens. Ma vie. J'aimerais bien regarder ma vie, puisque j'étais né avec des prunelles créées pour regarder celles des autres. Les yeux étaient faits pour observer les autres, n'est-ce pas ? Des yeux pour regarder les autres, des yeux pour comprendre le monde, mais des yeux incapables de se tourner vers l'être qui les possédait. Les miroirs était l'invention de l'homme qui avait voulu se contempler et se comprendre. Les miroirs étaient l'invention des gens qui avaient voulu se regarder. Voir et regarder ; je voyais l'instant, mais je regardais lun, époustouflé, ravi, et choqué par ma propre débilité. Le train avait sifflé à m'en mettre la chair de poil, et chaque pores de ma peau s'était dilaté, dans la réactivité sensorielle de l'instinct. L'instinct face à la mort. Approfondir ses sens et craindre la mort : c'était comme détacher une fleur de coton et la prendre dans ses doigts, pour la conserver le plus longtemps dans ses mains, sans la froisser. Craindre la mort dans le combat n'était plus possible à cette époque où l'arme à feu était privilégié par les mœurs. Craindre la mort était une idée que lun avait sut me projeter à la face, et qui de toute la force de ses paroles, m'avait heurté. J'avais peur de mourir. Et cela me permettait, par rapport aux choses que j'aimais, de rester, et de m'y accrocher. Un sourire naquit doucement au fond de mon esprit, tandis que le mouvement cent fois répété de mon corps se jetant devant le train faisait parcourir le long de ma peau un frisson. Mes doigts abandonnèrent l'épaule de lun, et je reculais d'un pas, à mon tour, saisissant l'étendue de la violence qu'éprouvait mon corps ; et du calme indubitable de mon esprit. Mes lèvres ; closes sur le « bon sang » que j'avais envie de répéter mille fois, pour taire la tension de ce corps qui frissonnait sous le soleil.
« J’ai soif. Je … »
Et lun qui s'assit pour pleurer. Lun et ses yeux verts qui s'inondèrent de ces larmes que je n'avais pas voulu voir versées, ni l'autre fois, ni maintenant. Ces larmes qui restèrent cachées par le visuel, parce qu'il arracha son visage à ma vision, mais qui dans l'attitude et la position, devinrent les témoins de pensées que je ne savais pas refouler, que je ne savais pas calmer, et qui m'effaraient, en m'effrayant. Désemparé, je pliais les genoux, venant effleurer ce bitume trop chaud des rotules, m'agenouillant à côté de l'homme blond, posant sur lui un regard rempli de mes interrogations, rempli de questions silencieuses, aux réponses demandant elles-mêmes la fin de ces larmes. Un regard qu'il ne vit pas, mais que le vent lui portât, puisqu'il essuya ses larmes, dans ce mouvement de revers du poignet, ce mouvement qu'ont les enfants trop courageux. Eyh, lun. Es-tu encore un enfant ? Je plantais mes yeux dans les siens, pour laisser mon cerveau manger cette image de cette paire d'yeux sylves pluvieuses. Des prunelles couleur de la forêt, qui sous le soleil, avaient laissé tomber la pluie, laissé tomber les larmes.
« … T’es complètement débile. »
Assis sur le sol, je le fixais, les yeux ronds. Avant d'éclater de rire, brusquement amusé par ce qui se répétait pourtant comme une évidence et une acceptation. Évidemment. Le terme était bien choisi, et me plaisait bien. Zakuro le débile. Ça ne sonnait pas si mal, songeais-je, les yeux bridés par le sourire pointu venu se tordre sur ma face. La débilité, si elle portait à la réalisation et la compréhension de choses aussi importantes dans la vie, se devait d'être considéré avec plus d'intérêt. Enfin. Je plissais plus encore les yeux, perdant néanmoins mon sourire.
« Selon certaines interprétations historiques, Sasaki Kojiro, le plus grand rival de Miyamoto Musashi, était sourd et muet. Et trop souvent considéré comme débile. »
Une seconde de pensée. Une seconde de silence pour ce visage dessiné par Inoue Takehiko. Ce garçon au masamune de la mer, ce garçon du sable et de l'océan. Ce garçon souriant, prodige du sabre, opposé par le destin à Musashi. Ce garçon considéré trop longtemps comme un débile, comme le fou du village, mais pourtant élevé avec tellement d'amour et de soins par son père. Tellement d'amour pour le débile qu'il en devint le second nom du Japon en qualité de sabreur. Un nom hissé au rang des Yoshiaka. Le temps d'une seconde. Le temps que je lui envoie un sourire, appréciateur de ses mots qu'il prononçait, appréciateur des pensées, qu'inconsciemment, il me faisait naître.
« Bordel, tu as vraiment foutu la pétoche à tous les gens sur le quai. T’es dingue, tu sais ? Et tu as grandi. Trop. Deux ans, bordel. Zak, ça doit faire deux ans que tu ne m’as pas adressé la parole, ni pardonné pour ce que j’avais fait. Et le seul moyen que tu trouves pour le faire, c’est de provoquer la panique dans un tram un jour de canicule ? »
Grandir. Mourir. Trop grandir ? Hah. Encore une fois, ce même sourire qui s'étala sur ma face, découpant le calme de mon visage, le transformant en une expression oscillant entre le rire et la tranquillité. Je revoyais leur visage si choqués, à tous. J'entendais ma propre respiration se couper dans la violence du mouvement et la déchirure de mon cœur qui hurlait à l'effroi. Mais mon esprit calme, si calme ; dans un zanshin absolu. Et puis l'impact de mes os sur le trottoir ; le retour violent de la matérialité faisant exploser ma peau, déchirer mes vêtements. Une matérialité qui me renvoyait face à mon humanité, à ma condition de vie, d'existence telle que je la connaissais, mais qui me poussait toujours à progresser dans ce que je voulais être. Vivre. Absolument vivre.
« Dis-moi, depuis quand es-tu passé de petit garçon à rebelle ? »
Interdit, je le fixais un instant. Le temps de chercher une réponse, de réfléchir à une réponse correcte et adéquate, et puis finalement abandonner. Abandonner, parce que réfléchir à « la réponse parfaite » de ce genre d’interrogation ne ferait que dénaturer les choses. Je me laissais tomber sur le côté, venant reposer ma tête contre son épaule, m'appuyant sur lui, fermant les yeux dans un soupir las.
