Le chant de l'archet frotté contre les cordes emplissait les airs et envenimait un par un les sens jusqu'à les atténuer, doucement, délicatement. Insidieusement. Il y avait ce chant et Haruki, il marchait droit au dessus du silence dans l'espoir de se dissoudre dans l'unicité d'un son, la complainte d'un violon. Il passait tous les soirs devant ce bâtiment dit celui des clubs, sillonnait sans bruit dans ses couloirs souterrains, empruntait ce passage devenu habitude depuis quelques semaines. Haruki Lei, il était capable de se créer de nouvelles habitudes, de nouvelles obsessions et il restait ainsi à s'oublier dans une fascination sans nom jusqu'à qu'on bouleverse de nouveau son quotidien. Ce soir, les mesures défilaient et l'érable verni gémissait une fois de plus d'un appel mélodique qui ne rentrait pas dans son vaste répertoire. Et comme tous les autres soirs, tout d'un coup il y avait un silence alors qu'il s'approchait de la porte, l'œuvre s'arrêtait brutalement et Haruki se mettait à son tour à leur tourner le dos. A ces mesures infinies, à ces notes à demi prononcées, à cette partition inachevée. Et pourtant.
Un froissement d'ailes et une pause interminable. Des croassements depuis un ciel invisible au delà des coins de murs. Il n'y avait plus qu'une porte à pousser, plus qu'une pression infime à intimer, l'effleurement fragile d'une volonté. Le silence durait et la suite ne reprenait pas. Une ombre se faufila soudain dans la pièce et pliait son obscurité au sol les jambes presque en tailleur, les mains liant les pieds entre eux dans un équilibre laissant à désirer: on eu dit une grenouille s'amusant avec ses pattes. Animal curieux, il était assis au sol à l'angle de la porte comme s'il s'y était toujours trouvé et observait l'Origine de la musique, de dos, avec pour prolongement dans le bras un violon brisé par son silence. Il prit finalement la parole d'une voix atone: c'était une tonalité grave mais légère, une intensité présente mais piano, inexpressive mais existante. Elle tombait de nulle part, il arrivait d'un non lieu, se manifestait depuis rien.
-Bleu rompu. Bleu rabattu, orange dégradé. Vert plat, vert plat. Jaune.
Il fixait sans ciller l'instrument, il aurait pu l'absorber dans le trou noir qui couvrait ses orbites, deux orbes très noires.
-... Est ce que tu dois jouer.
Il n'avait pas bougé. Ses mots se découpaient clairement un à un, il laissait l'impression de les prononcer sans qu'il doive y avoir un quelconque lien entre eux. Seule la logique persistait et Haruki l'entendait. La fenêtre était ouverte, son visage s'y orientait lentement, il fermait les yeux et sentait une brise impalpable sur le néant de ses pupilles, dans l'obscurité de son âme.
Il n'y avait pas de vent.
Amalia Williams ♣ Université - 2ème année
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KMO :
Sujet: Re: We were born sick Mer 15 Juin 2016 - 0:13
"Vous avez un don mademoiselle. Cependant.. À quoi sont liés ces silences ?
-Un traumatisme d'enfance.. Je n'avais plus réussi à jouer du violon depuis et.. A présent lorsque j'en joue, je n'arrête pas de la revoir, la source de ce traumatisme.. C'est tellement déstabilisant que mon corps stoppe toute action.."
Les pupilles noires de son professeur l'avait sondé sans pitié avant qu'il ne prononce sa sentence.
"Entraînez-vous mademoiselle Williams, c'est là le seul conseil que je puis vous donner."
C'est donc ce qu'elle faisait. Sans relâche elle jouait, tentant de réhabituer ses membres au violon. Mais l'esprit est bien souvent plus fort que le corps. Provoquant arrêts, silences, sans que la lycéenne ne puisse lutter contre cela. Une volonté de fer la poussait à recommencer, sans lui donner le temps de laisser libre cours à sa frustration. C'était là sa plus grande force mais aussi sa plus grande faiblesse.
1, 2, 3, 4 essais.. Puis Amalia cessa de compter. Le nombre d'essais n'était pas vraiment important, seul le résultat comptait. Mais le temps passé se fit doucement sentir, tel un serpent englobant lentement sa proie. La jeune femme ne pourrait dire avec exactitude combien de temps elle avait passé à jouer mais elle pouvait aisément dire que cela faisait un très long moment, à en juger par ses membres endoloris. Son esprit s'était évadé, éparpillé dans l'air, dès les premières notes. Seules les répercussions physiques pouvaient lui indiquer le temps qui s'était écoulé.
