Un peu de repos [pv Ayame Masuda]

La journée avait passée a une vitesse effarante a ses yeux. Presque comme toute les journées, en fin de compte. En effet, elle etait dans une période de création, surtout suite a ces semaines de Golden-weeks qui lui avaient donnés du temps. Cette année plus particuliérement, avec la mise en place du nouvel Empereur, il y avait eu quasiment deux semaines de jours fériés cumulés qui lui avait permit de s'enfermer un bon paquet d'heures, simplement dans l'optique de composer et de s'ateller a la création de nouvelles œuvres. Et pourtant elle etait la, devant son piano, appuyée de tout son poids sur le dossier du petit banc, la tete en arriere quasiment a l'horizontale, en attente.

Rien ne venait, c'etait presque tragique a ses yeux. Par moment elle se levait, et marchait autour de son instrument. Puis attrapait sa guitare et lançait quelques notes au hasard, sans que cela ne reveille rien chez elle. Pas une souche d'inspiration. Cela faisait un moment que cela ne lui etait pas arrivé, mais c'etait le cas pour tout artiste a un moment ou a un autre. Elle n'en etait pas inquiete, plutot agacée. Elle forçait depuis la veille, dans cette piece. Sans dormir, mangeant a peine, buvant bien moins que ce qu'elle buvait habituellement.

C'est d'ailleurs en se penchant vers la bouteille qu'elle constata que cette derniere etait totalement a sec. Elle soupira, et commença a se lever, s'étirer, puis attraper le petit recipiant longiline en verre qu'elle utilisait, une sorte de thermos en somme. D'une couleur verte pomme, l'objet l'accompagnait dans son fourre tout depuis quelques mois, quand on lui avait dit qu'elle ne pouvait pas profiter eternellement des bien-fait de la croissance pour garder totalement sa ligne. Elle n'avait eu aucun signe qu'elle devait faire des efforts, mais dans le doute, elle preferait faire des efforts qui n'en etait pas vraiment. Vu le peu qu'elle mangeait, c'etait meme plutot l'inverse qu'il fallait surveiller. Boire beaucoup, on disait en général qu'un litre par jour etait un minimum. Aussi, elle suivait avec scrupule ces indications.

Elle poussa la porte du pied. Le systeme qu'elle avait fait installer etait a la fois totalement hermetique aux sons, mais également facile a ouvrir, sans poignet, avec une simple pression contre la paroie. Un simple caprice, elle avait trouvé ça cool sur le moment. Elle qui avait toujours les mains pleines, les bras chargés, elle pouvait ainsi ouvrir le panneau avec une pression du pied ou de l'épaule. Pratique. Elle déscendit l'escalier, écoutant les sons aux alentours, ce qu'elle faisait continuellement, ce travail sur le bruit. Et comme d'habitude, le son majoritaire qu'elle entendait etait le silence ambiant. Sa mere etait en concert en europe de l'est, son pere parti dans elle ne savait qu'elle branche de l'entreprise familiale. Son frere sans doute faisant...ses trucs. Sa sœur en train d'écumer les boutiques ou bien de travailler aux nouvelles collections de sa boite. Sa grande sœur avec son pere...probablement. Ou alors avec Hayden. Peut etre.

Alors qu'elle revenait avec sa bouteille pleine d'eau, elle entendit Taki se dirigeait vers la porte. Il n'y avait plus que lui qui parlait avec l'adolescente en ce moment. Il s'occupait d'elle depuis l'enfance, et malgré son air severe, il l'aimait beaucoup. Et c'etait réciproque, elle aimait bien lui montrer ses compositions. On avait sonné, a priori, et voilà qu'il ouvrait la porte, et laissait passer la meme rengaine habituel. « Bonjour monsieur », l'entendit elle dire a l'inconnu, «vous etes bien au domicile Masuda, que puis-je faire pour vous... ? »

Pas vraiment attractif, la traduction etait clair. « Si vous n'avez rien a faire ici, alors allez le faire ailleurs ». Aussi, Ayame décida sur un coup de tete que c'etait clairement la chose la plus interessante qui etait passé devant ses yeux durant les dix dernieres minutes. Et comme c'etait ça ou retourner tourner autour de son piano, elle prit son élan, et s'élança en courant. Elle etait légére et faisait peu de bruit, mais le majordome avait plus que l'habitude de ce qu'elle s'appretait a faire. Aussi il s'excusa au garçon, et quand elle sauta, les deux pieds en avant pour le tacler, il esquiva habilement, la laissant glisser sur le parquet, puis sur les marches en pierre. « Aie aie aie », rebondissant jusque dans la rue, sur le trotoire. « ...Arch aie. »

Pas vraiment en tenue pour sortir, elle portait simplement un débardeur trop grand et un short de pyjama. Elle roula sur le dos, observant le ciel, restant silencieuse un instant. Taki avait déjà fait deux pas vers elle a cet instant la.

- Dois-je supposer que mademoiselle s'occupe de l'invité ?

Elle redressa la tete et observa le garçon en question. Elle resta peu de temps interdite, elle avait une parfaite mémoire des visages. Moins des noms.

- Oh c'est....toi. Le garçon du théatre.

Sous entendu, le fils de la femme avec qui elle avait fait une représentation, plusieurs mois auparavant. Plus ? Un an peut etre.Difficile d'etre sur encore une fois. Cela pouvait faire une éternité, comme simplement une semaine, elle avait perdue la notion du temps depuis un moment. Elle se redressa sur les fesses, ramenant ses jambes en tailleurs, et se frotta les côtes, a la fois pour anésthésier la breve douleur, mais aussi pour se donner une contenance instinctive.

- On devait se voir ? Désolée, si c'est le cas alors j'ai totalement oubliée. Ca fait combien de temps qu'on s'est pas vu d'ailleurs... ? J'ai pas allumé mon téléphone des trois derniers jours alors....

Elle se redressa, et retourna sur le pas de la porte, lui faisant signe :

- ...Tu viens ? Ou alors tu preferes rester dehors ? Il fait chaud déjà.

L’homme qui lui ouvrit affichait une certaine rigueur, un air sévère qui lui permis d’identifier cet inconnu comme étant le majordome de la maison. Le ton qu’il prit pour lui adresser la parole le confirma dans cette hypothèse.

« -Bonjour, fit Viggo en retirant sa casquette et ses lunettes, je suis… Je m’appelle Viggo, Viggo Nyström. J’avais déposé Ayame Masuda ici, il y a plusieurs mois et… »

Le jeune homme se racla la gorge en cillant rapidement, sans lâcher le majordome du regard :

« -Je voulais savoir si Ayame Masuda était disp… »

Un tapotement du pied, presque imperceptible se fit entendre derrière le majordome. D’un seul coup, l’homme s’écarta soudainement. Il eut le temps de voir une silhouette glisser au sol à toute vitesse dans sa direction. Par réflexe, il se décala sur le côté. Viggo pu alors observer la jeune femme dévaler l’escalier, laissant échapper un « aïe » à chaque marche sur laquelle elle rebondissait. Pas de doutes, même en pyjama, Ayame Masuda, soignait toujours autant ses entrées.
Une fois que le majordome se soit approché d’elle et lui ait parlé, Viggo la vit rester un instant interdite alors qu’elle croisait son regard. Il hocha simplement la tête, regardant un peu ailleurs quand elle l’identifia comme « le garçon du théâtre ». Techniquement, il n’en avait jamais fait, mais il voyait où elle venait en venir et compris qu’il n’avait pas vraiment laissé un souvenir impérissable à la chanteuse.

« -Pas vraiment. Je passais par là et puis… »

Elle avait raison, il faisait plutôt chaud, même en cette fin d’après-midi. Heureusement qu’il avait laissé sa veste dans la voiture. Il la suivit à l’intérieur après qu’elle lui ait fait signe.
L’endroit ressemblait à la plupart des demeures de familles fortunées qu’avait vu Viggo dans sa vie, à chaque fois que ses parents se rendaient à des dîners chez des amis aussi riches, des collègues de son père ou des artistes que connaissaient sa mère. Hormis les odeurs inconnues, il ne se sentit pas vraiment dépaysé par l’intérieur de la demeure des Masudas. Bien qu’il s’agissait de la troisième ou de la quatrième fois qu’ils s’étaient vus, il réalisa qu’il entrait pour la première fois chez Ayame. Contrairement à sa mère qui avait fait venir la jeune femme au domicile familial, Viggo était s’était invité ici et ressentait la désagréable sensation d’interrompre quelque chose. Une pensée qu’il essaya de dégager en articulant dans un japonais déjà bien meilleur que lorsqu’il était arrivé ici, il y a un an de cela :

« -Sinon… comment tu vas ? »

Au cours de son avancée dans la maison avec Ayame, il avait constaté à quel point la maison était silencieuse, ce qui contrastait énormément avec l’énergie et le bruit que dégageait la plupart du temps l’hôte de maison. Il ne se souvenait plus vraiment si elle lui avait parlé de sa famille, mais il trouva cela étrange de constater qu’hormis le majordome, ils avaient l’air d’être seuls dans la demeure. Ses parents étaient peut être également en vacances, comme les siens.

« -Tes parents ne sont pas là ? Les miens non plus, ajouta-t-il après une pause, sans trop savoir quoi dire de plus et en le regrettant un peu. »

Elle constata qu'il etait enclin a entrer a l'intérieur, et le suivi lentement, l'air d'avoir son corps un peu chambouler par la breve chute qu'elle venait de subir. Elle n'etait pas une force de la nature, il fallait bien un petit moment pour s'en remettre. Elle le laissa entrer, et observa la rue a droite et a gauche, constatant que c'etait relativement desert, meme pour cette époque de l'année. En restant ici, on avait presque l'impression d'etre dans une ville fantome, tant le quartier etait calme vis a vis du reste de la ville. Le privilege etait couteux, certes, mais pas désagréable.

Finalement, elle tira la porte d'entrée a deux mains, et le lourd battant de bois et de fer se referma dans un concert de cliquetis, causé par les serrures diverses. Elle se retourna alors vers le garçon et lui fit un sourire, tout en ramassant sa gourde, qu'elle porta a ses levres. Elle venait de se souvenir qu'a la base, si elle etait déscendue, c'etait parce qu'elle avait soif. Elle prit donc un petit moment pour se désaltérer dans le hall d'entrée, sombre a cause de l'occultation mis en place pour prévenir de la chaleur.

- J'pensais pas qu'on se connaissait assez pour que tu t'arretes juste parce que tu passais par la. Enfin je sais pas, c'est bizarre comme excuse.

Elle sourit étrangement, en plissant les yeux :

- Avoue que tu brulais d'envie de me revoir, huhu.

Elle s'étira et commença a gambader plus que marcher vers le petit couloir qui amenait vers le grand escalier principal menant vers les étages. On avait parfois l'impression qu'elle sautait a chaque pas, mais c'etait surtout parce qu'elle etait toujours préssés de tout et marchait très vite. Avec ses jambes de tailles modestes, elle avait cette démarche étrange pour gagner du temps. Elle arriva en bas des marches et se retourna, avec toujours cette attitude ou ses pensées allaient a mille a l'heure, et d'un coup elle s'arretait pour changer d'objectif, ou passait d'un sujet a un autre sans qu'il n'y ai aucun lien entre eux. Elle revenait sur sa question, alors qu'a la base, elle avait donné l'impression de ne meme pas l'entendre :

- Ca va pas non, j'arrive pas a voir de vrais resultats depuis plusieurs jours. Ca me saoule. Enfin peut etre que j'ai une idée maintenant avec toi la....enfin bof...

