She had a good deck but she picked the wrong card

Parvenir à trouver sa cavalière dans pareil océan de valentines potentielles, ça revenait un peu à chercher une anguille dans une meute de chiens. Ce qui est tout aussi absurde qu’improbable, je vous l’accorde. Et pourtant, ça n’avait pas l’air de gêner l’adolescent, qui, pour une fois, acceptait de se prêter à un jeu autre que le sien. Ce n’était pas plus mal cela dit, pour peu qu’on aie l’esprit de contradiction ; c’est difficile de braver ses propres interdits. Pourtant, ce soir et rien que pour ce soir, le jeune homme s’était presque juré de bien se tenir et de se comporter en gentleman. Presque, parce que vous comme moi savons très bien que cela revenait à promettre la Lune. Ou le Lun si vous préférez, puisqu’après tout, le résultat est le même. D’ailleurs, en parlant de ça, s’il y avait bien un avantage aux soirées costumées, c’est qu’en théorie, même s’il croisait un ou des indésirables dont on ne citera pas le nom ici (même si c’est presque déjà) il ne devrait pas les reconnaître, et réciproquement. Ou du moins, on l’espère.

Mais assez palabré. Cela faisait déjà plusieurs minutes que la racaille se contentait de scruter minutieusement chaque participant du bal, homme ou femme sans exception. Comme s’il ne cherchait pas sa valentine mais plutôt un potentiel compagnon de jeu. Je vous avais bien dit que sa promesse ne ferait pas long feu ! Durée de vie estimée ; 00h07min11s. Une honorable performance qui le serait encore plus si le temps de trajet pour arriver jusqu’à la salle du bal n’était pas pris en compte, je vous l’accorde. Mais peu importe. Ce soir, notre Cendrillon improvisée ne trouva pas chaussure à son pied. Il ne lui restait plus qu’à se rabattre sur son cobaye attitré, en espérant qu’elle relève un tant soit peu le niveau. Parce qu’il faut avouer qu’entre les mièvreries des uns, les niaiseries maladroites des autres et les tentatives de flirt ratées, la barre n’était pas bien haute ; au ras des pâquerettes, tout au plus. S’il y avait un avantage à être protestant, c’était bien de pouvoir prier pour ne pas tomber sur une pimbêche. Quoique, ce pourrait presque être intéressant.

Toujours est-il qu’à dire vrai, il avait déjà aperçu sa cavalière de ce soir. Mais bien sûr, au lieu de courir la rejoindre comme l’aurait probablement fait la majeure partie des valentins digne de ce nom, Sora était demeuré sur son perchoir comme un oiseau de mauvaise augure, à détailler la populace, un verre à la main. Verre dont il ignorait parfaitement la contenance, si vous voulez tout savoir ; il s’agissait d’un cocktail alcoolisé lourdement sucré, et il n’y avait pas besoin d’en savoir plus pour plaire à ses délicates papilles. S’il n’avait pas le sens de l’esthétique, il ne se serait pas gêné pour dévorer tout le sucre glace qui ornait les bords de son verre. Cela dit, cette idée là non plus n’allait probablement pas faire long feu, connaissant ses appétits boulimiques pour tout ce qui est doux et sucré.
Mais peu importe. Pour l’heure, il devait retrouver sa partenaire, puisque bien entendu, elle en avait profité pour filer on ne sait où, disparaissant dans la masse de gens entassés çà et là. Heureusement pour notre rouquin, la description qu’on lui avait remise était suffisamment précise pour ne pas avoir à hésiter entre deux belles ; mieux, elle était accompagnée d’une photo. Forcément, ça facilite la tâche.

Emportant son verre avec lui, l’adolescent se mit donc en chasse, se faufilant sans délicatesse aucune entre quelques poignées d’imbéciles heureux qui, pour toute activité constructive, avaient choisi celle de rester plantés comme des poireaux un peu partout, mais surtout sur le chemin de la brute. Pas de pitié pour les obstruateurs de voie publique ; les premiers avaient cordialement été envoyés sur les roses, les seconds avaient compris la leçon et s’écartaient sur son passage. Pourtant, malgré toute la discrétion dont Sora avait pu faire preuve, sa belle n’avait même pas daigné lui accorder un regard, lui tournant encore et toujours le dos. Soit elle était sourde, soit elle était trop occupée pour se rendre compte de tout ce tapage. Ou peut-être bien qu’elle s’en fichait. Enfin, qu’à cela ne tienne, bénéficier de l’effet de surprise est toujours un plus après tout, on ne va pas s’en plaindre. S’approchant donc de sa cible à pas de loups, il vint passer un bras insolent autour de son cou, tenant toujours du bout des doigts un verre presque vide, et se servit de sa main libre pour soulever délicatement le menton de la douce, plantant un regard flamboyant dans ses prunelles grises, leurs visages n’étant qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.

