Une rencontre fortuite [Emi]

Cela faisait maintenant plus de deux heures qu'Elea tournais en rond en ville. Son père n'avait pu l'accompagner ayant sa boutique à tenir et elle avait donc du arriver par mes propres moyens. En soi ce n'était pas vraiment un problème, elle jouissait du privilège de pouvoir se promener à son rythme sous le timide soleil d'automne. Ses chaussures, aussi jaunes que ce dernier, semblaient refléter elles aussi cette joyeuse quiétude qui l'enveloppait à la perspective d'intégrer l'académie de Keimoo. C'était d'un pas déterminé qu'elle parcourait les rues de cette charmante ville.
Oui enfin... tout cela était encore valable une heure plus tôt tout au moins lorsqu'elle était encore vaillante et pleine d'espoir car pour le moment elle commençait à sérieusement désespérer de trouver un jour cette fichue académie.

Pourquoi je n'ai pas eu l'idée lumineuse d'apporter une carte... ? Pourtant à force je devrais savoir que je n'ai strictement aucun sens de l'orientation...

En effet, plusieurs fois déjà auparavant elle avait eu l'occasion de mettre en pratique ses prodigieux talents d'orientation... qui l'avaient menés au désastre.
Le soleil commençait lentement à redescendre vers l'horizon. Il devait être au alentour des 2h de l'après-midi maintenant et il était grand temps qu'elle retrouve son chemin avant que tous les bureaux d'administration soient fermés pour son admission. Il ne manquerait plus que ça...
Dormir à la belle étoile ne la tentait pas plus que ça, surtout quand elle transportait avec elle en tout et pour tout seulement une valise remplie de vêtements et de quelques fournitures scolaires, ça n'allait vraiment pas l'aider à quoi que ce soit dans ce genre de situation.

Bon étant donné que je n'ai pas réussi à trouver le chemin par moi-même il serait peut-être grand temps de demander de l'aider à quelqu'un. L'académie devrait être assez populaire dans les environs pour que quelqu'un puisse m'indiquer le chemin.

Elea regarda attentivement autour d'elle. Etrangement, la rue où elle se trouvait alors était vide de tout passant, peut-être étaient-ils tous encore en train de déjeuner ? Evidemment... c'est toujours quand on a le plus besoin de quelqu'un qu'on tombe dans un endroit désert. Cela n'arrangeait pas son affaire.

Quelle poisse ! C'est un complot ou quoi ? On veut tester ma détermination ?

Elle continua d'avancer au hasard des rues jusqu'à trouver une patisserie. Elle allait enfin pouvoir demander son chemin ! La pâtissière connaîtrait sûrement mieux les environs que quiconque.
De l'extérieur, le bâtiment avait vraiment une allure très accueillante et chaleureuse cela confirma le sentiment d'Elea qu'elle allait pouvoir trouver ce qu'elle recherchait à l'intérieur.
A son entrée la cloche tinta joyeusement et Elea pu découvrir les merveilles qui étaient vendues ici. Tout lui faisait envie et si elle n'était pas aussi déterminée à parvenir à l'académie le plus vite possible elle se serait vite laisser prendre à regarder toutes ces merveilleuses pâtisseries. Le mélange de toutes ces couleurs était tellement saisissant !

-Bonjour, en quoi puis-je vous aider mademoiselle ? Demanda la vendeuse.

Sa voix la ramena subitement à la réalité et la raison de sa venue en ce lieu.

-Excusez-moi... Je ne connais pas bien la ville et je me suis perdue. Je... Je cherche l'académie de Keimoo, pourriez-vous m'aider s'il vous plaît... madame ? Dis-je d'un ton timide.

Emi marchait d’un pas vif dans les rues de Keimoo, dans l’intention de faire passer la mauvaise humeur qui l’habitait depuis le réveil, après une nuit coute et agitée peuplée de mauvais rêves. N’ayant pas cours de l’après-midi, elle avait décidé de faire un tour en ville en solitaire. Elle marchait donc sans destination précise, plongée dans ses pensées, ses écouteurs vissés dans les oreilles, la musique suffisamment forte pour que les bruits de la rue lui soient presque inaudibles.

Son itinéraire hasardeux l’amena finalement dans le centre-ville, pratiquement désert à cette heure de la journée, ce qui était tout à sa convenance. La jeune femme ralentit son allure, appréciant le calme du quartier. Le fond de l’air était frais mais un beau soleil automnal venait tempérer cette fraicheur.

