Qui courrait dans l'herbe... ♫ (PV Naoko)

Les jardins... Où pouvaient bien se trouver ces foutus jardins !? Voilà deux bonnes heures qu’il tournait en rond dans ce campus… Bon. D’accord, il exagérait un peu trop. Cela faisait seulement quinze  bonnes minutes. Mais quand même ! Il n’avait jamais été autant perdu que depuis qu’il était arrivé sur le campus de Keimoo. Son ancienne école lui paraissait tellement minuscule maintenant qu’il se trouvait ici. Changement relativement radical, mais il se sentait prêt à prendre enfin sa vie en main. Il devait simplement arrêter de se mentir à lui-même et continuer dans la voie de l’honnête-homme qu’il souhaitait pouvoir définitivement devenir. Pour le moment sa vie ne s’était résumée qu’à des entraînements, du sport et… Oh, encore du sport. Les seuls moments de classe auxquels il eut droit ne furent pas concluant… Il s’était endormi deux fois. Deux petites fois… C’était la raison pour laquelle il devait trouver les Jardins. Pour palier à ce manque de discipline en plein cours, il se retrouvait maintenant de corvée de jardinage. Et pas n’importe laquelle… Celle de retirer toutes les mauvaises herbes. La salle besogne que le club de Jardinage lui-même n’avait certainement pas envie de faire. C’était plutôt ingénieux, dans un sens…

Sauf qu’il n’arrivait pas à trouver l’endroit où il devait se rendre et il devait se l’avouer, il commençait à désespérer. Soupirant un bon coup, il se regonfla d’énergie. Il allait y arriver, ce n’était pas un effort surhumain que de retrouver un lieu ! S’il se souvenait bien, les Jardins n’étaient pas si loin que ça de la cours. Il était justement dans la cours. Y avait-il un problème quelque part ou était-il simplement aveugle ? Non. Le jeune Haruhiko était tout simplement trop inattentif aux petits détails pour réellement remarquer quoi que ce soit. Ce qui jouait beaucoup sur son sens de l’orientation des plus médiocres.
Le soleil commençait à décliner vers l’horizon. La journée se terminait enfin et bientôt ils allaient pouvoir profiter de leur fin de semaine. L’été battait son plein et il ne pouvait que s’en réjouir. La chaleur et le beau temps avaient dons de le mettre en joie. Comme si le soleil se décidait à rayonner sur son moral dès qu’il pointait le bout de son nez.

Par reflexe, il sorti son téléphone de la poche arrière de son jean. L’écran n’affichait pas de nouveaux messages. Il n’en avait d’ailleurs pas encore reçu de Naoko aujourd’hui. Il se demandait si elle allait bien. Certainement qu’elle devait être occupée avec des activités de fin de classe ou de club. Il n’arrivait jamais à retenir exactement quand est-ce qu’elle s’y rendait. Sa mémoire n’était pas non plus sa meilleure alliée. Décidément.
Lorsqu’il redressa son regard du cellulaire, il vit une jeune fille passer dans la cours qui était jusque là vide. Ah ! Peut-être allait-il pouvoir demander enfin son chemin à quelqu’un ! Elle semblait plus jeune que lui, mais marchait dans une direction qui semblait assurée. En somme, il vit bien qu’elle au moins elle n’était pas aussi perdu que lui… Du moins, il le supposait.

Derechef, il prit une grande inspiration, il se dit qu’il était temps de se jeter à l’eau avant que son unique chance de trouver ces foutus jardins ne lui passe sous le nez. Tendant une main vers elle pour l’interpeller, il pressa un peu le pas, l’air interrogateur sur le visage.

- C’est...

Il s’arrêta, comme s’il avait perdu le fil de ce qu’il voulait lui dire. C’était bien beau de l’aborder. Mais il faudrait aussi songer à lui expliquer ta demande ! C’était ça… Sa demande.

- Ex... Excusez-moi. Je cherche les Jardins. Vous savez où ils se trouvent ? Ah ah…

Pendant ces quelques instants, il se trouva à nouveau parfaitement ridicule. Même pas capable d’arriver à formuler une simple demande d’orientation normalement. L’avantage, c’est qu’une fois qu’elle aurait répondu à sa question, il ne la reverra sûrement plus et elle l’oublierait bien assez vite… Du moins, c’est ce qu’il aurait souhaité. Ou pouvoir disparaître soudainement dans un petit trou de souris. C’était aussi une option envisageable ! Car si en plus il devait venir à lui expliquer qu’il venait au jardin pour y arracher les mauvaises herbes pour une corvée disciplinaire… C’en était finit à tout jamais de lui.

Je soupirais. Enfermée dans une cabine des toilettes du lycée, je laissais tomber ma jupe au sol et me débarrassais de mon t-shirt. Sans soin particulier, je fourrais les vêtements dans mon sac en les tassant, ne prenant même pas la peine de les plier. Et je soupirais à nouveau. Attrapant mon t-shirt ainsi que mon short de sport, je les enfilais lentement et sortais de la cabine. Mon reflet s’afficha dans le miroir, et je pu découvrir ma mine blasée, les sourcils froncés et la mâchoire crispée.

Me changer dans les toilettes pour ma tenue de sport. Je ne faisais pas ça pour le plaisir. Ni même parce que j’avais sali mes vêtements. Non, non. J’étais punie. Encore. Et pour une bêtise, comme toujours. Un devoir que j’avais oublié de faire, couplé à ça que j’étais devenue la tête de turc du prof à cause de mes mauvaises notes. Non, décidément, je n’étais pas de bonne humeur. Et l’idiot qui enseignait le japonais pouvait bien bouffer sa moumoute qui lui servait à cacher sa calvitie en stade avancé. Et s’étouffer avec, tiens !