« Navré de te l’apprendre, mais si tu espérais tirer le Roi de Cœur, c’est râpé. », commença-t-il doucement. S’il ne portait pas un masque couvrant la totalité de son visage, on pourrait admirer son éternel sourire mauvais rayonner de toute sa splendeur. Continuant sur le même ton, il déposa alors son verre dans les mains de l’inconnue ainsi que le morceau de papier que lui avait fait piocher ue hôtesse quelques minutes plus tôt, sans vraiment se soucier de ce que sa cavalière pourrait bien trouver à y redire.
«Cela dit, tu y gagnes au change. L’As de Pique est bien meilleure carte. »

Tout le monde ou presque avait trouvé chaussure à son pied pour la soirée et ça se pavanait sec. La jeune nippone faisait la moue oubliant que seule la moitié haute de son visage était cachée, donc sa moue désapprobatrice eut pour effet de faire fuir le peu de prétendant qui avait osé s'approcher d'elle.
Perdue dans des pensées sadiques pour son "prince charmant" de la soirée, en effet, elle ne l'entendit pas venir, ce ne fut que lorsque les doigts masculins vinrent frôler son délicat menton -enfin pas si délicat quand on sait les coups qu'il peut prendre- pour lui lever la tête...tombant nez à nez avec un homme masqué.

Hahaha...à quoi s'attendait-elle? Bien sûr qu'il serait masqué! Quoique ce regard et cette tignasse rousse pourrait être reconnaissable si elle s'occupait un peu des gens qui l'entourait.

« Navré de te l’apprendre, mais si tu espérais tirer le Roi de Cœur, c’est râpé. »

Au moins il avait de la répartie, elle ne s'ennuierait peut être pas. Ne lui laissant pas le temps de répondre la voilà avec un verre puant l'alcool dans une main et un morceau de papier dans l'autre avant de poursuivre sa tirade:

«Cela dit, tu y gagnes au change. L’As de Pique est bien meilleure carte. »

Un sourire se dessina sur les lèvres d'Aya pendant qu'elle lui remettait son verre dans les mains pour tirer de son décolleté le cadeau qu'elle devait offrir à son partenaire si elle avait tout compris, enfin ça c'était moins sûr avant de laisser chanter sa voix, légèrement mielleuse mais on ne s'y trompait pas l'ironie de son partenaire se retrouvait derrière le miel:

"Il est bien impoli d'aborder ainsi une femme, bien que ce soit je dois l'admettre fort agréable. Ensuite, il me semble que contre ton bout de papier je dois te remettre ça, un porte bonheur chinois, bien que je ne sois pas sûre qu'il te porte chance ce soir mais sache que pour moi un roi de cœur est souvent trop tendre..."

Regard légèrement dégoûté vers un couple qui roucoule puis le regardant avec un air malicieux et des prunelles exceptionnellement bleu envoûtant, elle lui reprend le verre pour boire une gorgée et piquer un peu de sucre, délice des papilles avant de lui rendre, continuant de chanter:

"Je ne pense pas que tu sois tombé sur une dame de cœur mais essayons de cohabiter pour cette soirée ne?

Qui sait peut être est-ce un bon tirage après tout."

Regardant la salle, elle lui indiqua qu'elle le suivrait, se laisser guider pour une fois, arrangeant au passage discrètement le haut de sa robe qui avait un peu trop bougé quand elle avait reprit les cadeaux de la saint Valentin.

Impoli ? Le malappris en question ne put retenir un ricanement amusé. Et pour cause, connaissant le personnage, c’était un peu comme enfoncer des portes ouvertes ; et c’est bien la raison pour laquelle il ne répondit rien, si ce n’est ces quelques éclats de rires. Sora reprit pourtant vite son sérieux lorsque sa valentine lui présenta le fameux porte-bonheur chinois. Il faut dire que l’endroit où il avait été rangé s’avérait particulièrement curieux mais néanmoins original, et notre man pas si gentle que ça ne se gêna pas pour y couler un regard un tantinet guilleret.
Quoi ? N’importe qui aurait fait ça. Et puis, rappelons-le, même s’il y avait plus de garçons qui lui tournaient au tour que de filles, notre américain était à la base hétérosexuel -même si maintenant on commence sérieusement à en douter, m’enfin, passons.