« … Je suis toujours un petit garçon. »
Je restais silencieux, ma joue contre son épaule, à écouter les vibrations d'un cœur que je devinais au travers de ce corps que je lui ressentais. Sa vie. Il s'agissait d'une chose tellement importante, tellement délicieuse et tellement nécessaire. Lun était le genre de personne qui par son existence me faisait exister un peu plus, parce qu'il m'avait enrichi. Le genre de personne dont je serai bien incapable de me passer de vivre avec aujourd'hui. Le genre de personne capable de dire que j'avais grandi. Trop grandi. Indubitablement, oui, j'avais trop grandi. Un sourire, si léger et bref, cette fois, couru sur mes lèvres. J'avais grandi. Rebelle ? Quand et comment ? Par le métro. Par son sourire. Par son ricanement et ses poignets blancs. Quoique rebelle n'était peut-être pas le terme qui me faisait me satisfaire de ce que pouvait comprendre les autres de ce que je renvoyais de moi-même. Rebelle ? A quoi ? A cette société, à cette normalité banalisée par la modernité qui tuait les samouraï, peut-être. Rebelle à cela ? Oui. J'entrouvrais mes yeux, pensif, laissais reposer mon regard sur le mur grisâtre opposé à notre duo, refermant sur nous la ruelle, et reflétant dans sa crasse le soleil de la journée. Sous mes paupières à moitié-closes, le bleu de mes yeux effleuraient le profil des yeux verts et de son visage. Une seconde. Je m'en arrachais brusquement, me relevant totalement et tendant la main vers lui, pour l'aider à se remettre debout.
« Viens. On va boire. »
Je l'invite à me suivre, à se déplacer, et à se replonger dans cet univers de masse, de foule et de mouvements. Un univers de tête brunes dans lesquels ses cheveux blonds viennent tâcher le paysage de mon quotidien féodal. Les gènes récessifs se font, dans la situation, les porteurs et les témoins d'heureux événements. De rencontres, de combats et de champs de batailles, aussi différents les uns des autres. Lun et ses yeux verts, lun et son odeur de cigarette, lun et ses cheveux blonds, lun et ses phalanges trop fragiles mais si dures. Lun et sa violence sylve, lun et la douceur de ses sourires. Lun et ses paradoxes, lun et son humanité. Je le faisais traverser la foule et le monde humain, pour l'emmener jusqu'à un bar, une zone d'ombre. Un mélange de contrastes, une contradiction du soleil, qui découpait ses traits autrement. Autrement que sous la neige, autrement qu'en plein jour. Je posais mes doigts sur la poignée de la porte, rabattant mon sac sur ma hanche, faisant claquer le trop peu d'affaires qu'il restait dedans.
« Et toi, lun ? Est-ce que tu as grandi ? Et... »
Je poussais la porte, entrouvrant le lieu, sans vraiment m'y plonger ; me stoppant sur le seuil, pour poser mes yeux sur lui, et pour observer, regarder, et comprendre. Ce dessin de lui, que j'avais fait. Ce dessin qu'il m'avait demandé de ne pas montrer ; jamais, et que j'avais conservé, mais caché au milieu de mes affaires, comme les archives d'un souvenir tus par l’amoncellement d'autres.
« Est-ce que tu as continué à aimer les fleurs que l'on dessine ? Ces fleurs que les garçons n'aiment pas ? Dis moi. -Je m'emparais de son poignet-, est-ce que je pourrai te dessiner ? Encore une fois. Parce qu'indubitablement, ... lun marv a changé. Grandi. »
Je tendais la main, lentement, récupérant entre mes doigts une mèche blonde que je vins froisser entre mes phalanges.
« Mais tes cheveux gardent cette même odeur de tabac. »
Je suis assit sur le trottoir, installé tranquillement, en train de me faire à l’idée que celui que j’ai perdu autrefois est là devant moi. Il faudra cependant me laisser du temps pour accorder un semblant de confiance. Il me faut toujours du temps pour accepter que ceux qui ont fait le choix de partir puissent revenir et je reste toujours suspicieux. Le problème, c’est qu’alors j’éprouve le besoin de tester. De tester au maximum pour faire fuir la personne : et me dire que c’était la preuve : la preuve qu’elle n’aurait jamais du revenir. Une main s’est tendue dans ma direction pour m’aider me redresser et je la prends, solidement, malgré la grimace que me provoque ce contact physique, malgré mon envie de retirer mes doigts de cette paume qui me brûle. J’essaye de ne pas penser qu’au bout de deux ans, on change tous. Cependant, je garde un sourire alors que je me relève. Ai-je grandit ? Je n’ai pas tant besoin de grandir que ça, vois-tu. Je suis tellement plus grand que toi, déjà. J’ai toujours été plus grand que toi et je le serais toujours. Même si avais une tête de plus, même si tu avais une maturité ou une expérience que je n’ai pas. Je serais toujours plus grand. J’hoche de la tête, j’accepte la proposition d’aller boire un verre : j’ai la gorge trop sèche et les yeux bien trop humide. J’ai soif et n’importe quelle boisson dans mon gosier va me faire du bien. Je veux ne pas penser à la tristesse qui est passé au travers de mon corps à l’idée de ce qui s’est passé l’autre fois. Je ne veux même pas penser à la tristesse tout court. Je suis heureux. Heureux de revoir un ami, comme un retrouve un objet auquel on tient, mais qu’on avait perdu dans son fouillis habituel.
Sauf que là, ce n’est pas un objet. C’est un ami. Un ami. Le mot plait à Lun, qui le fait chanter dans sa tête, alors qu’il pense aux questions qu’on lui pose. Il ne sait pas s’il a changé, mais il a changé. Il voudrait penser que non : il pense que non. C’est faux. Le garçon a mûrit, il accorde moins d’importance à l’avis des autres, il n’essaye plus de faire semblant, il ne fait plus d’effort pour avoir des relations ou qu’on est une bonne opinion de lui. Il ne croit plus tellement en l’amour, des foutaises auxquelles il se rattachait autrefois. Il aime toujours les fleurs, les levées du soleil et le froid du matin. Il aime toujours fumer, après avoir fait l’amour et boire de l’alcool jusqu’à en être ivre. Il a juste moins l’occasion de faire tout cela.