Il me semble que c’est dans ce coin qu’on trouve cette pâtisserie dont tout le monde parle, se rappela Emi, prise d’une soudaine envie de sucré. J’irais bien y faire un petit tour…

Elle se mit donc à la recherche de cette fameuse pâtisserie dont le nom lui échappait. Elle ne chercha pas la boutique bien longtemps ; au bout d’une dizaine de minutes elle se trouvait devant la façade accueillante de la pâtisserie Del Lys. Elle prit quelques instants pour regarder les gâteaux en vitrine, tous plus appétissants les uns que les autres. Son choix se porta finalement sur de gros macarons au chocolat décorés en tête de nounours. Elle sentit sa mauvaise humeur décliner tandis qu’une excitation toute enfantine l’envahissait à l’idée d’acheter ces douceurs, qui plus est décorées en nounours, dont elle raffolait.

La clochette tinta lorsqu’elle ouvrit la porte de la boutique dans laquelle elle pénétra un grand sourire aux lèvres, telle une gamine allant s’acheter des confiseries. Sa mauvaise humeur avait pratiquement disparue.  Il y avait déjà une autre cliente devant le comptoir, qui ne semblait pas l’avoir remarquée, pas plus que la vendeuse. Elle glissa un regard à l’objet de sa convoitise : il n’en restait que deux et elle comptait bien les avoir.

Ne prend pas les macarons, ne prend pas les macarons, ne prend pas les macarons…, s’adressa-t-elle en pensée à la petite rousse devant elle.

Cependant, la requête de cette dernière fut pour le moins inattendue :

- Excusez-moi... Je ne connais pas bien la ville et je me suis perdue. Je... Je cherche l'académie de Keimoo, pourriez-vous m'aider s'il vous plaît... madame ?

Emi remarqua alors la grosse valise posée aux pieds de la jeune fille.

Sans doute une nouvelle, se dit-elle.

Assez étrangement, la vendeuse ne semblait pas en mesure de lui indiquer précisément le chemin de l’académie, bafouillant des indications confuses et contradictoires. Emi hésita à abandonner son projet de continuer sa balade en compagnie des deux adorables macarons, mais la timide jeune fille avait l’air en proie à une détresse telle qu’elle la prit un peu en pitié. En temps normal elle l’aurait probablement laissée se débrouiller avec la vendeuse et ses indications  nébuleuses, mais elle se sentait en fin de compte dans un jour de bonté et proposa d’une voix aimable :

- Moi j’y suis. Je peux t’y accompagner si tu veux.

Alors que la vendeuse tentait vainement d'essayer de m'expliquer le chemin bredouillant des indications extrêmement confuses, la clochette de la boutique tinta de nouveau et une voix mis fin au supplice de la pauvre vendeuse.
Elea se retourna pour faire face à une jeune fille plus âgée qu'elle au look soigné un peu punk à son goût sur les bords au vu des nombreuses bagues qu'elle arborait. Elle possédait de long cheveux bruns lâchés, à peine plus grande qu'elle, son visage était doté de pommettes légèrement sculptées. Elle avait un air avenant.

Alors cette fille fait aussi partie de l'académie ? Intéressant.

-Oh ! Bonjour ! Oui merci ce serait avec plaisir, c'est mon premier jour et j'ai complètement oublié de penser à prendre une carte. J'ai eu beau essayer de me promener au hasard des rues en me disant que je finirais pas tomber dessus, on dirait que la chance n'était pas vraiment avec moi aujourd'hui, jusqu'à maintenant en tout cas.

Elle se retourna vers la commerçante qui avait repris sa contenance. Heureusement qu'elle n'avait pas eu à se baser uniquement sur ses bafouillements pour pouvoir arriver à destination sinon elle n'était pas sûre d'avoir eu plus de succès dans sa recherche.

-Merci pour vos précieuses indications mais je crois que pour cette fois je vais m'en remettre à elle. Lui dis-je avec un sourire gentil.

La pauvre femme eu un sourire contrit et hocha de la tête. Elle reprit ses occupations de rangement avant de relever la tête et de nous demander :

-Est-ce que vous désirez quelque chose mesdemoiselles avant de partir ?

