Ou es-tu? Je suis perdu... [PV Myle]

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Trois jours… cela faisait à peu près trois jours que Shin était revenu à Keimoo. Ceux-ci avaient été mouvementés et bien remplis… assez pour qu’il ne se prenne pas la tête. Cependant, aujourd’hui, c’était le calme plat. Le temps était orageux. Les nuages gris s’agglutinaient ensemble pour former une masse menaçante au-dessus de nos têtes. Il était d’humeur morose et le ciel s’en accommodait fort bien.

Le jeune homme allait de salle en salle, de cours en cours, traversant étages et bâtiments. Ses professeurs toléraient son ordinateur car il ne pouvait toujours pas écrire mais il pouvait pianoter sur les touches d’un clavier. Cependant, rien n’y faisait. Le gothique n’était pas concentré. Son air était rêveur. Ses yeux fixaient un horizon depuis longtemps disparut. Un peu comme une relation. Une personne que Shin n’avait toujours pas revue. Une rencontre qu’il espérait et redoutait car même si l’on pouvait occulter les souvenirs, la douleur, elle, restait bien présente au fond de l’âme. L’étudiant l’avait fait souffrir. Sin avait réussi son coup, il avait brisé ce lien auquel il tenait. Ce garçon qui hantait ses pensées, qui le faisait désespérer.

Son ancre dans les remous de la mer, ses ailes dans le ciel, sa boussole sur terre, son pied-à-terre dans cet enfer.

Myle ! Myle ! Myle ! Ou es-tu ? Je suis perdu…

Shin a besoin de le voir. C’est important. Il erre pendant ce temps entre le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres. La pluie tombe, le bateau prend l’eau mais il n’a plus de gouvernail. Il n’a plus de cap. Il perd pied. Il est trempé jusqu’aux os. De sensible, il passe au monde inintelligible. Une ombre s’engouffre dans un couloir et s’échoue… Perdue dans un endroit qu’elle ne reconnaît plus.

Elle est éphémère et vaporeuse. Elle s’effrite doucement. Elle prend tout son temps. Pourtant, la douleur ne va qu’en grandissant. Quelque chose la palpe. C’est doux, c’est chaud. Rassurant, réconfortant. Une main, un geste, un mot, un prénom. Le sien. Qui est-ce ?

L’eau continuait de goutter mais c’était en train de sécher. Tout sèche au soleil. Il était là, maintenant, bien présent. Le voile d’ombre qui recouvrait les yeux de Shin se leva. Ses larmes coulèrent le long de ses joues. Il ne put s’en empêcher. Hésitant, dans un murmure qui fut plus proche du souffle, il prononça le nom de la personne qui lui faisait face :

« Myle… »

Sa main bandée vient se poser sur celle de l’artiste. Inquiet, le jeune homme chercha ses prunelles.

« Pardonne-moi… »

Invité

Cela faisait un bon moment que Myle n'avait pas goûté à une véritable chaleur humaine, celle qui nous fait oublier que nous naissons et que nous mourons seuls en toutes circonstances. Plus il y pensait, plus il se demandait si il pourrait se reconstruire après tout ce qu'il lui était arrivé. Il avait outrepassé la majeure partie de ses principes, souillant ainsi le souvenir de l'enfant qu'il avait été, et qui ne vivait autrefois que pour un seul et unique univers dont lui seul avait la clé. Il se fichait bien de tous ces visages souriants, suintant d'une fausse mansuétude et d'une hypocrisie qui lui donnaient envie de vomir. Il n'aspirait qu'à se replier sur lui-même, à se recueillir dans cette petite mort de l'âme qui passerait inaperçue, maintenant que cet homme avait fini de l'achever, de le faire succomber en lui infligeant un mal-être sans nom. Même son père qui avait pour habitude d'entrer dans des colères mémorables quand il le surprenait à dessiner au lieu de prendre en mains son avenir, n'avait pas été aussi ignoble et sans cœur avec lui, conduit par une passion mortelle qui aurait pu venir à bout de notre artiste. Et à la place de se rebeller comme il l'avait fait avec cette saleté de progéniteur, il restait silencieux, terré dans un mutisme que lui-même ne pouvait s'expliquer. A maintes reprises, il avait essayé d'en parler à quelqu'un, de se confier, mais en chaque être dont il croisait le chemin il ne voyait qu'une fausseté qui le dissuadait de dévoiler ses contrariétés. Il ne se sentait pas l'âme d'un conquérant, et il n'avait jamais été aussi faible et impuissant que maintenant, aussi physiquement que mentalement. La lame invisible que Sin avait plantée était restée nichée près de son cœur, ce dernier saignant abondamment sans pour autant abandonner cette étincelle de vie qui luisait encore un peu dans le regard de notre dessinateur.