Il ne changera pas en cela. Il change dans ces choix en musique, dans les films qu’il regarde mais il ne changera pas sur l’éclair de curiosité qui naît face à la beauté du monde et à sa joie de voir un dessin, fait par la main de l’homme. C’est fascinant de voir ce que l’homme peut défaire et ce qu’il est capable de faire.
Grand, grand. Est-ce qu’on grandit en quelques années ? Au yeux de Lun, c’est un cercle, on grandit de deux pas, puis on perd et on revient en arrière et on recommence. On avance parfois mais on regrette on repart en arrière. On finit toujours par avancer, mais auparavant, on a fait plusieurs fois le même chemin.
Lun hausse des épaules, il ne sait pas s’il a grandit, non : il ne sait pas.
« J’ai du prendre un centimètre. » Marmonna le garçon, attrapant une mèche de cheveux blonde au milieu de son front, louchant pour la regarder avant de sourire un peu moqueusement à Zakuro. Là, n’était pas la question, mais là était sa réponse.
Le blond veut rentrer dans le café, mais Zakuro a saisit son poignet et il se retrouve fiché dans l’interstice. Lun hait les interstice. Selon une vieille superstition tzigane, c’est le lieu où se retrouve toujours les esprits des morts, des êtres fantastiques et la magie. Idiotement, Lun y croit : il n’aime pas voir qu’il et midi ou minuit, qu’il est dans l’ombre de l’ombre ou entre une porte, entre l’entrée et la sortie, entre dehors et dedans. II hait aussi les contacts physiques : les contacts lui donnent l’impression d’être connecté de force dans une réalité, qu’il ne veut pas voir. Zakuro a toujours cette tendance à être tactile sans lui laisser le temps de respirer. Lun en a eu le souffle coupé, mais il a soupiré avec douceur, sans réagir avec brutalité : comme il l’aurait fait autrefois. Il accepte le contact avec une douceur qui lui est propre.
Il avance un peu, mais ne peut retirer cette main, qui pourrait presque lui faire mal. Lun rit, rougissant un peu : pourquoi cette envie de toujours le peindre : lui qui est loin d’être un canon. Zakuro connaît Narcisse, non ? La perfection, il la connaît : alors pourquoi vouloir ce qui aurait pu être un laid brouillon avec tant d’imperfection ?
« Tu pourras. »
Lun hoche de la tête, pensivement, en souriant en coin. Ses yeux verts se posent dans ceux de Zakuro, sans le moindre sourire, avec cette franchise et cette pudeur qui lui ai caractéristique. Sa langue caresse son palais, alors qu’il rajoute plus lentement : « Tu peux. »
C’est avec douceur que Lun sourit un peu plus, se penchant en avant pour embrasser la joue de Zakuro avec douceur, alors que son autre main vient détacher sa jumelle de Zakuro. La peau douce se comble d’un baiser délicat et tendre.
« Tu peux me dessiner tant que tu veux, mais … encore une fois, tu ne devras jamais le montrer. Je ne sais pas si un portrait comporte un peu de notre âme, mais au cas où je serais un peu dans ce dessin : je n’aimerais pas que des yeux dont j’ignore l’existence se pose sur moi. »
Lun a avancé dans le café, cherchant un endroit près d’une vitre. Il a un nouveau jeu : le jeu des passants. Il peut rester des heures à fixer des inconnus et à leurs inventer des vies. Il aime tant cela qu’il se prend parfois à se perdre totalement dans ces rêves. Quand il est avec son jeune frère Gabriel, il explose joyeusement de rire, ne pouvant s’empêcher de lui raconter ses bêtises.
Le journaliste s’installe, il ne regarde pas la carte : il prendra un cocktail. Parce qu’il a envie de quelque chose de joyeux et que Zakuro a fait le choix d’entrer dans le café au lieu de rester dehors : alors il ne peut pas fumer. Il n’est pas dans l’espace, le petit espace, qu’on réserve à des personnes comme-lui. Fumer aujourd’hui, c’est choisir d’être exclu volontaire et ça plait à Lun .
« Mais pas maintenant, … »
La voix est limite autoritaire. Il n’accepterait pas d’être dessiné maintenant, alors que ces yeux sont encore un peu rougis d’avoir pleuré.
« Sais-tu ce qu’on m’a raconté ? » Questionne l’étudiant alors que son index caresse le bas de son visage, ses ongles vernis noirs accentuant son coté provocateur, et son sourire de chat moqueur. « Les rumeurs courent que tu fréquentes des êtres étranges, ceux que les gens fuient sont pour toi attirant, plus ils sont différents plus ils semblent proches de toi … »
Les yeux de Lun se plissent, un peu ironiquement, alors qu’il scrute le visage de Zakuro. « Est-ce ça, que tu cherches ? La différence ? Est-ce que tu cherches tant que ça la différence ? Dis-moi Zakuro, as-tu découvert que tu étais gay et amoureux d’un de tes amis ou balbuties-tu encore dans ce que tu crois être de l’amour et ce qui n’est que de la pure fascination ? » Le jeune homme sourit, reposant la main sur la table. Il sait qu’il est légèrement odieux, mais ça aussi : il s’en fiche un peu. Après tout : il n’a jamais été quelqu’un de vraiment diplomate.
« Je prendrais un Mojitos aux fruits rouges. »
Les gens pensent souvent que je fais exprès d’être provoquant et de poser des questions qui ne doivent pas être poser. En réalité, je n’ai jamais eu d’éducation et le seule moyen que j’ai de m’exprimer, quand je me sens menacée, c’est par l’humour et l’ironie. Je voudrais penser à retourner dix fois ma langue dans ma bouche, mais je ne parviens jamais à le faire. C’est plus fort que moi : J’aime voir réagir les gens, j’aime voir réagir mes amis.
Zakuro, je le trouve captivant, mais parfois : je me demande s’il joue le jeu de la provocation ou s’il est vraiment rebelle. Oui c’est un petit garçon. Un petit garçon qui tente à chercher un peu l’attention de ces parents sans pouvoir y arriver. Car il y a toujours un enfant plus intéressant à coté.
