Bienvenu Sherlock Holmes [Seth Darnell]

Seule, dans la salle des professeurs, Judikaël s'affairait à dessiner sa tasse de thé et le spéculoos à son côté. La courbe de l'anse de sa tasse avait un côté fascinant qu'elle ne pouvait s'empêcher de détailler, trait par trait, essayant de rendre compte parfaitement de l'ombre qu'elle faisait sur la tasse et le petit accroc sur le côté le plus haut, où un morceau de porcelaine avait éclaté. Ça faisait un an maintenant que la jeune femme avait investi Keimoo Academy, sans que beaucoup de changements ne se fassent, mais elle imaginait déjà l'année qui allait suivre avec délectation. Une deuxième année scolaire allait commencer, avec de nouveaux élèves, de nouvelles passions, de nouvelles choses à découvrir pour elle, qui n'avait toujours pas trouver de logement stable pendant tout ce temps. Déjà, on lui avait proposée la direction du club de littérature, et quelle joie c'était, pour la jeune femme, de se voir chargée de telles responsabilités. N'ayant plus qu'une hâte, que tout s'accélère et qu'une explosion de bonheur inonde son monde, maintenant qu'elle lui tendait les bras, Judikaël apprivoisait les biscuits sucrés en les griffonnant dans son cahier bleu, à défaut de pouvoir déjà les manger.
Le directeur bondit soudain dans la pièce, dégoulinant de sueurs. Sursautant à son arrivé, la jeune femme se redressa et cacha son carnet, honteuse, prise comme une élève dessinant pendant les cours. Ne s'étant rendu compte de rien, il lui sourit :

« Mademoiselle Coda, vous êtes toute seule ? La pause de midi est presque terminée, je m'attendais à trouver tout le monde ici. »

Visiblement, le bonhomme avait hésité sur l'appelation mademoiselle, au vu de l'androgynie total de la jeune femme. Il n'y avait jamais personne en salle des profs. Les professeurs du lycée était d'ailleurs un mystère pour elle qui, mis à part Hayden, n'en avait jamais croisé, alors même qu'elle en était une.

« Ah euh oui, je ne donne pas cours avant quinze heures, j'ai un peu de temps devant moi. »

Il lui sourit. Les plis de son visage que creusaient ses fossettes venaient se remplir de sueur aussitôt. En pure curiosité artistique, Judikaël y voyait un élément intéressant, rapprochant le directeur d'un porcin. Il avait du avoir couru de son bureau à la salle des profs, mais pour quoi faire ? Sentant soudain le poids du monde sur ses épaules, elle tendit ses muscles afin de rester droite. Le directeur continua :

« Parfait, parfait. Excusez-moi de vous demander ça Mademoiselle Coda, mais nous avons un nouveau professeur arrivant tout juste aujourd'hui, il n'a jamais enseigné. Pourriez-vous vous charger de l’accueillir et de lui présenter l'établissement ? »

Se levant du canapé, Judikaël salua le professeur en s'inclinant respectueusement. Elle jubilais intérieurement : un nouveau professeur !

« Bien monsieur.
-Je compte sur vous »

Le porcin partit en claquant la porte. Surprise, Judikaël se releva quand il entra à nouveau pour s'excuser avant de repartir. Mine de rien, elle ne savait rien non plus sur le proviseur de Keimoo. En vitesse, elle rangea ses affaires dans son cartable noir avant de filer en direction des couloirs.

Les nouveaux élèves couraient déjà, dans leur uniforme neuf, au beau milieu des couloirs. Tout respirait la gaieté dans l'établissement et sur son chemin, le professeur rencontra quelques groupes d'anciens élèves présentant l'établissement aux premières années. Elle-même, qui était arrivée un peu en retard, se souvint de sa propre visite du bâtiment, par Zakuro Fea, le président du conseil des élèves, et cet étrange détour vers les toilettes des garçons et les chambres de l'internat. À la réflexion, il n'aurait pu lui faire une meilleure visite, lui faisant découvrir toute la mélancolie des lieux que le jeune homme avait connu, de ses histoires sulfureuses, partagée avec ce mystérieux Joshua. Elle qui empruntait son prénom pour se travestir. Zakuro était un drôle d'élève, mais surtout de personne, avec qui elle avait plaisir à passer du temps. Plus qu'un élève, peut-être son seul véritable ami au pays du soleil levant. Et quel ami.
Un de ces jours, il faudrait qu'elle lui parle de Joshua. Non pas cet amour qu'il avait connu, mais cet homme pour lequel elle se fait passer. Même après avoir pris conscience de son anorexie, Judikaël avait compris que cette lubie ne la quitterait pas, et son corps, bien qu'il ait repris quelques forces, semblait la suivre dans cette voie qu'est l'androgynie. Et elle prenait le parti d'aller plus loin que l'androgynie, et d'être un homme, aux yeux de tous.

Près de l'acceuil, un homme l'attendait. Un britannique, sans l'ombre d'un doute, à la carrure sportive et le visage pincé d'un scientifique. Il avait un petit air de Allan Turring ou de Sherlock Holms pas complètement déplaisant à l’œil qui suscita encore une fois la curiosité de Judikaël, qui s'approcha pour le saluer, en lui tendant un bras. D'un air légèrement malicieux, elle se présenta en anglais:
« Enchanté, je suis Joshua Coda, professeur de langues étrangères. Le directeur m'envoie vous accueillir. »

Invité

Après avoir eu par mail le directeur de l'académie, rendez-vous été pris pour une visite sommaire de l'ensemble des locaux. Il était encore un peu inquiet, puisque il voulait surtout se mettre en relation avec le responsable pédagogique de droit. Car après tout il était là pour une mission bien spécifique, mais sans en connaître toutes les modalités. Est-ce qu'il allait devoir corriger des copies ? Écouter des exposés ?

Il avait décidé de se vêtir très sobrement, un costume noir et une chemise blanche avec des chaussures noires en cuir. Seul sa ceinture avec une boucle métal ressortait. Il aimait aussi porter sa petite chaîne en argent, bien que pour la rendre visible il devait déboutonner un bouton en dessous du col de sa chemise.

Il devait se rendre non loin de la salle des professeurs. Il avait eu l'intelligence de venir très tôt afin de trouver le bon endroit. Et à juste titre puisque il avait du traverser tous les bâtiments de l'université avant de trouver la fameuse salle des professeurs. Seth avait été étonné que université et lycée soient si proches. Cette passerelle entre les deux avait quelque chose de symboliquement fort. Une douce dérive de l'un à l'autre, de l'apprentissage à la connaissance. Comme si cette étape était moins brusque ici qu'en Europe. Comme pour tout le monde, Seth avait dû faire face à ce changement. La rupture avait été difficile notamment en changeant du système français à celui de l'Angleterre. Bien qu'il soit resté à l'aise dans l'un comme dans l'autre, cela ne s'était pas fait sans heurt non plus. Il s'était trouvé d'un seul coup tout seul, loin de sa petite famille et d'une vie tranquille. Il avait du se mettre à gérer beaucoup de choses, et une carrière qui arrivait à grand pas. Le doute est encore plus difficile à assumer quand on est décidé depuis longtemps à suivre une voie. Comme si finalement ceux qui savent n'ont jamais le droit au moindre doute. En passant de l'université de Keimoo à son lycée, il avait eu l'impression de revoir sa vie défiler. Il revenait au source de tous les changements de sa vie, comme si à ce moment précis quelque chose s'était mis en marche avec son accord mais, n'ayant pas eu le temps de lire toutes les lignes du contrat cette grande roue s'était mise en marche malgré lui. Aujourd'hui il avait comme une seconde chance, une voie un peu différente qu'il n'avait jamais envisagé. Il pouvait tout recommencer et devenir quelqu'un d'autre. Ce qu'il avait fait jusque là lui convenait, il en était fier mais il se sentait plus libre d'avoir l'opportunité de pouvoir faire autre chose, comme pour avoir un moyen de mesurer son passé. Cette aventure était peut-être passagère, avant de revenir dans son ancienne vie.

