Tant de jours déjà que Yuno rêvait de cette maison, de ce petit havre de liberté, ce symbole d'indépendance. Il avait déjà été en internat, et avait eu un aperçu de ce qu'était la vie en dehors du cadre familial, mais rien ne pouvait être comparable à ce sentiment indescriptible de puissance absolue. Tout au fond de lui, il avait l'impression que sa mauvaise partie, le démon qui sommeille en chacun, criait du fond d'un cachot en brisant ses chaînes: "ENFIIIIIIIN \o/". Quand il sut que la maison leur avait finalement été accordée, à lui et au colocataire dont il ignorait tout, deux sentiments quasiment opposés se battaient en duel : à la fois la peur de quitter le foyer familial, si rassurant, celui dans lequel, il avait tout vécu, tout vu, là où une grande partie de ses souvenirs étaient nés, là où tout avait commencé ; et à la fois la joie de n'être dépendant que de soi-même, pouvoir s'assumer pleinement, commencer une nouvelle vie, ou du moins, prendre un nouveau départ après une grande partie de son aventure humaine.
Il avait déjà visité la maison, et l'avait trouvé quelque peu......"vide", mais un potentiel énorme habitait la totalité de la bâtisse; bien des choses lui avaient tapé dans l’œil, à commencer par le salon : une grande pièce carrée, au fond de laquelle on apercevait l'escalier qui menait au premier étage, tapissant la totalité du mur; au centre de la pièce se trouvait un trou dont les cotés, proportionnels à ceux de la pièce elle-même, menaient -grâce à trois marches sculptés dans la pierre- au centre, à l'intérieur duquel il projetait déjà d'installer un canapé, ainsi qu'une table basse, où l'on pourrait agréablement prendre le café, face à la cheminée devant laquelle il jouerait de la guitare, pensif. Il avait eu le coup de foudre pour la maison à la vue de cet endroit, qui le satisfaisait à lui seul. Salle de bains, toilettes, au rez-de-chaussée comme à l'étage, étaient loin de représenter le point faible du nouvel habitat de l'étudiant. Chaque pièce possédait une personnalité qui l'avait complètement séduit, seul bémol, le prix du loyer. Une maison de cette envergure, possédant trois chambres à coucher, dont deux à l'étage; deux salle de bains, deux toilettes, une cuisine refaite à neuf... tout ceci avait un prix que la famille Earda ne pouvait assumer seule, Yuno avait donc pris l'initiative de passer une annonce pour trouver un colocataire. Deux jours après avoir passé l'annonce, une personne avait déjà répondue, ce qui arrangeait bien ses affaires et ses projets.
Plutôt que d'arriver en même temps que son futur colocataire, il avait pris l'initiative d'emménager plus tôt, pour plusieurs raisons : tout d'abord pour ne pas avoir à subir l'encombrement des cartons de 2 personnes, dans la même maison; mais surtout pour pouvoir mettre ses meubles, prendre ses repères, on aurait presque pu croire qu'il marquait son territoire, à la manière humaine, évidemment, mais la méthode est identique sur certains points: disposer dans la maison des objets lui appartenant, lui étant vraiment personnels, et dont on reconnait le propriétaire à sa simple vue; on pouvait ainsi voir au dessus de la cheminée ses deux guitares : Dark & Kamel, se faisant face; un paquet de cigarette et un cendrier dans chaque pièce de la maison; posé en évidence sur le meuble le plus "à portée" de main.
Debout, au centre du salon, il pouvait voir 3 de ses paquets. Riant aux éclats de l'ampleur de son addiction, il se mit à délirer, dans sa solitude. Si quelqu'un l'avait vu, il aurait atterri chez les fous, à coup sur:
-Oh oui!!!!! Des cigarettes! (montrant la table) Une ici ! Une ici !!!!! (après un demi tour en pliant ses jambes à moitié, bras et doigt tendu désignant la cuisine) Une ici ! (après un saut et un tour complet, les deux bras tendus, désignant la porte d'entrée et les escaliers) Et puis là aussi!!! (on voyait dans ses yeux une folie certaine, que personne ne connaissait. A travers cette scénette, le jeune homme évacuait la totalité du stress et du surplus d'énergie que son corps retenait. Jamais il ne se permettait de faire cela en public, c'était SON instant de folie, solitaire, mais extrêmement intense.)
Après avoir déliré à travers toute la maison, vu des cigarettes de partout, et couru sur chaque centimètre carré du sol, il se sentait chez lui, comme si cela faisait 20 ans qu'il y logeait, il connaissait chaque centimètre cube de la demeure.