Elle commença a escalader l'escalier, en chantonnant a voix basse. Visiblement essayant de mettre en place une suite de notes originales, et quelques paroles allant avec. Il reconnu très brievement son nom entre ses levres, mais rien qui ne sembla la satisfaire. Et l'escalier etait excessivement long.A chaque étage, c'etait repartit pour le suivant. Il devint logique que l'objectif etait l'etage final, et en effet, ils arriverent a la fin de l'escalier, le quatrieme. Il n'y avait que ses quartiers a cet étage. Les autres chambres etant au troisieme. Elle n'etait pas spécialement désirée a la base, il avait bien fallu improviser au niveau des chambres, et elle s'en sortait pas mal au final, avec le plus grand espace qu'avait eu les enfants Masuda dans cette maison. De toute maniere, a son age, les trois autres etaient déjà tous partis.

- Ils sont jamais la mes parents. J'ai jamais du voir mon pere plus de deux jours d'affilés depuis ma naissance. Je crois qu'il est a Sapporo aujourd'hui, ou demain ptet. Il est ptet a Sendai sinon. Enfin bref, je m'en fou. Il est pas la. Et ma mere elle est a Moscou, et aprés elle va a Belgrade. Le boulot aussi, elle fait des concerts. Des fois je vais jouer avec elle, mais j'aime pas l'image que ca me donne. Une fois elle m'a obligée a venir jouer chez un Emir dans je sais plus quel pays par la bas la....c'etait chiant. Et puis je...ah mais tu t'en fou en fait. Ils sont pas la quoi.

Elle poussa la porte de sa chambre, et y pénétra, lançant la bouteille sur le lit impécablement fait. Ce qui etait d'ailleurs le seul point rangé, vu que sur le sol et partout ailleurs trainaient vetements, sous vetements, livres, feuilles, la plupart du temps recouvert de gribouillit de notes et de paroles. La petite enceinte bose etait allumée, laissant un morceau de piano qu'elle avait joué se diffuser dans la piece. Vu le rapport chambre/lit, elle n'avait pas du y dormir depuis plusieurs jours. Elle continua tout droit vers une porte au fond. Le passage vers sa piece ou se trouvait son piano. Il y avait juste un rayon de soleil y pénétrant pour l'empecher d'etre dans le noir complet. Le sol etait encore pire, difficile de marcher sans poser le pied sur des feuilles. Toute recouvertes de notes encore une fois, le fruit d'une semaine de reflexion. Il y avait de tout, et surtout que du médiocre a ses yeux. Elle tomba assise sur le banc du piano et désigna le petit canapé :

- Tu peux te mettre la. Dans le frigo y'a des jus et des soda. Pas d'eau par contre, si tu veux de l'eau faut redéscendre. Ou boire dans ma thermos...mais ce serait un peu comme...un baisé indirect, je suppose.

Elle ricana encore, sans vraiment que l'on puisse deviner si elle trouvait vraiment cela drole ou pas. Puis elle laissa son front tomber sur les touches, laissant un violent son éclater une breve seconde entre les murs. Puis elle tourna la tete :

- Alors, du coup, pourquoi t'es la ? J'veux dire, c'etait vraiment juste pour savoir comment j'allais ? Tu aurais pu m'envoyer un sms....

Elle n’avait pas tort, ils se connaissaient à peine en réalité, mais si on mettait de côté sa famille, Takuma et ce garçon avec qui il s’était entraîné au dojo, une fois, Ayame était la personne qu’il connaissait le mieux.

« -Bizarre ? Ouais, peut-être. Je pensais vouloir être un peu seul et puis… Je ne sais pas, j’ai reconnu le coin et je me suis dis… Enfin, je suis là quoi, bredouilla rapidement le jeune homme en cillant. »

La remarque d’Ayame ne le mit pas plus à l’aise. Il faillit répondre, mais se rendit compte qu’un « oui » ou « non » le mettrait encore plus dans l’embarras qu’il ne l’était déjà. En la voyant marcher comme elle le faisait, Viggo se demanda pendant un instant si elle ne s’était pas cassée quelque chose. Probablement pas, puisqu’elle serait en train de se tordre de douleur au sol, si c’était le cas. Et puis à en juger sa démarche, elle se remettrait très vite de sa chute. Elle lui répondit finalement alors qu’il pensait qu’elle allait ignorer sa question. Une idée avec lui ? Il ne voyait pas trop comment. Un début de réponse lui parvint sous la forme d’un air qu’Ayame fredonna. Un air dans lequel il identifia son prénom, ce qui l’intrigua encore plus, puisqu’il ne voyait vraiment pas ce qui pouvait l’inspirer chez lui.
La maison était bien plus grande que la villa dans laquelle il avait emménagé avec ses parents à Keimoo ou du moins elle était beaucoup plus haute à en juger le nombre de marches qu’ils montèrent pour atteindre le quatrième étage.

« -Les tiens aussi ne sont pas là, donc… Tu voyages souvent, du coup ? »

La chambre d’Ayame était dans un bazar complet, comparé à la sienne, quand il vit tous les vêtements éparpillés avec les livres et les feuilles. Il l’aurait bien montré à sa mère, elle qui se plaignait souvent que sa chambre était dans un soi disant « gigantesque bazar » quand il laissait trainer un t-shirt au sol. Il constata qu’elle aussi avait une enceinte. Bien qu’il préférait son casque ou ses écouteurs, Viggo aimait bien mettre sa musique à fond, lorsqu’il n’y avait personne à la maison, surtout quand la musique était plutôt agressive.
En entrant dans la pièce voisine à la chambre d’Ayame, le suédois faillit glisser sur une des innombrables notes qui traînaient au sol. Décidément, elle avait le chic pour ajouter des remarques qui l’embarrassaient plus qu’autre chose.

« -Ah, merci pour la boisson, esquiva-t-il en s’approchant du frigo. »

D’habitude, il maximisait la consommation d’eau. Il hésita avec un jus de pomme, mais opta finalement pour un soda. Il s’était habitué à en boire le moins possible, mais après tout, une canette n’allait certainement pas le tuer. Et puis de toute façon, il était bien trop en forme pour s’inquiéter de ne pas dormir cette nuit, puisque cela ne risquerait pas d’arriver. Il alla se mettre à l’abri des feuilles qu’il risquait de piétiner en s’asseyant sur le canapé, droit comme un « i » avant de boire un peu de soda. Il manqua de s’étouffer quand un bref son grave secoua la pièce. Il leva la tête pour voir Ayame relever sa tête des touches de son piano. Finalement, elle lui demanda ce qu’il venait faire ici. Chose difficile, il ne le savait pas vraiment lui-même.

« -Je voulais sortir un peu, faire un tour et puis je me suis souvenu que tu habitais là, en reconnaissant le quartier, comme je te l’ai dis. Je voulais juste dire bonjour après tout ce temps, je pense. »

Il haussa les épaules et but un peu de son soda dans sa canette. Il est vrai qu’il aurait dû envoyer un sms. Elle aurait eut largement le temps de répondre, le temps de retrouver sa maison. Viggo passa sa main dans ses cheveux blancs, un peu embarrassé. Constatant l’ennui dans lequel elle semblait se trouver, il proposa :

« -J’allais faire un tour seul, à la base. Si tu t’ennuies et que tu veux venir… ça ne me dérange pas. »

Alors qu'elle etait réstée jusque la penchée en avant, elle se gratta le cou en se laissant repartir en arriere. Puis hocha la tete comme si elle venait d'entendre une phrase qui lui etait agréable. Ou une pensée. Oui, c'etait une bonne idée. La torpeur l'avait gagné beaucoup trop, et c'etait sans doute la raison pour laquelle elle n'arrivait pas a avancer dans son projet. Mais peut etre que faire autre chose aller l'aider.

- Ca dépend, tu veux aller ou ? Sincérement j'ai pas mal fais le tour de tout les trucs que je connais pas en ville. Plusieurs fois. Trop de fois. Il faut que je fasse une pause avec tout ça, ça ne m'offre plus de créativité.

Elle sauta du banc, et avec deux doigts, laissa quelques notes sortir de son esprit pour prendre une consistance plus « solide ». Puis au bout d'une dizaine de secondes elle retourna vers sa chambre et poussa la porte, le laissant seul. Il pouvait cependant entendre qu'elle ouvrait des tiroirs. Il l'entendait se questionner toute seule et il n'etait pas très dur de savoir ce qu'elle faisait. Un bras surgit par l'entrebaillement de la porte, tenant une jupe assez courte. De l'autre, une tenue plus traditionnel japonais avec un genre de kimono. Elle présenta ensuite une robe simple assez mignonne.

- Je met quoi ? Ca dépend ou on va du coup, mais sans doute pas la jupe. Ca fait pétasse un peu. Je sais meme pas d'ou j'ai ça....sinon j'ai une autre jupe plus longue aussi. Ah ouais mais bof....elle fait vieille....oh, sinon j'ai un haut mignon...mais qui fait gamine...quel casse tete...

Les vetements disparurent et elle recommença a s'affairer en chantonnant. Elle avait écouté sa réponse, mais cela n'avait pas aidé a son esprit a se décider. Puis ce fut le silence. Un silence qu'elle utilisait pour reprendre ses esprits et faire le tri dans toute ses pensées. Et finalement, elle ressortit de sa chambre avec une robe d'été. Elle tira sur une des bretelles pour la remettre a l'endroit, et se planta devant lui :

- Ca va, je suis présentable ?

Elle lui sourit, et commença a rassembler quelques affaires. Sa guitare, qu'elle rangea dans sa housse, un nouveau bloc neuf qui remplassait l'ancien qui avait définitivement rendu l'ame, mais qui etait fierement dréssé sur le bureau comme un trophée, l'enceinte, son casque, son téléphone, et elle revint vers lui.

- Bon tu as réfléchis a ou aller ? Je te préviens je suis difficile.

Elle lui prit le bras pour le tirer de la ou il etait assit, et l'aida a se remettre debout, comme si sans elle, il aurait eu du mal. Puis elle sautilla jusqu'à la porte et sortit dans le couloir, faisant le chemin inverse de l'arrivée. Elle n'avait pas etait très difficile a convaincre. Elle déscendit les marches en s'appuyant sur chacune des rembardes, pour sauter les marches trois a trois, et arriva finalement au rez de chaussé. Au lieu d'aller vers la porte, elle se dirigea vers la cuisine et récupéra une nouvelle thermos, pleine de thé semblait t'il. Comme si c'etait déjà prévue qu'elle s'en aille.

- C'est vrai que tu conduis toi. J'imagine meme pas la perte de temps....conduire au Japon, cette blague....

Elle enfila une paire de ballerine et sortie a l'extérieur. Il faisait toujours chaud, mais le soleil avait un peu baissé. Elle se cacha les yeux du revers de la main en se retournant vers le garçon qui commençait enfin a sortir. Elle etait totalement impatiente. Elle tira et claqua la lourde porte de chêne, et déscendit sur le trotoire.

- Bon bah, c'est toi le guide.

