Fondu au rouge.

C'était un matin banal et plutôt tranquille qui ponctuait les jours restants avant la rentrée scolaire des étudiants et lycéens l'académie Keimoo. Le soleil printanier des jours précédents s'était éclipsé pour laisser la place à des nuages grisonnant et l'air laissait sentir une certaine humidité annonciatrice d'une pluie passagère. Habituellement, Makkuro dormait mal et se levait tôt pour savourer la fraîcheur matinale, le calme des rues et les derniers moments de silence des rues se réveillant à peine. Aujourd'hui le soleil s'était déjà levé depuis une heure ou deux quand il ouvrit les yeux, confortablement étalé dans son lit, en étoile. S'il était capable de rester des heures sans bouger, patiemment, pour rien, aujourd'hui à peine avait il les yeux posé sur le plafond d'une couleur beigeasse qu'il se leva. Comme à son habitude, le jeune homme glissa une main contre son cou qu'il fit craquer dans un bruit plutôt retentissant.

En sortant de sa petite chambre, son pied heurta une bouteille de bière vide qui roula jusqu'à d'autres cadavres en verre, les faisant vaciller dangereusement mais elles restèrent par chance, toutes debout. Un grognement échappa de la gorge du jeune homme quand il se rappela qu'il n'était pas seul et qu'un tas de couverture couvrait un de ses congénère. Squatteur de son état, le type qui dormait encore. C'était une connaissance, qui venait parfois boire quelques verres et qui se prêtait facilement aux bastons de bar, dans les rues du quartier. Ils n'étaient pas amis.
Ce type fut réveiller par une agitation dans l'appartement mais quand il ouvrit les yeux, l'appartement était vide, aucune trace du type aux cheveux rouges qui habitait les lieux. Et puis tout d'un coup il sursauta quand un grand fracas se dit entendre deux étages plus bas. Se précipitant à la fenêtre, il regarda les débris d'un vieux climatiseur explosé au milieu d'un cercle blanc tracé à la peinture. Un coup d'oeil vers le toit, et il aperçut la chevelure flamboyante. Des pas dans l'escalier et Makkuro était de retour dans son appartement, tout sourire, devant les yeux ronds de son petit camarade.

- Mais qu'est ce que tu fou ! T'es malade ?!
- J'ai vu ça dans une série ! Je voulais voir si ça marchait... Du premier coup pile dans le cercle que j'ai tracé !
- T'essayais de tuer quelqu'un !
- Justement c'est ça le truc ! T'as vu l'épisode ?
- Non... Qu'est ce qu'on fait maintenant ?

- D'abord je vais... ramasser le climatiseur.

Le russe le planta là, revint sur ses pas, et passa la tête par la porte.

- Au fait... Barre toi de chez moi.

Quand Makkuro croisa le squatteur, celui ci descendait, l'air passablement ronchon, alors que le jeune homme remontait tranquillement avec le climatiseur dans les bras sous l'oeil un peu perplexe d'une vieille dame ouvrant son commerce. Saluant les deux individus avec un large sourire content, il remonta, posa le climatiseur sur le rebord de sa fenêtre en attendant de savoir quoi en faire, et dans un mouvement malencontreux, celui ci retomba au sol.

Finalement, l'objet malheureux resta dans son cercle blanc, pour la seconde fois, encore plus mal en point qu'avant, et personne ne s'en soucia. Même pas Makk qui sortit pour acheter de quoi fumer, de quoi manger aussi. Il avait rejoint les quartiers un peu plus fréquentables, loin des rats du quartier Bougu, lunettes de soleil sur le nez et veste en cuir sur les épaules. La belle veste en cuir, celle qui l'accompagnait dans ses virées à moto, noir avec un cobra dans le dos et des pin-up comme motif de doublure intérieure. Si son humeur avait été au beau fixe de son expérience sur le climatiseur jusqu'à l'achat de son parfum de chips préféré, elle se dégrada rapidement lorsque le petit vieux à la caisse mit vingt bonnes minutes à trouver sa monnaie et qu'un type pressé le bouscula à l'entrée du parc du quartier Hiryuu, écrasant ses chips au passage.
Le calme des lieux fut troublé par un retentissant « La prochaine fois je découpe ta gueule en râteau de jardin zen pour t'accorder au décor des lieux ~  ! » alors que la racaille aux cheveux rouges secouait le pauvre bougre par le col faute de pouvoir l'écraser contre un mur pour lui faire revivre le supplice de ses chips. Il avait un large sourire mauvais.
Et pour parfaire le tout, il se mettait à pleuvoir. Laissant le type lambda se carapater avant qu'il n'ai l'idée de lui écraser son point sur le nez pour se détendre, et se venger de son oubli de parapluie, le jeune homme échappa un grognement  de mécontentement en restant planter là comme un idiot.