Nouant mes cheveux en une couette haute pour ne pas qu’ils me dérangent, je me saisis ensuite de ma veste de jogging et vint l’accrocher à ma taille. Des mèches ébènes vinrent recouvrir mon front et encadrer mon visage, trop courtes pour tenir dans l’élastique. Attrapant mon sac, je le posai alors sur le rebord des lavabos et fouillai à l’intérieur pour en ressortir tout un assortiment de bonbons et autres sucettes. Qui firent un aller simples jusqu’aux poches de ma veste de jogging. J’allais en avoir besoin, au vu de l’effort physique et surtout plus que désagréable qui m’attendais. Désherber les jardins. Comme si ceux du club de jardinage ne pouvaient pas s’en occuper. Je soupirais.
Parée pour aller au bout de ma corvée, je refermais mon sac et le glissait sur une de mes épaules, puis me dirigeais irritée et en trainant les pieds jusqu’à l’extérieur du bâtiment.

Sentant que l’énervement bouillait au fond de moi un peu plus à chaque pas, je me décidai à mettre mes écouteurs et à lancer à fond mon répertoire de rock. Quelque chose d’agressif pour ne pas que l’envie de taper dans la première chose venue soit trop forte. Cependant, comble de malchance, au détour d’un couloir, je pu voir arriver en face de moi la personne que j’avais le moins envie de croiser. Dans le mile, monsieur moumoute. Je grimaçais et tentai de me faire la plus petite possible, espérant qu’il ne me remarquerait pas dans les couloirs maintenant vide du lycée. Raté, forcément. Il se posta devant moi, une fois arrivé à ma hauteur et me tendis la main. Je compris tout de suite, et intérieurement, je me mis à jurer tous les gros mots que je connaissais.

Faisant glisser hors de mes oreilles mon seul havre de paix, je l’entendis grogner de sa barbe alors qu’il récupérait mon mp3 dans ses mains moites et poilues. Après ce contact, il pouvait le garder, je n’allais même pas chercher à le récupérer. Prenant sur moi pour ne pas finir collée, je tentais de m’éloigner le plus rapidement possible, et alors qu’il était déjà à quelques mètres derrière moi, il ajouta avec une touche de fierté et d’arrogance dans la voix :

- N’en rajoutez pas à votre cas, Tanaka.

Je serais les dents, me retenant de ne pas envoyer valser la poubelle à mes côtés. Pour tenter de me calmer, je callais une sucette à la pomme entre mes dents et marchais d’un pas décidé. Il n’y avait pas à dire, ce prof-là pouvait bien brûler en Enfer que ça ne me ferait ni chaud ni froid.
Arrivant dans la cour, je levais les yeux vers le ciel et le soleil qui commençait à se coucher. Après mes heures de club, il commençait à se faire tard, et je me retrouvais avec ça en plus sur le dos. J’avais même dû prévenir au salon de thé pour dire que je ne pouvais pas y travailler. Bon, ce n’était pas comme si il y avait des clients en ce moment, mais ça m’embêtait quand même.

Fermant les yeux tout en soufflant longuement, je me senti me détendre un peu. Ça ne servait à rien que je me crispe, j’allais finir par avoir mal au dos. Et puis, autant finir ça le plus rapidement possible, et ramener les sacs de mauvaises herbes sur le bureau du presque chauve. Oui, ça serait ma petite victoire. Et il ne pourrait rien me dire.
Me dirigeant maintenant motivée vers les jardins, je fus interrompue par une voix masculine qui semblait interpeller quelqu’un. Regardant autour, je compris avec un temps de décalage qu’il s’agissait de moi. Sur le coup, je fus étonnée. C’était rare qu’on cherche à me parler. Je n’étais généralement pas le genre de personne que les autres aimaient aborder. Mais comme il y n’y avait presque personne d’autre dans la cour à cet heure-ci, je compris que son choix avait été par dépit.

Alors qu’il s’approchait de moi, je mettais ma main en visière. Il était grand. Et c’est tout ce que je pu voir de lui à ce moment puisque j’avais le soleil dans les yeux et que j’étais donc éblouie. Grimaçant légèrement, je repensais à Zakuro et ses 2 mètres et quelques, et me demandais ce que les hommes mangeaient pour pousser aussi efficacement.
Le fixant un instant après sa requête, j’haussai un sourcil sur le hasard de la chose. Après tout, c’était plutôt inattendu que nous allions tous les deux dans la même direction. Sans plus de cérémonie, et impassiblement, je lui répondis donc :

- Je m’y rends. Vous pouvez me suivre.

Je le devinais plus vieux que moi, peut-être de peu, mais sûrement que la différence de taille accentuait cette impression. Je ne prenais pas la peine de lui demander ce qu’il allait y faire. Après tout, ce n’était pas mon genre de taper la discussion juste pour remplir les blancs. Je marchais simplement, dans le silence, pas spécialement perturbée qu’on me suive.
Arrivée sur les lieux, je pu voir sur un banc juxtaposé à la serre les sacs poubelles qui avaient été mis là pour l’occasion. Sûrement par Monsieur moumoute. Sans faire attention au jeune homme que j’avais accompagné, je m’apprêtais à me lancer directement dans ma tâche. Moins je perdais de temps, et plus vite je pouvais rentrer.