Conscient de ne pas être quelqu'un à qui le changement pouvait plaire, il se dit que tout cela n'allait pas se faire sans difficulté. Depuis sa sortie dans le bar il s'était juré d'essayer au maximum de plonger dans cette nouvelle réalité.
Il était resté quelques minutes dans le couloir sans bouger, sans voir qu'une masse d'élèves était entrain d'avancer vers lui. Se préparant à encaisser le choc, il put voir un petit panneau indiquant la salle des professeurs. Il se décida à se placer en face mais à quelque mètre, comme pour voir ce qui allait en sortir. Le flot des élèves ne se dissipait pas. Il se sentit comme pris au piège, collé au mur ne pouvant bouger, la crise d'angoisse toute proche.

Finalement la porte s'ouvrit, quelqu'un en sortit. Il croisa le regard du jeune professeur qui s’avança vers lui d'un pas décidé. Un homme mince au trait vraiment doux, presque une femme. Ou alors un adolescent ? Bref le doute devint de plus en plus grand. Mais après tout qu'importe, il n'était pas là pour déterminer son genre. Même si cela l'intrigua, lui qui faisait si attention à ressembler exactement à ce qu'il était. Il faisait absolument attention à ne pas entretenir trop de doute à son sujet. Et surtout qu'on ne le confonde pas avec un autre. Tiens d'ailleurs faisait-il prof ? Ou la robe d'avocat le poursuivait encore et toujours ?

« Enchanté, je suis Joshua Coda, professeur de langues étrangères. Le directeur m'envoie vous accueillir. »

Si il s'agissait de langue étrangère, alors le japonais n'était pas concerné. Seth était encore content de pouvoir entendre un peu d'anglais, il allait pourtant bien devoir s'atteler au japonais. Mais à la simple idée qu'on lui fasse remarquer que sa langue n'était pas bien maitrisée, il en devenait tout rouge.

« Merci à vous, je suis Seth Darnell, je viens enseigner le droit international à l'université. »

Sans vraiment avoir réfléchi à une présentation il avait opté pour une approche direct, et pas trop hautaine. Il était encore loin de se sentir dans la peau des grands professeurs qu'il avait pu côtoyer à Londres.

Judikaël ne cacha pas sa joie que ses doutes soient confirmés. Elle qui avait vécu une année du côté de Londres ne pouvait qu'entrevoir une amitié avec l'homme lui permettant de laisser de côté son japonais et ses accents occidentaux. En l'entendant parler, un second doute l'envahit, d'autant plus plaisant. Du français ? Il y en avait bien un soupçon dans la voix de Seth.

« Welcome Seth, à moins que ''Bienvenue'' convienne davantage ? »

Riant d'un ton léger, elle se justifiait en japonais au cas où ses impressions lui faisait du tord :

« Pardon, je suis moi-même française, je vois des occidentaux partout. D'où venez-vous ? »

Elle serra la poigne de l'homme en faisant bien attention à la force qu'elle y mettait. Son corps mince était loin d'être suffisant pour se faire passer pour un homme, seul son visage permettait cette illusion. Judikaël savait par avance que tout se jouerait dans ses manières. Sa main, d'ailleurs, était plutôt impressionnante, large, mais loin d'être bourru. Sans un poil, avec de longs doigts aux articulations apparentes. Détournant ses yeux vers les portes-fenêtres voisines, la jeune femme remarqua que la pluie, déjà, courait sur les carreaux. Dehors, les élèves couraient afin d'y échapper, témoins sans le savoir de toute la diversité que cette simple vision prouvait. À chacun sa méthode et son comportement, des couples se réfugiant ensemble sous le même parapluie aux jeunes secondes courant sous un manteau, jusqu'au plus incongru étudiant révisant sa fiche plastifié, les cheveux mouillés, sans nullement s'en soucier. Est-ce que Seth serait aussi émerveillé de simples visions comme celles-ci ? Elle, ce n'était qu'une raison parmi d'autres qui l'avait poussée à enseigner, mais comme toutes les autres, c'était ce qui lui faisait aimer la profession. Ne laissant rien paraître de ses questionnements, elle s'adressa à lui avec une voix qu'elle voulait plus masculine et plus grave.

« Allons visiter les locaux si vous le voulez bien. Malheureusement, avec la pluie, je ne peux que vous conseiller de rester dans ce bâtiment. La salle des profs est juste par ici. »

Elle faisait bien attention à ralentir chacun de ses gestes, à garder le poignet bien droit, les muscles contractés, les mouvements raides. Main dans les poches, confiantes, elle se dirigea dans le couloir, les pas allongés, les pieds plus écartés. Oh que ce jeu lui plaisait. Plus que ça, elle se sentait mieux, plus à l'aise, dans cette apparence. Jusqu'à en bénir son absence de poitrine. À mesure qu'elle se rapprochait de la salle des professeurs, Monsieur Darnell à sa suite, les élèves se multipliaient dans les couloirs. Une crainte se souleva alors, faisant lentement son cheminement dans l'esprit de la jeune femme, tandis que la pluie continuait de se faire sentir sur les fenêtres du bâtiment. Et si… Prenant moins d'allure, moins de d'assurance, la jeune femme accéléra son pas sans le vouloir, son pouls s'accélérant avec. Et si…
Fin. Crainte qui se soutient. Un élève d'une de ses classes de secondes, avec un de ses amis, arrivait dans le couloir dans le sens opposé. Il la saluerait. Il arriverait, avec son ami, et tous deux se pencherait respectueusement, comme ils le font des dizaines de fois par jour, et lui souhaiterait une bonne journée.

Bonjour Mademoiselle Coda.

Pétrifiée, sans réfléchir, Judikaël prit le poignet de Seth et l'entraîna sur le côté, dans la première porte à leur proximité.
« Attendez, laissez-moi d'abord vous montrer les… ! »

Les toilettes des hommes. Souvenir cruels de sa première visite où Zakuro lui avait montrer ce lieu dés le départ. Soupir qu'elle ne savait accorder au soulagement ou à la honte. Dévisagement des deux élèves dans l'urinoir. Prenant conscience de la situation, rouge de honte, la jeune femme relâcha le poignet de son collègue, en murmurant, sans oser relever la tête :
« Pardon. »

Pardon qu'elle ne savait associer à la situation ou à son mensonge.
Qu'est-ce qui lui avait pris ? Encore une fois, elle avait essayer de se mettre à la place dont elle n'avait pas le droit. Elle n'était qu'une femme, qu'un professeur peu sûre d'elle. Juste ça.