- Han.... Fait chier.

L'air froid, l'humidité, et l'altercation stupide des quelques secondes précédentes commençaient à lui taper sur les nerfs. D'ailleurs, l'expression de son visage trahissait cette humeur qui se dégradait à une vitesse impressionnante alors que la pluie tombait de plus en plus fort. Ses beaux yeux glacés lancèrent des éclairs au décor avant qu'il ne les ferme, pinçant l'arrête de son nez en soupirant. C'était une tentative pour se calmer, qui portait rarement ses fruits il fallait l'avouer, mais il tenta quand même. Il était inutile de pester pour rien, d'autant plus que s'il s'écoutait, il allait chercher quelqu'un à tabasser pour se détendre.

Ce n'est que lorsqu'on s'adressa à lui qu'il remarqua la présence dans son espace vital, du moins qui y avait presque pénétré. Makkuro fut d'abord surprit qu'on l'approche. Vu la distance à laquelle était placé l'inconnu quelque peu suicidaire peut être, il avait forcément dû assister à son énervement contre le pauvre type lambda qui avait fini par se carapater. Son constat, de vive voix, le lui confirma d'ailleurs immédiatement et il daigna alors se tourner pour voir totalement le visage du téméraire en haussant un sourcil, dardant son regard azuré sur l'individu. Mais d'où est ce qu'il sortait celui là... C'était quoi ces cheveux ? Bon d'accord, il avait pas trop voix au chapitre pour le coup.

- Belle déduction Sherlock. Mais quelque chose me dit que t'as pas trouvé ça tout seul.

Le jeune russe avait répondu ça d'une voix un peu sifflante, avec son petit air moqueur trahit par son sourire en coin et ses prunelles brillant d'un drôle d'éclat. Il jaugeait d'ailleurs rapidement et sans s'en cacher, le physique de la brindille devant lui. Il en avait vu des choses étranges au Japon là n'était pas tant la question. Mais ce type bien propre sur lui était le genre qu'il aimait embêtait. Un simple coup d'oeil de haut en bas le lui gueulait dans l'oreille avec un porte-voix. Bon, la racaille salua tout de même la performance, intérieurement, parce qu'assumer de se promener comme ça au Japon, il en fallait un peu dans le pantalon. Quoi que.

- Et ça te fait marrer apparemment.

A l'aveugle, il alla chercher, sous le col de sa veste en cuir, la capuche du sweat qu'il avait mis par dessous pour la rabattre sur ses cheveux qui n'allaient pas tarder à dégouliner d'eau s'il ne bronchait pas. Sans lâcher les yeux de l'inconnu dont il avait un peu de mal à discerner l'âge sachant qu'il n'avait jamais été doué pour ça, il passa une main dans ses cheveux rouges pour les plaquer en arrière sous la capuche. Quelques mèches rebelles refusèrent catégoriquement de tenir la pose et revinrent devant ses yeux, lui donnant un petit air sauvage parfaitement improvisé.

- D'où tu sors toi comme ça, au juste.... Et comment tu t'appelle ?

Pas vraiment sûr de vouloir le savoir, mais son rire l'avait légèrement agacé, son courage par contre l'avait amusé, à moins que ce ne soit de l'inconscience ? Il avait bien la tête d'un inconscient. Makkuro n'était pas du genre à être curieux vis à vis des gens. Beaucoup lui étaient indifférents, d'autres l'occupaient le temps d'un bref instant mais il n'était pas du genre à s'investir dans une quelconque relation humaine surtout si elle ne lui apportait pas suffisamment à son goût. Mais ce type avait l'air d'une jeunesse suffisante pour pouvoir lui donner quelques tuyaux sur l'académie, si toute fois il y étudiait et que Makk pense à s'intéresser à l'endroit où il serait inscrit à la rentrée. Après tout, c'était déjà beaucoup, qu'il daigne à répondre en étant plutôt calme malgré ce ton désinvolte, cet agacement peu concerné, et ce regard chafouin.

Les sourcils froncés, le visage du jeune homme afficha un agacement léger mais pourtant bien présent. C'était quoi cette tête de merlan frit. C'était la première fois que ce type entendait quelqu'un lui demander son prénom ou quoi ? C'était rare que Makkuro se force à être poli dans la vie de tout les jours et même en fréquentant des personnes plutôt à cheval sur ce genre de manières, mais il ne s'attendait pas à ce que quelqu'un soit aussi peu familier de cette pratique. A moins que dans ses yeux de glace, on ne voit déjà le désintérêt total pour l'identité de l'inconnu mais il en doutait. Il faisait parti de ses gens suffisamment neutre pour laisser planer le doute sans donner une réponse précise sur sa désinvolture et ce qui l'attirait ou non, du moins quand ce genre de personnes ne souhaitaient pas être clair là dessus.