Cependant, sur ce même banc, je pu remarquer une deuxième paire de gants de jardinage, en plus de celle que je venais d’enfiler. Et d’une taille au-dessus. Réfléchissant un instant, l’évidence sembla se présenter à moi alors que je tapais mon poing dans ma paume.
Je me retournais alors vers mon compagnon, et, laissant tomber les conventions japonaises, je lui demandais sans aucune gêne, avec presque une lueur d'espoir au fond de mon regard charbonneux :

- T’es puni toi aussi ?

Après tout, je n’allais pas m’embêter des politesses avec un camarade d’infortune.

Son sourire gêné prit fin dès l’instant où elle précisa qu’elle se rendait très justement au même endroit que lui. Son expression se figea et il fallut bien quelques secondes avant  qu’il ne réalise qu’un être humain normal ne restait pas figé plus d’une minute d’affilée.

- Super ! Merci… Vous me sauvez la mise.

Oui. Vraiment. Super génial ! Il fallait qu’il se montre ridicule devant une fille pour ensuite se rendre compte qu’ils se rendaient au même endroit. Et ce pour se rendre d’autant plus ridicule… Décidément, il n’y avait pas de justice en ce monde. Au moins, il lui était reconnaissant. Sans elle, il aurait pu continuer longtemps à chercher et sa corvée aurait déjà deux fois pires s’il ne s’y était pas rendu à temps. Et il ne risquait pas de la voir, cette fichue entrée, de là où il se trouvait depuis tantôt. Chose réglée, il n’avait plus à y penser.  
Il suivit donc la jeune fille, traînant un peu les pieds sur le sol. Le ciel prenait de jolies teintes orangées et les oiseaux profitaient certainement de l’humidité ambiante pour picorer les insectes fraichement sortis. Et pendant qu’eux s’amusaient à la chasse pour se sustenter, il était coincé dans ces jardins pour s’occuper de ces foutues herbes. Il aurait aimé rentrer se détendre sur son lit et continuer l’histoire qu’il était en train de lire. Continuer dans un exercice éreintant pour le dos n’était pas ce qui allait le mettre en joie. Son dos était important, et on lui imposait ce supplice. Enfin, s’il se couchait plus tôt, cela aurait réglé le problème beaucoup plus rapidement. Là n’était plus la question, puisqu’il ne pouvait changer le passé.

Lorsqu’ils arrivèrent dans le jardin, il fut d’autant plus découragé. Pourquoi les herbes devaient-elles repousser aussi rapidement !? Enfin… Il n’allait pas s’attarder à la tâche et terminer ça au plus vite qu’il le pourrait. Mais seul… Quelle rengaine… La mine déconfite face à la tâche qui l’attendait, il entendit la même jeune fille que précédemment lui adresser à nouveau la parole.

- T’es puni toi aussi ?

Quoi ? Comment ça « lui aussi » ?! Ca, pour coïncidence, c'en était une… Il ne savait pas s’il devait se réjouir d’avoir de la compagnie dans ce dur labeur ou s’il préférait disparaître loin pour cesser de paraître indéniablement ridicule devant la jeune fille.

- Malheureusement… J’ai la fâcheuse manie de m’endormir durant la théorie. Ca n’a pas l’air de trop leur plaire… !

Un sourire en coin s’anima sur ses lèvres, suivit d’un rire. Bien entendu que non, les professeurs ne toléraient pas ça. C’était un manque de discipline plus que clair. Enfin, selon eux. Car pour Haruhiko il s’agissait juste d’un exercice compliqué que de rester réveillée une heure alors qu’il se trouve assis sur une chaise. Que le cours soit intéressant ou non ! Comme d’habitude, personne ne semble le comprendre et les professeurs finissent toujours par s’en offusquer. Au moins, l’horaire de la corvée ne tombait ni durant son boulot, ni durant ses horaires de club.

-Bon… Au moins, on est deux dans cette galère. Y a l’air d’avoir quand même du boulot.

Posant son sac à côté du banc, il soupira à nouveau. Il allait avoir besoin d’un remontant. S’abaissant jusqu’à son sac, il fouilla sa poche avant, celle contenant tous ses trésors. Milles et unes confiseries dont il ne se lasserait jamais. Sortant une gum du sachet, il l’envoya aussi tôt jusqu’à sa bouche, le goût sucré lui apportant enfin un sentiment de satisfaction. Puis, il se souvint qu’il n’était pas seul. C’est donc en souriant qu’il tendit un autre petit paquet à la jeune fille.

- Tu en veux ?

Le vouvoiement était totalement passé à la trappe. A vrai dire, il se sentait beaucoup plus à l’aise en tutoyant quelqu’un. Se redressant suite à ça, il prit direction du banc pour en attraper les gants, la mine toujours aussi déconfite. Il allait falloir se mettre au boulot malheureusement…

- Et toi ? Quelle misère tu leur as fait pour atterrir jusqu’ici ?

C’était une bonne question, ça. Si elle était ici, ce n’était certainement pas pour rien et Haruhiko était plus que curieux d’en savoir la raison. C’est donc dans une note d’humour qu’il s’autorisa à lui demander. Après tout, quitte à être ici pour au moins quarante minutes –si ce n’était plus– autant partager ses souffrances scolaires.  