Ne sachant trop que faire d’un pareil présent, l’heureux élu se décida finalement à l’accrocher à l’une de ses boucles d’oreilles. Oui, c’est vrai. Si ce bal n’était pas également organisé en l’honneur du carnaval et du nouvel an chinois, c’aurait été parfaitement ridicule. Mais comme la vie est bien faite, il n’en était rien ; au contraire, ça donnait un petit air festif à son accoutrement de fossoyeur moyenâgeux. Et puis après tout, Sora ne pouvait pas être ridicule. C’est antinomique.

« Disons que pour l’instant, il ne commence pas trop mal sa carrière. » commenta-t-il en désignant le porte-bonheur en question.

Oh-oh. Sora qui se fend d’un compliment –si on peut appeler ça comme ça- ce n’est pas tous les jours qu’on peut assister à pareil spectacle. Même si le compliment en question était suffisamment implicite et subtil pour qu’il puisse nier toute responsabilité en prétextant qu’il n’était là que pour faire la conversation. Il suivit le regard de la belle se poser sur deux tourtereaux non loin de là qui exprimaient ostensiblement leur joie de vivre et leur amour l’un pour l’autre, satisfait de la moue réprobatrice que sa cavalière afficha. Au moins, ils étaient d’accords sur une chose. C’est un bon début.
Pourtant, lorsqu’il découvrit leur deuxième point en commun, il n’en fut pas tout aussi ravi. Aimer le sucré, c’est bien. Mais au point d’en piquer le verre de Sora, c’est mal. Même s’il lui avait presque offert quelques instants plus tôt, d’ailleurs. Ça, c’était un détail. Malheureusement il n’eut même pas le loisir de faire entendre son mécontentement puisque la roublarde continuait son discours innocemment.

« Dame de cœur ou valet de trèfle, c’est du pareil au même. L’as est appelé à régner en maître absolu. » lui rétorqua-t-il malicieusement, et ce avec toute la modestie du monde, avant de se reprendre : « Mais on fera une exception pour ce soir. Tout dépend du jeu auquel on joue, à vrai dire. »

Effectivement, l’As peut aussi bien être la carte la plus forte du jeu que la plus faible. Mais ça, bien évidemment, on évitera de le signaler. Et ainsi, avant de commencer les festivités, notre As de Pique prit soin de couper court à toutes les petites traditions et autres cérémonies révérencieuses qu’ils étaient censé respectés au cours de la soirée. Autrement dit, l’échange de cadeau. Une fois ce petit détail réglé, tout sera bien plus simple ; quand bien même sa cavalière lui fausserait compagnie pour une raison x ou y, il serait déjà déchargé de toute responsabilité envers elle. Et comme on sait tous que Sora est une vraie teigne, c’est plus que probable que ça se finisse comme ça. Autant prendre les devants, donc.

C’est pourquoi il tira de la poche de sa veste une petite boîte rectangulaire dont seul le couvercle était orné d’un ruban noué, pour ne pas gêner son ouverture, avant de le lui présenter en souriant pour lui-même. Maintenant qu’il y pensait, il aurait pu faire un cadeau piégé. C’est d’ailleurs ce à quoi quiconque s’attendrait, pour peu qu’il connaisse Sora. Mais non, pas cette fois ! Il était resté sobre et classique, sans vraiment se soucier des goûts que pourrait bien avoir sa partenaire. Force est de constater que de toute évidence, ce présent satisfaisait pleinement les siens, et c’était tout ce qui comptait à ses yeux. (Egoïste, vous avez dit ? > :D) Et là, tout de suite, vous vous demandez « Mais qu’est ce qui peut bien correspondre aux goûts de Sora, dans une si petite boîte ? » Hé bien, rien à voir avec sa passion première, à savoir le skate. Mais il reste encore deux autres choses sacrées pour cet adolescent ; enfin, une seule en vérité, puisque l’autre est tout simplement lui-même.