Le thé tourbillonnait dans la tasse, soulevant des spirales de vapeur qui venaient se heurter à mes lèvres. Je gardais celles-ci fermées, concentrant mes pensées pour mieux délivrer ma réponse. Une réponse qui se construisait en un premier temps par la compréhension des événements. Lun avait pris sa mèche entre deux doigts, et l'avait tiré, comme s'il la découvrait pour la première fois, et posait ses yeux sur elle avec le même intérêt que l'on regarderait le cliché d'un paysage inconnu. Sa réponse m'avait fait sourire. Un centimètre ou deux pour une question qui ne relevait pas exactement de ce point là assurait l'isotopie de notre discussion. Pluralité. Une pluralité de réponse qui suintaient dans nos actes et dans la relation qui s'était établi. Et c'était une des raisons qui me faisait aimer Lun.
Il avait aussi répondu à ma question sur le dessin. Une réponse qu'il m'avait offert, en l'ayant disséqué, m'offrant petit bout après petit bout, comme l'on découpe et jette les morceaux de viande à l'animal qui est en cage. Il avait dit que je pourrai, et j'avais senti un sourire naître dans ma tête, dans mon esprit, surpris premièrement de ne pas entendre de « pourquoi ». Il avait embrassé ma joue, et j'avais trouvé son geste terriblement tendre ; trop pour que je ne me permette pas de ne pas m'en méfier. Une sorte de défiance à ce qui allait advenir.
« Tu peux me dessiner tant que tu veux, mais … encore une fois, tu ne devras jamais le montrer. Je ne sais pas si un portrait comporte un peu de notre âme, mais au cas où je serais un peu dans ce dessin : je n’aimerais pas que des yeux dont j’ignore l’existence se pose sur moi. »
Je n'avais rien dit, mais j'avais approuvé en silence. C'était presque vexant, en fait, avais-je songé, mais je savais que je ne protesterai pas de ce rappel. Il était le principal intéressé, n'est-ce pas ? Alors il avait le droit de poser une condition que je n'avais même pas soulevé tant elle me paraissait évidente. Si je dessinais Lun, c'était pour que le résultat reste une feuille cachée, là où se cachait déjà le premier dessin. Il était hors de question que je ne casse cette amitié retrouvée pour le voyeurisme indiscret. D'une certaine manière, Lun était à moi, et je ne voulais pas le partager de cette manière. Parce que j'étais au courant des risques que j'encourais si je cassais la notion de « respect de la parole donnée », de confiance.
« Mais pas maintenant, … »
J'avais levé la main, tourné mon visage vers le garçon de café, pour lui demander un thé Long Jin, puis rabaissé mes yeux sur Lun. Non, pas maintenant. Quand bien même j'aurai eu mon papier et mes crayons, cela ne ce serait pas fait maintenant. J'avais attendu la suite, avec l'impression alors de croiser le fer, ou de toucher la main d'un adversaire, en garde, dans une position de combat. L'expression de Lun était devenue moqueuse, et immédiatement, mon visage s'était fermé dans une neutralité. Je ne voulais pas me laisser vexer. Pas par Lun.
« Sais-tu ce qu’on m’a raconté ? »
Non.
« Les rumeurs courent que tu fréquentes des êtres étranges, ceux que les gens fuient sont pour toi attirant, plus ils sont différents plus ils semblent proches de toi … » « Ah. »
Et c'est sur un demi sourire que je ne répondais pas vraiment. Il y avait des prénoms qui se cachaient derrière l'identité de ces « êtres bizarres », et je savais qu'ils avaient les yeux rouges, les cheveux blancs ou roses, les mains pâles, et mon sang dans leur souvenirs. Surtout lui, n'est-ce pas ? Surtout lui et son sourire. Le thé tourbillonnait.
« Est-ce ça, que tu cherches ? La différence ? Est-ce que tu cherches tant que ça la différence ? Dis-moi Zakuro, as-tu découvert que tu étais gay et amoureux d’un de tes amis ou balbuties-tu encore dans ce que tu crois être de l’amour et ce qui n’est que de la pure fascination ? »
Gay. Amoureux d'un de mes amis. Le visage et le prénom de Chess se ciselèrent au milieu des brouillards vaporeux de mes pensées, et je me laissais emporter par l'image de son sourire, abaissant les yeux sur mes souvenirs. À cet instant-là, lorsque le gong avait été sur le point de sonner, et que l'arbitre immatériel du tempo de cette journée avait amené le sifflet à ses lèvres pour tout achever, j'avais cru, cru jusqu'à la moindre fibre de mon corps, avec toute cette puissance avec laquelle il est possible de croire, que le jeu serait terminé, et que Chess serait arraché. Les éclats de lumières qui s'étaient accrochés sur le canon du revolver m'avaient frappé en plein dans les yeux, comme pour me signaler « Regarde Zakuro, regarde les possibilités qui sont en train de se jouer ». Et j'avais eu peur. La vie, ses détours et sa violence m'avait frappé. Alors peut-être que j'avais cherché à hurler plus fort qu'elle, et refuser tout simplement l'idée d'être battu par mes peurs, et mon incapacité à bouger. Si j'avais levé mes mains, si j'avais avancé, peut-être bien qu'au final, ç'avait été pour me battre moi-même, et pour ne pas le voir être arraché à mon existence. Je l'avais voulu. J'avais mis du temps à le comprendre, mais je l'avais voulu. Et sur le tatami immatériel de ma vie, j'avais marqué un point, et ce point avait été une victoire. J'avais voulu tenir sa main, et mes doigts s'étaient refermés sur son poignet. Ne m'abandonne pas, ne m'abandonne pas, pas maintenant. Plus maintenant. Il ne pouvait pas y avoir de fin aussi brutale que celle-là, et pourtant, elle avait été dépassée.
« Je ne suis pas gay. »
La pluie avait coulé sur nos épaules et sur nos crânes, noyant la chaleur du sang, la violence des chocs, mais il avait murmuré une phrase que je n'avais jamais entendu. Une phrase qui ne se prononçait normalement pas, parce que normalement : le fait se faisait de lui-même, sans qu'on ne place de mots dessus. Et cela, cela, comme est-ce que cela s'appelait ? Mais je veux bien t’avoir toi.