« Je vois » fut la réponse qui me vint en tête lorsqu’il me raconta la raison de sa présence ici. Je le gardais pour moi et décidai de ne pas répondre, n’y voyant pas vraiment d’intérêt si c’était juste pour parler. Je n’étais pas spécialement douée pour tenir une conversation, et, le peu de fois où les gens avaient essayé d’en lancer avec moi, elles se finissaient généralement assez rapidement. Parce que je n’avais rien de plus à dire. Je supposais que c’était une raison de plus que mon visage antipathique qui expliquait pourquoi peu de gens cherchait à me côtoyer. Bah, en un sens, tant mieux. J’étais très bien comme ça. Enfin. Je m’en persuadais.

Glissant mes doigts bien jusqu’au bout des gants et serrant ma veste autour de ma taille, j’attrapais alors un sac poubelle et me dirigeais vers les bords des allées, pour commencer méthodiquement par désherber les contours des chemins. Pas de perte de temps, efficacité. J’étais plutôt contente d’avoir une autre paire de mains pour m’aider, mais vu que j’avais déjà envisagé de le faire seule, ça ne me dérangeait pas de me mettre à la tâche. Je voyais plus ça comme un bonus qu’au partage égalitaire. Et tant mieux si je pouvais avoir plus.

Arrivant à la fin de ma sucette, je me stoppais dans le début de ma tâche et me saisis du bâton avant de croquer d’un coup sec sur ce qu’il restait du bonbon. Je me débarrassais ensuite du petit tube en plastique, et c’est à ce moment que mon camarade d’infortune me proposa un emballage duquel je devinais instantanément de quoi il s’agissait. Haussant un sourcil, d’abord surprise de cet acte de gentillesse, suspectant presque un coup fourré, j’haussai alors les épaules et me saisis de la confiserie timidement. Ouvrant le paquet, je glissais le chewing-gum dans ma bouche et le papier dans ma poche et murmurais doucement, les yeux rivés sur les graviers blancs des routes menant à la cour.

- Merci.

En un sens, il venait de gagner un énorme point, parce que, c’était tricher et me prendre par les sentiments. Je ne pouvais pas résister si on me proposait des bonbons. Et mon opinion de lui venait ostensiblement de monter d’un cran. Il était passé de « inconnu sans intérêt » à « personne supportable ». Et c’était déjà un grand pas !

Me concentrant sur ma tâche tout en mastiquant la gomme au gout fraise, je fus vite, très vite ennuyée par l’activité. C’était désagréable, ça faisait mal au dos, et surtout, l’impression de ne pouvoir jamais en voir le bout était plus que décourageant. Levant les yeux sur le ciel carmin, je me demandais si nous avions à désherber toute la superficie des jardins. Réalisant que c’était impossible, je me fixais l’heure de la tombée de la nuit complète pour arrêter. Après tout, une fois qu’il ferait noir, même si on le voulait, on ne risquerait plus d’y voir grand-chose.

Faisant une bulle qui vint éclater et briser le silence, je me retournais vers la voix du jeune homme qui venait de reprendre la parole. Pourquoi j’étais ici, parce que j’avais été punie. Je ne voyais pas vraiment où était son intérêt de savoir, mais peu importe.

- Je n’ai pas fait un devoir obligatoire.

Bien sûr, pris hors contexte, ça paraissait une punition un peu dure juste pour un devoir non rendu. Mais disons que celle-ci était l’escalade de nombreuses autres auparavant : devoir supplémentaire, nettoyage de classe, étude obligatoire, et j’en passais. Non, ce prof ne m’aimait pas, et je lui rendais bien. Puisque généralement, je ne me gênais pas pour exprimer mon mécontentement. Et il appréciait cela encore moins.

Je soupirais. Et mon sac se remplissait. Mon chewing-gum commençait à ne plus avoir de goût, alors je le jetais au milieu des mauvaises herbes. Je vérifiais que j’avais toujours le papier sur moi. C’était une de mes manies bizarres, mais, on ne m’offrait pas souvent -voire jamais- de bonbons. Alors, j’étais tentée de garder l’emballage. En souvenir. Et il irait rejoindre ses congénères dans les boites cachées sous mon lit.

Je gardais cette bizarrerie pour moi. Car pour sûr, je pensais qu’on me regarderait de manière encore plus bizarre que d’habitude. Après tout, c’était souvent sur les excentricités qu’on se faisait juger. Et je trainais déjà une assez mauvaise réputation comme ça pour en rajouter une couche.
A vrai dire, les seules personnes au courant actuellement étaient mes parents ainsi qu’Himiko, qui avaient fini par tomber dessus en faisant le ménage. Et il y avait Haruhiko aussi. Mais c’était particulier, vu qu’à lui, je lui disais quasiment tout.

Je ne l’avais pas contacté aujourd’hui, trop occupée à courir partout. Je me demandais si ça valait la peine de lui raconter la mésaventure qui m’arrivait à cet instant. Après tout, il s’inquiéterais sûrement, comme c’était souvent le cas. Avec les nombreux problèmes qui m’étaient tombé dessus depuis que j’étais à Keimoo, je n’avais cessé de lui annoncer des mauvaises nouvelles. Bon, il y avait les bonnes aussi. Les gens que j’ai rencontrés, le salon de thé, le fait que je commençais petit à petit à avancer dans ma vie, avoir un but. Que j’avais tout de même moins de mal à échanger avec les gens. Oui, j’avais pu lui raconter du positif aussi. Heureusement.

