Inside your Mind

Naturellement, il ne viendrait pas à l’idée à Valentine de se contenter d’un modeste repas étudiant, quand bien même Keimoo résonne comme étant prestigieuse. Yui ayant un penchant pour le beau, pour la grandeur et le luxe... du matérialisme dérisoire. Tout en sachant que le gaspillage fait partie du mode de vie de monsieur le psychologue, pour le peu du rien qu’il consomme. Bref. Sans se soucier du cher ou du pas cher, Yui a demandé à Lindsey de choisir un de ses plats favoris et ils s’y sont rendus. De toute façon, le couvre feu de l’école devient tout aussi dérisoire quand le motif justifie une raison médicale. En somme, c’est un luxe d’être psy.

Valentine a eut un sourire amusé, conservant la même cadence de chacun de ses pas ; le restaurant ne se trouvant pas de si loin, il a préféré la marche au taxi à héler.


-Je vous invite, ai-je dis, a-t-il fait, entre deux phrases tout en franchissant le grand portail de Keimoo. Dites-moi Lindsey, pourquoi vous est il impossible d’oublier Aurore ? Et en admettant que je sois d’accord avec vous, que je ne puisse pas remplacer cette personne... Je pourrai même être mieux qu’elle.


-Allons. Vous me pensez toujours incapable d’être votre ami ?

Question neutre, le psychologue a sondé l’adolescent, avant d’avoir un regard amusé.
Assis sur la banquette, Yui a laissé choisir à Lindsey les plats sur la carte, avant de congédier le serveur.

-Soit. En fait, je me fiche de cette réponse, Lindsey. Mais quoiqu’il en soit, ne confondez pas douleur mentale et douleur physique. La votre est forcément liée à vos incidents de santé et je ne peux soigner le visible.

Le temps efface les douleurs.
Une plaie non soignée s’aggrave dans le temps. Une blessure morale s’estompe. Mais une chose est sûre, elles ne disparaissent jamais. L’une et l’autre sont trop liées entre elle. Yui a réfléchi un long moment, le regard fixé sur ses doigts. Il connait la pathologie que porte Lindsey pour avoir pris connaissance de son dossier et de ses antécédents, comme tout bon personnel médical de l’école se le doit. Il sait aussi les efforts que fait l’adolescent pour se préserver malgré tout, pour le suivre régulièrement.

-Lindsey, ai-je pensé à vous dire que je ne vous ai pas connu aussi rayonnant depuis que nous nous voyons ?

L’adolescente. La candeur et la fraîcheur qui l’accompagne.
Les sentiments et les émotions...
Un bourgeon qui tente de s’ouvrir au monde.

On aurait dit que Valentine se moquait du monde. Alors que Lindsey est dans tous ses états d’inquiétudes sans rien laisser paraître ; courage d’un adolescent.

-A votre avis, pourquoi.

Il est des choses qui ne se guérissent malheureusement jamais. Pourtant, il suffit d’un rien pour pouvoir aérer ces souffrances d’un simple coup. Les thérapies de Valentine n’y sont pour rien dedans et c’est ce qui l’amuse peut être fortement.

[Dis Lin.
Pourquoi devrait-on se voir à nouveau ?
Aurore.]

Yui a longuement médité sur les paroles du jeune Lindsey d’un air presque trop dubitatif. Balayant ensuite l’air d’un geste de la main, avant de se laisser aller plus en arrière sur la banquette, le temps de taper un dernier message.

-Lindsey cessez donc de chercher, je suis l’auteur de votre message, a fait Yui, en attrapant un beignet du bout des baguettes tout en jetant un coup d’oeil sur le portable de Lin. J’avais imaginé que vous sauriez dès le début que j’en étais l’auteur.

Sur ces mots, le psychologue a fait glissé son portable vers Lin, pour attester du premier message envoyé. A vrai dire, Yui ne s’était pas dit qu’il allait réellement passer pour Aurore sous prétexte de tirer les vers du nez de Lindsey. Mais puisque Lin avait parlé de lui-même, le pseudo jeu de rôle ne peut que se dépoussiérer. A grande déception envisageable.