Je souriais à Lun. Cette phrase avait su éteindre mes doutes, en déclencher d'autres, mais elle avait sut me faire avancer. Mon univers s'était étendu sur des horizons que je n'avais pas envisagé, mais je n'avais pas cherché à me retenir à des repères. Et dans le monde, dans le mien, il n'y avait pas de limites possibles, il n'y avait pas de barrières avec le mot « gay ». Celui-ci était un mot qui permettait peut-être, dans la réalité de la société, de soulever d'autres barrières. Mais dans mon monde, je ne me laissais pas à des extrémités comme « homo » ou « hétéro ». Je n'avais pas besoin de cela pour me définir, je n'avais pas envie de cela pour me définir. Le seul mot que je m'imposais se construisait sur une infinité toute entière. Mû.
Est-ce que j'avais besoin de dire à Lun que je n'étais pas amoureux de cet ami ? Il était plus qu'un ami, mais je ne voulais pas poser de définition sur cette relation. Je ne voulais pas d'étiquette, pas de finalité sur ça.
« Il est à moi. »
Il n'aime pas que je dise ça, et il me répète « non, non, c'est toi qui est à moi, et je le répéterai autant de fois qu'il le faudra ». Et c'est justement pour cela que je répète l'inverse, Chess. Pour qu'il n'y ait pas de fin, pas d'acceptation. Pas de lassitude, pas de silence. J'inspirais. Puis un sourire, un sourire terriblement amusé, pour casser le rythme de mes pensées, faire taire la pluie de mes souvenirs, de la douche, de la salle de bain, et me concentrer sur les yeux magnifiques de Lun. Magnifiques, puisqu'ils étaient d'un vert qui me faisait totalement me concentrer sur la réalité ; un vert qui me surprenait et me ravissait de par son existence. Adoptant une expression particulièrement sérieuse, je croisais mes doigts entre eux, plantant mon regard dans celui de Lun, laissant l'éclat d'un rire résonner dans ma voix.
« Surtout pas gay. Chessophile. Je suis Chessophile. »
Je souriais ; amusé par l'idée de ce mot sans définition, sans limites. Il y avait la luzerne de cet univers qui se construisait sur le souffle, le ciel qui s'ouvrait sur les yeux, le sens de l'existence sur les mains qui s'ouvraient, et la langue qui frappait les lèvres. Je vins sourire contre ma tasse de thé, amenant celle-ci près de ma bouche. La question avait peut-être eu pour but de me déstabiliser, ou de tester. Elle avait réussi, puisque j'avais été incapable de répondre immédiatement, sans organiser de l'ordre à mes pensées. Parce qu'un des mots me gênait, peut-être.
« Ce n'est pas de l'amour. Je ne crois pas. Mais là, tu vas sourire, et te dire que je n'ai vraiment pas évolué, n'est-ce pas ? Ricanais, en tapotant du bout de mes ongles contre la tasse. Le mot « amoureux » ne convient juste pas dans ce cas-là. Juste dans ce cas là. »
La question « n'est-ce pas ? » aurait peut-être trouvé sa correcte place en fin de ma phrase, mais il me semblait que je n'avais pas besoin de me remettre en question, et de creuser le doute. Je savais ; c'était peut-être même une des choses que je savais le mieux, et le perdre de vue aurait été idiot. Ce serait simplement la facilité de succomber à la normalité d'une vulgarisation des sens des mots. À leurs connotations, à leurs définitions. Et le mot « amoureux » ne convenait réellement pas lorsqu'il fallait que je réponde à cette question de Lun. Je n'abandonnais pas mon sourire, ne buvant pas, respirant les odeurs du thé.
« Est-ce que je cherche la différence ? »
Un pépiement moqueur, cynique.
« C'est l'impression que je donne, Lun ? »
Ou est-ce que c'était ton professionnalisme de journaliste qui te faisait associer ces idées là ensemble ? Je cherchais la différence, oui, peut-être. Pas pour la cultiver, pas pour la posséder : c'est juste que je savais que je risquais de me perdre si je me laisser aller à l'idée qu'il existait une normalité et que je devais m'y cantonner ; comme je l'avais fait avant le jour du métro. Je n'étais pas responsable de l'originalité et des différences des gens, mais j'étais responsable de mes actes, et je devais assumer le fait que j'aille vers ceux qui m'intéresse. Je le faisait parce que je le voulais, parce qu'ils étaient ceux sur lesquels j'avais posé les yeux, et dont j'avais eu envie de leur jeter un sourire. Ils existaient, et j'en tenais compte. Lun avait utilisé le terme « attirant ». Etais-je attiré par eux, comme le sont entre elles deux charges positives et négatives ? Ou faisais-je l'effort d'aller à eux ?
« En même temps, je n'ai pas vraiment rencontré de gens inintéressants. Même quand je me retrouve face à des personnes dont la personnalité est assez bizarre pour moi, il y a toujours un élément qui fait que je ne peux pas trouver cette personne ennuyeuse. Que la personne se retrouve en soutien-gorge devant moi, ou bien qu'il faille la railler parce qu'elle se montre trop grande-gueule. »
Je croisais les bras sur ma poitrine, inspirant un oxygène qui me parut plus épais, plus agréable dans ma respiration. Je me sentais plus détendu. Plus calme.
« Tu viendrais avec moi acheter des cigarettes, Lun ? J'aimerai en goûter une. Je pratique le sport, alors je ne me le suis jamais permis, et je n'envisage pas de fumer. Mais j'aimerai bien en essayer juste une avec toi, pour le coup. »
Un gloussement s'échappa d'entre mes lèvres.
« Ou m'étouffer avec, hein ? Je crâne, mais je me sens mal barré sur ce coup là. Mais tu veux bien ? »
« Zakuro, Zakuro, Zakuro. Que voulez-vous que je vous dise sur lui ? Oh, ne faîtes pas cette tête, je sais parfaitement ce que voulez entendre, mais je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire que c’est un pote, un ami, ou une relation. Je ne peux pas vous dire grand-chose sur lui. Je sais simplement que c’est un enfant, souvent, un adulte parfois. C’est lui-même. Je crois. Je ne sais pas. Peut-être. Vous voyez ? Vous prenez une feuille de papier, vous dessinez sur cette dernière, vous découpez un petit personnage, vous suspendez des fils à ce bonhomme. Les fils se cassent, le bonhomme s’envole à cause du vent, passe par la fenêtre et se met à prendre une route indécise. Zakuro, c’est ce bonhomme. Peut-être. Ou : je le suis et il est le vent qui le précipite. Un ami, peut-être. Je l’ai rencontré il y a quelques années, à l’école. Il a voulu me dessiner. Je n’aime pas ça, vous savez ! Pourquoi ? Sans doute … Car je n’aime pas savoir qu’une image de moi subsiste quelques parts. Et puis, il y a cette vieille croyance : que notre portrait contient une part de notre âme. Enfin, au final, on s’est retrouvé avec Zakuro, sur un quai. Ensuite, on a été dans un café … On a parlé d’amour, je crois. Enfin, d’une forme d’amour. Et puis, il m’a posé une question … stupide. »
Voir un psychologue était la dernière bonne idée que l’administration avait trouvé pour Lun. Comme les autres, Lun ne le verrait sans doute qu’une fois. Comme les autres, il lui parlait d’un sujet, au hasard, dans sa vie pour ne pas évoquer les questions auxquelles, il devrait un jour répondre. Lun soupira, regardant l’homme qui prenait des notes en face de lui. L’homme détourna le regard et observa la fenêtre, fixant les toits des immeubles de la ville japonaises.