Invité

« Welcome Seth, à moins que « Bienvenue » convienne d'avantage ? »

Il n'était pas si surprenant pour un professeur de langue que les accents de Seth trahissent ses origines si ce n'est son histoire. Décidément il ne parvenait à attirer que ses propres compatriotes. Le Japon n'était donc peuplé que d'adolescents ? Elle avait dit cela cependant avec beaucoup de bonne humeur, et un léger rire. Ce qui redonnait de la confiance à Seth. Elle ?? Son esprit ne savait plus trop où aller, il y avait autant de il que de elle. Et à dire vrai, il y avait un équilibre parfait entre les deux. De lui-même il ne savait plus tellement ce qui pouvait lui convenir ou non. Le doute était de mise. Mais il trouvait toujours cela plus facile d'évoquer la France que l'Angleterre. Peut-être était-ce un peu plus surprenant puisque il faisait surtout très dandy british.

« Pardon, je suis moi-même française, je vois des occidentaux partout. D'où venez-vous ? »

« Il n'y a pas de mal. Je suis percé à jour, je suis bien anglais mais j'ai passé mon enfance et adolescence en France. Et je viens de Normandie. »

Tout en se serrant la main, il remarqua la pluie qui commençait à tomber. Rien ne pouvait plus l'exaspérer que de se retrouver dans un lycée sous la pluie. Il y avait toujours cette humidité persistante, ces odeurs de gens collés les uns aux autres dans des bâtiments trop petits pour autant de personnes. C'était toujours de cette façon qu'il avait pu vivre les jours de pluie pendant sa scolarité. Ou étais-ce du à la résignation de voir nécessairement sortir alors qu'il pleut. Mais d'une manière générale le fait d'être mouillé était désagréable pour Seth. Si il avait détourné les yeux un instant, le professeur le rappela vite à l'objectif de cette journée.

« Allons visiter les locaux si vous le voulez bien. Malheureusement, avec la pluie, je ne peux que vous conseiller de rester dans ce bâtiment. La salle des profs est juste par ici. »

Avançant prudemment dans la foule, il suivit avec flegme son guide du jour. Très classiquement ils se dirigèrent vers la salle des professeurs. Si Seth avançait sans but, la bonhomie et la confiance de Joshua lui donna un peu plus d'assurance. Bien que légèrement derrière son collègue il voulut réengager la conversation.

« J'espère que cela ne change pas votre planning de me faire visit EEeeeeh.... »

« Attendez,... »

La manière dont il s'était fait empoigner n'avait rien de commun par rapport à la poignée de main mesurée de l'instant d'avant. Et sa voix était parti dans tous les sens. Il s'était fait totalement prendre au dépourvu. Et la force utilisée par une personne si mince était plus qu'impressionnante.

« ...laisser-moi d'abord vous montrer les... ! »

Et de toute évidence il ne devait pas être le seul, puisqu'ils avaient atterri dans les toilettes où deux étudiants étaient déjà en place.Si Seth n'était pas gêné il était quelque peu surpris, et ne put que constater que son guide si heureux et à l'aise était entrain de se recroqueviller sur lui-même. L'équilibre sembla alors se rompre devant ses yeux.

« Pardon »

Cette fois ce petit mot ne faisait plus douter Seth, il n'était pas en face d'un homme particulièrement jeune et doux. Mais bien d'une jeune femme qui prenait plaisir à faire douter le monde extérieur. Pouvait-on y voir une manière de combattre un mal à l'aise, quitte à donner dans le cliché ? Ou bien étais-ce un jeu destiné aux nouveaux ? Si il n'avait jamais eu de relations avec des personnes androgynes, il avait eu l'occasion une fois d'en conseiller pour une aide juridique lors d'un stage. Et loin de se cantonner dans le rôle de l'avocat, il avait toujours préféré briser la glace par un humour franc se basant sur des clichés. Cela avait au moins l'avantage d'être compris de tous, et d'instinctivement de faire rire. Il ne fallait pas non plus en abuser au risque de passer vraiment pour un intolérant.

« Eh bien ce n'est pas commun comme visite ni dans le rythme, ni dans la destination. Mais il faut avouer que c'est le lieux le plus utile ! »

Il avait dit cela avec un humour tout à fait ironique, mais sans méchanceté. La situation si surprenante devenait d'un coup pour lui très drôle. Bien que cela n'était pas le moment pour rire aux éclats de toute évidence. Il devenait tout un coup la personne la plus à l'aise de la pièce, et regrettait que le petit jeu de Joshua n'est pas continué un peu plus. La place du nouveau qui ne sait rien n'avait rien d'agréable pour lui, alors il décida de sauter sur l'occasion pour s'en extraire.

« Nous allons vous laisser finir, et mademoiselle et moi allons reprendre nos petites activités coquines ailleurs. Après vous très chère»

Finalement il n'avait pas pu céder à la tentation de la moquerie, espérant qu'elle n'allait pas trop se vexer. Il avait pris la précaution de terminer sa phrase en français, avec un accent beaucoup trop anglais, afin de ne pas mettre l’embarras sa collègue face à de potentiels élèves. Il était quand à lui très content de sa blague et se dit que la visite promettait d'être tout à fait intéressante. Loin du souvenir traumatisant des premiers cours de français, il se dit que les profs de langues savent vous mettre à l'aise ; parfois à leur propre détriment.

Il ouvrit la porte des toilettes et tendit une main ouverte comme pour inviter cette jeune professeur à danser.

Toute penaude face à son collègue, la jeune femme n'osa pas rire aux moqueries de Seth. Préférant triturer ses doigts, elle n'osait même pas relever la tête vers lui, ne sachant ce qu'elle devait expliquer. Elle ne savait même pas pourquoi elle jouait à cela.

« Nous allons vous laisser finir, et mademoiselle et moi allons reprendre nos petites activités coquines ailleurs. Après vous très chère»

Surprise, elle se tourna finalement vers lui. Percée à jour ? Plus qu'évident. Son malaise devenait de plus en plus perceptible. Épongeant la sueur sur son front, rougissant quelque peu à à propos des ''petites activités coquines'', Judikaël s'apprêtait à se perdre en excuses envers l'homme qui lui semblait soudain très intimidant, quand il lui tendit une main. Tenant la porte, Seth Darnell dissimulait sous ses mèches noires un regard malicieux, au coin de ses yeux verts, et un sourire complice. Elle ne put s'empêcher de sourire en retour. Elle se calma soudain en mettant sa main dans le sienne.

« Merci. »

Après tout, pourquoi se prendre autant la tête ? Tant pis, c'était fait, son secret était dévoilé, mettant cette nouvelle rencontre dans un statut de supériorité face à elle, mais était-ce si grave ? Peut-être qu'ils ne se reverraient jamais après cet événement. Qu'elle était sotte de se tracasser autant pour des détails. Elle avait jouée, elle avait perdue, bravo Sherlock.
Gênée, et ne sachant que faire de la main qu'elle tenait, Judikaël la relâcha et repartit devant, essayant de ne plus faire attention à cet incident.

« Oui ! Alors… La salle des profs est juste ici. »
Le rose lui remontait au joue. Elle se comportait d'une manière stupide. Comment trouver une bonne excuse après ça ? Pour tout le lycée, elle était une femme, certes androgyne, mais une prof connue des élèves. Personne ne pourrait la soutenir dans ses propos. Mais pourquoi tenait-elle autant à ce nom factice ? En essayant d'éviter d'y penser, elle le conduisit dans la salle des profs qu'elle avait quittée quelques minutes plus tôt. L'un des deux canapés entourant la table basse, face à l'évier, le mini frigo et les quelques placards remplis de thé en sachet et de café en dosette, accueillait d'ailleurs ses affaires qu'elle avait oublier un peu avant. S'empressant de ranger ses crayons dans sa sacoche de cuir afin de faire place net pour son collègue, la jeune femme alla ensuite faire chauffer un peu d'eau en le priant de s’asseoir.