Haussant un sourcil cette fois, il toisa le jeune homme alors que ses lèvres se pincèrent légèrement. En voilà une question bien étrange. Est ce que cette incrédulité avait une autre source ? Cet individu aux questions bizarres devait être une célébrité locale... ou une mascotte qu'il aurait été censé connaître par l'intermédiaire de leur école qu'ils avaient en commun finalement. Ce n'était pas spécialement un bien, mais pour qui, ça la racaille n'aurait su le dire. Il était vite fatigué de croiser des connaissances, et les dites connaissances n'appréciaient pas toujours de croiser un Makkuro fatigué. Cercle vicieux qui entraînait de vives aventures au sein d'une école ou d'un quartier. Dans tout les cas, ne s'intéressant à personnes ou à peu de monde, oui cet individu était sûrement passé au travers de son œil aiguisé, comme beaucoup d'autres. Et le jeune homme ne s'en inquiétait pas.

- Ton académie elle est un peu grande pour que tu puisse voir tout le monde, à moins que tu sois du genre super fouineur. Et au cas où on s'y croise, juste pour ton information j'aime pas beaucoup les fouineurs.

Un sourire, large, et quelque peu ironique accompagna ce premier avertissement sous entendu. Et pour récompenser ce poseur de question, il laissa sa question en suspend. Pour lui la réponse était claire. Il était de l'académie, mais avait pu passer inaperçu tout simplement parce qu'ils n'avaient pas du tout les mêmes cercles, les mêmes intérêts, les mêmes horaires. Bref. Logique pour Makkuro, qui ne chercha pas à donner plus de clarté à ses propos au risque de paraître désagréable. Au plaisir de l'être aussi peut être.

D'ailleurs, il mit un certain temps avant de lui décrocher un mot, de nouveau. L'observant de haut en bas, sous cette pluie qu'il trouvait appréciable parce qu'elle vidait les rues et les parcs de toute présence humaine potentiellement dérangeante, la racaille croisa les bras sur son blouson ruisselant. Sa première pensée vint à son prénom, et il manqua de siffler. Il aurait bien demandé d'où sortait ce prénom à coucher dehors mais il su s'abstenir un bref instant du moins.

- D'accord... J'vais t'appeler Adèle. Ok ? Parce que ton nom là, il est sûrement très sympa mais je l'aurais oublié dès qu'on aura arrêté de papoter. Et … Première année, tu dis ? Raison de plus pour qu'on se soit jamais croisé.

Évidemment, il taquinait, cherchait, faisait l'idiot, même si dans le fond, il y avait dans cette pique une part d'honnêteté. Rien ne dit qu'il se souviendrait vraiment de cette rencontre impromptue, qu'il ait envie de s'en souvenir. Au mieux, il en retiendrait quelques morceaux, le prénom c'était pas dit. Même si quoi qu'il en dise, il était assez original pour marquer un petit morceau de la mémoire du jeune homme à l'allure parfaitement désintéressée. Aller, il pouvait accorder un point au dénommé Aderhel. C'est peut être la seule raison pour laquelle il ne snoba pas le garçon en lui lâchant son nom, haussant les épaules.

- Makkuro Ketsueki. Et puisqu'on en est à échanger des p'tits trucs intimes, je rentre en 2eme année, à Keimoo mais tu m'y verras probablement jamais. J'espère que ça te feras pas trop paniquer quand même, t'as l'air de bien aimer savoir qui va où.

Un léger petit rire, un brin moqueur, voir carrément moqueur, s'échappa de ses lèvres. Il décroisa les bras pour fourrer ses mains dans ses poches en reposant ses yeux sur Aderhel.

- Sérieusement... ton prénom Adèle, il sort d'où lui aussi ? C'est le festival de l'originalité ou bien... ?

Si jusque là, les sourcils froncés de Makkuro lui donnait un certain air diablement sexy peut être, dans le rôle du personnage méchant et tout le monde aime les méchants, mais plutôt revêche, agacé et septique, lorsque qu'Aderhel lui parla d'originalité, son expression se transforma. Une moue nettement blasée glissa sur le visage du jeune homme alors qu'il observa la tête de son interlocuteur pour voir s'il était vraiment sérieux ou s'il y descellerait de l'ironie qui le rassurerait peut être à moitié. Mais non... Le garçon, son cadet d'ailleurs et ça il l'avait deviné depuis le début, avait l'air parfaitement sérieux et fier de son raisonnement. Haussant un sourcil, il détailla ce visage souriant en appuyant le bout de son index contre sa tempe, qu'il tapota légèrement en ne pouvant s'empêcher de faire remarquer d'une voix traînante.