Il repensa à cet instant, au café …
Le jeune journaliste regarda la boisson devant lui, ses yeux se fixant sur les fruits rouges contenus dans le verre. Il aurait voulu ouvrir les lèvres et protester à Zakuro qu’il n’était qu’un idiot et qu’il comprenait. L’Amour, ce n’est pas forcément être amoureux. Et la relation spéciale entre le garçon et son ami n’avait pas besoin de répondre à des normes, des conventions ou porter un nom précis. Elle était particulière et c’était ce qui la rendait précieuse. Lun savait combien il fallait chérir ces personnes exceptionnelles à nos yeux qui sont dans nos vies sans forcément vouloir les ranger dans une case précise. Le jeune homme comprenait que parfois, le seul moyen de pouvoir décrire une relation, c’était de dire : C’est lui et moi. Seulement, Lun ne pourrait jamais dire : Il est à moi. Même s’il le pensait souvent. Souvent, il pensait qu’une part de ses amis lui appartenait et lorsqu’il perdait cette part, c’était comme-ci il perdait une part de sa personnalité, de son âme et de son humanité. Comme un puzzle où on perdait une pièce et qui lui brûlait douloureusement la poitrine.
La main du jeune homme se posa sur son verre, son ongle jouant un instant avec la condensation de l’air. Il ramena son verre à ses lèvres, buvant lentement une gorgé, laissant le goût du rhum, de l’eau gazeuse et des fruits rouges se mélanger dans sa bouche.
« Parle-moi de lui. »
Les yeux verts de Lun se posèrent directement dans ceux de Zakuro, se plissant légèrement avec curiosité. Il était journaliste, c’était exact. Il était surtout curieux des relations humaines, du comportement des individus, de la justesse des émotions et de la sincérité qu’on peut ressentir entre chaque instant et chaque moment de vie. Comment transmettre par la parole une vérité sans mentir, sans tromper, sans altérer ce qui est.
« De Chess. »
Lun sembla hésiter en utilisant le surnom, sans doute car il avait eu une hésitation, la peur de se tromper. Il lui arrivait parfois de dire un autre prénom à la place de celui qu’il voulait dire. Des lapsus révélateurs selon certains, une simple maladresse de langage selon le blond qui ne cherchait pas forcément à comprendre tout ce que le langage peut cacher. Il n’avait pas besoin de ça pour se faire une idée sur les autres et pour comprendre leurs modes de fonctionnement. Pas que ça le passionnait, comme le reste, il préférait être instinctif et faire confiance en son cœur. Sauf qu’on ne pouvait pas dire que ces dernières années, faire confiance à son impression et à ses ressentis l’ai forcément aidé.
Toutefois, la tourne de la question attrapa soudainement Lun au coin des lèvres, son sourire se crispant alors que la question de Zakuro le laissa un peu stoïque et effrayé par la peur. Est-ce qu’il avait vraiment dit ce qu’il avait dit ? Est-ce qu’il avait vraiment posé la question qu’il croyait ? Fumer. Stupidité. Idiotie. Les gens fument pour être comme les autres, les gens fument pour cessé d’être stressé, ils fument par convention, pour ne pas s’ennuyer ou pour se sociabiliser. Ils fument des clopes, des joints et bien d’autres choses encore. Et lorsqu’ils se rendent compte qu’ils sont devenus dépendants, ils trouvent des excuses pour justifier leurs actions et leurs choix.
Lun fumait depuis longtemps et il ne se voyait pas arrêter. Toutefois, il se voyait dans quelques années devoir expliquer à ses enfants : pourquoi lui fumait et pourquoi il ne voulait pas qu’eux fument et il se trouvait alors parfaitement hypocrite.
Zakuro lui rappelait un peu cette hypocrisie qu’il ressentait. Ancien drogué, la clope l’empêchait souvent de plonger dans ses vieux démons, le reste du temps : la pensée que le retour ne serait plus possible, le retenait. En dernier recours, il prenait une douche, c’était idiot, mais le simple fait de se laver lui donnait l’impression de laver son envie et ses idées. La clope, c’était une excuse efficace à sa propre timidité aussi, un moyen de s’isoler, d’avoir un peu de temps à lui en soirée ou au travail. Ensuite, il y avait l’alcool : et il savait qu’il était un alcoolique. Pas le genre qui boit un verre par jour, car Lun pouvait ne pas boire d’alcool pendant longtemps : mais lorsqu’il posait ses lèvres dans un verre d’alcool, il avait du mal à retenir son envie d’en prendre un second, un troisième, un quatrième et les autres qui suivront après.
Non, vraiment, cette question était stupide. Est-ce que Zakuro voulait fumer car Lun fumait ? Est-ce qu’il n’était pas préférable qu’il fume avec lui, plutôt qu’avec un autre, s’il en avait envie ? Est-ce qu’il ne pouvait pas lui faire se plaisir, l’accompagner dans un tabac et le laisser acheter son premier paquet ? Est-ce que Zakuro n’était-il pas libre de faire ses propres choix ? Lun n’était pas son père, il n’avait aucune raison de refuser.
Et pourtant, la réponse était non. Et les yeux de Lun le disait totalement, alors que ses yeux et ses lèvres émirent le même mot, en même temps :
« Non. »
Un éclat lumineux éclaira le visage de Lun alors qu’il se mit à sourire avec cette ironie qu’il dégageait si souvent, cet éclat entre le regard et l’attitude d’ange, et le sourire légèrement démoniaque.