Viggo remarqua une réaction sur le visage d’Ayame : un léger sourire accompagné d’un basculement de la tête. Elle semblait intéressée par l’idée de sortir. Tant mieux, au moins il ne resterait pas seul, pour une fois.

Il y eu cependant un « mais » qu’elle ne prononça pas, mais qu’il entendit : ils ne devaient pas rester dans Keimoo. C’était pour sa créativité, apparemment. Il ne connaissait pas encore la ville par cœur, mais pour elle qui avait grandi ici, il imaginait sans doute qu’elle devait peut-être s’ennuyer, à force. Une sensation qui lui était cependant étrangère, lui qui avait si souvent déménagé au cours de sa vie. Le suédois se mit à réfléchir à où est-ce qu’il pourrait l’emmener alors qu’elle sautait de son fauteuil pour se diriger vers sa chambre.

Où l’emmener ? Alors qu’elle semblait fouiller dans ses affaires, Viggo cherchait où il pourrait l’emmener. Bien sûr, il avait repéré plusieurs endroits en dehors de la ville qui offraient de très belles vues sur la campagne japonaise ou la côte et les routes sinueuses qui pourraient les conduire jusque-là étaient très agréables. Mais si lui adorait se balader en voiture dans ces coins-là, il était beaucoup moins sûr qu’Ayame apprécie l’expérience. Il lui fallait une autre idée.

« -Euh… »

Viggo n’était pas vraiment un spécialiste, quand il s’agissait de vêtements, encore moins quand il s’agissait de vêtements féminins. Pendant longtemps, sa mère et sa sœur avaient choisis les vêtements pour lui et même encore aujourd’hui, il lui arrivait parfois de se demander « Qu’en penseraient Sara et Maman ? » lorsqu’il essayait certains vêtements en magasin. C’était sans doute pour cela qu’il optait la plupart du temps pour des t-shirts entre le noir et le blanc, comme aujourd’hui, par exemple, ils allaient avec à peu près n’importe quoi. Il resta dubitatif face aux vêtements que lui montraient Ayame, son esprit déjà concentré sur une idée de destination pour la soirée. La jeune femme ressortit finalement avec une robe d’été. Sara l’aurait trouvé présentable, puisqu’elle portait des robes similaires, parfois. Il hocha la tête en signe d’approbation :

« -Mmm. »

Elle sembla satisfaite, à en juger le sourire qu’elle lui lança. Viggo le lui rendit, un peu gêné. Alors qu’elle prenait quelques affaires avec lui, il se remit à chercher une idée de sortie pour ce soir. Il se rappela alors la dernière fois qu’ils s’étaient vus après s’être croisés sur la plage. Ils avaient simplement fait un tour avant qu’il ne la raccompagne chez elle. Puisqu’il travaillait le lendemain, ils n’étaient pas rentrés très tard, ce qui avait embêté Ayame qui avait souhaité aller à… Tokyo ? La ville était à presque trois heures de voiture de Keimoo.
Cependant, il venait de se réveiller avec le décalage horaire, ce qui risquait de le maintenir éveillé toute la nuit. Autant en profiter pour sortir plutôt que de rester dans son lit à attendre vainement le sommeil, non ? En plus, il pourrait conduire longtemps jusqu’à la capitale, peut être avec de la musique. Tokyo étant une ville immense, ils trouveraient forcément de quoi faire et auraient le temps d’en discuter en voiture. Le meilleur dans tout ça ? Il était seul à la maison pendant les deux prochains jours et n’avait pas de rendez-vous le lendemain, ce qui signifiait qu’il pouvait rentrer à l’heure qu’il voulait, sans craindre de réveiller qui que ce soit chez lui et dormir la moitié de la journée l’esprit tranquille.
Un léger sourire se dessina sur les lèvres de Viggo alors qu’elle lui demandait s’il avait décidé pour une destination. Il plissa les lèvres :

« -Est-ce que… est-ce que tu serais partante pour… Tokyo ? »

Il faillit tressaillir quand Ayame lui prit le bras pour le relever. Sans doute était-elle pressée de partir. La démarche guillerette de la jeune femme le conforta un peu plus dans cette hypothèse. Il la suivit jusque dans la cuisine où un autre thermos l’attendait.

« -Une blague ? Pourquoi ? »

Le pilote suédois était parfaitement conscient que tout le monde n’aimait pas forcément conduire. Après tout, il y avait pleins de facteurs qui pouvaient rendre l’activité désagréable ou difficile pour quelqu’un qui ne voyait ça comme un moyen d’aller à un point A à un point B : il faut constamment surveiller le trafic, les piétons, garder les pieds sur les pédales, changer les vitesses toutes les dix secondes dans les embouteillages pour ceux qui conduisaient avec une boite manuelle... Mais en quoi cela pouvait-il être une blague ? Le Japon était un pays doté de nombreuses routes et autoroutes dans un état quasi-parfait et les japonais devaient être les conducteurs les plus polis qu’il avait rencontré. Rien à voir avec ceux d’Espagne dont il avait été témoin de leur conduite inutilement agressive, lors de son séjour à Barcelone pour le Grand Prix d’Espagne, en Mai dernier. Autant que ces routes puissent servir, non ?
Certes, il y avait les transports en commun, mais ils étaient apparemment bondés, surtout à Tokyo, au point même qu’on engageait spécialement des agents afin de tasser les passagers dans les rames de train pendant les heures de pointe. Bien que Viggo ne l’avait pas vu de ses propres yeux, les rares occasions où il était venu, son père, quant à lui en avait déjà été témoins. Il en avait été tellement surpris qu’il avait filmé la scène et l’avait montré à toute la famille, en revenant pour dîner à la maison.

Il la suivit dehors après qu’elle ait passé une paire de ballerines à ses pieds et remit sa casquette sur sa tête et ses wayfarers sur son nez. Pour toute réponse, il l’invita d’un geste à le suivre jusqu’à sa voiture, garée au coin de la rue, un peu plus haut.

« -Tu peux mettre ta guitare dans le coffre, sur la banquette arrière ou la garder avec toi… Enfin, tu fais comme tu veux, quoi. »

Il faisait encore chaud, mais Viggo sentait que le temps allait se rafraichir, une fois le Soleil couché. Aussi, il se remercia intérieurement en trouvant sa veste sur la place passager qu’il posa sur la banquette arrière, derrière son siège. Il enfila ses gants et tourna la clé dans le contact, déclenchant le ronronnement agressif du moteur rotatif de la Mazda. Le suédois jeta un bref coup d’œil à Ayame afin de vérifier si elle était attachée. Quand ce fut le cas, ils se mirent en route. Après avoir ouvert la fenêtre de son côté, il indiqua à la jeune femme le tableau de bord :

« -Si tu as froid ou chaud, tout à l’heure, tu peux régler ici et… euh… là, c’est la radio. »

Il brancha son téléphone à l’un des deux câbles qui en dépassaient :

« -Tu peux brancher le tien ici, si tu veux. »

Puis il prit la direction de la sortie de la ville, vers la route longeant la côte. De là, ils verraient le Soleil se coucher sur la mer. Il se dit que ce spectacle plairait sans doute à Ayame et serait un bon moyen d’entamer le trajet jusqu’à la capitale japonaise.

Elle marcha tranquillement dans la rue dans la direction qui etait indiquée. Elle avait récupéré un genre de chapeau de paille avant de sortir, a sa taille, et etait occupée a se faire une queue de cheval avant d'enfiler le couvre-chef. Elle marchait devant lui, et quand il accelerait, elle semblait instinctivement faire de meme. En deux grands pas il pouvait la rattraper, mais elle allait sans doute se mettre carrément a courir pour rester en avant-garde, sans savoir pourquoi. Sans meme savoir si elle meme s'en rendait compte.

Le véhicule ne fut pas extremement long a rejoindre et elle observa d'un œil peu critique le véhicule. Finalement elle eu un simple haussement d'épaules. Tout lui allait, elle s'en moquait, du moment que le véhicule pouvait rouler, aprés tout. Elle écouta d'une oreille un peu distraite les différentes propositions pour sa guitare. Bien sur, elle la garda avec elle. Elle ne posait pas sa plus grande possession terrestre n'importe ou, et se dirigea vers la gauche du véhicule pour monter lentement, semblant peu a l'aise.

- J'suis pas montée devant en voiture depuis....euh.....longtemps.

Elle prenait rarement ce genre de véhicule, seulement pour les voyages avec sa mere, quand elle allait faire des concerts absolument horrible et plutot très chiant. Aussi, lors de ces dites rare fois, elle avait toujours un chauffeur, Taki ou un autre, souvent Taki. Et elle montait a l'arriere, dans de vastes berlines. Elle se pencha vers le systeme electrique de la fenetre. Elle la fit monter, la fit déscendre, et recommença une ou deux fois, avant de sourire, sans vraiment permettre de voir ce qu'elle avait en tete. Et elle retourna la tete vers le conducteur qui finissait de se préparer :

- T'es dans un film ou quoi ? C'est quoi ces gants ? On dirait un serial Killer. Ca fait presque flipper.

C'etait vrai que c'etait souvent la marque de ces fameux assassins dans les triller ou les films d'horreurs. Films qu'elle ne regardait pas souvent, juste quand elle etait chez son frere et sa sœur vers le centre ville, dans leurs appart. Ca faisait un moment d'ailleurs qu'elle n'y avait pas etait, ils etaient de plus en plus occupés aprés tout. Elle repensa ensuite a la proposition que Viggo lui avait fait pour la déstination. Elle n'avait pas encore répondue, aprés reflexion, il fallait bien qu'elle se positionne.

- Ouais....je connais pas mal de trucs a Tokyo, si tu veux t'amuser. Aprés je connais des soirées un peu sale, et j'aime pas trop. Des soirées qui finissent...hum....salement, si je puis dire.

Elle se retourna et appuya son front contre la vitre, observant la rue encore immobile. Presque comme si elle n'allait jamais la revoir. Elle aurait bien aimée habiter ailleurs, et pour tout avouer, elle avait les moyens. Mais c'etait une solution de faciliter. Elle n'avait pas encore très envie de s'occuper d'un foyer, meme a elle seule. Elle préférait vivre avec des gens. Meme si ces gens etaient des doméstiques.

- Aprés y'a Sendai qui est assez cool, mais c'est plus haut, on va pas rouler cinq heures, y'a déjà une trotte jusqu'à Toky-Tokyo.

Elle reporta finalement son attention sur le cable qu'il lui avait indiqué. Elle sortit son téléphone, pour voir une tripotée de message et elle soupira.

- Tu m'excuses une petite dizaine de minutes.

Alors que la voiture se mettait en route, elle écouta les propositions de différences boites de prod qui venaient la démarcher directement. Elle allait vite devoir songer a prendre un autre téléphone en plus ou sinon elle allait etait noyée de message. Finalement, un message de son frere qui lui disait de ne pas l'attendre finalement. Un message de sa vieille amie de Tokyo qui lui proposait de venir voir sa nouvelle maison un de ces quatre. Et également un message de Jonathan qui lui disait qu'elle pouvait prendre une semaine de plus, qu'elle avait la main pour les décisions. Et un autre sms qu'elle hésita a ouvrir. Un message de sa mere. Elle regarda l'écran un long moment, sans rien faire, a tel point qu'ils avaient quittés la ville quand elle releva le regard.