- Alors normalement, tout morveux original que tu sois... si ta pauvre mère avait noté ton originalité dès la naissance pour avoir un nom pareil, moi si j'étais toi... J'aurais un peu peur. Si tu veux mon avis, et même si tu le veux pas tu l'auras, la construction logique de ton idée c'est que ton originalité vient d'abord du fait que tu puisse pas te fondre dans la masse avec un nom pareil.

C'est vrai quoi. L'originalité de ce drôle de type naissait du nom, pas l'inverse. A moins qu'il soit né tout cabossé pour être original dès la naissance, ou la tête complètement bleue, voir qu'il ait glissé le long du couloir à l'accouchement comme dans ce film qui parle de gros poisson. C'était peut être possible, remarque, Makkuro n'était pas un professionnel de l'accouchement féminin, d'ailleurs en y repensant, c'était quelque chose pour lequel il plaignait les femmes et leur vouait un respect monstre. Du moins autant de respect qu'il pouvait avoir pour un être humain.

Il venait de partir loin, là dans sa petite tête. Il faut dire qu'en réalité, la réponse sur les origines du nom d'une personne, il en avait pas grand chose à faire. Il se foutait de pas mal de truc alors imaginez bien que ce genre de sujets lui passait au dessus. Tellement haut qu'il aurait presque pu être à court de petites piques amères. Pourtant, il échappa un petit ricanement.

- J'adore les mystères non résolus, donc tu peux t'arrêter là sur les explications, je posais la question par.... moquerie plus que par intérêt.

Mais au fond, Aderhel devait avoir été assez raisonnable pour le comprendre tout seul. Makkuro plaçait peut être un peu trop d'espoir en ce jeune homme, mais il en était pourtant presque sûr. Il ne souriait pas, et lorsqu'il le faisait, c'était moqueur, goguenard, amusé, voir mesquin. Ou tout ça à la fois, quand il eu droit à la remarque de l'original sur sa propre couleur de cheveux. C'est vrai, il soulevait un point relativement important, un peu tardivement d'ailleurs.

- Et ta mère, à part te donner un prénom bizarre, ne t'a jamais dit que c'était mal élevé de montrer les gens du doigt comme ça ?

Un regard reptilien posé sur son vis à vis alors qu'il semblait que pour la première fois depuis le début de la conversation, Makkuro bougeait, tellement il était capable de rester immobile de longues minutes. Il écarta ce doigt grossier, plus par moquerie que par réel gêne, car on l'aura deviné, être mal élevé ou déplacé, il l'était plus souvent que la moitié de Keimoo réuni probablement. Attrapant une mèche rouge entre ses doigts, il l'observa en riant un peu. L'originalité, au fond, il aimait un peu ça, et s'il se permettait de se moquer, c'est simplement parce qu'à l'inverse, rien ne l'atteignait, encore plus si c'était au sujet de sa couleur de cheveux, ou de sa méchanceté.

- Une teinture, quel observateur. Mais tu auras remarqué depuis tout à l'heure que je ne cherche absolument jamais à être discret sauf... quand c'est vraiment nécessaire.

Pour aller se baigner dans une piscine publique à minuit, mais ce n'était qu'un exemple parmi tant d'autres et il ne comptait absolument pas s'attarder sur ce genre de détails. Tout comme il ne comptait pas lancer le débat philosophique de la crise d'identité passant par le délire capillaire à un certain âge. Il avait adopté le rouge un jour et ça serait comme ça jusqu'à ce que la couleur poivre et sel lui aille bien. Sauf s'il décédait avant... Et le plus souvent c'était ce dernier scénario qu'il imaginait.

- T'emballe pas, ça nous fait absolument aucun point commun. J'avais juste envie d'emmerder mes parents, et ceux que ça dérange. Et ça me plaisait. De toute façon au cas où t'aurais pas remarqué, y a que mon nom, qui fait Jap', alors quand t'as une différence irrémédiable, à moins de faire un séjour longue durée en chirurgie esthétique, autant la souligner... Avec du rouge.

Ses yeux brillaient, avant de s’apercevoir qu'il encourageait la discussion avec son ironie. Et merde. S'il avait su, il aurait rien dit.