Bon heureusement elle n'a pas l'air de l'avoir mal pris... Tant mieux je n'ai pas envie de déjà commencer à me mettre à dos les gens de cette ville. Après tout je vais avoir l'occasion de les fréquenter souvent maintenant que je vais emménager à l'internat.

La perspective de devoir quitter la maison de son père l'avait d'abord beaucoup réjouie, pour le côté aventureux mais après coup elle avait bien du s'avouer que ça la chagrinait un peu. C'était la première fois qu'elle se séparait de son père pour une si longue période, en un certain sens sa vie d'adulte avait déjà commencée même si elle se sentait encore bien jeune pour prendre ses responsabilités. Enfin, elle sera sûrement sous la tutelle de ses professeurs donc la transition sera plus douce qu'un saut direct dans le grand bain.
Elea sortit de ses pensées, elle était sur le point de tourner les talons vers la sortie quand tout à coup la phrase de la vendeuse fit sens.

-Ah mais oui ! Tu ne devais pas venir pour le seul plaisir de m'indiquer le chemin, n'est-ce pas ? Demanda-t-elle à sa sénior.
Prends ton temps pour acheter ce que tu veux, je ne suis plus à une minute près après avoir passé la moitié de mon après-midi à tourner en rond.

La petite rousse s’était retournée à sa proposition et Emi put enfin voir avec qui elle allait faire le trajet du retour. La jeune fille en question lui parut bien jeune pour être à l’académie : avec sa petite taille, sa silhouette filiforme, ses longues couettes et sa tenue aux couleurs vives, un peu excentrique, elle lui aurait donné treize ans tout au plus. Cependant, ce détail n’avait pas grande importance et si la jeune fille cherchait l’académie c’est qu’elle devait au moins être au lycée.

Elle répondit aux remerciements de cette dernière par un sourire poli accompagné d’un petit hochement de tête. La jeune fille remercia la vendeuse qui leur demanda alors si elles désiraient quelque chose. Emi se rapprocha du comptoir en se frayant un passage entre la valise et les vitrines afin d’acheter (enfin !) ce pour quoi elle était initialement rentrée. Cependant, la petite rousse ne semblait pas avoir entendu la vendeuse ou remarqué qu’Emi n’était pas simplement venue pour le plaisir de faire une bonne action car elle commençait à tourner les talons et à se diriger vers la sortie. Emi la suivit du regard, un sourcil interrogateur haussé, avant que la petite ne se ressaisisse.

-Ah mais oui ! Tu ne devais pas venir pour le seul plaisir de m'indiquer le chemin, n'est-ce pas ? Prends ton temps pour acheter ce que tu veux, je ne suis plus à une minute près après avoir passé la moitié de mon après-midi à tourner en rond.

Emi réprima un petit rire. Elle ne la connaissait pas encore, mais cette petite semblait être du genre étourdie.

- Merci pour ton autorisation, fit elle d’un ton taquin mais sans méchanceté aucune.

Elle se tourna alors vers la vendeuse pour passer commande.

- Les deux derniers macarons-nounours s’il vous plait. Parfum chocolat.
Elle sortit son porte-monnaie le temps que la vendeuse emballe les pâtisseries.  

- Ils sont mignons n’est-ce pas ? lui dit la commerçante d’un ton enjoué en lui tendant le sachet. Ils ont pas mal de succès en ce moment.

- Je vois ça, répondit Emi en jetant un coup d’œil à l’emplacement prévu des macarons, désormais vide.

Elle paya, salua la vendeuse et sortit en compagnie de la jeune fille. Une fois dans la rue, elle ouvrit son sachet, en sortit un des deux macarons et s’empressa de l’entamer. Elle commença ensuite à marcher, indiquant d’un bras tendu la direction à sa compagne.

-Ch’est par-là, lui dit-elle la bouche encore pleine.

Les pâtisseries étaient aussi appétissantes que bonnes. Les deux jeunes filles marchèrent un moment côte à côte dans un silence que seuls brisaient les froissements du sachet et le bruit infime de la mastication d’Emi. Elle commençait d’ailleurs à se sentir un peu mal à l’aise de manger ainsi devant sa nouvelle camarade mais était malgré tout assez réticente à partager. Cependant, elle repensa aux heures passées par la petite à errer dans le froid à la recherche de l’académie et se dit qu’il serait sans doute plus sympa de partager. Par ailleurs, cela permettrait aussi de réengager la conversation ; le silence commençait à lui devenir pesant. Elle détacha donc un bon bout du macaron qu’elle avait dans les mains et le lui tendit.