- Hm, j'espere que ca va bien rouler, j'en ai déjà marre.

Le chapeau de paille et la robe d’été qu’elle portait lui donna l’impression qu’elle venait d’une autre époque, tout droit sortie d’un de ces tableaux romantiques ou impressionnistes que sa mère lui avait montré lorsqu’elle les avaient emmené lui et sa sœurs dans divers musées. Cela ne le passionnait pas vraiment, mais Sara et sa mère étaient plus enthousiastes que lui lors des visites alors il ne faisait que suivre.
Bien évidemment, Ayame avait embarqué sa guitare avec elle à l’avant. Il se demanda si elle essayerait d’en jouer et de chanter durant le trajet. Ce serait une première en voiture, en tout cas. Elle sembla mal à l’aise quand elle embarqua. Du moins c’est ce qu’il en déduit en observant sa mine et sa voix qui lui parut plus hésitante que d’habitude.

« -Je conduirais doucement, ne t’inquiète pas. »

Une fois sa déclaration terminée, il se rendit compte qu’il ne la mettrait probablement pas plus à l’aise. Car en lui disant qu’il conduirait prudemment, elle pourrait peut-être se figurer qu’il conduisant beaucoup plus vite en temps normal. Viggo ne prétendait pas être un conducteur modèle sur la route, mais il tenait à son permis et à sa liberté de conduire en dehors des circuits.
La remarque d’Ayame le fit tiquer, au point d’interrompre pendant un instant son geste et de la dévisager en clignant des yeux. Ce n’était pas la première fois qu’on lui posait la question et même si les gens la lui posaient la plupart du temps le plus innocemment possible, il avait parfois l’impression qu’on le lui reprochait. Le suédois posa son regard sur ses gants avant de le remonter vers sa passagère :

« -C’est juste… des gants pour conduire. »

Il est bien vrai qu’on aurait pu croire qu’il s’apprêtait à tuer quelqu’un. Après tout, il s’agissait de gants relativement fins qu’un assassin aurait pu utiliser afin de manier une arme ou étrangler quelqu’un, comme dans les polars qu’il avait lu. Le bref instant de silence et la difficulté avec laquelle il avait formulé sa réponse l’avait peut-être conforté dans l’idée qu’il s’apprêtait à tuer quelqu’un. Une idée improbable mais il sentit qu’il devait un peu plus se justifier, au cas où. Il ajouta alors :

« -C’est pour éviter d’abîmer le volant avec la transpiration des mains. C’est utile pour ne pas se brûler les mains sur le volant quand on a laissé la voiture en plein soleil, en été. »

Il aurait pu rajouter que la conduite lui paraissait plus confortable puisqu’il sentait un peu moins les vibrations de la route dans les mains. Les porter était devenu une habitude, pour lui. Quelque chose dont il aurait pu se passer mais pour une raison qui lui échappait lui-même, il préférait les garder, comme s’il allait être frappé par la malchance s’il ne le faisait pas. Conduire sans ses gants lui paraissait presque comme essayer de sortir un plat du four sans porter de maniques à ses mains.
Aussi, il demanda avec une légère hésitation alors qu’il s’engageait sur une intersection :

« -Tu trouves que je ressemble à un serial killer ? Je fais vraiment peur ? »

Ayame semblait connaitre Tokyo, mais le mot « soirée » ne lui donna pas vraiment envie. Il n’aimait pas trop les boîtes de nuits ou ce genre d’endroits. La foule de danseurs zombifiés par les puissantes basses, les lumières perce-rétines qui éclataient dans tous les sens, l’air humide et chaud… Il préférait des endroits plus tranquilles. Il fut soulagé de constater que sa passagère n’était pas vraiment fan non plus des grosses soirées, à en juger ses dires. Bien qu’il n’eût pas encore mangé, ils seraient sur Tokyo vers 21h et la faim reviendrait alors lui tenailler l’estomac. Après avoir écouté sa proposition, Viggo jeta un coup d’œil vers elle :

« -Est-ce que tu connaitrais un restaurant ou un bar sympa ? »

Ils ne s’y éterniseraient probablement pas, mais ça serait sans doute un bon moyen d’entamer la soirée. Elle suggéra également Sendai, mais c’était à cinq heures de routes d’ici, selon elle. Il déclara avec un haussement d’épaules :

« -Une autre fois, peut-être. »

Alors qu’il cherchait un moyen d’alimenter la conversation, la jeune femme le pria de l’excuser une dizaine de minutes. Probablement à cause du fait qu’elle devait répondre à une tonne de messages qu’il aperçu du coin de l’œil sur l’écran de son smartphone. Il décida en attendant d’allumer la radio et de mettre un peu de musique. Il opta pour Shadow, du groupe Chromatics.
La voiture atteignit bientôt la route le long de la côte.



Comme il l’avait prévu, ils arrivaient à temps pour voir le soleil se coucher sur l’Océan Pacifique. Le soleil ressemblait désormais à un cercle rouge qui projetait ses derniers rayons pourpres en glissant lentement derrière l’horizon. Il savait qu’on surnommait le Japon « Le Pays du Soleil Levant », mais il aurait très bien pu s’appeler « Le Pays du Soleil Couchant » si les couchers de soleil pouvaient être aussi beaux, comme ce soir. Il ne fit pas vraiment attention à si Ayame observait ce spectacle dehors ou si elle avait le nez fixé à son téléphone. Son regard alternait entre la route quasiment déserte et de brefs coups d’œil sur sa droite. Il préféra finalement se concentrer sur la route alors que la voiture s’engageait dans une série de longues courbes.



Il aimait ces portions de route. Elles étaient bien entretenues, lisses et chaque virage était comme une douce mélodie sur laquelle il glissait avec la voiture et avec délicatesse, bercé par la musique et les ronronnements du moteur tandis qu’un filet d’air frais arrivait à son visage par la fente de la fenêtre entrouverte. Ses doigts tapotaient tranquillement sur le volant au rythme de la musique alors qu’il arrivait sur une ligne droite. Le soleil avait maintenant disparu et le ciel prenait une teinte proche du violet. D’ici une vingtaine de minutes, il ferait nuit. Viggo retira ses lunettes de soleil avant de les suspendre au col de son t-shirt, laissant maintenant ses yeux violacés boire pleinement la route éclairée par la lumière des phares de la Mazda qu’il venait d’allumer et qui défilerait pendant les deux prochaines heures jusqu’à Tokyo.



La musique disparut peu à peu dans un fondu sonore alors que l’endorphine affluait dans le corps du jeune homme dont le sourire était visible à la lumière des phares des voitures dans la direction.
La remarque d’Ayame le tira brusquement de ses pensées et fit disparaître son sourire. Il remonta complètement sa fenêtre. Il baissa un peu le volume de la musique suivante qui démarrait.

« -On est mardi soir et on va dans la direction de Tokyo. Je pense qu’il y aura surtout du monde dans l’autre sens, à cette heure-ci. »

Il réajusta sa casquette sur sa tête et se repositionna dans son siège avant de jeter un coup d’œil vers elle :

« -Tu peux essayer de dormir le temps qu’on arrive… »

Viggo se rappela qu’il avait pour passagère Ayame Masuda, une fille qui ne manquait jamais d’énergie au point où l’on pourrait presque croire qu’elle venait en permanence de manger un énorme paquet de bonbons à elle toute seule et non sa mère qui s’endormait en voiture dès qu’un trajet durait plus d’une demi-heure. Il rectifia le tir dans l’espoir d’égayer le trajet :

« -… à moins que tu aies quelques choses à proposer ? »

Elle eu du mal a ne pas avoir un violent baillement en reposant son telephone sur ses genoux, la tete appuyée contre la vitre de la portiere gauche. Elle avait l'impression que cela faisait déjà une heure qu'ils etaient en route, alors que non, ca faisait une poignée de minutes a tout casser. Elle avait supposé en effet qu'il n'y aurait pas énormément de monde sur la route, mais dans un sens, ca aurait plus drole de voir des voitures, selon elle. Elle aurait pu faire des jeux de couleurs, comme avec son frere, longtemps auparavant. Attends...elle essaya de se souvenir si elle avait vraiment fait ce genre de jeux, en fait. Sans doute pas, maintenant qu'elle y pensait.

- Un bar ? La tout de suite j'en ai aucune idée....

Les bars a Tokyo, l'une des plus grande ville du monde, ce n'etait pas ce qu'il manquait. Et poser une question comme ça, lui donnait matiere a réfléxion. Elle n'y allait pas non plus tout les jours, c'etait bien le but d'ailleurs, découvrir de nouvelles sources d'inspirations. Elle aurait bien aimée partir a l'étranger la, en Europe par exemple. Ou en Corée. En Europe elle ne connaissait qu'une seule ville, Koln. Ville de naissance de sa mere. Elle avait fait un séjour a Rome aussi, pour un autre concert, toujours avec sa mere. Puis bien sur le fameux concert pour un emir d'Arabie Saoudite, ou elle etait allée avec Hayden. Longue histoire.

- Bah, j'ai joué dans des bars a Tokyo ouais, mais j'ai pas trop envie d'y aller. Le but c'est justement de découvrir de nouveaux trucs.

Elle pencha la tete sur le poste qui passait la musique et écouta attentivement. Elle connaissait bien sur, mais ce n'etait pas vraiment le genre de musique qu'elle composait. Pourtant elle aurait pu, avec son accent qu'elle avait travaillée en prenant des cours, parfois meme en chantant parfaitement des paroles dont elle ne comprenait absolument rien. L'electro a moitié retouché ce n'etait pas son truc, jamais elle n'avait manipulé de synthé ou de musique informatique. Il faudrait peut etre qu'elle y pense un de ces quatre ? Elle hocha la tete pour elle meme a cette pensée.

- Au fait, ta question de tout a l'heure, a laquelle j'ai pas répondue. Non tu fais pas peur. Mais aprés....qui fait vraiment peur ? Hm ?

Elle n'avait peur de rien. Ou plutot, elle etait du genre a voir le bon chez tout le monde, et pensait naivement que rien ne pouvait lui arriver. Voila pourquoi il lui etait arrivée de se balader la nuit dans Bougu, ou de parler avec n'importe qui qui l'abordait. Enfin, elle etait rarement toute seule a vrai dire. Jonathan la suivait beaucoup quand elle sortait, vu que c'etait souvent pour des concerts. Sauf quand elle jouait en ville. En dehors de ces activités, elle ne sortait plus beaucoup. Elle avait moins d'amis, moins de disponibilité, elle n'etait plus une enfant aprés tout.

- Je vois pas pourquoi c'est moi qui dirais ou aller. C'est toi qui m'a invitée. C'est pas en faisant comme ça que tu aura une copine. Les filles aiment que le garçon prenne des décisions et soit sur de lui. Et puis je dormirais pas. Il fait meme pas nuit, j'suis pas un oiseau de nuit moi. Enfin, j'aime bien me balader la nuit, certes, mais je dors pas la journée. Je fais trop de nuit blanche par contre.

Beaucoup trop. Elle reprit son portable et pianota sur youtube, cherchant de quoi passer le temps. Ils avaient quittés Keimoo depuis un moment maintenant, une heure presque, et la mer avait disparut. Elle fouilla dans sa sacoche de guitare pour sortir de quoi écrire, et en faisant, mit des feuilles un peu partout a ses pieds. Elle etait assez bordelique, pas très organisée.

