Tensions - Viens t'battre ! {P'tite puce}

Tranquillement installé à la terrasse d'un café en pleine ville, cigarette en main, une racaille était en plein exercice de chasse. Son oeil vigilant traquait ses proies avec précision, avec calcul. Parfois, certaines détournaient le regard, d'autres fois, elles soutenaient le sien avec confiance. Dans les deux cas, elles avaient le don de l'amuser. Avouez qu'entre celles qui se sentaient mal à l'aise et celles qui l'affrontaient - non pas à coups de poings, bien évidemment ! - le prédateur avait de quoi rire : pour lui, elles n'étaient que des jouets à briser. Des femmes. Sournoises, hautaines, sacrément mal fichues sauf pour les plus maigres ou les plus jeunes, et souvent capricieuses à vous les briser très sérieusement. Les femmes, déchets de l'humanité, voilà ce que pensait Tsumi à cet instant précis.

Et pour cause, il n'avait jamais aimé les femmes. Pour lui, elles ne sont qu'un défouloir éphémère, un jeu, peut-être un punching-ball qui résiste au temps lorsqu'elles s'entêtent dans leur masochisme. Seule sa petite sœur échappait à cette règle. Forcément, c'était sa sœur, et puis elle était encore bien trop jeune pour s'attribuer de telles qualifications. Dans un petit rire, Tsumi porta la cigarette à sa bouche et l'alluma à l'aide du briquet qu'il avait confisqué à un autre élève de Keimoo, il y avait déjà un moment.

« Vous désirez ? »
« Hum... »

Un serveur représentant du sexe féminin - donc une serveuse. Pas franchement très belle, plutôt normale même, mais exagérément mal à l'aise. Son regard faisait le trajet entre la porte du café et le tatouage de Tsumi avec une rapidité notable. C'était ce 69 qui la gênait, ou tout simplement l'image qu'elle se faisait du caractère de son client pour s'être offert un tatouage aussi tape-à-l’œil sur la joue ? Il ne le savait pas et, personnellement, il s'en moquait éperdument ; depuis le temps que son visage dérangeait, il avait apprit à faire abstraction à certains regards.

« Vous, c'est possible ? »

Elle écarquilla les yeux, visiblement de moins en moins à l'aise. La racaille éclata de rire.

« Une Asahi suffira. »

Sur ce, elle s'enfui à l'intérieur du café, rouge comme une pivoine. Merveilleux. Content de lui, content de satisfaire sa théorie sexiste, Tsumi tira une dernière bouffée sur sa cigarette avant de l'écraser dans le cendrier posé sur sa table. Il dominait les femmes, c'en était incontestable. Enfin, jusqu'à ce qu'un pensionnaire de Keimoo ne le croise. Ce dernier lui fit un grand geste de la main, rendu par un petit hochement de tête en guise de salut, et s'installa en face de Tsumi sans lui demander son avis. Ça commençait mal pour lui. Il parlait, parlait, la racaille n'entendant qu'un bruit étrange émaner de ses lèvres. Ça continuait mal.

« Qu'est-ce que tu fous là, Sakuya... ? Tu vois pas que tu me gênes ? »
« Désolé Sempai, mais avoue que c'est quand même impressionnant ! »
« De quoi tu parles ? »
« Ben, de toi. »

Là, il avait réussi à attirer son attention.

« Cette fille, Davis, la rumeur court qu'elle raconte à tout le monde qu'elle va te mettre sur le carreau, pour je ne sais plus qu'elle raison. Elle a pas peur en plus ! Paraît que tu as touché à quelqu'un à qui elle tenait. »
« Ah ouais ? Qui ça ? »
« Aucune idée. Mais c'est fort quand même ! »

Sourcils froncés, Tsumi ne put réprimer un rire moqueur. Ainsi donc, cette... Davis chercherait à le provoquer en duel ? Intéressant. Elle cherche quoi ? A venger une copine malmenée ? C'est possible. Autant lui demander.

« Tu vas faire quoi ? »
« Ça, ça me regarde. Toi, va plutôt prévenir la populace pour qu'elle lui amène des fleurs à l'hosto'. »

Stupéfait, le garçon regarda Tsumi s'éloigner du café, sa bière en main, lui laissant le soin de payer la note. Frapper une fille, il oserait ? Oui, il oserait. Sur son chemin, la racaille sortit son portable de son jeans et composa quelques chiffres. L'appel terminé, il composa un SMS et l'envoya au numéro qu'il venait tout juste de récupérer. Mademoiselle Davis, à vous de jouer !