« Je vous en prie, asseyez-vous. Euh… Plutôt thé ou café ? »

Saisissant les deux paquets pour lui montrer, elle se retrouva comme une idiote à lui faire face, un sourire béât sur le visage qu'elle s'empressa de faire disparaître. Ça n'allais pas du tout. Cet homme était son aîné, peut-être d'une dizaine d'année, et il enseignait le droit. Mais d'ailleurs… Si par malheur l'homme avait eu vent de ses petits démêlés judiciaires en France…
Une nouvelle angoisse envahit la jeune femme. Essayant de se calmer, elle se cambra pour atteindre tant bien que mal deux tasses japonaises qu'elle avait l'habitude d'utiliser, dans le placard en hauteur. Elle les posa vide sur la table basse, pensant aller les remplir quand l'eau serait prête, agissant sous le coup de la panique encore une fois. Elle se rappela soudain qu'elle était censée lui faire visiter les bâtiments. Elle chercha à se justifier d'un rire nerveux :

« Ahah, une boisson chaude sous la pluie, quoi de mieux pour faire connaissance ? »

Judikaël se surprend encore une fois à se triturer les doigts. Elle devait des excuses à son collègues, lui révéler son véritable prénom. Mais en dehors de cet histoire de pseudonyme, un second problème se posait face à elle. Judikaël Coda était connue en France pour avoir eu une relation avec une de ses élèves d'à peine quinze ans, et l'affaire avait défrayée la chronique. C'était bien pour ça qu'elle était partie si loin enseigner. En un an, elle avait eu la chance que personne n'ait eu vent de cet histoire, mais cette fois…
Prise au piège, mal à l'aise, la jeune femme décida de tenter le diable. Elle ignorait si c'était cette histoire de Joshua qui lui montait à la tête, sa confusion dans les toilettes des hommes ou cette main qu'il lui avait tendu qui la poussa dans cette voix. Le jeu avait peut-être trop duré.

« Désolée, je ne me suis pas correctement présentée. Je viens de la banlieue parisienne. Mon prénom est Judikaël. »

Invité

« Merci. »

Les plaisanteries de Seth n'avaient pas réussi à la détendre, elle triturait ses doigts avec force. Mais elle accepta malgré tout la main tendu. Bien sur elle avait tiqué, au mot de « mademoiselle », secrètement Seth espérait que cela était un soulagement pour elle plus qu'une raison de se refermer encore un peu plus. Le fait d'avoir bien voulu prendre sa main était une confirmation pour lui. Il avait affiché un sourire pas large mais compréhensif. Il ne comprenait rien à ce qui pouvait pousser la jeune femme à faire cela, mais il ne voulait pas se montrer sentencieux.
Cependant elle lâcha sa main très vite. Elle repartit devant un lui peu rapidement et entreprit de lui ouvrir à son tour la porte, mais cette fois de la salle des profs. La visite reprenait. Ce qui n'était pas pour déplaire à Seth, puisque à part l'humour il ne savait de toute façon pas quoi lui dire sur ce petit incident. Peut-être devait-il la laisser venir. Il n'était pas spécialement avenant, mais après tous c'est bien connu on se confie toujours aux étrangers.

« Oui ! Alors… La salle des profs est juste ici. »

Il la laissa entrer la première, et pendant qu'elle rangeait ce qui devait être ses affaires Seth observa un instant la salle. Elle n'était pas spécialement bien décorée ou moderne comme on dit. Mais il y avait quelque chose d'accueillant. En la voyant s’affairer autour de ses affaires, il remarqua que lui n'avait rien pas même une mallette pour donner l'impression qu'il avait l'air d'un professeur. Il allait devoir travailler un peu plus sa présentation, il ressemblait à un touriste. D'un coup il se sentit gêné.

« Je vous en prie, asseyez-vous. Euh… Plutôt thé ou café ? »

Préférant ne pas répondre toute de suite, il visa directement une chaise. Le canapé avait l'air certes confortable mais il ne facilitait pas une position élégante. Il en profita pour regarder relativement discrètement ce que pouvait contenir le sac d'un professeur classique, il y distingua une trousse et des cahiers. Il avait plutôt l’habitude de transporter des piles de dossier, donc avoir un sac aussi léger n'était pas pour lui déplaire. Il se plaça tout à fait face à elle, en essayant de ne pas la dévisager. Ce qui était simple puisque elle se retourna rapidement pour faire chauffer l'eau. Elle lui montra alors de manière un peu simple les deux choix possibles. Si son sourire un peu bête ne déclencha rien chez Seth, il du bien reconnaître que que son visage avait quelque chose de totalement sincère. Elle ne voulait peut-être pas se jouer de lui. Rapidement elle repartit pour aller prendre des tasses. Une habitude qui était toute française de commencer toute mission par...ne rien faire. Il désigna le thé ce qu'elle sembla comprendre.

« Ahah, une boisson chaude sous la pluie, quoi de mieux pour faire connaissance ? Désolée, je ne me suis pas correctement présentée. Je viens de la banlieue parisienne. Mon prénom est Judikaël. »

Correctement était de toute évidence le mot le plus important. Elle parlait de la banlieue comme un élément propre de son identité. Ce qui pour Seth était un peu étrange, puisqu'il n'en connaissait rien. Il ne put que constater une fois de plus que son prénom pouvait prêter à confusion.

« Toujours aussi enchanté de faire votre connaissance. Je suis désolé de m'être un peu moqué de vous, c'est ma manière à moi de réagir. Je ne suis pas aussi français que vous semblez le penser. Et si nous en sommes aux petites vérités, je suis avocat en Angleterre bien qu'un en stand-by pour le moment»

Seth se rendit compte qu'il venait de faire une moindre confidence, il n'avait enfaîte pas grand chose à cacher. Peut-être était-ce pour cela qu'il était intrigué par cette femme, elle avait une manière bien à elle de gérer sa vie. Un angle que Seth ne pouvait imaginer jusque là. Si au pire elle n'était pas intéressée par expliquer un peu plus cette situation, il avait laissé une porte de sortie pour discuter au moins de lui.

« Ainsi que je viens pour enseigner mais sans rien savoir, vous n'avez qu'à voir je n'ai rien avec moi. A un peine un style un petit carnet. on est un peu tous les deux perdus »

Il avait dit cela tout en sortant de la poche de sa veste un stylo bille waterman de fer blanc et un carnet. Il était toujours utile de pouvoir prendre quelques notes, ça ou bien dessiner.

Toujours légèrement paniquée, Judikaël entreprit de se laisser aller à quelques exercices de relaxations en se concentrant sur sa respiration. Elle essaya d'imaginer un serpent remontant le long de son dos. Étrangement, cette vision écailleuse l'apaisait davantage qu'elle l'effrayait, alors que la plupart des gens avaient en horreurs ces créatures reptiliennes. Elle écouta ainsi les dires de Seth :

« Toujours aussi enchanté de faire votre connaissance. Je suis désolé de m'être un peu moqué de vous, c'est ma manière à moi de réagir. Je ne suis pas aussi français que vous semblez le penser. Et si nous en sommes aux petites vérités, je suis avocat en Angleterre bien qu'un en stand-by pour le moment»

Elle rouvrit les yeux et souri à son interlocuteur, tachant d'oublier les précédents événements.