- Tu veux que je chante ? Tu t'ennuies pas a conduire sans rien faire comme un robot ? Je comprendrais jamais....

Elle écrivit quelques phrases qu'il ne pu pas voir depuis sa place, et éclata de rire toute seule, rougissant légérement a cause de la rarification de sa respiration pendant une seconde. Ca la rendit plus mignonne encore. Parfois elle faisait jeune femme de vingt ans ou presque. Et souvent, elle faisait encore adolescente, bloquée dans la belle enfance, celle ou l'on a peur de rien, ou tout semble incroyable.

- Ou alors met une bonne chanson cette fois.

« -Ouais, des nouveaux trucs, bien sûr. »

622km² pour presque 14 millions d’habitants, soit plus que toute la Suède réunie avec ses 10 millions d’habitants. Avec de tels chiffres, il était probable qu’on puisse prendre un verre dans un bar différent par semaine jusqu’à la fin de ses jours sans jamais boire deux fois au même endroit.

« -On a encore le temps, de trouver, c’est juste que je ne suis pas beaucoup allé à Tokyo depuis que je suis arrivé ici, du coup je ne connais pas vraiment d’adresses. »

Son père aurait peut-être pu l’aider, lui ? Après tout, il y était souvent pour ses affaires. Viggo se dit finalement que non, puisque son père devait souvent aller dîner ou déjeuner dans des restaurants de luxes, le genre d’endroits qu’il voulait éviter ce soir avec Ayame. L’argent n’était pas vraiment le problème ici puisqu’il aurait largement eu les moyens de lui payer le dîner –bien qu’il ne sût pas vraiment s’il allait devoir le faire, une fois sur place– mais plutôt l’aspect trop sophistiqué des plats qu’on y servait et le sentiment de ne pas être à sa place quand il commandait autre chose qu’un vin ou un autre spiritueux âgé. Le jeune homme souhaitait surtout trouver un endroit relativement discret et où le dîner pourrait être agréable pour tous les deux.
Le suédois remarqua alors qu’Ayame semblait écouter avec la plus grande attention la musique qu’il venait de passer à la radio. Il se demanda si elle connaissait déjà ou analysait la chanson en la découvrant. En tout cas, quand il s’agissait de musique, elle semblait extrêmement concentrée, contrairement au reste du temps.

« -C’est les Chromatics, tu connais ? »

Il avait découvert le groupe grâce à l’une des suggestions que lui avait fait son application sur laquelle il écoutait de la musique, il y a plusieurs années et n’avait cessé de suivre l’activité musicale du groupe. Certes, ce n’étaient pas ceux qui produisaient des tubes sur lesquels se déhancher en boîte de nuit, mais plus ceux qu’on écoute tard le soir avec une bonne enceinte ou un bon casque, assis dans son lit à regarder par la fenêtre les lumières de la ville. Du moins, c’est ce qu’il faisait quand il les écoutait.
La réponse de la jeune femme le soulagea un peu, dans un premier temps. Viggo savait qu’il ne pouvait pas vraiment être défini comme quelqu’un de physiquement séduisant et on lui avait souvent laissé entendre qu’il n’avait pas vraiment un air très amical. Était-ce à cause de son physique ? De son air froid et fermé la plupart du temps ? Les deux ? Aucune idée. La deuxième partie de la réponse d’Ayame lui fit cependant un peu relativiser : elle ne trouvait personne effrayant et quand il y pensait, elle n’avait pas vraiment tort. Il chercha à lui répondre par « un monstre de film d’horreur », mais il savait que ce n’était pas vraiment le genre de réponse attendue et chercha ainsi une réponse acceptable pendant plusieurs secondes, les sourcils levés en se frottant le front avec son index et son pouce. Il haussa finalement les épaules :

« -Personne, j’avoue. »

Puis, après un court moment de silence, une réponse lui vint finalement et il déclara avec un mouvement vague de la main :

« -Ce sont plus des gestes, qui peuvent faire peur. »

Viggo n’était même pas vraiment sûr de lui-même de ce qu’il pourrait donner en exemple afin d’étayer ses dires.
Ce dont il était sûr, c’était qu’à entendre Ayame, il n’était vraiment pas très doué pour organiser ce genre de soirées. Il lui avait demandé des adresses car il n’en connaissait aucune à Tokyo et il était trop effrayé à l’idée qu’il l’emmène dans un endroit qui ne lui plaisait pas du tout. Au moins, en lui demandant son avis, il était sûr qu’ils finiraient dans un bar qu’elle appréciait. Quant à lui, il pourrait au moins l’ajouter ou non à la liste des bars et autres lieux intéressants de la capitale qu’il allait commencer.
Il se contenta de ciller très vite quand elle mentionna le fait qu’il était toujours seul. Le suédois n’avait jamais su exactement comment s’y prendre puisqu’on lui avait toujours répété deux discours diamétralement opposés : se laisser surprendre car l’amour nous tombait dessus au moment où on s’y attendait le moins ou au contraire d’aller à sa recherche activement, en sortant dans des lieux où sociabiliser ou encore via des sites de rencontres par exemple, ce qui lui avait toujours paru étrange. Cette indécision entre deux stratégies avait fait qu’il s’était retrouvé coincé entre les deux et bien qu’il lui arrivait parfois d’être envieux des couples qu’il voyait se promener ensemble dans la rue, il relativisait en se disant qu’au moins il n’avait jamais connu de séparation difficile, n’avait jamais eu le cœur brisé par une fille ou ne s’était jamais retrouvé dans cette situation délicate où l’on envoie un message à une ex petite amie complètement ivre afin de lui dire qu’elle lui manque… du moins, c’était quelque chose dont il avait seulement entendu parler.
Cependant, il nota ses conseils dans un coin de sa tête, savait-on jamais.

« -Je voulais juste… être sûr de t’emmener dans un endroit qui te plairait. »

Ce n’était pas une mauvaise chose qu’elle ne dormirait pas, au moins il aurait de la compagnie pour une fois pendant le trajet.

« -C’est plutôt sympa, les balades de nuit, je suis d’accord. Et j’évite de dormir, pendant la journée. Enfin… »

C’était quand même lui qui avait passé l’après-midi entière à dormir sur le canapé du salon à cause du décalage horaire avec la Hongrie d’où il revenait.

« -Comme tu veux, tout me va, je suis déjà bien comme ça. »

Son style musical principal ne lui plaisait pas toujours, mais il aimait beaucoup entendre sa voix, surtout qu’elle pouvait étonnamment bien se prêter à toutes sortes de reprises de morceaux, selon lui, même du rap comme elle l’avait démontré lors de leur rencontre, il y a un an de cela. En revanche, sa dernière remarque le prit par surprise, quoiqu’il aurait dû la voir venir puisqu’elle se proposait de chanter.

« -Euh… une bonne chanson ? Tu n’aimes pas ça ? »

Une partie de son cerveau l’encourageait à surmonter ce début de déception afin de confronter leurs points de vue respectifs et de débattre sur ce qu’était une bonne chanson. Mais déjà, l’autre partie, en quête d’affection et de reconnaissance, commandait à sa main de chercher une autre musique sur son téléphone. Si Viggo n’avait pas pu lire ce qu’avait écrit Ayame dans son carnet, elle, de son côté pu apercevoir plusieurs titres défiler sur l’écran de téléphone du jeune homme : Tainted Love de Soft Cell, In the air tonight de Phil Collins, Shout de Tears for Fear, Running Up that Hill de Kate Bush, I ran d’A Flock of Seagulls, Fuck U d’Archive ou encore Mandy de Barry Manilow…
Il poussa finalement un long soupir. A la lumière des phares en sens inverse, on pouvait voir ses joues pâles rougir soudainement tant il était embarrassé par la situation. Il admit à demi-voix après avoir verrouillé son téléphone pour de bon.

« -Je veux bien que tu chantes, finalement… »

- Ouais ouais.

Bien sur qu'elle connaissait. Dire qu'elle connaissait tout aurait sans doute était un peu orgueilleux, mais c’était de plus en plus rare qu'elle tombe sur des morceaux qu'elle ne connaissait pas. En même temps quand elle était chez elle, et pas en période de composition, elle avait deux radios allumés sur des fréquences éloignés du japon grâce a internet, une sur une chaîne de clip, et encore une autre sur quelque chose de moins mainstream, souvent des playlist complétés par les utilisateurs eux même. Avec tout ça, difficile de passer a coté de quoi que ce soit.

Mais elle trouva assez mignon qu'il s’inquiète de l'endroit ou ils allaient aller. Pour elle ? C’était ce qu'il disait. Mais elle même s'en fichait un peu au fond, de l'endroit. N'importe ou. Ailleurs. C’était surtout cela qui lui importait. Après tout, chaque endroit avait forcément un point intéressant a découvrir. C'est pour cela que malgré le discours qu'elle avait tenue juste avant, elle le laissait volontiers choisir, parce qu'elle savait qu'elle ne serait pas vraiment déçue. N'avait elle pas fait une soirée dans une boite de nuit ou la musique n’était pas dans la salle mais dans des casques individuels ? Une vraie boite de zombie, qu'elle avait transformé l'espace d'une soirée avec une simple guitare et l'accompagnement de quelques autres usager de l'endroit. Un sacré souvenir.

- Trouve un endroit qui parle a ton esprit et a ton cœur, et ce sera parfait. La vie, c'est comme la musique. Y'a les coups de foudre, comme avec les petites meufs, et y'a ces moments que tu trouves nul, ou auquel tu accroches pas d'emblée, et puis a force de la réécouter encore et encore, tu finis par adorer. L'amour aussi c'est comme ça. Enfin, ça peux arriver que ce soit comme ça. Genre les...hum...mariage organisé. J'aurais ptet pu en avoir un d'ailleurs, quel chance que j'ai mon frère avec moi, héhé.

Elle écouta la suite de sa remarque mais sans le prendre mal ou quoi que ce soit. Il n'avait de toute façon rien dit de vraiment offensif, mais d'autres auraient pu s'agacer d’être remise en question de la sorte. Elle s'en fichait, comme de tout. Elle hocha la tète et désigna du bout du doigt le poste d'autoradio.

- C'est pas que c'est mauvais. Mais c'est assez...comment dire....fade. Y'a pas assez de vie. Enfin, je dis pas que ceux qui l'ont écrite, composé, le faisaient par obligation ou n'aiment pas la musique. Au contraire. Ça je peux pas savoir de toute façon, je les connais pas après tout. Ce que je veux dire c'est que ça fait trop...robot. Pour moi la musique, c'est des gens et juste des gens, un peu d'instruments et de la voix, le reste c'est pas vraiment la même musique que moi. Je dis pas que s'en est pas, juste pas la même. Et j'aime pas spécialement.

Elle s’arrêta de parler après cette suite de longue phrase, tapotant sur le bois bleu Electrique de sa guitare en rythme, les yeux soudainement clos, l'écoutant parler comme si il chantait, presque, et assimilant les vibrations du véhicule, une musique qu'elle ne connaissait pratiquement pas, finalement. Elle ne pu pas voir les chansons qui défilaient, a cause de ça, et quand elle ouvrit a nouveau les paupières, elle prit le téléphone du garçon dans les mains, le détachant de la radio, avant d'allumer cette dernière. Elle tomba sur Okinawa FM et hocha la tète.