"Bleu rompu. Bleu rabattu, orange dégradé. Vert plat, vert plat. Jaune... Est ce que tu dois jouer. "
Amalia n'avait pas entendu la porte s'ouvrir. Cette présence inattendue fit revenir son esprit dans son enveloppe charnelle, lui faisant prendre conscience de son environnement. Puis elle prit conscience des paroles de celui ayant parlé. Cela n'avait.. Aucun sens. La brune eut beau chercher, elle ne compris pas la signification se cachant derrière ces phrases dénuées de sens et de logique. Elle se retourna doucement afin de découvrir son interlocuteur.
Il était assis à l'angle de la porte. Une partie de son crâne avait été rasée et de multiples piercings se trouvaient sur son visage. Visage asiatique surplombé de deux orbes noires, qui attira son attention plus que son look décalé. Leur noir intense engloba les iris turquoise d'Amalia en un millième de seconde. Ce fut comme si elle s'était retrouvée aspirée par l'univers même, sans point de gravité, rien qu'un noir intense. C'était.. troublant. Enfin, Amalia revint à elle.
"Vous pouvez être plus explicite ? Je ne comprends pas ce que je suis censée jouer."
Elle avait à nouveau le contrôle. Ciel que c'était agréable après tous ces tourments. C'était là un tableau bien étonnant que ces deux personnes semblant si différentes offraient. Après tout, il est rare de voir paraître un gothique et une demoiselle ensemble, mais après tout le secteur de la musique peut rapprocher n'importe qui, non ?
Spoiler:
Pardon pour la longue attente ! >.<
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Sujet: Re: We were born sick Mer 13 Juil 2016 - 1:27
"Vous pouvez être plus explicite ? Je ne comprends pas ce que je suis censée jouer."
La voix fusait dans les airs, la voix obligea Haruki à ouvrir les yeux pour se concentrer sur la fragrance de sa nouvelle sonorité. Les regards se croisèrent, brièvement, avant que les néants de ses orbites glissent vers le sol, sur lequel il se mit à pianoter d'un index, avec l'hésitation d'un débutant sur le clavier. Vert, vert, jaune. Il les voyait ces couleurs inscrites sur les touches de son instrument imaginaire, il les voyait autant qu'il les entendait chanter pour lui à mesure qu'il les désignait. Les notes étaient des teintes et les teintes étaient résonances, la moindre harmonie qui en résultait pouvaient lui provoquer des sensations comme si sa vie en dépendait. On lui avait appris à y survivre et à vivre avec, mais ses sens primaires ne disparaissaient jamais tout à fait.
-C'est parce que tu veux comprendre que tu ne peux pas jouer.
C'était un murmure, auquel il n'avait pas réfléchi. Le début du morceau qu'elle jouait, il le connaissait depuis, mais c'était toujours vers les mêmes mesures que sa musique cessait brutalement, sans aucune transition. Il levait la voix.
-Joue la suite.
Le silence s'installait de nouveau et Haruki se leva de son coin pour se diriger sans un bruit vers la fille, oiseau nocturne qui fondait sur sa proie sans le moindre froissement des airs.
-Je veux l'entendre.
Il y avait derrière ces interjections, nulle forme d'autorité; prononcées d'une voix dépourvue d'intonation, Haruki donnait l'impression de commenter un fait des plus anodins. Et si la fille s'apprêta à jouer, il acheva son initiative en lui saisissant doucement l'archet, puis le violon. Il savait qu'elle pouvait jouer des heures durant, à s'entraîner sur le même passage qu'elle maîtrisait pourtant au delà de la perfection, à rejouer comme une folle pendant que lui, il l'écoutait depuis l'extérieur. Depuis la porte d'entrée du rez-de-chaussée, le refrain ettouffé les cordes frottées hérissait les frissons de son âme malgré le mécanisme répétitif d'une machine, incapable d'effectuer sa suite de tâches jusqu'à la fin de son programme. C'était cela, il n'y avait plus de musique mais des sons, sons qui parvenaient de par leur nature, à faire frémir son être. Haruki positionna le violon sous son menton et inclina légèrement la tête. Tout violoniste pouvait lui détecter une position maladroite, depuis son maintien jusqu'au port de l'archet et c'est dans cette novicité qu'il posait ce dernier sur l'instrument. Le son trembla avant de chanter une note inexistante et tellement fausse dans la perfection mathématique de la gamme, qu'il fronça des sourcils. Il plaça les doigts sur la première corde pour monter d'un ton à l'autre, d'un chant aussi étrange que décalé. Le do prenait des allures grisées, le ré devenait mauve au lieu de sonner incarnadin; malgré tout, la consistante du son plaisait à son ouïe, tant et si bien qu'il s'immobilisait pour oublier les détails qui affluaient dans sa tête.