« Paraît que tu veux te mesurer à moi ? Très bien...
Ramène-toi ce soir à 23h au cimetière si t'as du cran,
j'ai hâte de voir c'que t'as dans le ventre ma mignonne ! »

Pas besoin de signer, il avait la flemme de toute façon. Et à l'heure prévue, Tsumi y était, au cimetière. Une canette de bière - toujours la même marque - à la main, assis à demi sur une pierre tombale, il fixait l'entrée. Au pire, si elle ne venait pas, il aurait passé une bonne soirée un peu plus tôt. Mais quand même... Viendra, viendra pas ?

« Hey Jude !

[You know how] make it bad. »
So, go to the dogs poor tad,
Just stop your rude mewed [...]

B a s t a r d .
Maintenant que t'as ouvert ta grande gueule,
Montre-moi ce que t'as dans les tripes !

« Hey Juuuude ! You know how make it bad. Poor tad, poor taaaaad. Just stop your rude mewed... Ah merde ! »

Il sursauta en arrière, laissant sa bouteille d'alcool exploser sur la pierre tombale devant lui. Décidément, c'était dur de maintenir son équilibre sur ce genre de monuments mortuaires. Le bas de son pantalon fut éclaboussé par la bière, ce qui énerva plus que nécessaire son propriétaire, bien que le tissu était depuis longtemps sali et déchiré à ce niveau-ci. Il prit appui sur la pierre froide pour chasser tout éventuel débris de verre, lorsque sa main glissa - tout comme la bouteille quelques instants plus tôt. Il se retrouva le tordu à terre, le rebord de la tombe aillant assez mal accueilli le coxys du jeune homme. Il souffrait, grinçant entre ses dents. Et dire qu'à l'autre bout du monde, dans la grande Paris, un galant disait à sa belle : « quelle magnifique journée ! » Une magnifique journée, mon oeil oui. Depuis le début de l'après-midi, on ne pouvait pas dire que Tsumi avait enchaîné de quoi qualifier cette journée de ma-gni-fi-que.

Roulant sur le côté, la racaille marmona dans sa barbe - qu'il n'avait pas d'ailleurs - d'inombrables jurons en trois langues différentes, mais majoritairement en Japonais, bien sûr. Etalé en position ventrale et en diagonale sur la pierre grise de la tombe, il ouvrit les yeux et remarqua pour la première fois qu'une photo en couleurs ornait le monument funèbre. C'était une jeune fille, une étrangère certainement, s'il en jugeait par ses yeux très peu bridés et la forme de son visage. Pourtant, un coup d'oeil sur son nom permit à Tsumi d'apprendre qu'elle devait être d'origine nipponne. A moins qu'elle n'ait été adoptée. Oui, ça arrive. Enfin, ça devait bien arriver... Tout comme ça arrivait à des journalistes de revenir de Lettonie avec un petit cadeau dans l'utérus pour sa famille.

C'est trop mignon. ♥

C'était absolument hideux. Dégoûté, Tsumi se retourna sur le dos, fixant le ciel l'un air absent. La nuit était bien avancée, ce que confirmait la cloche de l'église voisine. D'ailleurs, pourquoi avoir construit une église dans un pays shintoïste ? A cause de la légende du fondateur de Keimoo, qu'on disait être français ? C'était vrai que la France était surtout catholique, mais ici on était au Japon, pas à Paris. Cette église faisait tout bonnement tâche dans le paysage. C'était absolument hideux.

Vingt-trois heures, quatre minutes, trente-trois secondes et des poussières.
L'ennui se faisait sentir dans tous les membres du corps de la racaille, au point qu'il arriva à se sentir fatigué. Un baillement. Puis deux. Et enfin une sonnerie. Et si c'était Jude qui décommandait ? La trouillarde, c'était tellement évident de sa part.

« Sempaaaaaaaai ! Alors, ce règlement de compte ?! »

Erreur ; c'était cet andouille de Sakuya.

« Quand t'auras fini avec Davis, rejoins-nous, on est au Ryuko, pas très loin de ton cimetière ! »
« C'est qui "on" ? »
« Moi, Kiyokuni et Takayuki. Tu viendras ? On a suffisamment de barres pour s'éclater jusqu'à demain matin, t'inquiète ! »
« Davis est pas encore là, j'attendrai encore un peu avant de me décider. Ben tiens, puisqu'on en parle, tu veux pas me ramener une Asahi ? Ma putain de bouteille a explosé. »

Ni une ni deux, Sakuya était en route, pour son « ami » comme il disait. Mais Tsumi s'en foutait éperdumment, ça l'arrangeait juste de l'avoir sous la main de temps à autre. Comme en ce moment-même. Car si la peste de défenseuse de Kodaa en danger ne pointait pas le bout de son nez, le jeune homme au visage tatoué pourrait toujours se bourrer avec les trois autres bourrins jusqu'à pas d'heure, cela ne dépendait que de la rebelle.