Accrochant sur la porte d'entrée un petit meuble de rangement à clé, il y déposa immédiatement celle de sa voiture, dont il gardait un double dans sa table de nuit, dissimulée dans le faux fond d'un des tiroirs qu'il avait lui-même bricolé. Dans la cuisine, beaucoup de choses manquaient à son goût, choses qu'il ne manqua pas d'emmener, à savoir: Un fusil (pour aiguiser); des couteaux dignes de ce nom: il en ajouta un de grande taille, tout en inox, le même que celui dont se servait son père; plusieurs petits, ayant une fonction toute particulière chacun: à dents pour les légumes; lisse pour les viandes; à lame courte et épaisse pour désosser; fine et longue pour le poisson, et bien évidemment, son propre couteau, rangé dans son étui. Il fut rassuré lorsqu'il vit qu'un petit plan de travail en marbre était présent, lui évitant d'aller acheter une planche. Du reste, l'équipement minimal avait été fourni: passoire, service de casseroles et poêles neuves; la bouteille de gaz venait même d'être changé.
Le soir commençait à tomber, lorsque , ayant fini de déballer la plupart de ses cartons, et personnalisé quelques élément de la maison, il pris la décision d'aller faire les courses, les efforts fournis durant sa journée ainsi que, non, même, surtout, la vue du frigo vide, lui avaient donné une faim atroce. Se baladant dans le quartier de Hebi, il repéra un magasin dont l'enseigne affichait: "Chasse pêche et tradition". "O_O, un magasin Français ? Ici ?" pensa-t-il, étonné mais à la fois soulagé. Chez ses parents, Turku faisait à manger tous les week end, et faisait importer des produits français, pour inculquer à leurs fils les traditions culinaire de leurs 2 parents. Sa cuisine était des plus "bourrative", selon les personnes qu'ils avaient l'habitude d'inviter. Chez les Earda, la nourriture était presque sacrée, chaque repas avait une importance capitale, et chaque membre de la famille se devait de se restaurer comme il le fallait, aussi, leurs estomac respectifs avait la capacité d'encaisser de biens plus grands coups dans un restaurant que la plupart des gens. Leur père n'était pas vraiment français d'origine, mais toutes les années qu'il avait passé là-bas l'avaient rendus agressif si une mauvaise assiette lui était présentée, cet étrange réaction avait été transmise à Yuno, qui ne se gênait pas de rentrer chez lui pour se faire à manger si un restaurant l'avait laissé sur sa faim.
Rentré chez lui, il avait trouvé son bonheur, acheté à la fois des produits japonais, et des produits français, toute sorte d'alcool : japonais, français, mexicains, russes, de quoi s'amuser par la suite avait-il songé; bientôt 20h, le repas était prêt, la viande : saignante ; la soupe, qui laissait de belles vapeurs odorantes s'échapper de la surface, atterrirai surement en partie dans le congélateur; une omelette rayonnait de saveur, sans connaître l'étudiant, n'importe qui aurait pu donner ce repas pour deux, trois, voire quatre personnes ; la vaisselle faite, les placard rangés, la table mise, il s'assit au milieu du canapé, se servit un verre de whisky, s'alluma la dernière cigarette qu'il ferait avant le repas: C'était la plus longue, une de ses préférées, depuis toujours. Lorsqu'ils étaient jeunes, et qu'ils fumaient encore en cachette, les jumeaux s'en allaient loin, très loin de la maison, et fumaient une cigarette avant le repas du soir. Durant celle-ci, ils discutaient sérieusement : de tout ce qui pouvait les toucher ; les sentiments qu'ils éprouvaient ; de l'avenir ; du passé ; des filles, des études... ce moment particuliers était resté après la disparition de Ilyu ; il ne discutait pas tout seul, ni ne parlait dans le vide à son frère, mais réfléchissait, intensément, laissant parfois s'éteindre sa cigarette dans ses doigts, son repas : se refroidir.
N'étant plus éclairé que par le feu de la cheminée, la lueur du jour étant partie, Yuno passait enfin à table; mais très vite, il fut interrompu par un bruit métallique tapant contre la porte, tel un gros trousseau de clé essayant de forcer la serrure. Ayant depuis ses 15 ans une peur bleue que l'on s'introduise chez lui, Yuno fermait toujours sa porte, laissant de plus sa clé à l'intérieur, dans la serrure. Gardant son sang froid, ne bougeant du canapé, il cria à l'intru désirant entrer:
"Qui est-ce !? La maison est déjà vendue ! Foutez le camp ! "
Mais qui venait le déranger ainsi, alors qu'il s’apprêtait à donner son premier coup de fourchette ? Sa réponse au bruit l'avait lui-même choqué, sans aucun doutes l'irritation causé par le dérangement du repas. D'habitude, il n'avait pas peur, d'habitude, il souriait, peut-être était-ce aussi, en grande partie, à cause de ce "premier jour" loin de chez lui, seul.... il avait hâte de faire la connaissance de son futur colocataire.