Il soufflait.
-Quelle partition tu joues ?
Car il n'y avait, ni pupitre ni morceaux imprimés. Elle jouait sa mémoire.
Amalia Williams ♣ Université - 2ème année
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Sujet: Re: We were born sick Dim 17 Juil 2016 - 11:18
A sa grande surprise, il ne répondit pas et se mit à pianoter sur le sol. Elle l'observa, sans rien dire, jouer sur un piano imaginaire. C'était un comportement vraiment étrange..
"C'est parce que tu veux comprendre que tu ne peux pas jouer."
Elle ne jouait pas assez.. naturellement ? C'était cela qu'il voulait dire ? Amalia fronça les sourcils. Cette dernière n'avait pas l'impression de chercher à comprendre, elle jouait mais était sans cesse coupée par ses souvenirs tout simplement.. Peut-être que réessayer tant de fois finissait inexorablement par la rendre si tendue que ses gestes devenaient mécaniques, habituels, sans suffisament de naturel pour qu'elle puisse jouer. Ou simplement l'apparition répétée de son traumatisme qui rendait son esprit trop présent pendant qu'elle jouait.. car oui, Amalia voulait comprendre pourquoi ses souvenirs ne cessaient pas d'apparaître lorsqu'elle jouait, ce n'était pas pour rien qu'elle en était à lire des livres psychologiques pour faire disparaître un traumatisme. Etait-ce donc cela qui l'empêchait de jouer ? Au lieu d'essayer de comprendre son problème pour le résoudre, elle devait l'ignorer et jouer comme s'il n'existait pas ?
"Joue la suite."
..La suite ? Depuis que la jeune femme avait recommencé à jouer du violon, à chaque arrêt elle reprenait au début mais.. Peut-être que jouer la suite sans se soucier de ces silences serait plus efficace. Peut-être qu'une fois le morceau jouer du début jusqu'à la fin, ces arrêts seraient plus rares.. Mais mieux valait ne pas se bercer d'illusions, cela pourrait être tout aussi inefficace mais il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir. Elle devait donc à nouveau jouer.
"Je veux l'entendre."
La brune regarda le gothique, légèrement surprise. En dehors de sa mère, personne n'avait voulu l'entendre jouer, non pas pour évaluer son niveau comme son professeur du club de musique, mais juste par envie. Son regard se tourna vers son archet tandis qu'elle se remémorait là où elle s'était arrêtée. Le japonais, qui s'était positionné devant elle sans que la jeune femme ne le remarque, lui prit son instrument des mains et fit glisser l'archet sur les cordes, provoquant une fausse note qui lui arracha une légère grimaçe. Mais cela n'était pas surprenant, il suffisait de voir la manière dont il se tenait pour comprendre qu'il était un parfait novice en matière de violon. Pourtant il réitéra; des notes toujours aussi fausses mais cela ne paraissait pas le déranger outre-mesure.
"Quelle partition tu joues ?"
Absorbée dans son observation, quelques secondes passèrent avant qu'Amalia ne donne finalement sa réponse. Elle ne voyait pas à quoi cela lui servirait de connaître cette information mais bon.. Qu'avait-elle à perdre ?
"Sicilienne de Fauré."
La belle brune tendit doucement ses mains vers lui. "Je peux reprendre mon violon ? Je vais essayer la méthode que vous m'avez proposez."
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Sujet: Re: We were born sick Dim 24 Juil 2016 - 23:54
COMMAND ME TO BE WELL
Hésitant, Haruki finit par rendre l'instrument à la fille mais gardait l'archet. Il appréciait définitivement la teneur du son de l'instrument, la puissance de son chant capable de caresser son être jusqu'aux tréfonds de son âme.
-Non attends. Pas la Sicilienne de Fauré.
Aujourd'hui n'est pas le bon jour pour la sicilienne, ni celle à Fauré. Haruki posa une main sur l'épaule de la musicienne pour la dissuader de continuer. Il semblait réfléchir dans cette posture statufiée et retira finalement ce contact futile comme s'il avait rien dit. Puis d'un index il indiqua le plafond.
-Tu peux jouer... De la musique ? Le son de la pluie. Le chant du soleil qui se lève. La partition qui existe pas sur papier.
Celle que personne ne trouve parce qu'elle est unique. Tout ce que Fauré n'a pas écrit et qu'il n'écrira jamais.
-Improvise.
Je veux entendre le son de ta musique.