- La première qui me plait je la chante, et ensuite tu choisis la prochaine, et j’enchaîne comme ça jusqu'à l'arrivée, moi, toi, moi, toi.

Elle sourit en laissant la musique entamer l'espace silencieux de l'habitacle. Une première chanson d'une chanteuse américaine connue, suivit d'une plutôt célèbre typiquement pop japonaise. Puis la voix d'un présentateur qui décrivait la prochaine chanson comme venant « d'Insane dream/us », composé spécialement pour la sortie en anime de « Fire Force », un shonen venant du jump plutôt populaire.

- Ah, je connais ça, j'aime bien !

Elle coupa le son, avant que les premières notes ne sortent des enceintes, et prit sa guitare comme elle pouvait pour ne pas gêner le conducteur.

- J'aurais du monter derrière.

Elle accorda son instrument, avant de faire quelques brèves vocalises. Peut importe l'endroit, elle ne comptait pas faire n'importe quoi. La qualité avant tout, elle aimait bien chanter, encore plus que chanter tout court. Finalement, elle lança les premières notes a la guitare, sans chanter, juste en instrumental, faisant un petit tour de la mélodie. Puis finalement, elle s'engagea dans la chanson.

Spoiler:

Comme d'habitude, étrangement, elle transpirait un peu, alors qu'elle chantait plutôt doucement, malgré que sa voix prenait la totalité du vide intérieur de la voiture avec une puissance toujours aussi étonnante au vu de son gabarit. Et surtout, elle souriait, toujours en gardant les yeux fermés.

Sa main accéléra et elle se redressa en poussant la ceinture avec sa poitrine pour être bien droite, le ventre bien dégagé, pour chanter plus fort, alors que tout semblait prendre en vitesse.

Elle enchaîna sans même reprendre de respiration, comme dans une sorte de transe, celle habituel que lui, qui ne l'avait quasiment jamais vu chantée encore, n'avait sans doute jamais vu. Meme si il avait beaucoup écouté, ce spectacle qu'elle offrait, encore plus quand elle était seule et non pas devant un public, était a la fois déroutant et fascinant, voir cette façon qu'elle avait de vivre la musique par tout les pores de sa peau.

La, finalement, elle reprit une respiration et ses doigts, sa main en général, redevinrent un peu plus lent, pour souligner la fin plus lente de la chanson qu'elle chanta d'une voix assez douce.

Elle continua de jouer après avoir terminée les paroles, et eu un petit tremblement, un genre de spasme, comme si elle venait de prendre une grosse dose de drogue, piqué directement dans une veine principale. Et finalement, après un instant, elle ouvrit les yeux. Elle était souriante, et passa la main sur son front humide :

- Pfiou, j'vais puer maintenant, j'aurais ptet pas du faire ça. Enfin trop tard maintenant, désolé si c'est pas agréable. La chanson alors ? Ça va ? C’était comment ?

Elle le fixa, d'une façon bien plus sérieuse qu'il l'avait escompté. Elle ne rigolait pas avec les jugements sur sa musique, elle basait beaucoup la dessus. Meme si elle chantait principalement pour elle, le résultat vu par les autres était tout aussi important, puisque chacun avait une sensibilité différente.

Un endroit qui parlerait à son esprit et à son cœur. Il se gratta la tempe en cillant : au moins il avait largement le choix, peu difficile comme il était. Ce qui serait difficile serait en revanche de faire un choix tant il y en aurait dans Tokyo… Enfin, il verrait cela quand il aura déjà réussi à trouver une place de parking. La capitale était réputée pour être un cauchemar quand il s’agissait de trouver une place où garer son véhicule.
Il commençait à réfléchir sur sa comparaison entre la vie, les filles, l’amour et la musique quand sa dernière remarque y coupa court :

« -Attends, tu aurais pu te retrouver un mariage organisé ? »

Il savait que dans certains pays, la pratique était encore très courante, mais il n’aurait jamais cru que cela se faisait ici, au Japon. Peut-être était-ce surtout dans les familles riches… En attendant, il n’en avait jamais été question dans la sienne.
Viggo se crispa néanmoins un peu en entendant Ayame dire qu’elle trouvait cette musique « fade », surtout lorsqu’il prenait en compte l’effet quasi-thérapeutique qu’elle pouvait avoir sur lui. Cependant, il comprit où elle venait en venir lorsqu’elle trouvait que la musique faisait trop robotique. C’était littéralement le cas, puisqu’une grande partie des morceaux qu’il écoutaient étaient composés avec un synthétiseur ou autre ordinateur, mais elle devait surtout parler de l’énergie qui s’en dégageait, du fait que les voix semblaient un peu en retrait par rapport aux instruments. Elle le confirma par la suite, ce qui souleva cependant une autre question dans l’esprit du suédois :

« -Mais du coup… Qu’est-ce que tu fais de la musique classique, par exemple ? Il n’y a pas trop de voix en général, dans ce genre de musique, non »

Le jeune homme n’avait jamais été fan de musique classique. Mais cela lui paraissait être une meilleure comparaison que les musiques qu’il avait en tête, juste avec une instrumentale composée au synthétiseur qu’il aimait régulièrement écouter lorsqu’il roulait, lisait ou travaillait en général, un fond électronique qui l’isolait du reste du monde.

Ayame lui vint finalement en aide en lui faisant une proposition. Il hocha la tête, puisque le partage du choix des musiques lui parut équitable. La chanson américaine lui dit quelque chose, en revanche, il fut complètement perdu lorsque la chanson pop japonaise envahit l’habitacle. Sa passagère jeta finalement son dévolu sur une chanson d’un anime qu’il ne connaissait pas. A vrai dire, il n’en connaissait pas beaucoup, bien qu’il lui soit parfois arrivé d’attraper un épisode en cours de route lorsqu’il ne savait pas vraiment quoi regarder à la télévision. Les rares openings qu’il avait vu étaient des chansons souvent énergiques. Il fut donc curieux de voir ce qu’elle pourrait faire de l’un d’entre eux avec seulement sa voix et une guitare. Il se cala un peu plus confortablement dans son siège, comme si cela lui permettrait de mieux l’écouter mais aussi afin de lui faire un peu de place pour sa guitare.

« -Tant que tu peux jouer comme tu le souhaites, ça me va. »

Jusqu’à présent, il l’avait entendu chanter presque inconsciemment, comme lorsqu’ils s’étaient rencontrés, un an auparavant. Puis il y avait eu le concert après le spectacle organisé par sa mère, où elle avait joué devant une foule en délire. Mais l’avoir à côté de lui sur la place passager avec sa guitare, c’était complètement différent. Viggo, qui n’avait aucune connaissance en chant se demanda comment elle faisait pour avoir une voix à la fois si puissante au point de recouvrir presque le ronronnement agressif de la Mazda et en même temps si douce qu’elle semblait chanter à bout de voix, comme un murmure dans la nuit. Lorsque le rythme s’accélérait, elle suivait, coordonnant mains et voix, sans que sa respiration en soit pénalisée. Non seulement elle apportait de la puissance, mais Viggo constata qu’en dehors de la transpiration, tout lui semblait presque être effectué sans produire le moindre effort tant elle semblait à l’aise. Il se demanda si cela produisait le même effet sur les spectateurs qui l’observaient conduire en caméra embarquée, à la télévision lors des grands prix.
Ayame termina finalement sa chanson comme elle avait commencé, tout en douceur. Puis elle se tourna vers lui :

« -J’ai senti bien pire. »

Après une séance de sport ou d’un grand prix, Viggo était loin de dégager une odeur agréable en raison de toute la transpiration qui coulait à flots. Il entrouvrit la fenêtre afin de laisser l’air frais de la nuit rentrer dans l’habitacle et l’aérer.

« -J’ai bien aimé. Je pense qu’elle doit même être meilleure que l’originale… Enfin, par rapport aux quelques-uns que j’ai vu, en tout cas. »

Ils se comptaient sur les doigts d’une main. En attendant, c’était à son tour de choisir une chanson. Il réfléchit un instant, le temps de trouver une musique qu’elle pourrait chanter qui lui plairait. Une chanson lui vint en tête, ou plutôt le titre et les paroles : Yokohama Blue Light. C’était une chanson présente dans son manuel de japonais qu’il avait étudié à son arrivée au Japon. Il ne l’avait jamais écouté, mais il en avait lu les paroles et leur traduction. Poussé par la curiosité de savoir enfin qu’elle était cette chanson, il lui proposa :

« -Ça te dit quelque chose, Yokohama Blue Light ? »

Le reste du trajet se fit en musique. Chacun choisissait une chanson qui lui plaisait, sans trop se poser de questions. Parfois ils échangeaient un peu à propos d’une des chansons, notamment lorsqu’Ayame lui demandait un avis sur ses performances. Bien qu’il n’y connaissait rien en musique, Viggo pouvait cependant dire qu’il aimait beaucoup l’entendre chanter et qu’elle avait tout simplement une très belle voix.
A mesure que le trajet avança, le suédois s’anima peu à peu. Se limitant au début à de simples tapotements des pouces sur le volant, il le fit bientôt avec tous ses doigts, puis se mit à hocher la tête en rythme. Par moments, il oubliait même qu’il n’était pas seulement en présence d’une musique, d’une voix et d’une guitare, mais d’une jeune femme en chair et en os à côté de lui. Il se retrouva ainsi à l’accompagner du bout des lèvres, comme une goute dans l’océan musical de la jeune femme. Son visage entier sembla prendre des couleurs, à moins qu’il ne s’agissait des lumières des feux arrières dans le trafic.

Les lumières de Tokyo furent bientôt en vue, plus vite qu’il ne l’aurait cru tant leur passe-temps musical était prenant. Ils s’enfoncèrent alors dans la capitale après avoir quitté la voie rapide et se retrouvèrent cernés par les innombrables enseignes lumineuses, innombrables miroirs sur les façades d’innombrables immeubles, innombrables passants, innombrables boutiques, innombrables voitures, innombrable Tokyo. Viggo observa ce spectacle comme sorti tout droit d’un roman de science-fiction avec un éclat visible dans les yeux. Eclat qui se dissipa rapidement lorsqu’ils s’arrêtèrent pour la troisième fois à un feu rouge en moins de trois cent mètres. Lui qui aimait la fluidité et la liberté de mouvement lorsqu’il se trouvait derrière un volant, la présence parfois un peu trop envahissante des feux rouges lui faisait le même effet que des interférences intempestives dans un casque audio avec lequel il écouterait de la musique. Alors qu’ils s’arrêtaient à un quatrième feu au milieu de l’accordéon du trafic tokyoïte, Viggo se passa la main sur le front et déclara :

« -Il va falloir trouver une place où se garer, puis un bar ou un restaurant. »

Elle fut légérement surprise que ce soit cette partie qu'il ai retenu. Aprés tout, elle estimait que c'etait probablement le sujet le moins interessant du lot. Aprés tout, ce n'etait pas arrivé, mais puisqu'il insistait, elle hocha la tete.