Trop de sérieux dans les paroles inconscientes et naïves de son cadet. Beaucoup trop pour Makkuro qui se serait probablement étranglé de rire si.... Si seulement il n'avait pas décroché au bout des premiers mots, ou, soyons optimistes, des deux premières phrases. Enfin, s'il avait écouté, ce n'était évidemment que d'une oreille et son hochement de tête au rythme régulier ainsi que son regard désintéressé l'air de dire « cause toujours, tu m'intéresse. » en témoignaientt cruellement. Rares étaient les fois où le métisse aux cheveux de feu faisait semblant d'être captivé par une conversation. Il était comme ça, ce n'était pas faute de le faire comprendre à chaque petite pointe venimeuse qui s'échappait naturellement de sa bouche quand l'ennui et le désintérêt le gagnaient. D'ailleurs ce n'était pas spécialement contre son interlocuteur actuel, mais à peu près l'attitude qu'il avait envers tout être qu'il croisait sur cette foutue île, et même ailleurs quand l'occasion lui faisait quittait le territoire nippon. Qu'est ce qu'il avait dit déjà ? Quelque chose de formidable. Oh oui, si le jeune homme pouvait aller voir ailleurs s'il y était, formidable serait le mot par-fait.
Mais Makk n'était pas du genre à rêver éveiller, et il se rendait bien compte, avec une lucidité qui l'affligeait en réalité, que son calvaire n'était pas près de finir, du moins à l'initiative de ce cher petit original.

Incroyable, il venait de réussir à … couper le siffler à ce … Aredhel. Oui oui, pendant un bref instant, celui de son monologue, l'instant de son erreur fatale... qui relançait la discussion. Oh il s'en maudissait intérieurement et même s'il n'avait jamais de regrets, ni même de remords d'ailleurs au passage, il avait su au moment même où il ouvrait la bouche que tout espoir de désintéresser le moucheron venait de voler un éclat. Erreur stupide qui le fit soupirer alors que la pluie les trempait jusqu'aux os. Aisant un kiosque dans un coin, puis son cadet qui lui faisait l'effet d'un jeune poussin trop curieux et bruyant, sa haute stature se mit en mouvement totalement. L'idée première était de se mettre à l'abri parce que sa capuche commençait à ne plus vraiment remplir sa fonction première. Pour le reste, si son vis à vis pouvait prendre ça comme le signal de départ, Makkuro n'en tirerait que d'avantage de profit. L'espoir était infime, mais ça valait le coup d'y croire. S'arrachant lui même un ricanement, il haussa un sourcil pour contempler avec scepticisme, le visage toujours radieux de l'énergumène malgré l'eau, malgré son caractère de chien.

- Dis moi... Ta bonne humeur elle vient d'un anti-dépresseur ou t'as juste le talent pour coller ton sourire sous le nez des gens qui ont pas envie de le voir ? Et j'ai jamais dit que je venais d'ailleurs Adèle.

Tournant les talons, il prit la direction du kiosque. Ils n'avaient que quelques pas à faire, de grandes enjambées pour Makkuro et sa grande taille, pour se protéger des trombes d'eau qui s'abattaient plus violemment sur eux. Sans chercher à voir ou à entendre si Aderhel le suivait, parce que quelque chose lui susurrait doucement que le jeune homme ne pouvait pas ne pas le suivre, ça aurait été trop facile. Espoir envolé, l'aîné été sûr de retrouver le moustique au sec avec lui.

- Pluie de merde...

Une fois sous le kiosque, et d'un mouvement de tête digne d'une publicité, Makk fit tomber sa capuche de ses cheveux détrempés et entreprit de vaguement l’essorer sur le sol comme il le pu. Avec toute cette flotte on aurait pu donner à boire à un pays entier. En tant normal il aimait la pluie, le plus souvent et pourtant là... Il se mit à ricaner en constatant la situation qui finissait de l'achever quand il déclara.

- Oh ça aurait pu être pire, j'aurais pu être coincé à attendre que la pluie s'arrête avec un type qui parlait trop.

Et avec un regard insistant, il posa ses fesses sur le sol et s'ouvrit un paquet de chips qu'il se garda bien de proposer au second naufragé du kiosque. Et avec tout ça il n'avait toujours pas répondu réellement à sa question. Né au Japon, d'un père inconnu d'abord, puis retrouvé par intérêt. Décidément, ce môme était trop curieux et il était hors de question qu'il étale sa vie devant une pipelette du genre.

- J'ai toujours vécu au Japon. Et je suis né en Russie.

Piochant dans le paquet de chips, appuyé contre la rambarde en bois, la tête posée contre une colonne sculptée, ses yeux glacés se promenèrent de son interlocuteur, au jardin japonais balayé par la pluie diluvienne. C'était bien sa veine. La vengeance du climatiseur d'avoir été balancé du deuxième étage ce matin, peut être. Mâchonnant les chips avec un air ennuyé, il ne prit pas la peine de poser la question en retour, la réponse viendrait d'elle même malgré qu'il n'ait pas franchement envie de la savoir. Mais il redevint silencieux toujours sans s'étaler. S'il pouvait contrarier un peu, tout de même, son vis à vis, c'était tant mieux.