« Je ne donne pas dans les premières fois. »
Lun grogna, plissant un peu plus ses yeux, alors que son doigt se pointa en direction de Zakuro, l’ironie grandissant malgré lui, avec une tendresse qui lui était nouvelle.
« Et j’ai épuisé mon quota de mauvaises actions. »
L’homme se remet à boire, calmement quand soudainement, après deux gorgées, il repose ce dernier dans un claquement.
« Je t’ai raconté ? » Une question, sans logique puisque Zakuro ne sait pas de quoi on parle. Mais, Lun continue aussitôt, calmement et sérieusement.
« La première fois où j’ai fumé ? »
Continua le jeune homme, son sourcil se redressant curieusement.
Peu importe la réponse de Zakuro, puisque Lun saute du coq à l’âne, son visage sérieux, sans le moindre sourire, sans la moindre lieur perforant son ami.
[15:10:21 29/09/13] Kohaku Joshua Mitsumasa : Il te répond à dessin égarés, je lui répond à Pull the Curtain. [15:10:26 29/09/13] Kohaku Joshua Mitsumasa : Il me répond à Pull the Curtain. [15:10:35 29/09/13] Kohaku Joshua Mitsumasa : Tu lui répond à dessins égarés [15:10:40 29/09/13] Kohaku Joshua Mitsumasa : C'est très sensé. [15:10:43 29/09/13] Kohaku Joshua Mitsumasa : *glousse*
« Parle-moi de lui. »
La demande ouvrait à trop de réponses, et ces réponses, j'avais envie de toutes les exploiter. Cette demande était trop ouverte, trop importante, mais elle ne pouvait me déplaire car elle portait sur quelque chose que j'avais élevé comme étant partie intégrante de ma vie, de ma manière de bouger, de fonctionner, et que cela ne s'achevait pas sur une incapacité de l'expliquer. Bien au contraire. Peut-être saurais-je trouver les mots justes pour lun.
« De Chess. »
Un sourire. Oui, de lui. De Chess. J'aimais la prononciation de cette identité entre les lèvres d'un autre, car elle m'assurait du fait que Chess ait pu exister d'une manière différente aux yeux d'autres. Qu'il était ce qu'il était, et que cela ne s'emprisonnait pas en une seule conscience, une seule capacité d'exister. De cette première rencontre au travers de barrière virtuelles d'Internet à ces retrouvailles sur la fontaine, ce sourire et ses yeux rouges, la fascination qui s'en était exercée, la course à travers la ville, mes doigts autour de son poignet, les siens autour du mien, et puis le dojo, Aliss et son vol bleu au dessus de la zone de combat, le rire et les préservatifs, le sang qui coulait et qui tâchait le blanc de sa peau, et le bouchon de l'encre, le bouchon en plastique qui frappait le sol en résonnant. Et puis tout le reste. Tout ce que cela avait créé, toutes ces journées qui s'étaient écoulées mais qui n'avaient pas été perdues, qui n'avaient pas été vaines, et qui s'étaient teintées de milliers de sentiments, de couleurs, de rire ou de frustration, de vexation et d'attente, mais toujours de sourire, du sien, et du blanc de ses cheveux. L'immatérialité qui avait transcendé mon existence parce qu'il m'avait créé, parce que j'étais sien, et que je me plaisais à le voir poser les yeux sur moi quand je prononçais ce prénom en une syllabe. Comment parler de Chess ? Devais-je chercher à le définir ? Je n'y arriverais pas. Ce que je ressentais ? C'était peut-être égarer sur le bord de mes mots ce qui aurait été important. Je ne savais pas. Je ne savais pas exactement comment parler de Chess. Ceux qui me côtoyaient le connaissait, pour avoir entendu parler de ses actes, de sa manière d'être, et/ou m'avait vu avec lui. Alors je ne m'étais jamais interrogé sur la manière dont je devrais présenter Chess à quelqu'un ignorant qui il était. Qui était Chess ?
« Il n'est pas uniquement ce que je te dirais de lui, assurément. »
Zakuro et son incapacité à répondre correctement aux questions, aux consignes, aux attentes. A la différence que pour lun, je voulais. Je voulais lui faire savoir, lui faire comprendre. Il avait dit « Parle-moi de lui. », « De Chess. » Y avait t-il une consigne particulière dans cela ? L'univers de Chess était une extension complète de tout ce qu'il était. Je vins déposer mes bras sur la table, pour me laisser être soutenu par quelque chose de solide, de matériel. De destructible, mais qui me retiendrait à la réalité.
« Il est ce que je n'aurais jamais cherché, je crois. Il est à l'antithèse même de ce que j'ai toujours cru avoir besoin. Mais à partir du moment où j'ai découvert son existence, je me suis rendu compte qu'il est une étape, et que cette étape est des plus importantes dans ma vie. Il n'est pas une étape matérielle, que l'on peut franchir, et dépasser. Il est une étape qui t'accompagne. Ou peut-être que c'est moi qui ait décidé de ne pas l'abandonner, cette étape, parce que je sais que je suis en mesure de construire le chemin que je veux, maintenant que je l'ai rencontré. Parce qu'il m'offre la possibilité d'être et d'exister, et que je peux dire qu'il m'a construit. Il m'a construit, il m'a façonné, parce qu'il a détruit tout ce que j'avais mis en place avant de le rencontrer : il a détruit mes doutes et mes erreurs de mon envie d'être pour me montrer que je peux et que je veux être ce que je désire être. Il m'a laissé le choix d'ouvrir la porte, et je l'ai ouverte, parce qu'il a été là. »
La manière dont il s'était jeté sur moi, par exemple, en gazouillant d'une voix enfantine, ses mains se plaquant contre ma poitrine, me renversant sur les tatamis, et son rire qui assurait : « Si tu n'attaques pas en premier, je vais te démantibuler ton jeu, Zakuro. » Cela, par exemple. Il l'avait fait.
« Il m'a offert une couleur, et je l'ai accepté. C'est un cadeau qui me permet d'exister avec sincérité. Il m'a offert plusieurs choses que j'ai pris entre mes mains, que j'ai appris à apprivoiser, ou à dompter, ou à manipuler pour en faire mes définitions, mes concepts. Il m'offre cette vie que je fuyais, et l'humanité qui va avec. Et ça me plait. Ça me plait vraiment. »
Je souriais, un rire sur le coin des lèvres, un rire silencieux, venu exploser au fond de mes prunelles.