- T’en veux un peu ? Au fait, moi c’est Emi, et toi ?

La jeune fille lui répondit d'un air taquin, un sourire moqueur sur les lèvres.

C'est qu'elle avait de l'humour en plus ! Elle commençait à lui plaire et à cumuler les bons points.

Cette dernière se précipita ensuite vers le comptoir et commanda tout en faisant la discussion avec la vendeuse.

Des macarons-nounours ? Sérieusement ?! Qui a eu l'idée d'inventer un nom pareil ?

Le commentaire de la vendeuse ne fit qu'aggraver son irrépressible envie de rire mais elle se retint et esquissa seulement un sourire poli. Elle attendit patiemment que la commerçante finisse son travail et que sa sauveuse lui emboîte le pas vers la sortie. A cette idée elle se remit à penser à l'académie et tentait d'imaginer à nouveau sa nouvelle vie au sein de cette école. Ca allait sûrement être fabuleux ! Elea avait hâte de pouvoir enfin y poser un orteil.
Une fois sortie elle observa la jeune fille dévorer goulument ses friandises.

On peut dire qu'elle n'a pas la gourmandise dans sa poche ! Je n'ai jamais vu quelqu'un avaler aussi vite un macaron.

Elea la suivit tandis que sa compagne continuait de savourer ses pâtisseries. Le silence prit place et Elea repartit dans ses divagations à propos de l'académie ainsi que sa future nouvelle vie. Celles-ci furent brusquement interrompues par l'apparition prompte d'un macaron dans son champ de vision qui faillit la faire trébucher.

-Ah... Oui, merci beaucoup ! Excuse-moi tu m'as fait peur, je suppose que je suis partie trop loin dans mes pensées, encore une fois. Répondit-elle d'un air gênée.
Je m'appelle Elea et comme tu as sûrement pu le constater je suis un peu tête en l'air. En tout cas tu as l'air de vraiment aimer les pâtisseries, je crois que tu es la première personne que je vois qui a l'air d'autant prendre plaisir à les manger.

Emi semblait vouloir engager la conversation, après tout c'est vrai qu'Elea n'avait pas eu l'air franchement sociable jusqu'alors, perdue dans ses pensées, le nez en l'air.

Bon il est temps de me reprendre ! J'aurais bien vite l'occasion de découvrir à quoi ressemble Keimoo pour le moment mieux vaut revenir à la réalité et essayer de faire un peu connaissance. Après tout c'est la première personne de cette école que je rencontre et elle m'a l'air plutôt sympa.

-Tu es à Keimoo depuis longtemps ? Qu'est-ce que tu y étudies ? Tu as l'air plus âgée que moi donc je suppose qu'il y a très peu de chance qu'on se retrouve dans la même classe. N'empêche je suis contente d'être tombée sur toi je ne sais pas où j'en serais si j'avais du suivre les conseils de cette vendeuse, aussi serviable soit-elle, elle semblait posséder un sens de l'orientation tout aussi aiguisé que moi. Autant dire que ça n'avait absolument rien de prometteur...

La proposition d’Emi et sa tentative pour engager la conversation semblaient avoir tiré sa nouvelle camarade d’un état de rêverie profonde, et elle ne put retenir un petit rire lorsque celle-ci manqua de trébucher alors qu’elle lui tendait un bout de macaron.

-Y a pas de mal à être tête en l’air,  répondit elle aux excuses de cette dernière avec un grand sourire. Je suis moi-même souvent perdue dans mes pensées. Quant aux sucreries, oui, j’avoue que j’adore ça, spécialement quand je suis de mauvaise humeur comme c’était le cas tout à l’heure. Et puis j’ai un gros faible pour les nounours. C’est sans doute un peu ridicule mais bon…