Un long silence s’est écoulé, avant que Yui ne le brise.

-Vous savez Lin, je n’en n’attendais pas davantage de votre part. Il est des choses que vous pourrez toujours me dire, mais d’autres, qu’une certaine autre personne souhaiterait peut être entendre à ma place.

Un sourire amusé a éclairé brièvement le visage du psychologue.

-Il devient difficile de jouer avec une personne ayant déjà des idées bien définies. Alors bien sûr, je pourrai toujours tenter de vous convaincre du contraire de la chose, mais ce serait presque malsain de ma part à votre égard. Allons, ne baissez pas les yeux, Lin, vous savez très bien ce que vous voulez ; faites en sorte que cela fonctionne, vous n’avez encore rien essayé.

Bien évidemment, cela aurait été un plaisir de tenter de corrompre un jeune esprit, mais Yui n’y gagnait pas grand chose à ce jeu. Ou Lindsey, trop innocent. Buvant une gorgée d’eau, Valentine a fixé le garçon d’un regard amusé. Il aurait été peut être plus facile de faire parler Lindsey en lui indiquant dès le début les modalités d'un jeu de rôle tordu; mais avec ou sans, on en arrivait finalement à la même conclusion.

Yui a laissé Lin s’emporter et sortir du restaurant, croisant les mains d’un air trop serein. Un air que n’importe qui aurait eu envie de réduire en bouillie dans une pareille situation. Et puis le psychologue s’est levé, a réglé la note avant de sortir. Une brise fraiche a accueillie cette sortie silencieuse, le temps que, les mains dans les poches –cette posture qu’on verra rarement chez Yui-, son regard retrouve le jeune Lindsey plus loin, sur l’autre rue. Alors Valentine a extirpé une cigarette pour l’allumer, attendant de laisser passer quelques lattes pour rejoindre les pas d’un adolescent. Au final, c’est comme partout ailleurs, on entendra toujours que le psy fait semblant de tout savoir alors qu’il ne sait rien.

-Je n’ai jamais prétendu que mon jeu serait drôle, Lindsey, ne le prenez donc pas à cœur. Vous savez très bien que je suis un menteur. Allons. Regardez moi, au lieu de partir ainsi.

Yui a forcé Lindsey à lui faire face, baissant son regard sur ce bout d’être trop fragile à cet instant. Peu importe les larmes et peu importe les émotions qui se déchaînent en ce moment chez autrui, Valentine a simplement barré la route de l’adolescent pour le serrer dans ses bras.

-Lindsey.

C’est un adolescent, c’est un enfant en proie de sentiment tumultueux pour pouvoir être correctement exprimés. Yui Valentine ne connait peut être rien mais Lin s’est dévoilé de lui-même ces mois durant, laissant voir et apprécier une douce panoplie de personnalité.

-Lin. Je ne suis pas ton ami et je ne pourrai jamais l’être malgré toute ma bonne volonté. C'est exactement comme tu me l'as dis toi-même, je ne peux pas remplacer un autre.

On de devient pas l’ami de son psychologue personnel et encore moins pendant les heures d’entretien. Incompatibles, l’un apporte à l’autre, un trop de subjectivité aveuglante pour rester efficace dans l’exercice de la profession ; du moins, c’est ainsi que le conçoit Valentine. Ce faisant, Yui a tutoyé Lindsey, pour la première fois. De quel droit le fait-il ? D’une manière simple, il s’accorde tous les droits qu’il peut. Dit de manière détournée, c’est à cet instant que se termine son rendez-vous de la journée. Alors quelle est la suite d’un rendez-vous ? Un adulte et un adolescent qui n’ont probablement rien à voir ensemble.

Tout est parti d’un commun accord, pour dériver sur un terrain inconnu. Une surprise telle, que Lindsey n’a pas su l’assimiler sur le coup. Yui n’aura pourtant pas fait grand chose pour cacher son jeu, à ses débuts. Sans songer à s’écarter, il a empêché Lin de s’échapper, en maintenant son étreinte. Une étreinte ni douce, ni brutale. Le bâtonnet fumant du psychologue a glissé de ses doigts et est allé roulé plus loin, s’éteignant en silence dans son coin.

