Je revois ses yeux, ses deux organes me fixant avec intensité, un regard tout sauf amical. Des centaines de messages que l'on pouvait faire transiter d'un simple regard, j'étais tombé sur la haine, la chaude, celle qui vient après la honte et la colère de s'être fait ainsi couillonner. J'aurais volontiers expliqué au tas de muscles entourant ce regard que la balle de golf qui avait défoncé le pare-brise de sa voiture n'était pas arrivé là intentionnellement mais je pense qu'il ne m'aurait pas écouté.
Me retrouver n'avait pas du être bien difficile, mes virés nocturnes sur les toits des bâtiments jouxtant le parking afin de travailler mon swing étaient préparées et peu nombreuses au début, puis, comme souvent, la prudence avait laissé place à son opposé. Malgré mon isolement de nombreux élèves avaient sans doute remarqué que j'avais en ma possession l'attirail du parfait golfeur. Étonnant d'ailleurs que l'administration ne m’ait pas encore interpelé.
Je me suis fait avoir comme un bleu.
Nous étions à l'entrainement de Kendo, là où normalement les coups bas n'ont pas lieu d'être, où l'adversaire est pour moi plus qu'un simple divertissement. Tout homme pénétrant le tatamis a droit au respect. Apparemment, tout le monde ne pense pas comme moi, bande de barbares.
Il avait profité de quelques dos tournés pour exécuter un mouvement bien trop puissant et bien trop rapide pour un simple entrainement aux techniques de base. J'aurais pu chercher à le parer, enfin ce qui est fait, est fait. Je me revois m'écrouler dans un souffle court, me tenant les côtes flottantes, ma vision obscurcie par des étincelles de douleur. Les protections avaient amortie la puissance du coup, "rien de cassé" selon les premières observations, mais la douleur était bien là. On me transporta rapidement à l'infirmerie, m'expliquant volontiers que l'académie ne voulait prendre aucun risque... et caetera.
Alors me voilà allongé avec interdiction de bouger d'un lit inconfortable dans une infirmerie sentant l’hôpital, le kimono à moitié ouvert, les cheveux détachés, les protections laissées au sol à côté, un regard bovin rivé sur le plafond, plafond que je commence à connaitre par cœur. Moi qui pensait que l'université serait plus intéressante... Je soupira en tâtant mes côtes mises à mal puis le moineau ornant le flanc opposé, une chance que cet abruti n'ai pas frappé le flanc tatoué, la situation aurait été autrement plus complexe et je n'avais pas vraiment envie d'expliquer devant un comité disciplinaire le pourquoi de ce tatouage.
La porte s'ouvrit, laissant entrer l'infirmière. Je cru mon calvaire sur le point de se terminer mais mes espoirs s’évaporèrent bien vite devant l'entrée d'un autre blessé, d'une en l'occurence. Plus jeune que moi, occidentale d'après ses traits, plutôt jolie, peut-être trop d'ailleurs.
Je remis correctement mon kimono, quelle idée de mixer les deux genres dans une infirmerie? Me prendre un coup en traitre devant les autres n'étaient déjà pas assez humiliant apparemment.
L'infirmière partit, je me fis violence pour ne pas l'envoyer paître elle et sa bonne conscience d'aide soignante tandis que ma nouvelle camarade de circonstance s'allongeait.
Je soupira, puisque j'étais là pour encore un petit moment, autant jouer au social.
"On fixe le plafond durant deux heures ou on cherche à faire autre chose?"
Bravo Takuya, tu n'avais pas plus direct?
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