-La musique que tu n'as pas besoin de comprendre pour jouer.
Haruki recula et s'assit sur le dossier d'un siège, les pieds sur l'assise. Dans ses gestes l'équilibre semblait fragile et sur cette fragilité il semblait constamment jouer tel un funambule de la vie. Il n'y avait pas de piano dans cette salle et il valait mieux ainsi car aujourd'hui c'était au tour de cette fille de laisser résonner son solo jusqu'au bout. Depuis son entrée à Keimoo, il s'initiait à l'accompagnement instrumental mais en ce domaine il était mauvais, car, Haruki Lei était indéniablement une âme de soliste, celui qu'on suivait et qu'on accompagnait sans jamais parvenir à lui reprendre la partie principale. Il devait s'améliorer mais on ne changeait en rien la nature de Lei. Quoi qu'il jouerait se découperait du reste parce qu'il en était ainsi. Il fallait le vivre pour l'admettre.
-Ne souffre pas. Ne pense pas. Joue.
Tandis que le silence opérait, il rendait l'archet au sa propriétaire. Son attention s'accordait sur les premiers sons frottés, il fermait les yeux.
Amalia Williams ♣ Université - 2ème année
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Sujet: Re: We were born sick Lun 1 Aoû 2016 - 20:39
Le japonais paru hésiter mais lui rendit son violon, gardant néanmoins l'archet, sous l'œil septique d'Amalia qui attendait qu'il le lui rende. Mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui dise cela et le regarda avec surprise. "Pas la Sicilienne de Fauré ? Je comprends plus trop là.. Il veut que j'invente quelque chose ?" En effet, il confirma très vite ses suppositions. Amalia réfléchit. C'était pas bête du tout en fait.. Elle se demandait comment elle avait pu ne pas avoir cette idée plus tôt. Jouer une mélodie sans rapport avec sa mère lui serait sûrement bien plus accessible ! Comme il le disait, elle n'aurait pas l'occasion d'essayer de comprendre, elle devra simplement jouer les notes qui lui viennent.
Le brun se recula et s'assit sur une chaise mais la lycéenne y prêta à peine attention, tout occupée qu'elle était à se remémorer ses paroles. "Le son de la pluie.. Il faut que je pense à la pluie.. Qu'est-ce que je ressens quand je la vois ? Quelle note lui correspondrait ?" Comme pour couper court à ses réflexions, le gothique réapparut pour lui rendre son archet tout en l'incitant à jouer. La belle serra son archet dans sa main quelques secondes puis le fit glisser avec délicatesse sur les cordes de son violon. Un premier son retentit et la jeune femme en provoqua un second qui s'accordait au premier, et ainsi de suite jusqu'à créer une mélodie, la mélodie que lui inspirait la pluie. "Une douce chanson mélancolique et insaisissable.." Puis les dernières notes parurent et le silence revint. "J'ai réussi." Amalia mis un moment à s'en rendre compte. Elle avait vraiment réussi.. Elle avait joué sans un seul arrêt. Cela lui paraissait si irréel. Au lieu de ressentir une immense joie, il n'y avait rien d'autre qu'un profond vide, comme si elle était incapable de réaliser ce qu'il venait de se produire.
"C'était donc si simple ..? murmura-t-elle ébahie."
Prenant doucement place dans un siège, elle posa son instrument sur ses genoux et le fixa, comme s'il eut été capable de lui fournir des réponses. Amalia grimaça légèrement en frottant sa nuque; elle avait aussi des picotements dans son dos et ses jambes. Combien de temps était-elle restée debout ? La jeune femme eut un hoquet de surprise en voyant l'heure. Elle ne pensait pas avoir joué pendant autant de temps ! Et dire qu'il lui restait encore ses cours à relire et à apprendre, ainsi que ses soins -vitals- pour la peau.. Pff, ça lui apprendra à ne pas faire attention à l'heure. Découragée d'avance, l'élève studieuse poussa un profond soupir exprimant son désespoir avant que son regard ne tombe sur le pianiste.
"!!!"
Elle avait complètement oublié sa présence et se sentit honteuse étant donné que c'était grâce à lui qu'elle avait réussi à jouer. Il lui avait rendu le plus grand service possible. La brune rangea son instrument dans son étui, passant la sangle sur son épaule, et se dirigea devant lui avant de s'incliner poliment.
"Merci beaucoup pour votre aide. Si vous n'aviez pas été là j'aurais sûrement joué encore longtemps avant de réussir à ne plus subir ces "arrêts".. Alors merci infiniment, si je peux faire quoi que ce soit pour vous n'hésitez pas à me le demander."