« Mais vous me disiez pourtant avoir vécu votre adolescence en Normandie ! J'ai de la famille là-bas, c'est un joli coin. Enfin, l'Angleterre aussi me direz-vous, bien que je ne connaisse rien en dehors des quartiers populaires Londoniens ! »

Ce n'est qu'après qu'elle réalisa une partie des dires de l'homme. Il était avocat. Elle fit de son mieux pour ne pas quitter son sourire et alla chercher la bouilloire frémissant sur le meuble en face. Tout en servant le thé dans les deux tasses, le professeur n'ayant pas répondu à sa précédente question à ce propos, elle s'interrogeait sur la portée d'un fait divers français à l'étranger. Puisqu'il avait des origines françaises, Seth s'intéressait peut-être à la presse francophone de là où il était, même si avec le recul son histoire ne devait pas avoir fait la une à l'étranger, et ne devait avoir été relayé que par un petit encadré, ailleurs. Après tout, elle n'avait pas été condamnée, tout le remue-ménage s'était fait sur internet, par ses anciens élèves scandalisés de l'affaire, ce qui avait donné lieu à quelques articles. Et même si ils lui avait mené la vie dure, il était probable qu'elle exagère l'affaire. Et puis, comment pouvait-il se souvenir du nom de Judikaël Coda ? Des photos avaient été relayés sur internet ( pas dans les journaux heureusement), mais elle avait énormément changée en quelques années. Les joues creusées, ses longs cheveux blonds coupés à la garçonne, et ses lunettes abandonnées pour une paire de lentille. De la jolie professeur maternelle et modèle elle était devenu un adolescent aux cheveux en batailles. Calmement, elle démentit toutes les raisons à ses angoisses et se rassit face à monsieur Darnell, sa tasse en main, scrutant le moindre changement sur son visage.

« Ainsi que je viens pour enseigner mais sans rien savoir, vous n'avez qu'à voir je n'ai rien avec moi. A un peine un style un petit carnet. on est un peu tous les deux perdus »

Elle sourit à la mention de ''tous les deux''. Il la saisissait bien, définitivement. Beaucoup mieux que Hayden avec qui elle avait accumulé les malentendus. Un professeur qui ne savait rien ? Bien au contraire, Seth semblait avoir pris toute sa science dans ses bagages, ça se lisait sur son visage. Elle se sentirait presque futile d'exister, elle et ses matières littéraires, s’embarrassant de dizaines de romans hors programme pour tenter de passionner des élèves qui ne voyait en la littérature qu'un ramassis de futilité, se sentant plus proche de l'Atlantide que de Francis Ponge. Alors des carnets…

« Oh, ce n'est pas le plus important. Vous enseignez à des universitaires ? Les élèves ici sont doués, pour ceux que je côtoie. Connaissez votre sujet, et ils seront pendus à vos paroles. Quand au métier de professeur, je ne peux pas vous en dire grand-chose. Vous êtes plus âgés que moi, et je n'ai jamais enseigné à des jeunes adultes. Néanmoins j'apprécie ce côté maternelle et assistante sociale que me donnent des collégiens. Au moins vous n'aurez pas à faire la police ! »

Elle sirota une gorgée avant d'ajouter, en toute sincérité :

« Je suis certaine que vous ferez un excellent professeur. »

Invité

« Je suis certaine que vous ferez un excellent professeur. »

Seth ne put qu'être touché par ce compliment, il ne pensa pas à faire attention à la valeur de son jugement. Il était quand même plus simple de l'accepter ainsi. Toutefois ce genre de compliment avait le don de le gêner. On ne pouvait rien y redire sans que cela ne fâche l'interlocuteur.

« Il est vrai que de toute façon ma tâche est moins ardue que la votre. Mais je suis content que vous puisiez voir quelque chose en moi »

Le silence du thé avait finit par s'installer. Seth avait posé son carnet sur la table. Aussi loin qu'il puisse s'en souvenir, il y avait toujours eu des silences dans ses conversations, dans ses activités. Ce qui correspondait aux moment les plus propices pour soit s'en aller ou prendre le temps de revenir sur ce qu'il avait vu. Il y a plusieurs année il avait rencontré une caricaturiste qui avait fait du dessin d'audience sa spécialité. Ce qui avait été pour Seth une révélation. Il ne dessinait pas très bien, il n'avait pas ce sens du détails qui pouvait rendre une scène réaliste. Ce qui lui plaisait c'était l'action des corps enfermés dans une scène précise. En général il faisait des vignettes où il plaquait des visages. Ne sachant pas toujours comment dire les choses il mettait ses interprétation sous la forme de dessins. C'était pour lui l'occasion de laisser s'exprimer son inconscient, ses souvenirs...

D'ailleurs le carnet n'était pas vide, le jeune serveuse y figurait déjà. Il avait retenu l'étonnement qu'elle avait manifesté à son contact. Ce premier regard quand on croise quelqu'un dans un lieu insolite comme un bar, un couloir ou une cantine...Bref il aimait ne retenir qu'une chose des gens qu'ils croisaient. C'était un peu réducteur mais dans les moments doutes, il pouvait se souvenir d'une émotion réconfortante qu'il avait pu percevoir. Tout ce qui se rapportait au changement ne lui plaisait pas, dans ces croquis les choses restaient telle quelle.

Reprenant son carnet il se leva et se dirigea vers la fenêtre. Le paysage ne lui fit pas grand effet, comme si il n'y avait rien à voir pour lui. Il se retourna et s'adossa contre le mur, Judikaël avait dû le suivre du regard pendant ces errements, leur regards se croisèrent. Lui adressant un sourire, il prit son carnet et son stylos et commença à dessiner.

« Avant de continuer notre visite, j'ai des idées que je dois absolument noter. Enfin pas absolument mais j'aime bien faire ça et me souvenir ensuite de leur contexte. »

Il laissait sa main et son esprit prendre le contrôle du dessin. Un cadre assez large dans lequel, une forme humaine et frêle apparaissait. Le visage ne semblait pas être le plus intéressant, le cadre était grand laissant de la place à un second personnage. L'apparence du premier était flou comme indécise. Les jambes était longues, le buste plat et les cheveux un peu en bataille et court. Les yeux faisaient très rond par rapport à au visage très plat. Ce personnage regardait ses pieds, les épaules voûtées comme essayant de se cacher, essayant de sortir du cadre. Au loin se dessinait un personnage plus féminin portant un regard insistant de ses petits yeux, des cheveux longs. Les formes étaient plus généreuses, et elle semblait baigner dans un rayon de soleil, donnant à sa peau un aspect mate que le trait léger du stylo faisait bien ressortir. En prenant un peu de recul, il ne savait pas trop ce qu'il l'avait poussé à dessiner cela. Il semblait avoir dessiné Judikaël mais l'autre personnage qui étais-ce ?

Il retourna à la table et déposa le carnet encore ouvert sur la table.