Elle laissa sa phrase en suspens, un petit sourire d’autodérision étirant légèrement les commissures de  ses lèvres. Sur le chemin de l’académie, les deux jeunes filles passèrent devant les vitrines illuminées et les écrans publicitaires du centre commercial, qui monopolisèrent momentanément l’attention d’Emi.
S’étant arrêtée un court instant devant une vitrine où elle avait repéré une robe tout à fait à son goût, elle prit quelques pas de retard sur Elea et remarqua alors la légère claudication qui affectait la démarche de sa compagne mais n’osa pas demander quoi que ce soit à ce sujet. Après tout Elea et elle venaient tout juste de se rencontrer et cela ne la regardait pas vraiment. De toute manière, cette dernière venait de relancer la conversation en lui posant diverses questions auxquelles elle répondit après avoir avalé la dernière bouchée de macaron.  La jeune fille avait l’air d’être assez encline à la conversation, ce qui n’était pas pour déplaire à Emi. Même si il y avait peu de chances qu’elles se fréquentent régulièrement à l’avenir étant donné qu’elles n’étaient certainement pas dans la même classe, ni même dans le même bâtiment,  il était toujours agréable de rencontrer quelqu’un de sympathique. A vrai dire, Emi se moquait pas mal qu’Elea soit plus jeune, une personne intéressante l’était quoi qu’il en soit, et son côté gauche et étourdi avait le mérite d’être pour le moins distrayant.

-En fait je suis nouvelle aussi, je ne suis à Keimoo que depuis peu de temps. J’ai passé dix ans en Angleterre et je suis maintenant de retour au Japon.

Ce fut alors au tour d’Emi de se trouver perdue dans ses pensées. L’évocation de l’Angleterre avait ravivé dans sa mémoire un bon nombre de souvenirs de sa période de vie dans la capitale britannique, et la jeune femme se laissa aller quelques instants au flot d’images qui s’enchainaient sans réelle cohérence dans son esprit. Cependant, sa rêverie fut de courte durée et elle fut ramenée brutalement à la réalité par le bruit d’une voiture qui déboulait à toute vitesse dans la petite rue où les deux jeunes filles s’étaient engagées. Emi grimaça un peu au grondement assourdissant du moteur qui semblait être sollicité à son maximum, avant de réaliser qu’elle n’avait toujours pas fini de répondre à Elea.

-Mais je doute en effet que nous soyons dans la même classe, ajouta-t-elle finalement.  Je suis à l’université, en architecture. Et toi ? J’imagine que tu dois être au lycée ?

La discussion avait prit place peu à peu de plus en plus naturellement entre les deux jeunes filles. Emi se dévoilait lentement, se révélant être quelqu'un de très sympathique et agréable à côtoyer. Lorsque cette dernière lui révéla elle nouvelle aussi à l'académie, Elea se retourna surprise et en même temps soulagée de ne pas être la seule petite nouvelle du coin. Elle remarqua par la même occasion qu'elle avait pris de l'avance sur sa camarade qui s'était arrêtée devant une vitrine de magasin. Elea y jeta un coup d'oeil tout en se rapprochant d'Emi, faisant un état des goûts vestimentaires onéreux de cette dernière, jamais, même en rêve, elle n'oserait s'imaginer porter des vêtements de qualité aussi noble. Elle avait toujours été élevée dans une certaine modestie aux côtés de son père, celui-ci ne tirant pas des bénéfices astronomiques de son commerce. Elle se souvenait uniquement d'avoir pu approcher ce genre de tenues lors de ses visites chez sa grand-mère en Angleterre. Cette dernière était toujours tirée à quatre épingles et Elea n'avait jamais eu l'occasion de la voir négligée d'aucune sorte, elle mettait un point d'honneur à toujours avoir une allure respectable et soignée. Elle se demandait comment elle allait actuellement, ça faisait un moment qu'elle n'avait pas eu de nouvelles d'elle. Il faut dire que son père n'appréciait pas vraiment sa belle famille, Elea ne comprenait pas vraiment pourquoi, sinon qu'ils avaient eu des différends à cause d'elle surtout depuis la mort de sa mère. Il était vrai que les manières de sa famille maternelle différait complètement de celles de sa famille paternelle japonaise, tout d'abord sans doute à cause du gouffre culturel entre les deux mais aussi sûrement à cause des niveaux de vie assez opposés de ces deux derniers. Elea ne favorisait aucun des deux, il était certes plaisant de vivre dans le confort, mais parfois l'exiguïté avait un côté chaleureux inimitable.
Le bruit de crissement de pneus sur l'asphalte la ramena à la réalité, qu'elle avait tendance à quitter un peu trop fréquemment. C'est le moment que choisi justement sa camarade pour reprendre la parole, l'informant sur son cursus scolaire tout en lui demandant le sien.