Une rebelle, soit une je-m'en-foutiste par excellence, qui défendait un populaire - ô haïssables populaires ! - qui n'avait pas à se plaindre de cette innocente racaille. Bon, d'accord, rien n'était particulièrement innocent entre Kodaa et Tsumi, mais de là à se comporter en défenseur attitré pour les pauvres Lewi's battus, quand même. Et Jude se gênait pas pour clamer son indignation ; on aurait cru que Tsumi se plaisait à meurtrir son camarade de tout son soûl. Or, pour une fois - oui, applaudissez - pour une fois, il n'avait pas levé la main sur le rouquin. Non, il avait juste cédé à ses avances. Oui, c'était Kodaa qui le draguait, jamais l'inverse, car Tsumi était loin d'être homosexuel. Non môssieur, non ma dadame ! Seul le populaire était responsable de tout et de rien.

Le pire était qu'il le pensait sérieusement.

Ses trois kouhais ne tardèrent pas à montrer le bout de leur nez, déjà bien coloré par l'alcool. Que voulez-vous, on ne refait pas des amateurs de Vodka et autres alcools bien costauds. Tout sourire, tout mielleux, Tsumi accueillit les garçons avec enjouement. La bière rapidement descendue, il s'amusa à remplir sa canette de Whisky. Puis de Vodka. Des deux. D'autre chose. Ça commençait à tourner. Allez, il était temps de goûter le plus grand mélange de la soirée, composé de quatres alcools différents.
Quand soudain, grand bruit sur la gauche. Silence de mort. Une ombre s'avançait d'une démarche étrange.

« Barrez-vous plus loin. Maint'nant ! »

Plus ou moins murmuré, l'ordre de la racaille n'en resta pas moins tranchante et ne laissait aucune place à la contestation. Pendant que Sakuya et Takayuki s'éxécutèrent aussi rapidement et discrètement que leur permettait leur état d'ivresse avancée, Kiyokuni reçut un coup de pied bien précis sur son rond postérieur pour accélérer le pas. Juste un certain « aïe » plaintif s'échappa de sa gorge tandis que les trois filèrent se cacher. « Quelle bande d'abrutis ! », se répétait Tsumi en s'énervant légèrement et en se mettant debout. La silhouette d'une jeune fille se découpa bientôt du décor. Alors c'était ça, Jude Davis ?

« Alors, c’est donc toi Tadamiii Sushii… [...] »

Une seconde, pause ! Comment ça, « Tadamii Sushii » ?! Etait-elle stupide...

« Bon allez petite pseudo racaille, t’as creusé où ta tombe ? Qu’on en finisse au plus vite. Par contre, j’suis désolée de te l’annoncer, c’est le Dieu du Skate qui m’a forcé à te le dire, mais t’iras pas au paradis. »

... ou avait-elle déjà prévu d'y laisser sa peau ce soir ?

« T’es mignoon comme garçon toi. Déjà, pourquoi tu fréquentes Kodaa ? Il est roux. »

En fait, il était plus qu'évident qu'elle le prenait pour un con. Et encore, c'était poli d'utiliser pareil mot alors que Tsumi commençait sérieusement à y voir rouge. En même temps, vous me direz, il n'a jamais été connu pour avoir des humeurs stables. C'était naturel chez lui que son visage change de couleur en un temps record, passant du vert jaloux au rouge colérique pour en arriver au blanc maladif. Très naturel, héréditaire même ; il tenait ça de sa mère. Cependant, contrairement à sa génitrice, Tsumi exprimait très facilement ses émotions colériques, ce qui explique pourquoi, dans un élan gracieux, il banda son biceps droit, son triceps droit et tous les autres grands et petits muscles du bras et avant-bras concernés. Son coude s'éloigna de ses côtes, prenant à la fois de l'attitude et un peu de distance en arrière, tandis que ses doigts longs et fins se repliaient sur eux-mêmes, au creux de sa paume large.

Toute cette poésie pour dire qu'il s'apprêtait à envoyer son poing entre les deux yeux de Jude.