« Mais lui, ce qu'il est … Il faudrait que tu le rencontres pour comprendre. C'est … que j'explique assez mal, je crois. Il est ce garçon qu'on voit tous, et qu'on craint, qu'on respecte ou qu'on admire, qu'on va chercher à frapper ou à baiser. Il est ce garçon qui fait peur parce qu'il n'a pas de limites, et que quand on est normal, on peut le trouver monstrueux, dérangeant et sale. Une espèce de sale bête dangereuse venue manger dans notre écuelle. Il fait peur, il dérange, parce qu'il ne se conduit pas comme tout le monde, il ne cherche pas à s'adapter au terme de la normalité, et il se moque, il rit, il sourit de tout ceux qui s'y placardent, à cette normalité. »
Une pensée pour Swan le blond, Swan aux yeux bleus, et son soupir consterné lorsque les vêtements étaient tombés dans le réfectoire et que j'avais souri à Chess, en levant le visage vers lui, lui demandant s'il jouait, lui demandant s'il s'amusait. Toujours. Always. Always. Une pensée pour la normalité qui ne s'établissait pas dans le monde de Chess. Un monde que j'avais découvert avec lui, avec son arrivée.
« Chess m'a tendu la main, et je crois qu'il m'a laissé le choix de la saisir ou pas. Je l'ai prise. Je l'ai prise parce que j'avais besoin de lui. »
Et cela fait trois ans. Trois ans, hein, monsieur ?
« Tu te souviens ? Des questions que tu m'as posées, de l'orgueil avec lequel je te répondais en étant persuadé d'avoir raison. De l'amour, de la mort ... »
Tu t'en souviens, je le sais. C'est juste que ça me fait encore mal.
« Chess est une des grandes réponses que je pourrais te fournir aujourd'hui à ces mêmes questions. Mais je n'avais pas cette réponse, avant. J'étais perdu avec moi-même. Il m'a permis de me trouver, il me permet de dire « Je t'aime » à certaines choses ou gens. Il est important. Il est Chess. »
Il est l'Immatérialité, il est Chess, il est le Junkie Hilare, l'Insoutenable, il est le garçon que j'aime serrer contre ma poitrine lorsque je m'endors, il est le type à qui j'aime sourire et répliquer aux phrases mordantes, à qui j'aime exposer mon point de vue sur le monde. Il est le garçon qui hurle « ténébreuse bourgeoisie » en jetant des feuilles de mathématiques face aux filles un peu trop suspectes, il est l'humain inhumain, il est le garçon que j'aime barbouiller de couleur en posant mes lèvres sur sa bouche pour un « Bonjour, toi » qui n'appartient qu'à nous. Je souris. Puis soudain, l'éclair d'une illumination.
« Oh, et pour les humains, il est aussi Kohaku Joshua Mitsumasa. »
Évidemment ! Je prononçais rarement cette identité. Si je l'avais déjà appelé Kohaku, c'était dans des cas qui se comptaient sur les doigts de la main. Lorsque je parlais de lui aux gens qui le connaissaient, mais uniquement son son prénom japonais. Lorsque je devais m'adresser à un administratif me demandant son nom, ou lorsque Kojiro parlait de lui. Kojiro avait une capacité extraordinaire à passer du « Kohaku », au « Chess », en passant par « Mitsumasa ». Mitsumasa. Je ronronnais ce nom que je ne prononçais que peu, dans ma tête, faisant rouler les syllabes les unes derrière les autres, dans l'éboulement de ce que pouvait être l'idée d'une fondation familiale Mitsumasa. Allez. Terminons là ce qui ne saurait être dit de Chess. Je soupirais, mes prunelles fendues sur ces mots que je taisais mais qui hurlaient dans ma cognition de sa perception.
La cigarette.
« Non. »
lun s'était un peu crispé, avant d'offrir sa réponse. J'avais patienté, caressant de l'esprit les possibilités de ses réactions et cette réponse offerte avec un sourire, mais dans la négation me stupéfia. Non ? Vraiment ? Mes prunelles étrécies, je le fixais.
« Je ne donne pas dans les premières fois. Et j’ai épuisé mon quota de mauvaises actions. »
Mais il y avait un sourire sur les lèvres de Un.
« Je t’ai raconté ? »
Je gardais le silence. Je gardais le silence parce que j'attendais le moment propice pour me mettre à parler. Et que la question de lun ne me permettait pas de répondre oui.
« La première fois où j’ai fumé ? »
La question de lun ne me permettait pas de répondre oui. Je cessais de sourire, acérant mon attention sur ses yeux, sur ses lèvres, sur ses doigts, écoutant, patientant. Il n'y eut pourtant pas de réponses. Mais l'opportunité pour moi de lui répondre. De fournir, peut-être, une réponse qui rentrerait bien dans l'attente de la demande.
« Pourquoi. Pourquoi tu veux fumer, Zak ? »
Encore un sourire, encore ce sourire qui n'est pas une arme ni une défense, mais simplement une manifestation de ces sentiments qui galopaient dans ma poitrine pour venir transformer les digues à l'intérieur de ma tête en des bans de sables qui s'affaissaient sous l'émerveillement de le découvrir un peu plus à chaque fois, et de me heurter à cette rencontre magistrale. Je souriais.
« Parce que c'est toi. Parce que c'est un souvenir que je veux garder. Avec ou sans cigarette, ce n'est pas l'important. C'était juste un prétexte, mais en réalité, ce que je veux, c'est toi, le souvenir, et l'amitié. C'est le plus important. »
Je me reculais, inspirant, m'étirant, dans ce mouvement infiniment court de l’inhalation succincte. Seconde d'infinies étourdissantes dans ma tête. Seconde de ce « Non » catégorique que j'imprime avec force et soin dans ma mémoire, de cet éclat dans ses yeux, de l'odeur du café, et, et … Et. Tellement de choix, de possibilités. Je me souviens, qu'une fois, Chess avait dit qu'ils étaient tous mes jouets. Tous ? Même quand je les aimais ?
« Tu es important, lun. Tu es important pour moi. »