-Oui je suis au lycée en effet, je vais entrer en première année. Tu es en architecture ? Comment sont les cours ? C'est une branche dans laquelle je compte peut-être aussi me diriger, je suis passionnée des arts en général et l'architecture est un domaine qui me fascine par sa complexité technique et créative. Je trouve génial qu'on puisse mélanger la froide logique à la passion de l'imagination. Mais... attends...Toi aussi tu as grandi en Angleterre ? Réalisa-t-elle avec un peu de retard. Ca alors ça commence à nous faire beaucoup de points communs !
C'est incroyable que tu sois la première personne que j'ai rencontré ici. Peut-être que c'est ce qu'on appelle le destin ! Dit-elle en riant. Je n'aurais jamais pensé rencontrer quelqu'un venant de là-bas ici ! J'ai grandi en Angleterre, je suis revenue au Japon depuis peu. J'ai eu beaucoup de mal à me faire au changement au début, la culture est tellement différente entre les deux pays. Où est-ce que tu as habité ? Est-ce que tu as de la famille là-bas ?

Décidément Elea n’avait pas la langue dans sa poche. La jeune fille venait de l’assaillir d’un nouveau flot de questions, sans qu’il n’y ait nécessairement de transition d’un sujet à l’autre. Un vrai moulin à paroles que rien ne semblait arrêter.  Cependant, l’enthousiasme de la petite rousse était communicatif et les points communs que celle-ci avaient soulevé ne faisaient que rendre la conversation plus intéressante encore. Si Emi ne croyait pas une seule seconde au destin,  elle devait admettre que le caractère totalement inattendu de cette rencontre et surtout ses similitudes avec celle qui, il y a quelques minutes encore, était une parfaite étrangère,  étaient pour le moins troublants.

- Oui en effet, on dirait qu’on a pas mal de choses en commun au final ! répondit-elle en lâchant également un petit rire. Pour répondre à tes questions, personnellement je me plais pas mal en architecture, pour le moment. Les cours sont intéressants, j’adore ceux d’histoire de l’architecture et de dessin, mais les maths et la physique… j’ai horreur de ça mais bon, c’est un passage obligé, et je m’en sors plutôt bien donc bon... Ce qui compte, c’est la motivation, conclut-elle, se rappelant un conseil qui lui avait été donné.

Elle marqua une petite pause pour s’arrêter et regarder rapidement autour d’elle, hésitant un peu sur le chemin à emprunter pour rentrer. Elle reconnut finalement la rue par laquelle elle était passée à l’aller et les deux jeunes filles reprirent leur marche.

- Eh ouais, j’ai aussi grandi en Angleterre, continua-t-elle.  Ma famille est partie du Japon quand j’avais neuf ans pour s’installer près de Londres, et j’y ai vécu dix ans. Ma mère est anglaise, donc techniquement j’ai de la famille là-bas mais j’les connais pas bien. Mais même en ayant passé une grande partie de mon enfance ici, le retour au Japon m’a fait un petit choc aussi, je comprends tout à fait.

Elle se remémora le jour où son père lui avait annoncé qu’il comptait repartir au Japon pour y ouvrir son affaire. S’était ensuivie une série de disputes plus ou moins violentes, mais sans effet : Emi devait repartir avec sa famille. Le fait que le départ tombe sur l’année de ses examens de fin du secondaire lui avait laissé quelques mois de plus pour profiter de sa chère Angleterre, mais dès son diplôme en poche elle avait dû rejoindre son pays natal. Et à peine était-elle arrivée que son père lui annonçait qu’il l’avait inscrite dans cette académie. Elle s’était ré acclimatée au Japon depuis, d’ailleurs elle était loin de détester ce pays, mais seulement elle avait construit sa vie en Angleterre, et tout quitter avait été très dur.  

- Et toi, t’as vécu dans quel coin ? demanda-t-elle après avoir chassé ces souvenirs de son esprit. T’es née là-bas ou au Japon ?

Elles étaient presque parvenues à l’Académie, dont on pouvait apercevoir les toits au-dessus de ceux des maisons du quartier résidentiel qu’elles étaient en train de traverser.

- On est bientôt arrivées ! annonça Emi avec un grand sourire. Pas trop fatiguée ?

Elle ponctua sa dernière question d’un léger mouvement de tête vers la grosse valise qu’Elea trainait derrière elle depuis la pâtisserie.