Ce qu'il ne fit pas.
Non, ne vous méprenez pas ; ce n'est pas un soudain élan de compassion ou de pacifisme qui aurait évité à la gamine son plus bel œil au beurre noir. Mais disons que le postérieur à terre, il est un peu compliqué d'offrir un coup magistral et majestueux à la responsable de son humeur de chien. Et oui, le postérieur à terre. Et la petite Jude sur lui. Oui môssieur, oui mâdame. Car elle avait décidé de se pencher n'importe comment pour attraper son moyen de transport, pour finalement s'étaler sur Tsumi, qui suivit bêtement le mouvement. Mais c'était sa faute à elle, c'était évident qu'elle l'avait fait exprès. Un peu surpris, il la repoussa pour qu'elle joue les sacs à patates plus loin. Il comprit finalement l'attitude de la petite chienne une fois après l'avoir expulsée : elle empestait l'alcool. Elle était complètement bourrée. Pire que lui - en même temps, il n'était pas encore tout à fait saoûl vous me direz. Mais peu importe : Jude était saoûle, dans le colimateur, pitoyable - à son habitude ; au moins quelque chose qui ne changeait pas. Et la voici qui prononçait des mots plutôt... massacrés. Tendant l'oreille, Tsumi ne retenu que « fais vite », « mes jambes, ce serait super ».

Qu'est-ce que c'était que ça ?

Faire vite + jambes = (...) mais quel est l'équivalent de (...) ?
Des mathématiques ! Ô hideuse logique chiffrée qui martyrise et se raille des esprit au quart noyé d'alcool ! Quelle saleté cette Davis, oser imposer des mathématiques à Tsumi dans un moment pareil. D'ailleurs, pourquoi ne pas calculer vraiment. La racaille avait du temps devant elle. Il s'assit donc en tailleur, le regard en l'air, agressant ses neurones pour qu'ils travaillent au lieu de faire la fête. Donc :

FAIS VITE + MES JAMBES + CE SERAIT SUPER = X
6191 4925 + 451 11451 + 35 159192 13759 = X
3 516 026 240 135 = X
En réduisant le tout, X = 1

Chiffre de départ, chiffre qui caractérise l'homme, chiffre représentant la virilité masculine. « Virilité » ? Jude voulait baiser ?! Ecarquillant les yeux, lesquels se posèrent lentement et avec méfiance sur ladite Jude, Tsumi commença à se poser foule de questions. Et tandis qu'il préférait ne pas bouger, au cas où, des bruits de pas se rapprochaient. Vif, la racaille tatouée se remit sur ses pattes, un peu titubante, prête à attaquer si nécessaire. Mais il n'y avait pas besoin : c'était Takayuki et les deux autres nigauds. Vexé qu'ils ne l'aient pas écouté, Tsumi fronça les sourcils.

« Je vous avais dit de vous barrer. Vous voulez vraiment m'énerver plus que je ne le suis déjà, faut croire. »
« Du calme Sempai, on voulait juste voir si Davis avait de la gueule ! »
« Maintenant que c'est fait, cassez-vous vite fait ! »

Mais apparemment, Sakuya n'avait pas très envie de faire plus d'effort que cela pour plaire à Tsumi ; au contraire, ses yeux brillaient à la vue de la demoiselle saoule et étalée par terre. Dans d'autres circonstances, Tsumi n'aurait rien dit ou fait si Sakuya lui parlait de bécoter, baiser ou même violer et assassiner la rebelle, mais un détail changeait la donne : Jude était son adversaire, sa proie. Et le jeune homme n'est pas connu pour sa patience ni son goût pour le partage. Il s'interposa donc entre la blonde et ses kouhai, un air des plus éxaspérés affiché sur son visage. Il ne riait plus, franchement de mauvais poil. Surpris, les autres n'en démordèrent pas pour autant. Après tout, ils étaient plus nombreux.

« Bon, vous me foutez la paix : ce soir elle est à moi. Récupère-la demain si ça te chante Sakuya, mais là c'est à moi de m'amuser, compris ? Au pire... »

Il prit vivement le skate de Jude dans une main et l'examina un instant. Il devait être plutôt vieux, vu son apparence usée.

« ... prends son skate et va faire mumuse avec le temps que je m'occupe d'elle. »

Narquois, il lui souri avant de lui envoyer l'objet à quatre roulettes. Kiyokuni, ravi, s'en empara et le posa à terre, mettant le pied sur ce qu'il semblait considérer comme sa nouvelle propriété.