- Bah j'ai une famille extremement connue dans ce milieu la. Ma sœur ainée a faillit aussi, et comme c'est ma grand-mere qui nous a élevé, la plupart du temps, et que c'est une grosse....une grosse connasse, ouais j'ai pas peur de le dire, bah elle essayait de trouver déjà des bons partit. Mais un jour mon frere a pété un cable, et il a dit que si la vieille reparlait de ça, il fuguerait en m'emmenant avec lui. Ca lui a pas plu, mais y'a eu une grosse discussion avec mon pere, le fils de ma grand-mere donc, c'etait de ce coté la de la famille, et elle en a plus jamais parlée. De toute façon, peu de temps aprés, Arata a eu 13 ou 14 ans, je sais plus, et il a dit qu'il pouvait plus s'occuper de moi. C'etait sympa cette époque. Y'avait juste nous trois, moi, lui, et ma deuxieme sœur...et....

Elle redevint silencieuse un moment, observant le vide....puis agita légérement la main et repartir sur la musique. C'etait totalement idiot ce qu'il venait de dire d'ailleurs. Comparer le classique et la musique éléctronique. C'etait comme...comparé deux choses totalement différent.

- C'est débile cette question. Vraiment. La musique classique, c'est la mere de la musique moderne. Le fruit du labeur, de la transpiration de dizaine, de centaine, de millier de valeureux guerriers de la musique a la recherche d'amélioration. Ta musique éléctronique la, c'est tout le coté facile de la musique classique, sans le coté difficile. Tu crois que la musique, c'est appuyer sur un bouton pour reproduire ce qu'un homme doit travailler des années ? Non, c'est idiot. C'est comme comparer....tiens, ta voiture, par exemple...et...hum...un pamplemouse. Un pamplemouse c'est plus facile a découper que piloter ton engin. Et pourtant c'est pas pour autant que c'est mieux. Fin, c'est bizarrement dit, certes, mais c'est quand meme totalement ça voilà.

Elle s'arreta encore, grattant fébrilement les cordes de la guitare qu'elle venait de sortir, puis hocha la tete.

- La musique classique, c'est autant l'homme que l'instrument. La musique éléctronique, c'est l'homme qui appuie sur des boutons pour diriger l'instrument qui fait déjà tout de lui meme, voilà.

Difficile d'etre concise, et elle se relacha finalement en chantant de nombreuses chansons, a en perdre légérement le fil de la route, ne sachant plus du tout ou ils se trouvaient au bout de deux morceaux. Mais finalement, les lumieres de la capitale apparurent au loin, et il fut question de se garer. Elle haussa les épaules quand il posa la question.

- Range toi sur le coté et cherche un parking privé. Tu as les moyens non ?

Elle allait rajouter que trouver une place etait surtout difficile pour les gens non riche, mais a eux deux, ils avaient sans doute les moyens de plusieurs centaine de milliers de personnes de la grande mégalopole. Elle soupira en s'appuyant contre la portiere.

- Je commence a etre malade en plus...c'est vraiment l'enfer cette carcasse roulante....

C'etait rare qu'elle se plaigne. Ou bien elle etait vraiment a bout, ou bien cette « carcasse » etait un de ses points faibles cachés, seul engin capable de lui faire voir la vie plus sombre qu'elle ne l'etait. Elle le laissa chercher un endroit ou se garer, et quand enfin la porte s'ouvrit, a l'intérieur d'un parking souterrain, elle sauta et s'étira bruyamment :

- Pfouaaaaaa, enfin l'air. Enfin, l'air confiné. Plus qu'a rejoindre l'air frais pour enfin avoir l'impression d'etre humaine. C'est bizarre quand meme, voiture et musique éléctronique, a croire que tu aimes pas les humains.

Elle eu un sourire amusé, et remonta un peu son bas qui avait glissé lors de l'étirement impromptue, avant de récupérer sa guitare, et de la passer autour de ses épaules, avec la sangle prévu a cet effet :

- Outchi, c'est lourd.

Ca changeait surtout des sacs a mains, classiques de la gente féminine du XXIeme siecle.

- Bon, t'es le guide je te rappel, tu vas, je vais.

Il écouta attentivement ce qu’elle avait à raconter. Il fut tout autant étonné qu’Ayame traite sa grand-mère de connasse. Les choses n’étaient pas simples dans sa famille, ou du moins dans la partie de sa famille qui excluait ses parents et sa sœur. De toute façon, il n’y pensait quasiment jamais puisque les réunions familiales étaient rares de son côté. Mais l’idée de traiter la mère de son père de connasse lui parut un peu étrange. Enfin, il n’était pas à sa place et si Ayame parlait ainsi de sa grand-mère, elle avait surement de bonnes raisons. Cela ne l’empêchait pas de se souvenir d’une bonne époque, peu après.

« -Et… et tu aimes bien cette époque ? Je veux dire, tu es aussi heureuse, maintenant ou… ? »

S’il n’avait jamais vraiment été très attentif en cours de musique, Viggo se retrouva pour la première fois obligé de l’être quand Ayame entama ses explications. C’est à ce moment-là qu’il se dit qu’il aurait peut-être dû écouter un peu plus, autrement il ne serait probablement pas en train de recevoir une leçon de morale sur l’art musical par la jeune chanteuse. Il attendit sa déclaration finale pour répondre.

« -Je crois que j’ai compris, ton histoire de pamplemousse et de voiture. C’est juste que pour moi, que ce soit en grattant les cordes d’une guitare ou… ou en pressant les touches d’un synthétiseur et d’un ordinateur, par exemple, ça me parait tout aussi difficile de créer une mélodie rien qu’avec ça. Enfin, je n’en sais rien, je ne fais pas de musique, en même temps. »

Ce n’était pas vraiment l’idée du budget dont il était question dans son cas, mais déjà de trouver une place, qu’elle soit dans un parking privé ou au bord d’un trottoir.

« -Ouais, ce n’est pas faux. »

Si la plainte d’Ayame devait probablement être due au confinement prolongé dans l’habitacle combiné à la durée du trajet, elle ne put s’empêcher de faire ciller Viggo, surtout quand elle venait de lui faire toute une leçon sur la musique. Il ouvrit néanmoins la fenêtre afin qu’elle puisse respirer un peu d’air frais. Il n’avait pas envie qu’elle vomisse et encore moins dans sa voiture.

« -Ne dis pas que c'est une carcasse roulante. C’en était une quand je l’ai trouvée. Elle était poussiéreuse, elle tombait presque en morceaux et elle pouvait à peine rouler. Elle… comment dire… »

Il s’arrêta à un feu rouge, ses doigts tapotant sur le volant, comme s’ils l’aidaient à trouver les mots. Il se remit à parler avec un débit assez élevé en butant sur certains mots :

« -Imagine que tu trouves une guitare dans une brocante. Elle est sale, rayée de partout, trouée à un endroit il n’y a plus qu’une corde et cette corde se casse dès que tu la touche et en plus elle… elle fait un bruit horrible en se cassant. Cette guitare, tu.. tu décides de l’acheter quand même. Tu la répare, tu rachètes des cordes neuves pour rejouer toutes les notes avec, tu changes la base pour qu’il n’y ait plus de trou, tu la repeins dans une couleur que tu adores, tu la vernis, tu… tu en prends soin. Ça te prend du temps, de l’énergie de la patience, de… Enfin, bref, tu travailles beaucoup dessus. A la fin, cette guitare, tu la trouve encore plus belle qu’au départ, tu en es fière, elle fait un très beau son, comme si on lui avait donné une seconde jeunesse. Imagine maintenant, que tu grattes les cordes, que tu joues un morceau avec et qu’on te dit que ton instrument c’est qu’une… qu’une « carcasse bruyante ». Tu n’aimerais pas, non ? »

Au bout d’une dizaine de minutes, il trouva finalement un parking privé et s’y engagea. Après avoir récupéré son ticket, Viggo emmena la voiture au troisième sous-il où il y trouva finalement un emplacement où se garer entre deux voitures. Une fois le moteur coupé, il mit pied à terre et s’étira afin de faire passer l’engourdissement de trois heures passées sur un siège. Il récupéra sa veste satinée sur le siège arrière qu’il fit passer sur son épaule gauche en la tenant avec deux doigts puis verrouilla la Mazda. La dernière remarque d’Ayame le mit un peu mal à l’aise :

« -Ce n’est pas que je n’aime pas les humains, c’est juste qu’ils parfois un peu… compliqués, tu vois ? Enfin… pas tous, y’en a que j’aime bien, hein, comme… je ne sais pas, moi… »

Il la désigna du menton alors qu’ils commençaient à remonter les escaliers vers la surface :

« -Toi, je t’aime bien, par exemple. »

Il ne la connaissait pas tellement et bien qu’elle certaines manies que même lui ne pouvait pas s’empêcher de trouver bizarres, il aimait bien sa compagnie ou du moins ne la trouvait pas désagréable, contrairement à d’autres, même s’il ne parvenait pas vraiment à expliquer pourquoi. Remarquant sa difficulté à porter sa guitare qui lui semblait presque aussi grosse elle, il s’arrêta dans sa marche :

« -Tu veux de l’aide ? »

Une fois arrivés en haut de l’escalier, il regarda à gauche, puis à droite.

« -Bon… il n’y a plus qu’à trouver un endroit où se poser, alors. »

Le suédois baissa un peu la visière de sa casquette devant son regard avant de se diriger vers la gauche d’un pas tranquille. Ce qu’il trouvait assez incroyable avec Tokyo, c’était qu’avec toutes les enseignes lumineuses qui ornaient les immeubles et les magasins, on y voyait autant qu’en plein jour, seulement avec beaucoup plus de couleurs différentes. Après quelques minutes de marche sans rien dire, il se tourna la tête vers elle et lui demanda :

« -Sinon… tu es en vacances depuis début Juillet, toi, non ? Tu as fais des trucs en particulier ? »

Il guettait en même temps s’il n’y avait pas un endroit où ils pourraient dîner tous les deux, de préférence un endroit tranquille. Comme il l’avait prévu, il y avait du choix, beaucoup de choix. A croire que la rue dans laquelle il se trouvaient n’était composée que de restaurants. Il s’arrêta finalement devant un petit restaurant où il ne semblait pas y avoir beaucoup de monde ce soir. Il hésita un instant à demander son avis à Ayame avant de se rappeler de ce qu’elle lui avait dit plus tôt. Il entra finalement en lui tenant la porte.
Il s’agissait d’un restaurant assez sombre dans lequel était diffusé en fond sonore des musiques pops à la mode et était éclairé principalement par un néon de deux mètres bleu et rouge en forme de dragon en plus des lumières plus discrètes au plafond. Parmi les clients présents ce soir, il y avait un petit groupe d’étudiants en train de rire bruyamment à la grande table au fond au pied du néon, un couple de touristes européens en train de manger dans de petites barquettes ainsi qu’une jeune femme en train de pianoter sur son ordinateur dans un coin. Dans un autre coin, on pouvait observer les cuisiniers à l’œuvre derrière un comptoir au-dessus duquel était suspendu toutes sortes de nourriture. Ils prirent finalement place sur une table en acier sur laquelle brillait la lumière du néon, le long du mur. A en juger la carte et l’allure des clients, il devait s’agir d’une adresse recommandée, où la qualité des repas semblait être au rendez-vous sans se ruiner. Du moins, c’est ce qu’il lut sur une critique du restaurant sur son téléphone alors qu’il prenait place.
Viggo consulta la carte qui offrait un choix relativement large, aussi bien au niveau des entrées, des plats et des desserts, avant de lever les yeux vers Ayame :

« -Alors… tu trouves quelque chose qui te fait envie ? »

Si cet endroit semblait avoir parlé à « son esprit et à son cœur », pour reprendre ce qu’elle lui avait dit, il n’était pas tout à fait sûr qu’il parlait également à cette dernière.