Fort heureusement, dans ce mal qui le rongeait de l'intérieur, il trouvait encore la motivation pour produire toujours plus d'œuvres artistiques, qu'il avait fini par exposer dans cette chambre où il avait été seul du jour au lendemain. Il en avait fait son musée, y dévoilant chaque pan de sa personnalité et la majeure partie de ses états d'âme qu'il ne pouvait exprimer autrement que par ses coups de crayons. Il tournait en rond, il courait quelques fois pour évacuer ce surplus de honte et de rage et cela toujours sans se plaindre. Seule sa respiration pourtant calme et régulière pouvait témoigner de la vie qui résidait dans cette épave humaine. Elle avait fait naufrage sur une étendue plus qu'aride, où l'amour et l'affection avaient laissé place à une ignominie et à une cruauté spécifiques aux Hommes, lorsqu'ils se déchiraient sans se soucier des conséquences. Il contemplait rêveusement et mélancoliquement ce sable basané, symbolisant la disparition de toute renaissance. Cette dernière n'était plus qu'un fantasme, et il ne pouvait croire une seule seconde que son unique amour reviendrait auprès de lui pour demander pardon. Il avait semblé si dénué de toute humanité en agissant de la sorte, qu'il n'osait espérer le voir, les yeux larmoyants, les membres flageolant sous l'emprise d'une opprobre qui le tétaniserait littéralement. Ce n'était qu'un délire parmi tant d'autres, une illusion dans laquelle Myle s'immergeait malgré son improbabilité.

Ses insomnies étaient nombreuses et insupportables. Quand il ne se roulait pas en boule dans son lit dans l'espoir que le dieu du sommeil vienne le chercher, il faisait les cent pas dans sa caverne, ou en sortait pour s'aventurer dans les couloirs désertés de l'académie. Par les fenêtres, il admirait le paysage stellaire que la nuit lui offrait, et face auquel il s'émerveillait. Cette vision pourtant routinière lui permettait de faire abstraction de ces fantômes qui finiraient bien par happer sa raison. Il savait qu'il allait devenir fou dans cette attente insurmontable, mais il tenait bon. Il ne cèderait pas à cette folie qui lui pendait au nez, il ne se découragerait pas et tenterait d'avancer.

Ce fut donc sur ces pensées plus positives qu'à l'accoutumée, qu'il poursuivit son périple nocturne jusqu'au moment où il entendit cette voix tant désirée l'appeler. Elle clamait son nom comme dans une longue litanie qui suffisait à briser son cœur en mille morceaux, explosant de joie à l'idée de renouer avec celui qui manquait à son présent. Ainsi, les rumeurs étaient vraies, il n'avait pas halluciné en entendant dire que le Gothique à la double personnalité était revenu d'un voyage éprouvant, riche en rebondissements et en éternelles remises en questions. Les lèvres de l'artiste se resserrèrent pour étouffer un gémissement de souffrance. Il était à nouveau en face de lui, incapable de bouger d'un centimètre. Il aurait pu prendre racines au point où il en était, mais il était encore suffisamment éveillé pour prendre conscience du retour de Shin. Et harcelé par un pathos plus qu'affligeant, il se braqua et rentra ses épaules comme pour se protéger de ce monstre incompréhensible. Une main bandée effleura sa chair, et ses prunelles acceptèrent de fixer les siennes, qui les cherchaient activement. Maintenant il avait toute son attention, et ce pardon que l'artiste avait tant espéré s'échappa finalement de sa bouche, agissant comme un baume de soin cependant insuffisant pour rattraper toutes les erreurs accumulées. Brusquement, la main de Myle se referma sur celle de son interlocuteur, ne souhaitant en aucun cas la lâcher.

- Où étais-tu ? Pourquoi est-ce que tu es parti sans rien dire ?

demanda-t-il d'une voix faible.

Cette question, il l'avait méditée pendant des mois. Cette période d'introspections avait suffi pour le couper du monde, notamment du piètre cercle amical qu'il peinait à garder autour de lui. Elle avait aussi suffi à lui faire oublier toutes les fautes commises par Shin, ce qui l'avait forcément incité à disparaître temporairement de Keimoo. Qu'on se le dise, son geste était justifié, mais le teint fiévreux de Myle ainsi que sa démarche chancelante, prouvaient que tout effort de mémoire serait vain de sa part. Il n'avait pas mangé sainement depuis des lustres, son corps était affaibli. Il n'avait que son Imagination, force trompeuse de son esprit, pour le maintenir en vie.

- Tu sais, après tout ce que tu m'as fait, je me demande comment j'ai fait pour désirer ardemment ton retour. Mais maintenant tu es là, seulement je ne sais toujours pas qui tu es. Est-ce que tu es le garçon que j'ai connu ?

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