Pensive, et par réflexe, je sortais mon téléphone de ma poche de short et l’ouvrait, en prenant soin que mon strap y était toujours accroché et que je ne l’avais pas -encore- perdu. De dos à mon camarade pour ne pas qu’il voit que j’étais en train de manquer à mon devoir, je tapais rapidement un mail.

From : naoko.tanaka@tokyo.jp
To : haruhiko.nakamura@kumano-shi.jp

Salut ! Comment vas-tu ?
Désolée de ne rien avoir envoyé avant, j’étais plutôt occupée aujourd’hui.
J’ai eu quelques ennuis avec mon prof de japonais, mais rien de grave !
J’espère que tout se passe bien pour toi.
Oh et, il faudra que je te fasse goûter quelque chose. Je t’envoie ça vite !    
Nao.

Envoyé, je fermais mon téléphone et le glissais à nouveau dans ma poche avant de soupirer. Pourvu qu’on ai vite terminé.

Une touffe arrachée, puis deux, puis une troisième… Un énième coup d’œil au carré de jardin à désherbé et il fut encore une fois désespéré. Ses bras étaient encore endoloris de la dernière séance de musculation et les faire travailler encore ainsi n’était pas ce qu’il y avait de plus agréable. Au moins, la fin de journée semblait agréable elle au moins et il ne faisait plus trop chaud. La nuit allait être plus clémente et plus fraîche. Peut-être que ce soir il allait enfin réussir à s’endormir tôt. Et non pas comme une loque aux dépends du ventilateur qui soufflait bien trop peu d’air qu’il n’en voudrait.
Son regard se posa quelques instants sur la jeune fille qui semblait occupée à la tâche, mâchouillant la gum-fraise qu’il lui avait tantôt offerte. Il n’arrivait pas réellement à la cerner. Elle ne semblait pas méchante mais il sentait clairement une mise à distance de sa part pour les autres.

La bulle qui éclata le fit légèrement sursauté. Il s’avisa sur son jugement à propos de la jeune fille. Au moins, elle n’était pas totalement fermée à la discussion et prenait même le temps de lui répondre ! De manière relativement minimaliste, mais elle répondrait. Un léger sourire naquit alors sur ses lèvres.

- Eh bien… Il n’a pas l’air de beaucoup t’aimer le professeur pour t’infliger … Ca.

Un air dépité accompagna son sourire tandis que son visage décrivait un cercle sur la scène du jardin dont ils devaient se charger. Avoir une camarade de galère lui faisait peut-être plus plaisir qu’il ne le pensait au final. Avec ça, même si cela ne signifiait certainement pas grand-chose, il pouvait tromper sa solitude au moins l’espace d’une petite heure. Autrement aurait été mille fois mieux. Mais il ne savait pas vraiment comment ça marchait, autrement… En dehors de sa sœur, il n’avait pas grand monde avec qui flâner ou balader.
Pour la deuxième fois depuis un peu moins de trente minutes, il sorti légèrement son cellulaire de sa poche de sweat pour vérifier qu’il n’ait pas de nouveaux messages. Mais rien pour le moment. Dans un coin de sa tête, il se promit de lui envoyer un message au moins avant d’aller se coucher. Ce n’était pas que dans un sens unique après tout. Enfin… Il devait d’abord se débarrasser des herbes avant tout.

Haruhiko s’épongea le front avec le revers de sa main en soupirant légèrement à nouveau. Son sac était rempli. Il se leva donc, dépliant douloureusement ses jambes, pour aller en chercher un nouveau sur le banc et laisser celui plein à côté. Soudainement, il sentit une vibration dans sa poche… Un mail ! Un large sourire s’invita sur son visage. Naoko venait d’ensoleiller sa journée avec le simple envoie d’un message. Il prit le temps de le lire rapidement pour essayer de paraître discret. Ce n’était pas vraiment le temps de prendre du retard dans la tâche qu’ils accomplissaient après tout…

From : haruhiko.nakamura@kumano-shi.jp
To : naoko.tanaka@tokyo.jp  

Coucou ! Je vais plutôt bien, et toi ?
Aucun problème, tu le sais bien ! Les cours me prennent du temps aussi cette année...  
J'essaie de ne plus trop t'envoyer de mails durant les cours... Mon professeur a un œil de lynx je crois.
L'autre moumoute t'as encore prise en cible du coup ?
J'ai hâte de recevoir ça. Je suis fan des gum-fraises que tu m'as conseillé.
Dommage qu'ils ne gardent pas leur goût très très longtemps...
Haruhiko

Heureusement, il avait l’aptitude d’une écriture rapide sur cellulaire. Refermant le clapet du téléphone, il le replaça dans sa poche, content d’avoir eu quelques nouvelles de Naoko. Même si parfois ce n’était que trois fois rien, il s’inquiétait toujours s’il n’avait pas de nouvelles durant plus de deux journées d’affilées.

Bien, il était temps de retourner à la salle besogne. Prenant le sac vide, il s’installa à son poste de travail en sifflotant, tout heureux comme il l’était.

- C’est vraiment long… Je commence à comprendre pourquoi personne ne veut le faire.

C’était certain, s’il aimait jardiner, jamais il n’apprécierait arracher des herbes à la touffe qui repoussaient bien trop vite au goût de tout le commun des mortels.

- T’es dans cette école depuis longtemps, toi ?

Tout en continuant d’arracher une nouvelle touffe d’herbe plus résistante, il lui sourit à nouveau. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’était de tomber sur les fesses en arrière lorsque la racine céda sous la pression de sa main. Ca faisait fichtrement mal au coccyx cette histoire ! Le destin essayait peut-être subtilement de lui dire qu'il parlait trop...