Elle secoua simplement la tete en guise de réponse. Si elle etait heureuse ? Elle ne s'etait en vérité jamais vraiment posé la question.

- C'est bizarre de se demander si on est heureux. Ca t'arrive toi, le matin, de te lever et te dire « olala, comme je suis malheureux » ? Ou alors tu crois que les gens pauvres vivants en Afrique centrale se levent le matin et se disent « olala, je suis malheureux ? » Bah non. Ils font comme ils peuvent, avec la vie qu'ils ont, et quand ils se reposent aprés une dure journée de travail, ils se disent que c'est pas si mal d'avoir cette paillasse....On fait comme on peux avec ce qu'on a, y'a des périodes que l'on aime plus que d'autre, mais c'est comme ça.

Elle haussa les épaules comme pour accompagner sa déclaration qui etait, a ses yeux, d'une logique totalement implacable. Tout aussi implacable que ce qu'elle venait de lui raconter sur la musique. Elle ne prétendait pas avoir la science infuse, etre une genie ou n'importe quoi de ce genre. Elle n'avait pas la plus grande culture generale du monde, ni le savoir, et elle etait simplement douée avec sa voix et sa musique. Mais quand elle parlait, peu importe le sujet, quand elle évoquait quelque chose, elle en etait simplement convaincu, sans jamais réfléchir pour arrondir les angles d'une quelconque façon. Et si cela agaçait quelqu'un, c'etait la meme chose de son point de vu.

- Du coup ouais je suis sans doute heureuse....j'ai de la chance dans la vie aprés tout.

Elle le laissa finalement rebondir sur ce qu'elle avait dit sur la voiture. Peut importe ce qu'il essayait de lui expliquer pour la convaincre, ça restait quand meme une carcasse a ses yeux. Et puis elle resta un moment silencieuse, alors qu'ils trouvaient finalement a se garer. Il n'avait pas tord d'un coté, mais en meme temps, elle trouvait ca ridicule d'accorder autant d'importance a un bien materiel. Mais il n'avait pas tord....mais...il n'avait...arf, elle s'etait perdue.

- Ouais mais tu vois, perso, je vais jamais perdre mon temps a restaurer une guitare alors que je peux en avoir une neuve, qui marche bien, et qui m'aide a developper ma musique. J'avais de l'affection pour ma premiere guitare, mais c'est plutot lié a la musique que j'ai produis avec, pas a l'objet en lui meme. Une sorte de nostalgie. J'ai du respect pour le travail que tu as fais pour la remettre en etat, mais ca en reste pas que c'est une carcasse roulante pour moi. Tout comme la totalité de ce genre de vehicule. Les trains, c'est pareil, les avions, aussi. Tout ca c'est de la ferraille, crée par l'homme, pour l'homme. Mais ça a pas de cœur, pas d'ame. C'est sans importance.

Elle sauta du véhicule, et s'etira donc, en appreciant l'air, meme confiné, du parking. Elle s'engagea vers la sortie, portant son instrument tranquillement, en chantonnant.

Elle tapa dans les mains une fois, chantant energiquement.

Elle retapa dans ses mains avant d'éclater de rire, ayant totalement ingnorée sa proposition de porter l'instrument. Ou alors elle ne l'avait pas entendu ? Elle aurait refusée de toute façon. Une guitare, c'etait interdiction formelle d'etre prétée. « Tu pourrais la détraquer avec ton aura masculine », aurait elle dit si elle lui avait répondue. Mais dans tout les cas, elle s'arreta de chanter en sortant dans la rue.

- En vacances, moi ? Je suis jamais en vacances mon petit monsieur. Je suis une professionnelle.

Elle ricana. Aprés tout, elle n'etait plus vraiment étudiante. Elle continuait a suivre certains cours pour la forme, quand elle ne sechait pas, et restait au club de musique comme « ancienne », ainsi que tete d'affiche de la partie classique. Ca aidait d'avoir Ayame Masuda, successeuse du pianiste fantome Haruki, pour attirer de nouvelles tetes. Mais elle trouvait cela de moins en moins attrayant. Les tetes partaient, les nouvelles arrivaient, et elles n'etaient plus la petite musicienne qui jouait étrangement dans son coin, depuis qu'elle avait 13 ans, dans l'ecole privée a coté de Keimoo, et qu'elle venait visiter pour la musique. Ni la lycéenne, petite genie du piano et de la guitare, qui donnait des conseils que personne n'arrivait a suivre tant ils etaient tordus et finissait par inspirer une sorte de crainte respectueuse. Elle etait une ancienne maintenant...et cela l'interessait moins.

- J't'aime bien aussi. Mais faut que tu arretes de stresser comme ça, c'est super genant. Dés que tu fais une phrase complete, on dirait que tu vas faire un arret cardiaque.

Elle lui mit une claque dans le dos, pas vraiment a meme de beaucoup l'ebranler.

- Detend toi un peu ! J'suis pas si monstrueuse que ça, juste un peu bizarre.

Elle prit place a l'endroit qu'il lui avait indiqué avec entrain, sans jamais contredire la décision. Cela lui convenait totalement. Meme si elle avait repéré qu'il avait regardé les prix et les commentaires sur son téléphone au préalable. Elle avait ricané discretement, mais sans doute pas assez pour que cela passe innaperçue.

- J'veux un thé glacé ! Et hum....tiens, j'vais pas prendre de ramen. C'est Tokyo bon sang de bois. Faut un peu de nouveauté...Oh, c'est quoi ça....papillotte de saumon braisé. Ca a l'air bizarre. Avec des pommes de terre. J'en mange jamais. Hop la, vendu.

Elle referma la carte une seconde aprés l'avoir ouverte. Visiblement, elle avait litérralement prit le premier plat de la carte, sans réfléchir une seule seconde. Toujours aussi bizarre.....

Il avait été adopté par une des familles les plus riches du monde, voyagé aux quatre coins de la planète, était payé à faire le métier qu’il rêvait de faire depuis qu’il était tout petit et sa famille l’aimait. A côté, des pauvres gens d’Afrique Centrale, comme le disait Ayame, il n’avait aucune légitimité à se plaindre et il ne s’était jamais vraiment plaint.

« -Non, jamais je ne me dis ça, au contraire. Je voulais savoir du coup si tu étais dans une période que tu aimes ou que tu aimes moins, comme tu dis. Ce que je veux juste dire, c’est que les gens en général se préoccupent de ce que tu fais, de ce que tu vas faire ou si tu gagnes bien ta vie. Mais on ne demande pas souvent si on est vraiment heureux. »

La réponse de la jeune femme ne l’étonna pas vraiment. Elle venait d’un environnement familial similaire au sien, celui d’une riche famille réputée parmi les autres riches familles. Il y avait bien pire, comme situation. Il opina du bonnet en signe d’approbation :

« -On est deux dans ce cas-là, du coup. »

Il l’écouta attentivement parler de ses instruments. C’était étrange dans un sens car il aurait toujours cru qu’elle puisse chérir chaque instrument de musique comme un trésor, une relique d’une époque passée, si l’instrument était vieux. Mais de l’autre, elle n’avait pas tort. Après tout, qu’est-ce qu’est une guitare ? Six cordes attachées sur un manche attaché lui-même à une caisse creuse. La forme peut varier mais le son sera le même la plupart du temps. Ayame n’aurait sans doute pas besoin de cordes particulières ou d’un bois particulier pour que sa guitare reste agréable à jouer et puisse l’aider à produire sa musique. C’est du moins comme ça qu’il interprétait ce qu’elle disait. C’était le contraire d’une voiture, ou plutôt de toutes les voitures qui se composaient de centaines de pièces différentes, qui produisaient un son différent, des sensations de conduite différentes… Mais s’il le ressentait, c’était peut-être parce qu’il était l’expert en automobile, à cette table. Si Ayame venait à lui faire écouter différentes guitares, peut-être qu’elle pourrait facilement dire la différence entre elles.

« -Donc si j’ai bien compris, pour toi le plus important ce n’est pas ce qu’on a, c’est ce qu’on fait avec ? »

A y réfléchir de la sorte, Viggo réalisa qu’il était peut-être beaucoup plus matérialiste qu’il ne le pensait… ce qui ne lui donna pas vraiment le sourire, quand il détestait à quel point certains enfants issus de riches familles pouvaient étaler leurs possessions. Il l’avait bien remarqué dans certaines écoles privées qu’il avait fréquenté.

« -Mêmes les professionnels prennent des vacances, tu sais ? »

Du moins, c’est ce que les gens faisaient dans son métier, il n’était pas sûr que cette règle ne s’applique partout. Mis à part certains ingénieurs qui devaient retravailler les voitures, les pilotes comme lui, les mécaniciens, les managers, les commissaires de course, les photographes de piste, les journalistes spécialisés… Tout ce cirque ambulant profitait devait profiter du break d’été.

« -Hein ? Tu trouves… ? »

Il blêmit, son regard fixant maintenant le vide d’un air mi-accablé, mi-contrarié. Il avait pourtant l’impression d’avoir fait des progrès, surtout cette année pendant les conférences de presse ou auprès des journalistes. Mais il se rendit compte que c’était surtout parce que les mêmes questions revenaient souvent et qu’elles concernaient toutes son métier, ce qui était ce qu’il aimait le plus au monde : « Êtes vous satisfait de votre résultat en course ? De votre temps durant les séances d’essais ? Que pensez-vous du circuit du week-end prochain ? Pouvez-vous nous en dire plus à propos des changements apportés à la monoplace ? »
Le reste, maintenant qu’elle le soulignait, il n’en menait pas souvent le large… C’était quelque chose sur lequel il allait vraiment devoir travailler, pensa-t-il alors qu’il sentit la main d’Ayame lui taper dans le dos.

« -Mmm… Non, je ne dirais pas monstrueuse. Mais ouais, peut-être que tu es un peu bizarre. »

Et encore, lui n’était pas totalement clean, il le savait. Deux jeunes gens bizarres issus tous deux de familles riches qui dinaient tous les deux à la même table, l’une étant une chanson en pleine ascension et survoltée H24, l’autre étant un pilote de Formule 1 accro à l’adrénaline mais qui bégayait presque dès qu’on se mettait à lui parler d’autre chose que les voitures.
Viggo se pencha sur son menu et resta perplexe :

« -Euh… »

Il mit un long moment pour faire son choix avant de répondre :

« -Je pense que je vais prendre un karaage avec euh… du riz. Et une Ramune, en boisson. »

Il aurait pu faire une commande bien plus originale, mais c’était tout ce qui lui donna envie, pour l’instant. Il referma son menu et soupira avant de regarder autour de lui, le regard attiré par le groupe d’étudiants puis par le grand néon au mur. Il reporta finalement son attention sur Ayame :

« -Sinon… tu as des trucs de prévus pour les prochaines semaines ? Je ne reprends la compétition que début septembre. »