- C'est mes chips bordel.

Oui, Makkuro était resté silencieux du vol de chips jusqu'à la fin du petit récit joyeux et ennuyeux du moustique qui était revenu se coller à lui mais ça... Il s'y attendait. Échappant un soupire alors que sa main libre revenait piocher dans le sachet, le métisse leva les yeux au ciel, marqua un temps d'arrêt sur la structure fort traditionnelle du kiosque en bois où ils s'étaient réfugiés, puis fourra la petite poignée attrapée dans sa bouche simplement pour profiter encore un peu du silence d'Aredhel et du simple bruit de sa propre mastication.

Finalement, le jeune homme cloua ses yeux glacés sur son compagnon d'infortune involontaire, ou son compagnon infortuné volontairement, et il penchait d'ailleurs avant tout pour la seconde hypothèse. Après tout, c'était pas son idée d'avoir un moucheron fredonnant sa joie et sa vie autour de sa tête à l'air partiellement agacée. Et pourtant, un miracle se produisit au moment où Makk avait posé ses yeux perçant sur son vis à vis. Un sourire. Fin, léger et peut être un petit peu vicieux mais un sourire, un vrai, qu'il pouvait lui même sentir prendre forme d'un bout à l'autre de chaque commissure de ses lèvres.

- Tu t'arrêtes jamais c'est dingue. Y a pas de bouton « off » avec toi pas vrai ? Je vais être franc, et tu vas être content... Mais ça me gonfle.

D'un petit geste sec cependant, Makkuro posa le paquet de chips entre eux pour partager, vu que si le petit minet pipelette revenait piocher sans invitation, il sentait venir l'envie de laisser partir un petit coup bien placé dans la mâchoire ou un poignet tordu juste pour lui apprendre la politesse, enfin... sa propre politesse. C'était extrême, pas de soucis là dessus, le jeune délinquant en avait parfaitement conscience mais ce n'était pas vraiment ce qui le dérangeait. Il avait simplement la flemme parfois, de bouger sa masse appétissante pour faire régner l'ordre dans le monde impitoyable de la chips.

- T'as tout compris ouais, ça m'intéresse pas. Mais comme visiblement t'aimes faire chier les gens, ça nous fait un point commun alors ça va m'amuser cinq petites minutes. Et mâche moins fort.

Nouveau soupire, plus pour la forme que pour marquer sa contrariété alors qu'il bascule lentement sa tête en arrière pour l'appuyer contre la rambarde qui lui sert de dossier. Conscient que le drôle de bonhomme aux cheveux pas naturels ne lui ferait pas plus mal qu'une piqûre d'insecte, inoffensif l'insecte bien sûr, Makk se permit alors de fermer les yeux, détendant ses muscles peu à peu, en laissant tomber ses épaules un peu contractées depuis que l'humidité avait transpercée ses vêtements.

- Alors comme ça t'as beaucoup voyagé. Laisse moi deviner... T'es un de ces gosses de riches qui trainent dans l'université avec leur petit air de monsieur « j'ai tout vu, tout fait ». Je me demande c'que ça doit être, la plus folle expérience de ta vie... Être monté tout en haut de la Tour Eiffel ?

Il ricane et la moquerie est perceptible dans sa voix. C'est qu'il aime balancer des petites piques sans trop d'importances, juste comme ça, parce que ça le fait rire, et vous savez ce qu'on dit : rire 30minutes par jour rallonge l'espérance de vie. C'est un problème quand on voit qu'un salaud comme Makk rit souvent. Mais il vous répondrait que seuls les gens biens partent en premier. C'est bien connu, un mauvais rêve marque bien plus qu'un bon. Le cerveau humain est fait comme ça.
A l'aveugle, il récupère des chips et fronce un peu les sourcils, avec l'air de réfléchir un peu, comme s'il faisait le point mais non, forcé d'admettre qu'il n'a pas la même expérience du voyage, pour l'instant, il reprend.

- J'te charie mais c'est plutôt cool que t'ai voyagé. T'as au moins ça pour toi. Bientôt, dès que j'en aurais l'occasion, j'ferais ça aussi.