Je commençais à avoir chaud, malgré que je n’étais pas spécialement couverte. Et j’avais mal aux mains, bien que j’avais des gants. C’était bien plus fatiguant physiquement que je ne le pensais. La position, l’attention, la répétition des gestes et parfois la force qu’il fallait employer pour déraciner les herbes faisaient qu’au final, des douleurs commençaient à montrer le bout de leur nez seulement après une demi-heure.
N’ayant jamais fait de jardinage avant, à part pour l’entretien rapide de la serre, ça ne me donnait pas vraiment envie de m’y mettre. Pas du tout même. Je commençai même à douter que quelqu’un puisse y trouver plaisir. Mais comme on dit, chacun ses goûts, n’est-ce pas.

Je soufflais, mon sac était rempli à ras bords, et je me posai la question de savoir ce que fichaient les jardiniers employés par l’Académie. Parce qu’il y avait du travail là, clairement. J’en déduisais qu’ils se tournaient les pouces. Ou qu’ils réservent cet espaces aux punis. La deuxième hypothèse était nettement plus sadique, mais au vu des politiques de l’Académie parfois, ça ne m’aurait pas vraiment étonnée.

Accroupie, j’eu un peu de difficulté à fermer le sac, et il fallut que je tasse les mauvaises herbes pour avoir une chance que les bords puissent se toucher. En plein effort, je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche et devinais une réponse d’Haruhiko. Il était toujours assez rapide, même pendant les heures de cours. Et puis, ce n’était pas comme si beaucoup de personne m’envoyait des messages non plus… M’asseyant sur le sol, je jetais un œil à mon camarade, et voyant qu’il était reparti dans le désherbage, j’en profitais pour répondre rapidement.

From : naoko.tanaka@tokyo.jp
To : haruhiko.nakamura@kumano-shi.jp

A part l’accrochage avec moumoute, ça va plutôt bien.
(oui, tu as deviné juste, t’auras donc le droit à un bonus   )
Bon courage pour tes cours, je suis sûre que tu peux t’en sortir !
Et ne te fais pas punir pour moi, je me culpabiliserais sinon.  

Ah et, c’est drôle que tu m’en parles,
j’en avais une dans la bouche il y à peine quelques minutes. Ce hasard !  
Bref, je dois te laisser pour l’instant, je dois finir un travail que moumoute m’a donné.
A plus tard.
Nao.

Me redressant, je rangeais mon cellulaire, et me saisissait de l’énorme sac que je trainais jusqu’au banc aux côtés de l’autre que mon camarade avait rempli. J’en pris un nouveau et le dépliais, et alors que je retournais à mon poste, le jeune homme décida à nouveau d’engager la conversation. Ça ne me dérangeait pas vraiment. En plus, sur le coup, il avait l’air plutôt content. Plus qu’à son arrivée. Et malgré qu’il se plaigne de la tâche, le fait qu’il ait le sourire aux lèvres me fit me demander si au final il n’aimait pas ça. En un sens, tant mieux pour lui, au moins, la punition faisait plaisir à un de nous deux.
Dans tous les cas, il continuait, et comme toujours, concentrée, je lui répondais, impassible :

- Depuis 2 ans.

Ne voulant pas vraiment m’étaler sur le sujet et parler de mon passé avant d’arriver à Keimoo, de mes expulsions et tout ça, je lui renvoyais donc rapidement la balle. Je devinais, puisqu’il n’avait pas trouver les jardins alors qu’ils occupent une grande superficie du campus, que ça ne faisait pas longtemps qu’il était là. Je tentais donc de lancer une question rhétorique :


- Tu es nouvea…

Je fus coupée dans ma phrase par le son de quelqu’un qui tombe. Et j’eu juste à me retourner pour constater que c’était la personne que je suspectais qui avait maintenant les fesses sur le sol. J’eu presque envie de pouffer, de voir quelqu’un d’aussi grand avoir l’air aussi maladroit. Je me contentais cependant d’afficher un léger sourire en coin. Je doutais qu’il se soit fait réellement mal, alors, je pouvais bien me permettre de me moquer. Même si c’était seulement intérieurement.

Levant les yeux vers le ciel, j’estimais que le soleil n’allait pas se coucher tout de suite, et qu’il restait une bonne demi-heure, voir, trois quarts d’heure. Je me redressais donc, et m’étirais de tout mon long, levant les bras en l’air. Mon t shirt se souleva légèrement au passage, laissant apparaitre mon ventre, pâle, comme tout le reste de mon corps. Sur le côté gauche, à la limite de ce que laissait apparaitre le vêtement, je pouvais apercevoir les cicatrices du séisme, lorsque l’escalier s’était effondré sur moi. D’un œil extérieur, ce petit détail, donc la plus grande partie était encore cachée par le tissu, n’était pas spécialement remarquable. Moi je la voyais parce que je savais qu’elle était là.

Laissant retomber mes bras le long de mon corps dans un mouvement fatigué, je me tournais vers mon compagnon qui avait fini par décoller son postérieur de l’herbe, et m’enquit de son état :

- Ça va ? On peut faire une pause si tu veux.

En fait, ça voulait plutôt dire, « Moi je fais une pause, donc tu peux en faire autant si ça te chante ». Quittant mes gants et les posant par terre, j’allais chercher mon porte-monnaie dans mon sac de cours et me dirigeait vers un distributeur de boisson. J’avais soif, avec la chaleur de l’été, il fallait que je me désaltère. J’optais donc pour une brique de lait chocolaté froid.