« Je ne sais pas comment parler à tous ces élèves, comment on fait pour poser sa voix ? J'ai l'impression de parler trop fort. Tenez vous n'avez qu'à me dire ? »

Il se releva, prit un regard sérieux et déclama de manière franchement ridicule pour le contexte :

« Bonjour je suis Seth Darnell votre nouveau professeur de droit et.. »

Voyant le sourire de Judikaël il s'arrêta et comprit bien malgré lui que c'était un peu trop. Ce qui ne l'empêcha pas de rire de manière très spontanée.

« Bon d'accord c'est pas le bon endroit, j'ai vu des amphis en venant venez on va m’entraîner ! »

Seth lui-même ne savait pas d'où venait cette bonne volonté et gaieté. Mais il était décidé, et encore plus devant l'air encore un peu groggy de Judikaël. Il s'était un peu rapproché d'elle, et avait posé ses deux mains sur la table. Dans son mouvement il avait fait tombé son carnet, et tous les deux s'étaient penchés pour le ramasser. Ils étaient tous les deux là presque sous la table à tenir le carnet, pour palier au ridicule de la situation et aux interrogations que semblaient soulever l'image dans les yeux de Judikaël, Seth bafouilla quelque peu.

« Quand je dessine j'aime bien laisser parler mon inconscient ou mes souvenirs, mais c'est vrai qu'on dirait que je vous ai dessiné...»

Judikaël commençait à se détendre, son thé entre les mains. Elle regardait son collègue prendre ses précieuses notes en se rappelant ses débuts de professeurs hyper angoissée, préférant également tout noter, histoire d'être parfaitement à la hauteur du rôle qu'on lui confiait. Elle n'avait pas connu de mentor dans ce métier et son formateur n'avait été que les livres et l'auto-persuasion de ne pas être si timide, si maladroite et si rêveuse avec ses élèves. C'était bien sûr la première fois qu'elle exerçait une action de tutorat envers un autre professeur, plus âgé qui plus est. Depuis le début de leur conversation, et comme elle était tentée de faire avec les autres connaissances qu'elle avait dans l'établissement, elle n'usait pas de tant de retenue que la politesse japonaise lui imposait, n'hésitant pas à utiliser le prénom d'un professeur, voir d'un élève si la situation s'y prêtait et n'usait pas des suffixes comme sempaï dans son travail. Elle devrait, sûrement, bien que la plupart des étrangers au sein de l'établissement (et ils étaient nombreux) faisaient comme elle. Étrangement, elle ne pouvais s'empêcher d'y ajouter une connotation comique, comme c'est usé dans les shojo mangas, imaginant toujours pour ''chan'' un personnage aux grands yeux avec des étoiles dedans, à la manière de Lady Oscar. Quand à ''sempaï'', bien qu'elle ait du mal à se l'avouer, avait une sorte de connotation… érotique dans ses pensées, et elle n'oserait dire où, en France, elle avait assimilé cette notion. Gênée, elle se plongea dans la contemplation de ses chaussures d'hommes trop larges sur les côtés en buvant son thé.
Ayant visiblement fini de prendre ses notes, Seth s'exclama :

« Je ne sais pas comment parler à tous ces élèves, comment on fait pour poser sa voix ? J'ai l'impression de parler trop fort. Tenez vous n'avez qu'à me dire ? »

Suite à cela, il commença a se présenter comme il le ferait devant ses élèves, mais de manière caricaturalement sérieuse extrêmement drôle dans ce contexte précis, si bien qu'elle ne put s'empêcher de pouffer dans sa main.

« Vous êtes bien trop formel ! Guindé comme ça, vous ne réussirez qu'à leur faire peur vous savez ? Ce sont encore un peu des enfants, soyez plus détendu. De plus, ils ne vont pas vous manger, c'est sage à partir de dix-sept ans. Enfin, pas tous. »

Un second rire auquel elle laissa la parole avant que son collègue ne l'invite à continuer ses exercices in situe dans les amphithéâtre de l'établissement. Amusée par la proposition, Judikaël s'apprêtait à l'accepter avec grande joie, souhaitant en profiter pour faire plus ample connaissance avec Seth qui paraissait si sympathique et lui faire oublier toutes les maladresses qu'elle avait commise. Néanmoins, sans qu'elle comprenne pourquoi, lui vint s’asseoir à son côté pour frapper des deux mains sur la table, sûrement en signe d'une volonté de partir immédiatement en faisant tomber son carnet. Elle, par réflexe, se pencha en même temps que lui pour le ramasser, au risque de se cogner la tête contre la sienne, pour voir quelque chose qu'elle n'aurait probablement pas dû.

« Quand je dessine j'aime bien laisser parler mon inconscient ou mes souvenirs, mais c'est vrai qu'on dirait que je vous ai dessiné…
- Oh, ce n'est rien. Vous dessinez très bien.»

La jeune femme ramassa le carnet et le porta à ses yeux pour mieux voir le dessin qui s'était rêvélé à elle. Une silhouette floue semblait la représenter, avec les mêmes cheveux ébouriffés et le même dos voûté. Néanmoins, l'autre silhouette la troublait bien plus. Entourée d'un halo de lumière, elle ressemblait à s'y méprendre à son ancienne silhouette. Pulpeuse, mince juste comme il faut, les lunettes et les longs cheveux lumineux. Les ombres étaient bien représenté, comme s'il y mêlait la couleur chocolat de son interdite amante de l'époque.
L'air grave, elle se tourna vers Seth qui ne semblait pas comprendre. Elle ne voulait plus croire aux contes de fées ou a de prétendus pouvoirs surnaturels qu'il pourrait avoir. Peut-être ne le réalisait-il pas, mais il avait bien vu sa photo dans les médias il y a quelques années de cela, et c'est cette femme qu'elle était qui était représenté sur le dessins. Néanmoins, la panique ne reprit pas le dessus. Judikaël parvint à garder son calme et à juger la situation de manière parfaitement objective. Néanmoins, elle ne parvenait plus à sourire à celui qui pourrait devenir son plus grand ennemi dans l'établissement. S'il n'avait pas été un professeur de droit, elle aurait pu s'arranger avec lui, il n'aurait rien à gagner à la dénoncer. Néanmoins, dans la situation actuelle, quel ancien avocat laisserait passer une affaire pareille ? Sans parler de sa crédibilité en tant que professeur qui en prendrait un coup si l'hypothétique complicité venait à se savoir.
N'en tenant plus, elle planta ses yeux dans les siens pour lui demander :

« Qui est cette personne ? Que signifient les couleurs et positions ? » Tout en désignant la femme aux cheveux longs.

Invité

« Qui est cette personne ? Que signifient les couleurs et positions ? »

Toujours sous la table, Judikaël regardait fixement Seth. Il avait l'impression d'être devant une personne terrorisée.
Il avait bien conscience que cet insignifiant dessin était la cause de tout. Il se sentit comme dans un interrogatoire obligé de donner une explication à ce qui n'en avait pas pour lui. Il n'avait pas vraiment de choix, mais que dire ? Il ne comprenait pas la situation. Mise à part soit s'enfuir ou tenter de lui rouler une pelle il n'avait pas la solution pour mettre un terme à ce quiproquo.
Il devait commencer par se lever, ce qu'il essaya mais elle tenait toujours fermement le carnet.

« Je ne sais pas quoi vous dire, c'est juste un dessin. Je ne comprends ce que vous pensez voir mais expliquez moi ! »

Il avait dit cela comme pris dans l'urgence de l'instant, dos au mur il avait le doigt sur quelque chose qui le dépassait.