« Oh comment tu sais ?! », là aussi étonnant que cela puisse paraître, cette phrase avait littéralement achevé le sale type qu'était la racaille. Et pourtant, il était, sans se donner de rôle et sans forcer, insensible et distant, détaché de tout, parfaitement hermétique à la surprise que pouvait provoquer une annonce puisqu'il n'écoutait que d'une oreille le plus souvent. Mais là c'était beaucoup trop gros. La réponse était toute simple et s'il n'avait pas été aussi atterré, il l'aurait probablement sorti tout de suite, mais ce gosse de riche était tout simplement la copie conforme d'autres gosses de riches, devenu clichés à cause du fric qui dégoulinait par tout leurs orifices, qui suintaient de tout leurs pores et qui laissait cette odeur dans l'air après leur passage. Makkuro ne serait jamais de mauvaise foi en disant que l'argent ne faisait pas le bonheur, à son avis il y contribuait au contraire beaucoup. Mais la naïveté et le manque d'esprit terre à terre de certains de ces petits friqués le laissaient sans voix. Pas étonnant que ce genre de types finissent par attirer les vautours.

Mais comme il avait fini par l'avouer, et même si aucune envie ne semblait se faire ressentir chez lui, Makk devait bien admettre que voyager avait du bon. Que dès qu'il aurait un peu plus de liberté, quitte à l'arracher par la force, un peu plus d'argent, là aussi par la force s'il le fallait, il irait aux quatre coins du monde pour frissonner devant le danger et respirer à plein poumons l'aventure. Il avait marre de cette île pourrie et polluée, où il était « sous contrôle ». Ce qu'il voulait c'était se faire la main dans le monde, le vrai, pas dans un pays vivant en pseudo mondialisation, mais tellement recentré sur lui même qu'il avait parfois, même à son échevelle, l'impression d'étouffer. Le jeune homme, bien avant de se démarquer avec ses cheveux de feu, ne se sentait pas à sa place ici. Et pour la trouver en ce monde, son esprit lui dictait de chose : la conquérir et l'étendre. Chacun son but, dans un ERASMUS dirons nous.

Fronçant les sourcils avant de déconnecter de la conversation devant l'image de la pluie qui tombait toujours aussi lourdement, dans un bruit de tout les diables, le jeune adulte lâcha plutôt froidement, comme la neige de Russie, diront les plus poétiques d'entre nous.

- T'as encore des souvenirs de ta période « nouveau-né » toi ? Parce que si c'est le cas t'intéressera la science et je serais ravi de t'emmener faire le rat de laboratoire ! Parait que ça parle moins, un rat.

La vie là bas, il ne l'avait jamais connu et en y pensant bien, il n'était pas sûr d'avoir envie de la connaître. Après tout c'était le monde où son géniteur avait la main mise et être un pion ici au Japon, pour l'instant, le bâtard appelé au front, était déjà suffisamment pénible pour Makkuro, pour qu'il ai envie de s'imaginer en Russie avec son cher papa. Il pensait d'ailleurs rarement à ce qu'aurait pu être sa vie dans ce pays, auprès d'une mère aimante, normalement et avec un père absent. Ce n'était pas vraiment son genre de modifier le passé pendant des heures dans sa tête pour se demander « et si... ? » constamment. Le jeune russe de naissance était plutôt du genre guerrier, un tank, qui voulait avancer sans se retourner, faisant obligatoirement une croix sur les remords et les regrets.

On se peu se demander d'où pouvait provenir une telle mentalité. Pas de la famille langue de bois dont il avait hérité ici, il en était sûr. Ce n'était pas non plus de la rue qu'il avait tiré ces enseignements car celle ci à des règles bien à elle, complexes et dangereuses qui, malgré ce que les petits yankees en disent, s'attachent énormément au passé douloureux de ces derniers. D'ailleurs s'ils traînent dans la rue à leurs âges, et y meurent comme des chiens, ou du moins y survivent comme des parias, c'était bien parce que leur histoire douloureuse les avait marqué au point de se noyer dans une société dite « normale ».
Ses pensées se tournèrent vers cette nuit qui avait été une sorte de terrier d'Alice sauf que lui n'avait pas suivis un lapin blanc mais plutôt une grosse voiture noire et qu'au lieu de se retrouver au Pays des Merveilles... C'était dans un kiosque pourrit qu'il avait l'impression de discuter avec une des fleurs vaniteuses. Waw... il avait vraiment fait cette comparaison débile ? Ça n'allait plus du tout.

- Si tu vas là bas Adèle, penses à ne pas m'envoyer de carte postale.

Pas vraiment en accord avec lui même pour le coup, le jeune homme se détourna un peu de son « compagnon » d'infortune, songeant à l'envie de cette vie trépidante qu'il aurait sûrement dans son pays natal. Mais il ne pouvait décemment pas exposer sa généalogie foireuse et mafieuse... à moins qu'il ne décide de l'enfermer dans une cave pour lui couper quelques doigts en échange d'une rançon. Mais ça encore, ça ne l'intéressait pas vraiment.