-Ne me fais pas confiance, ne me crois pas. Ressens juste les choses dans leur fond, telles qu’elles ont dû l’être pour Aurore sur le coup. Peut-être était ce quelque chose de plus intense pour lui, peut être l’était-ce moins, je n’en sais rien. Mais tu peux encore poser à plat tous les non-dits.

Et des non-dits, il en reste encore tellement plein.
Yui a finalement relâché le garçon, pour lui lancer un regard froid. Le froid naturel de monsieur Valentine.

-A mes yeux Lindsey, tu es ce que tu es, point final. Quant à moi, je détiens un rôle inutile dans ta relation avec ton ami. Rends toi bien compte... que tu me racontes tout ce que tu n’as pas encore su dire à Aurore, ai-je tord?

Passe un silence, avant que Yui ne reprenne la marche.

-Tu n'as jamais eu besoin de m'écouter.

-Et bien. Il est des fois où... prendre un peu de recul est la meilleur façon de se comprendre, a simplement badiné Yui, comme absorbé dans sa marche. Oh, rien à voir avec la lâcheté Lin. Tu le seras lorsque tu auras abandonné une affaire sans aller au bout de la chose.

Ce qui n’est pas vraiment le cas présent aux yeux de Valentine, puisque Lindsey se raccroche justement encore à tout. Suivant le regard de ce dernier, le psychologue a scruté le ciel pendant un moment. Un ciel couvert pour une soirée estivale...une averse en perspective. Ils ont tous deux arrêté d’avancer un moment pour observer cet horizon sombre au dessus de leur tête et une une goutte a dégouliné sur le front pale de l’adolescent . La minute d’après s’est ensuivie avec une série d’autres gouttes éparses, rendant inutile toute initiative d’effacer la première.

-Non... il pleut, a simplement contredit Yui avant de rajouter, face au sourire claire du garçon, comme toi en ce moment.

Sauf que le temps, lui, ne se retient jamais.
Haussant des épaules le psychologue a fait mine de n’avoir rien dit et a fini par ébouriffer les cheveux du jeune Lindsey.

- Allons. Ne sois donc pas stupide, je sais déjà que tu me fais confiance.

Nulle besoin de qualifier une relation et peu importe ce qu’elle est. Les patients de Valentine sont tous uniques en leur genre, inutile de le nier. Et c’est peut être là une raison d’en perdre aucun, à la longue... bien que Yui souhaite silencieusement à tous, de savoir se passer de sa (majestueuse) personne pour pouvoir évoluer un jour sans son intrusion. Mais Yui Valentine avouerait sans le moindre remord que le jour où le monde irait bien, il s’ennuierait de pied ferme. Au loin, gronde le ciel d’un ton sourd, quelque part bien derrière l’enceinte de l’institut Keimoo.

-D’une manière où d’une autre, tu as le don de te torturer inutilement, Lin. En soi, c’est une qualité comme un revers de la chose... m’enfin. Reste donc franc avec Aurore, au lieu de de triturer les méninges inutilement, ta personnalité est après tout la plus belle des choses que tu peux lui montrer. Tu sens toute cette pluie ? Et bien beaucoup ne l’aime pas... mais il suffit simplement de l’accepter pour qu’elle ne devienne pas un calvaire.

Un sourire amusé en coin, Valentine a ouvert les bras un instant, comme si la pluie pouvait l’emporter tel le vent le fait avec les feuilles à terre.

Si tu pleures, pleure jusqu’au bout; si tu ris, ris sans te poser de question. A quoi bon appréhender une chose qui n’est pas faite ? Et si tu cherches un endroit où cacher tes faiblesses, viens donc me voir quand tu veux.

Revenant sur ses pas, le psychologue s’est éloigné d’un pas tranquille, ignorant les passagers occupés à courir trouver un abri.