« Vous semblez cacher beaucoup de choses Mlle Coda... »

En prononçant son nom, il crut sentir des souvenirs remonter, et il répéta encore ces mots toujours plus lentement.

« Judikaël Coda hum Judikaël Coda »

Cette fois l'étreinte de la jeune femme se desserra comme prit de panique, ses forces étaient entrain de l'abandonner. Seth se releva, lui tourna le dos et marcha en direction de la fenêtre. Il regarda encore une fois ce qu'il y avait dehors, non plus pour apercevoir quelque chose mais pour permettre à son esprit de faire remonter ses souvenirs bloqués aux portes de la conscience.

Il resta ainsi cinq bonnes minutes,avant de se retourner vers Judikaël. Il n'était pas sur de savoir à qui il avait à faire. Qu'on lui mente n'était pas vraiment un problème, mais tenter de lui cacher des choses c'était différent. Avait-il les moyens de rentrer dans une colère monstre ? Certainement pas déjà ce n'était pas vraiment son genre, et finalement elle ne lui avait rien caché volontairement, après tout cela ne le regardait pas. Il n'était pas juge, ou policier qu'avait-il droit de faire après tout ? Rien absolument rien. Le droit était-ce cela son problème ?

« Vous n'avez pas à avoir peur de moi. J'aide les gens, je ne les accuse pas. Les déboires des justiciables ne sont pas ma spécialité, je fais que faire la lumière sur les mystères de l'histoire. »

Il ne parvenait toujours pas à savoir qui elle était au juste, mais une fois qu'il le pourrait il chercherait.

« J'ai beau finir par comprendre vos secrets, vous restez un mystère pour moi. Je ne sais vraiment pas qui vous êtes et cela m'inquiète »

Tout en parlant il s'était rapproché d'elle, il lui prit le carnet mais déchira la feuille avec le dessin pour lui mettre au creux de la main.

« Je ne sais pas mais j'ai des doutes, à vous de voir ce que vous voulez de moi. Vous me retrouverez facilement »

Et il commença à partir

Prenant soudain conscience de la situation, la respiration de Judikaël s'accélera. Elle revoyait son année défiler devant ses yeux, toutes les personnes qu'elle avait rencontré, tout ce qu'elle avait pu faire en tant que professeur de français à Keimoo, en une année. C'était terminer. Fini. Caput. Plus de questions à se poser, plier bagage et dégager.

« Je ne sais pas quoi vous dire, c'est juste un dessin. Je ne comprends ce que vous pensez voir mais expliquez moi ! »

Expliquer ? Mais expliquer quoi ? L'amour ? L'humanité ? La justice ? N'était-ce pas lui qui faisait du droit ? Elle ce n'était rien qu'une romantique, comment pourrait-elle répondre à ce genre de choses ? L'homme se ressassait le prénom, ce prénom maudit qu'elle aurait aimé échanger pour un autre. Elle se releva en même temps que lui, tremblante, et ne bougea plus, animal pris dans les phares de la morale. Elle aurait aimé crier : « Oui et alors ?! » mais c'était impensable pour elle à cet instant. Elle détaillait encore le visage de son bourreau, le figea dans son esprit. Un beau bourreau, un beau robot, bien poncé. Trop beau, trop parfait, moralisateur, sûrement, juge, certainement. Face à un homme comme lui, que pouvait-elle faire ? Elle se souvenait soudain comme les hommes l'intimidait avant. Depuis ses transformations en Joshua, ça semblait si loin. Elle avait su les apprivoiser comme elle le pouvait. Désormais, cette vieille crainte s'était muée en désir de l'inconnu. Si les choses en avaient été autrement, si elle n'avait pas fait ce qu'elle avait fait, peut-être que, alors…

Il détourna sa vision de la fenêtre et se tourna vers elle, les yeux verts omniscient jugeant son âme. Il y aurait pu y avoir toutes les forêts de la terre dans ces yeux là, tout son amour pour la nature, tous les brins d'herbes qu'elle aurait voulue remplacer en cet instant dans ces yeux là, si seulement les choses en avaient été autrement.

« Vous n'avez pas à avoir peur de moi. J'aide les gens, je ne les accuse pas. Les déboires des justiciables ne sont pas ma spécialité, je fais que faire la lumière sur les mystères de l'histoire. »

Toujours immobile, elle attendait la suite. Ça ne sonnait pas comme une fin, les certitudes n'étaient pas encore tombées, celles qui l’assommerait, celles qui la ferait retourner dans l'errance, dans le doute et le secret. Elle ne pouvait y croire.

« J'ai beau finir par comprendre vos secrets, vous restez un mystère pour moi. Je ne sais vraiment pas qui vous êtes et cela m'inquiète »

Elle finit par se mouvoir quand il vint juste face à elle pour lui arracher la feuille des mains. Judikaël ne s'était même pas rendue compte qu'elle l'avait gardée dans son poing depuis le départ. Le contact presque violent de la grande main masculine la fit frissonner de tout son être.

« Je ne sais pas mais j'ai des doutes, à vous de voir ce que vous voulez de moi. Vous me retrouverez facilement »

Ne réalisant toujours pas s'il avait compris ou non, elle le laissa partir avant de se ressaisir. La main n'était plus dans la sienne, et ça lui faisait presque comme un manque. La feuille l'avait remplacée, mais ses deux mains étaient vides désormais. Les serrant l'une contre l'autre avec toute la force qu'elle le pouvait, ses épaules secouées de sanglots camouflés, elle se donna encore une seconde de relâchement avant de se précipiter à la poursuite de Seth :

« Attendez ! Restez là une minute ! »

Elle avait mis sa main sur son épaule. De ce seul contact elle pouvait sentir toute sa musculature à travers sa chemise. La gracile jeune femme se posta juste en face de lui, à une petite dizaine de centimètre, le cœur au garde à vous. C'était presque comme si elle sentait son aura intimidante l'envahir. Il était bien plus grand qu'elle, bien plus imposant, au moins deux fois plus épais. Comment pouvait-elle imaginer se confronter à lui ? Leurs regards se soutinrent quelques secondes, douloureusement, elle en perdait sa respiration d'angoisse.
Finalement, elle pouffa de rire en prenant conscience de la situation et détourna ses yeux des siens. Un rire nerveux trahissant au contraire toute la panique et paradoxalement la sympathie que lui inspirait son collègue. Elle se risqua à poser sa main sur son épaule, établir un contact qui ferait davantage percuter ses paroles.

« Pardon, j'étais censée vous guider, et j'ai l'impression qu'on a davantage parler de moi que de vous. Je suis profondément navrée. Pourrions-nous nous revoir dans des circonstances différentes ? »

Elle conclu en défiant à nouveau son regard, tout en dissimulant son émoi.
« Vous aussi devez bien avoir quelques secrets n'est-ce pas ? »

Invité

« Attendez ! Restez là une minute ! »

Ah elle était donc un peu plus volontaire que Seth ne pouvait l'imaginer. Mais que dire après une telle scène ? Partir était une bonne solution, au moins cela pouvait relancer l'intérêt. Plantée devant lui, elle n'avait pas les moyens de rester ainsi. Toujours mal à l'aise, la tension devait être pour elle intenable. Pour Seth ce n'était rien d'autre qu'un regard à soutenir. Il n'était ni accusateur ni juge. C'est naturellement que le rire devait arriver. À ses yeux il semblait qu'elle riait de bon cœur, après tout il ne voulait pas encore comprendre ce qui avait bien pu passer par sa tête à la vue de ce dessin.