Réfléchissant un instant en récupérant ma briquette qui venait de tomber, je me tournais vers le jeune homme et lui demandais, les yeux fixés dans les siens.

- Tu veux quelque chose ? Je te l’offre. Pour le chewing-gum.

Après tout, on m’avait toujours appris à ne pas avoir de dette, si petite soit-elle.

Il suffit de quelques minutes avant que son cellulaire ne se remette à vibrer dans sa poche, lui décrochant à nouveau un sourire. Cela lui arrivait bien trop souvent de sourire bêtement dès qu’il constatait qu’un nouveau mail venait d’arriver sur le téléphone. Enfin… Il ne devait pas céder et attendre un moment plus clément avant de le lire. Il ne voulait pas paraître impoli face à sa camarade de mauvaise fortune… Un calvaire était déjà suffisant, autant ne pas y rajouter un boulet. Son regard se dirigea vers elle lorsqu’elle dit être là depuis deux ans. Il ne saurait toujours pas déterminer si elle était plus jeune ou du même âge, mais elle n’était pas nouvelle comparé à lui. Il n’était pas curieux au point de lui demander sa carte d’identité et la profession de ses parents. C’est pour cela qu’il décida de s’en tenir à quelques questions avec parcimonie, dès que l’occasion pouvait se présenter.
Il y avait comme un sentiment étrange qui l’habitait en cet instant. Comme un petit brin de rien qui lui poussait à croire que tout n’était pas encore perdu. Que peut-être, en ne faisant pas forcer le destin, en le faisant simplement couler entre ses doigts, il pourrait y arriver. A parler aux gens sans les faires fuir. Ou sans qu’ils ne restent que par intérêt. C’était ça, le sentiment étrange. Il ne voyait en cette fille rien de tout ça. Une carapace certaine, mais aucun intérêt premier. Juste… La simplicité d’être soi.

Mais cette foutue simplicité venait clairement de lui faire mal au cul.

Pensif, comme toujours, il en avait oublié clairement le mouvement qu’il était en train d’exécuter. Celui d’arracher les mauvaises herbes. Seulement l’une d’entre elles ne voulait pas venir, et il forçait dessus. Sans y penser. Machinalement. Il avait gagné grâce à cela de tomber, fesses premières, devant les yeux de la jeune fille.

Une moue déchirée entre l’excuse de se montrer ainsi en public et la honte naissante se peignit sur ses traits. Il ne savait pas trop comment il devait réagir, en fait. Mais elle n’en fit cure, pour le plus grand soulagement d’Haruhiko. Néanmoins, il fut prit d’un constat. La position assise était vraiment agréable, et ce malgré les graviers qui rendait la position inconfortable. Il n’eut pas besoin de répliquer quoi que ce soit, la jeune fille se redressa, très certainement endolorie elle aussi par l’activité.
Ne sachant pourquoi, il ne put s’empêcher de la regarder s’étirer. Très certainement car son action restait mille fois plus attrayante que ces fichues herbes lui sortant par tous les orifices. Elles retrouvèrent tout leur côté attrayant néanmoins dès lors que son regard se posa avec indélicatesse sur le ventre nu de la jeune fille. Dans son mouvement d’élan, son T-shirt s’était remonté au rythme de son mouvement. Non… Regarder la peau nue des jeunes filles était quelque chose de bien trop indécent pour qu’il y laisse son regard.

- Ca va ? On peut faire une pause si tu veux.

HALLELUJAH. DON DU CIEL. BENICITE. Oui, ce sont à peu près tous les mots qui vinrent à l’esprit d’Haruhiko à l’entente de la proposition qu’elle fit.

- Oohh, oui. Ca ne sera pas de refus !

A son tour, il prit le soin d’étirer son corps tendu par les courbatures naissantes. Son sac était déjà à moitié plein… Combien en fallait-il encore avant que les professeurs n’en soient satisfaits ? Très bonne question… Il aurait peut-être dû y songer avant de s’y rendre, en fait. Profitant que la jeune fille se rende jusqu’au distributeur, il pu enfin aller lire le message de Naoko, son sourire à nouveau sur les lèvres. Il s’appliqua donc à lui répondre, cette fois-ci sans vraiment se cacher.

From : haruhiko.nakamura@kumano-shi.jp
To : : naoko.tanaka@tokyo.jp

Tu me rassures.
C’est méchant de me faire languir ainsi ! J’ai déjà hâte !

Bon courage pour ta tâche, j’t’accompagne par la pensée  

Haruhiko.

Fermant à nouveau le clapet après avoir pesé sur « envoyer », il redressa le regard en direction de sa camarade du moment, ce foutu sourire toujours sur les lèvres. Néanmoins, il fut quelque peu déstabilisé lorsque la jeune fille le fixa droit dans les yeux. Ce n’était pas quelque chose dont il avait vraiment l’habitude et il devait se l’avouer, ça le gênait quelque peu. Ce qui n’arrangea pas son cas lorsqu’elle lui proposa de lui offrir un petit quelque chose en échange du chewing gum à la fraise.

- Euh…

Au vu du regard qu’elle lui lançait, il se doutait bien qu’il n’y avait pas d’échappatoire possible… D’un coup d’œil furtif, il regarda le contenu du distributeur et chercha le prix le plus bas du répertoire.

- Lait fraise.