- Tu sais... Tes questions sur les voyages et ce qu'on ressent en visitant d'autres pays tu devrais les garder pour plus tard.

Fermant les yeux, il laissa reposer sa tête contre le bois peint, alors que l'humidité de ses vêtements commençait à le faire frissonner.

- Pour tes amis.

Makkuro soupira, en effet là était tout le principe de ce qu'il vénérait dans la tranquillité, le silence. Alors oui, c'était mieux si personne ne parlait, et oui, il lui aurait volontiers cloué le bec au sens figuré comme au sens propre en constatant que la voix de son petit camarade arrivait même à couvrir le brouhaha de la pluie. A moins que celle ci ne se soit fait moins intense durant leur discussion. Le jeune homme se redressa pour regarder au dehors. Le parc était maintenant imbibé d'eau. De grandes flaques s'étendaient d'un bout à l'autre des allées, certaines fleurs s'étaient flétries sous la puissance de la pluie, d'autres, pour les plus fragiles, s'étaient couchées à cause du vent. Il n'y avait pas un chat à plusieurs mètres à la ronde. Aredhel et lui devaient être les seuls fous à ne pas avoir cherché un café pour s'abriter.

C'est en apercevant un petit éclat blanc du coin de l'oeil en voulant piocher dans le paquet de chips qu'il revint sur terre et à côté du jeune homme trop souriant, et de trop bonne humeur, se rendant compte du papier qu'il lui tendait, semblant attendre quelque chose qui ne vint pas tout de suite naturellement à l'esprit de la racaille. Pour être honnête, il n'avait jamais envoyé de courriers à personne, ni même de cartes postales. Les seuls échanges qu'il faisait quand il n'avait pas la flemme d'écrire, c'était des emails et encore... Ceux ci étaient toujours très succins, avec le stricte nécessaire à l'intérieur. On l'aura vite compris, mais pour ce qui était du métisse, il n'était pas franchement un professionnel de la communication. Même derrière un écran ça le gonflait. D'ailleurs sa boite de réception était souvent pleine à craquer, les messages s'accumulant pendant des mois avant qu'il ne pense à aller la consulter.

Les sourcils froncés, le jeune homme à la crinière de feu toisa le morceau de papier avec le même air blasé que lorsqu'il posa ses yeux sur Adèle. Pourtant, il attrapa le papier et un crayon cassé traînant au fond d'une poche de sa veste, et à l’abri du regard du populaire, il griffonna quelque chose sur le papier sans que celui ci ne puisse lire pour l'instant, comme à contre cœur. Quand il eu fini d'écrire, il prit le soin de plier le papier en plusieurs morceaux, si bien qu'il était impossible de lire à travers, ou facilement, sans avoir à tout déplier correctement. Faisant tourner le morceau de papier entre ses doigts, Makk se leva, laissant visiblement le paquet de chips à son « invité ».

- Si t'es capable d'aller dans les quartiers craignos...

Son téléphone sonne, l'interrompant mais il ne prend pas la peine de répondre, coupant simplement la sonnerie. Le numéro affiché avait suffit à lui faire comprendre l'urgence de l'appel, ou du moins, son émetteur. Échappant un grognement, il range l'appareil alors que la dureté de la vie lui rappelait que la journée allait être longue. Étrangement il en venait à attendre avec impatience les bancs de l'université pour que sa double vie lui foute un peu la paix, au moins un ou deux jours quand il avait décidé de ne faire que manger des chips et balancer les climatiseurs par les fenêtres.

De toute sa hauteur, la racaille toise le populaire avec un nouveau sourire moqueur, lui tendant le papier bien plié du bout des doigts. Autour d'eux, il pleut toujours mais la pluie n'est plus aussi torrentiel. C'était le moment pour bouger, retourner chez soi se changer avant de partir rejoindre le mystérieux appel. Attrapant le sac contenant le reste de ses courses, le jeune lâcha à l'adresse d'Aredhel.

- Donc... Quartier Bougu, si on s'y croise, si t'as eu le cran d'y mettre les pieds et si t'as épuisé ton quota de parlotte avant de venir... alors on peu se dire à la revoyure... Mais pour aujourd'hui, rideau. Faut que je m'arrache.

Il tourne les talons sans attendre en rabattant la capuche encore trempée sur ses cheveux attachés et humides. D'une main, il fait un petit signe désinvolte en guise d'au revoir, alors que ses pieds atteignent la première flaque qu'il traverse sans se préoccuper de l'eau qui entre dans ses chaussures. Sur le morceau de papier, une fois déplié on peu lire ce que l'écriture penchée et brouillon de la racaille a laissé :

« Une prochaine fois peut être.
Mais rêve pas trop. »