« Pardon, j'étais censée vous guider, et j'ai l'impression qu'on a davantage parler de moi que de vous. Je suis profondément navrée. Pourrions-nous nous revoir dans des circonstances différentes ? »

Il avait voulu lui tendre une porte de sortie autant qu'une invitation à se revoir, finalement ils commençaient à se comprendre. Mais comment combattre la gêne de cette situation ? Il y avait tant de choses à savoir sur elle, et quand tout serait dit ? Cette jeune femme semblait ne vouloir qu'être libérée de tout ce poids. Le problème était insoluble, et Seth détestait ce genre de situation où finalement le pathétisme l'emporte toujours sur la simple réalité.

« Vous aussi devez bien avoir quelques secrets n'est-ce pas ? »

Est-ce que j'ai des secrets ? En voilà une bonne question, non pas vraiment d'ailleurs. Pas aussi gros que ceux que je soupçonne chez elle en tout cas. Comme tout le monde j'ai des regrets, et des situations dérangeantes mais rien d'exceptionnel ? Alors quoi qu'est-ce que je peux lui donner ? Que peut-on dire quand on est à ce point mis au pied du mur par quelqu'un ? Il n'y avait rien de méchant ou particulièrement pervers, la situation avait tourné de cette matière et c'est tout. Il n'allait pas lui mentir, inventer une histoire, jouer un rôle ce n'était vraiment pas lui. Même si le coup de l'avocat qui a sauvé un super dictateur a quelque chose de dramatique et profond, mais ce n'était pas son cas. Il avait fait justement l'inverse, sans que cela ne lui donne la moindre satisfaction. Dans un procès ce que l'on voit bien c'est que le mal n'existe pas, il n'y a que des hommes qui ont fait des choix. Cette fameuse banalité du mal. Alors que dire quand il n'y a rien à dire ?

« Difficile de pas se revoir après ça, en d'autre temps je n'aurais pas chercher à faire plus mais je suis en quête de changement. »

Seth ne pouvait pas en dire plus, c'était déjà un peu trop mais cela pouvait inviter à la conversation. Il ne voulait pas encore partir, c'était quand même agréable d'être en présence d'une personne avec qui les choses se passaient...très mal mais ce n'était pas si désagréable. Peut-être que c'était un peu trop mystérieux, comme phrase. Il lui fallait une bonne histoire pour redevenir moins intriguant.

«Le seul secret que j'ai ici c'est d'avoir été intéressé par une serveuse qui m'a mis dehors »

Il s'étonna lui même en le disant, il n'avait pas vu les choses sous cet angle. Enfin oui on l'avait foutu dehors et c'était bien la première fois ! Mais « intéressé » c'était nouveau, ou alors il était intéressé parce que mis dehors. Voilà qui allait demander réflexion, mais pour le moment l'objectif de faire sourire pouvait être atteint.

Mais il ne savait plus très bien si il devait rester ou pas ? Est-ce que la salle des professeurs n'en avait pas eu assez ? Peut-être devait-il attendre avant de se revoir ?

« Vous voulez ailleurs ? Ou se voir plus tard ? »

« Difficile de pas se revoir après ça, en d'autre temps je n'aurais pas chercher à faire plus mais je suis en quête de changement. »

La jeune femme souriait à cette réponse. Elle connaissait bien ça, elle aussi, ces envies d'explosions. De bazarder tout ce qui nous rendait heureux auparavant, de chercher plus, ou à l'inverse, désirer le chaos. Néanmoins, jamais elle n'avait vraiment réussi à sauter le pas, n'osant même pas assumer pleinement l'identité de Joshua, qui la dévorait de l'intérieur, brûlant de devenir, puisqu'elle, n'était capable de rien. C'est un air compatissant et mélancolique qui repeint son visage. Elle le savait, elle, ne ferait jamais de grands changements, elle n'oserait pas partir trop loin de son train de vie actuel, qui la satisfaisait déjà plus ou moins. Au moins, elle n'avait pas à réfléchir, et elle restait fidèle à ce qu'elle avait toujours été : invisible, cruellement absente. Mais si elle pouvait au moins être un événement de la révolution de cet homme, alors ce n'était pas si grave.

La révélation de ce petit secret la faisait se sentir plus proche encore de lui. Là encore, elle pensait aux petits rien de Francis Ponge qui constituaient leurs vies à eux, petits professeurs étrangers perdus au japon, perdus dans leur vie, sans aucun repères et sans plus de secrets. Néanmoins, vu le ton pris par son collègue, elle se réjouissait d'avance de savoir qu'aucun tabou ne serait de mise et qu'elle pourrait poser toutes les questions qu'elle désirerait poser, qu'elle pourrait s’immiscer autant qu'elle se l'autoriserait dans sa vie, puisqu'il n'avait rien à cacher.

« Vous voulez ailleurs ? Ou se voir plus tard ?

- Je crois qu'il serait préferable plus tard. » Répondit-elle dans la précipitation. Deux respiration abdominales plus tard, elle continua dans un sourire :

« Je dois me remettre de mes émotions. Et je connais un café occidental qui devrait beaucoup vous plaire, ils servent du thé anglais. Je sais pas vous mais je finis par être allergique au thé vert, je tuerais pour un english breakfast. »

Sans attendre de réponses, la jeune femme prenait un crayon et déchirait un bout de papier dans son sac, y inscrivit une adresse. Toujours la cour des miracles. Depuis qu'elle avait découvert ce bar alternatif avec une partie librairie à tendance anarchiste, elle ne pouvait s'en passer, au point d'y passer toutes les semaines. Et comme elle commençait à connaître le patron, elle pouvait commander ses thés préférés et des bonbons venus directement de Londres par son biais. Pour une fois, elle allait pouvoir partager cela avec quelqu'un, et rien que ça, ça lui permettrait de relativiser à l'idée stressante de revoir monsieur le détective, puisque c'était comme ça qu'elle le surnomma mentalement. Et puis, si la rencontre placée sous le signe de la méfiance venait à mal tourné, elle aurait au moins le soutien à demi-mots du serveur.

Elle lui tendit le bout de papier, et serrant son sac dans son poing, elle se préparait à partir au plus vite. Néanmoins, ses yeux, une nouvelle fois, la désempara quelque peu. Pourquoi tant le craindre ? Il suffisait de voir leurs discussions d'un point de vue objectif pour en conclure facilement que ce pauvre homme n'était pas bien méchant. Il ne chercherait pas à lui faire de mal, ou à révéler son secret. Rien ne changerait à son train de vie tranquille, malheureusement peut-être. Comme il ne réagissait pas, elle prit sa main et déposa le papier dans son poing.

« Tenez. Il y a aussi mon numéro de téléphone. Contactez moi, je vous donnerais un rendez-vous. »

Statique, elle le fixa encore quelques instants en souriant bêtement, essayant de s'imprégner de cette aura de confiance qui émanait de lui. Elle sursauta en entendant la sonnerie et en réalisant qu'elle avait des cours à dispenser. Judikaël se redressa et serra la main de son collègue avant de décamper en lui lançant :

« Bienvenu à Keimoo ! »

» Super-Professeurs au front [ Pv Hayden & Seth ]