Bon… Ce n’était pas sa boisson préférée, mais il l’aimait quand même. C’était mieux que rien. Il n’oserait jamais imposer un choix onéreux dans tous les cas. Lorsqu’elle lui tendit la boisson, il se dirigea à nouveau vers le banc, dégageant les affaires pour les mettre sur le sol et leur offrir ainsi un peu de répit pour quelques instants. Il accorda un nouveau regard sympathisant envers la jeune fille.

- Merci, pour la boisson ! C’est sympas.

Sirotant quelque peu la  boisson, la paille coincée dans sa bouche, son regard se perdit vers le ciel. Finalement Keimoo, ce n’était pas si pire. Il ne savait pas réellement ce à quoi il aurait dû s’attendre, mais il sentait qu’ici, il y avait un potentiel qu’il pouvait exploiter. Malgré ses rêveries, son regard redescendit sur terre, droit sur le jardin.

- On continue encore vingt minutes et on y va ? Je ne pense pas que je tiendrai plus longtemps dans une position aussi atroce…

S’il y avait bien une chose qu’il ne souhaitait pas, c’est de se retrouver avec des courbatures atroces pour le basket de demain. Il était tout simplement hors de question d’avoir mal quelque part lors d’un entraînement. Pour cela, il allait devoir se noyer dans un bon bain chaud en  rentrant et de continuer à étirer ses muscles. Avec ça, il n’était pas encore prêt de se coucher.

Je penchais légèrement la tête lorsqu’il m’annonça son choix, manifestement gêné de devoir en faire un. De toute façon, s’il avait refusé, je lui aurais quand même pris quelque chose, et tant pis pour lui si ça ne lui aurait pas plu. Enfin, un lait fraise. Tout en appuyant sur le bouton après avoir inséré la monnaie, j’étais perplexe. Ça ne correspondait pas vraiment à son image de grand gaillard. Et c’était plutôt féminin. Pas que ça me dérange, en soi, je n’avais pas vraiment de préjugé là-dessus. C’était juste étonnant. Comme sa maladresse. Mais d’un côté, c’était plutôt amusant d’être témoin de ces écarts d’images.

Lui tendant sa boisson, je récupérais la mienne et perçai l’opercule à l’aide de la paille avec attention. Je l’observais ensuite se diriger vers le banc alors que je prenais une première gorgée du liquide bien frais. Ça faisait un bien fou, et j’avais l’impression de regagner de l’énergie. Soupirant de bien-être, je fermais les yeux un instant, essayant d’occulter le fait que nous devrions nous remettre à notre tâche.

Je les rouvris seulement lorsque mon compagnon m’adressa à nouveau la parole, pour me remercier de mon geste. Le fixant un instant, j’haussai ensuite les épaules, l’air détaché et murmurais simplement :

- Pas d’quoi.

M’adossant au mur du bâtiment, j’observais le travail que nous avions déjà accompli, qui était plutôt important malgré le peu de temps que nous avons utilisé. Certes, la tâche était plus que désagréable, mais il y avait comme un sentiment d’accomplissement à contempler les sacs remplis de mauvais herbes et les allées maintenant dégagées d’indésirable. Baissant le regard sur mes mains rougies par l’effort malgré les protections, je fus quand même fière de moi. Bien sûr, nous n’avions pas encore fini, mais cela me redonnait un peu de motivation.

Ainsi, lorsque le jeune homme proposa de s’y remettre, je répondais d’un « Mh » signifiant mon approbation, et me redressais de ce qui me servait d’appui. Jetant au passage ma briquette maintenant vide, je remettais mes gants et retournais à la corvée, bien décidée à faire un travail correct dans le temps qui était imparti.

Ce fut le cas, après les 20 minutes de punition silencieuse. Nous avions couvert toute une partie des jardins et des bords d’allées, et le résultat était convaincant. M’asseyant dans l’herbe alors que les lampadaires du campus commençaient à s’éclairer, je soufflais de fatigue, et n’avais envie que d’une chose : Prendre une douche. J’avais transpiré et me sentais sale, alors, je ne voulais pas vraiment traîner.

Avec l’aide de mon camarade d’infortune, nous avons débarrassé les sacs poubelles jusqu’à l’incinérateur à déchets, et sans plus de cérémonie, avons récupéré nos affaires pour partir. Alors que je quittais le campus en direction de la ville, lui se dirigeais vers les pensionnats. Cette information resta en suspens dans ma mémoire, accompagnée de la pensée que je ne savais au final pas grand-chose de mon compagnon de punition. Pas que ça m’intéressait particulièrement, puisque je n’avais pas spécialement donné d’information sur moi non plus.

Pensive, je marchais tranquillement jusqu’au quartier Hebi. Au final, je me considérais plutôt chanceuse d’être tombée avec lui. Il n’avait pas été désagréable, au contraire. Et il m’avait donné un chewing-gum. Reprenant l’emballage qui avait été caché dans ma poche, je l’observais une seconde avec de l’y reranger, et en profitais pour attraper mon téléphone.

Je lu le message d'Haruhiko avec un léger sourire sur les lèvres, tout en me demandant si je devais lui détailler mon activité et ma collaboration avec celui qui dormait en cours. Je penchais pour le non, me disant que de toute façon, cela n'allait être que l'affaire d'un jour et que ça ne valait pas la peine. Ramenant mon téléphone auprès de ma bouche dans une moue pensive, je décidais donc de ne pas répondre pour ce soir. Mais tout de même, pour une rencontre qui ne risquait pas de se reproduire, ça avait été une plutôt bonne expérience…