Vous avez deviné ? Oui ? Non ? Hé bien voilà la réponse : les Chupa Chups. Et je vous arrête tout de suite, ce n’est ni un paquet de sucettes ni une sucette géante que contient la petite boîte. C’est un petit plus raffiné que ça ; des boucles d’oreilles. En forme de Chupa Chups. Tout à fait. Le bâtonnet était fait d’argent massif et la sucette en elle-même de cristal ; rien de trop extravagant, en somme. Mais ça n’en reste pas moins un cadeau inestimable venant de la part de l’incarnation charnelle du prophète du Dieu Chupa. Prophète qui, une fois après avoir remis son divin présent à l’élue non pas de son cœur mais de cette soirée, lui présenta son bras pour l’entraîner plus avant dans la fête, lui murmurant un « Et joyeuse Saint-Valentin… » sournois.

S’amuser à passer en revue toutes les filles de l’académie pour trouver la seule et unique qui porterait des boucles d’oreilles en forme de Chupa Chups, une fois la fête ? Très peu pour So’. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! S’il tombait dessus par hasard, tant mieux, sinon, tant pis. Il avait d’autres chats à fouetter. Ce qui ne l’empêcha pas de répondre un « Je n’y manquerais pas. » faussement mielleux, pour la forme. Ou peut-être était-ce pour faire plaisir à sa cavalière ? Ohla, minute papillon : Sora, faire plaisir à quelqu’un ? Inconcevable. On se reporte donc sur la première hypothèse.
N’ayant rien d’autre de particulier à ajouter, ou plutôt lassé de tout ce brouhaha ininterrompu qui les étreignait, il entreprit d’emmener sa cavalière un peu à l’écart de toute cette populace tapageuse. Ce n’était ni vraiment dehors, ni vraiment dedans ; un peu entre les deux. Proche des portes, une petite bise nocturne venait allègrement leur lécher l’épiderme tandis que la fraîcheur de la nuit leur apportait ses discrètes effluves, mais ils n’en restaient pas moins à l’intérieur du bâtiment.

Donnant toujours le bras à sa partenaire, Sora finit par opter pour un moyen de locomotion certes moins cérémonieux, mais plus pratique. Doucement, il lui prit la main alors qu’il pivotait sur lui-même pour s’adosser au mur, l’attirant légèrement sans relâcher son emprise. Il n’avait pas usé de suffisamment de force pour qu’elle vienne directement se blottir dans ses bras, et il n’en avait aucune intention ; en théorie, il ne faisait pas partie de ceux qui profitaient de l’évènement pour le transformer en débauche générale. Et puis s’il le faisait, il ne pourrait plus la fixer dans les yeux, et Sora étant un animal primitif et archaïque il s’exprimait avant tout à travers le regard. Regard qui s’avérait pour l’instant tout aussi mystérieux que malicieux, amusé et intéressé alors qu’il répondait à la belle d’une voix suave.

« Ca dépends, à quoi veux-tu jouer ? »

Il faut l’avouer, la définition qu’avait Sora du verbe "s’amuser" était très particulière, et peu la partageaient entièrement. Lui trouverait toujours un moyen de s’amuser, et c’était sur cette seule idée que se construisait chacune de ses journées. Mais pour une fois, juste pour cette fois, il avait envie de jouer à un jeu qui n’était pas sien. Il curieux de savoir ce que pourrait bien lui proposer sa valentine. Curieux de connaître le sens que pouvait prendre ce verbe, quand ce n’était pas lui qui le définissait.
Sans relâcher la main de la jeune fille, il finit par réaliser qu’un masque qui lui couvrait l’intégralité du visage serait plus une gêne qu’autre chose. C’est donc sans plus de concessions qu’il planta ses ongles dans la partie inférieure droite de son masque, le brisant avec une certaine facilité qui ne laissait planer aucun doute quant à la force dont le jeune homme pouvait faire preuve. Les débris s’émiettèrent lourdement sur le sol alors que sa joue droite et ses lèvres se découvraient entièrement ; il n’alla pas plus loin, de peur de le briser totalement, et finit par planter un regard de braise dans celui de sa cavalière, regard qui signifiait clairement son impatience quant à la suite des évènements.

« Je te préviens, je ne suis pas très porté sur le romantisme. » crut-il bon d’ajouter alors que ses lèvres s’arquaient en un sourire narquois qui ne présageait rien de bon. Nul doute qu’il espérait ardemment qu’elle ait les mêmes goûts que lui en terme de divertissement, quand bien même en sachant pertinemment que les chances que ce soit le cas avoisinent désespérément le zéro absolu.