Camembert

     Le soleil était loin d’être levé lorsque le réveil d’Ethel se mettait à sonner à présent. Loin était le temps des grasses matinées, voir des pas de matinées du tout. Six heures du matin, la routine bien réglée pouvait commencer. La rouquine filait à la douche, les pieds glacés et les membres engourdis par sa nuit encore trop présente. Pas le temps de traîner ni de se laisser aller à penser sous l’eau chaude. En dix minutes elle était sortie, en vingt minutes, habillée et coiffée. Certaines fois, son ancienne tête lui manquait, ses cheveux roux ruisselant sur ses épaules dans un capharnaüm innommable. Le matin n’appartenait jamais à ces moments. A peine un coup de doigts dans sa coupe mi longue, un peu de secouage pour tout remettre en place et elle était prête à partir. Pour la cuisine. S’en suivait une demi-heure de cuisine pour le repas du midi de son fils, et elle s’appliquait. Pas question d’être jugée indigne. Pratiquement sept heures, l’heure de réveiller son fils, à huit heures trente, déjà épuisée, elle posait son fils à la garderie.

Neuf heures, elle rentrait, s’étalait sur le canapé, cherchant la paix mentale. Qui ne venait jamais. Petit à petit, seconde après seconde, la liste de choses à faire s’agrandissait dans son esprit. Chaque jour elle tentait de l’ignorer, se disant qu’elle pourrait allumer la télé, juste un peu – acheter une télé – ou se faire un thé alors, le thé qu’elle adorait boire avant – elle l’avait fini la veille, il faudrait en racheter – aller se promener, flâner dans la ville alors – chercher un travail - - ouvrir une ligne de téléphone - - acheter un téléphone - - aller au marché acheter des carottes et du riz - -…. Elle se leva, résignée. La télé, ça pouvait attendre, elle ne voulait pas que Loïs ne prenne de trop mauvaises habitudes. Du thé, il lui en restait plein, tant pis si ce n’était pas son préféré. Aller acheter un téléphone, il fallait bien qu’elle se résolve à le faire. Jamais Ethel n’avait eu de téléphone. Au début, elle trouvait cela inutile, puis elle avait fini par trouver cela agréable, et plus elle en avait eu besoin plus elle avait refusé d’en avoir un. Puis pour le travail, cela avait fini par être obligatoire, et on lui en avait fourni un, du genre du vieux nokia 3310 qui à part appeler ne fait pas grand-chose. Mais elle avait quitté ce travail, et si elle voulait en trouver un autre, si elle voulait faire semblant d’avoir une vie un tant soit peut organisée il fallait qu’elle en achète un.

Elle mit un manteau, et se dirigea vers le centre-ville. Une petite demi-heure de bataille avec le vendeur, qui bien évidemment tenta de lui vendre les dernières nouveautés, qui peut bien avoir besoin d’un Iphone ? Elle fini par ressortir avec son petit 3310 jaune, et la mine dépitée du vendeur. Elle était dans le centre-ville. Toutes ces rues qu’elle aurait pu parcourir les yeux fermés, ces magasins où elle avait flâné pendant des heures entières.  La jeune fille ne pu s’empêcher de s’arrêter devant le magasin d’art. Rien qu’à repenser à la fortune qu’elle avait du dépenser à l’intérieur elle sourit. Le vieil homme qui tenait la boutique la reconnu et lui fit signe, la rouquine répondit d’un sourire mais ne s’attarda pas. Elle n’avait plus le temps pour ça.

Il lui restait à acheter des carottes avant de continuer sa journée. La rouquine se dirigea donc vers un convenience store. Rajoutant à son panier quelques carottes, du riz, elle passa dans le rayon des laitages, et tomba sur une petite section « Fromage du monde » Elle du s’y reprendre à deux fois pour comprendre. Dans le rayon, un camembert bien seul et deux brie se regardaient dans le blanc de la croûte. Après avoir passé un an en France, et voyagé à travers les vignobles – qui n’étaient certainement pas les derniers à faire l’apologie de leurs fromage locaux et oh combien ils allaient avec leur vin – elle ne pu s’empêcher de rigoler. Et d’acheter le camembert, il avait l’air si seul le pauvre. Il était environ 4 fois plus cher qu’en France, mais pour le geste, elle décida de fermer les yeux sur son budget. Manger du camembert au Japon, ça ne pouvait se refuser.

« Etudiante en français, je recherche quelqu'un parlant français pour discuter en français, pourquoi pas autour d'un thé ?  Merci de contacter ce numéro : 570-550-634  »

L’annonce la fit sourire tandis qu’elle repensait à l’académie Keimoo. Et puis, pourquoi ne pas répondre après tout ? Le français elle le parlait, peut-être pas parfaitement mais elle venait de passer un an en France, alors elle devrait pouvoir au moins essayer. Le temps n’était pas si loin où elle avait du demander de l’aide à son ancien professeur de mathématiques. Décrochant son superbe nouveau téléphone, elle composa le numéro, et tomba sur le répondeur. La jeune fille devait probablement être en cours à l'heure qu'il était

« Bonjour, je m’appelle Ethel Dawkins, je viens de voir votre annonce et bien que mon français ne soit pas parfait, un cours de conversation me dirait beaucoup, même si je ne sais pas si on pourra véritablement appeler cela un cours. Enfin, bref, si jamais vous cherchez toujours quelqu’un pour converser en Anglais, rappelez moi ! Je serais disponible aujourd’hui jusqu’à 17h si vous voulez me rencontrer. »

Whow, laisser un message était beaucoup plus dur qu’il n’y paraissait, mais elle avait l’impression de ne pas trop mal s’en être sortie pour une première fois. Elle regarda sa montre, peut-être qu’au final elle avait un peu de temps pour le magasin d’art.