En attendant, y a un mec qu'attend son BOUDIN-PUREE !

Lorsque le drâme arriva, Wunjo était en train d’écrire un SMS. C’était un SMS banal, informant Kuro qu’il avait fini le boulot un peu plus tôt –en fait il s’était surtout barré parce qu’il avait une barre de fer en plein dans le front, aussi appelée Gueule de Bois, qui lui avait posé quelques difficultés pour travailler, et qui l’avait poussé à mentir à son patron pour rentrer chez lui, faire une sieste, et se réveiller comme une fleur en milieu d’après-midi- et qu’il avait, selon ses mots, « très très très très très envie de le voir ». Il en était au passage –passionnant- où il lui demandait où il était, puisqu’il n’était de toute évidence pas là, avec lui, lorsque l’écran s'éteignit, sans même prévenir que ça va être tout noir –Ta gueule.

Les yeux écarquillés, un peu intrigué, le russe commença à tripoter l’appareil –téléphonique, voyons- dans tous les sens pour essayer de rallumer l’écran , mais le téléphone n’était visiblement pas d’humeur coopérative. Fronçant les sourcils, le blondinnet –enfin, rosinnet pour l’occasion, nous y reviendrons- réagit donc comme n’importe quelle personne dénuée de toute patience, et particulièrement vis-à-vis des objets électroniques et de leur manie de vouloir dominer le monde façon matrix : il frappa le portable du plat de la main.

« Allez saloperie de bidule moisi de merde là »

Jura-t-il en russe, espérant probablement que la vulgarité allait convaincre le ‘bidule moisi’ d’y mettre un peu du sien. Le fait qu’être agressif avec un objet n’avait jamais fait ses preuves jusque là ne semblait pas le décourager. Il fallait aussi dire que le blondinet était coutumier des mots fleuris jetés à la tronche des objets, et pas que des téléphones d’ailleurs : de la porte, grande et agressive, aux meubles, pointus et furtifs, en passant par les cintres, tout y passait. Desproges avait pourtant bien prévenu : les cintres sont des êtres vils et extrêmement fourbes n’oeuvrant que vers un seul et même but : l’extinction de la race humaine.

En attendant, Wun jeta un regard consterné au téléphone, alors que petit à petit les neurones se reconnectaient et qu’il ne réalise que, tout simplement, il devait s’agir d’un problème de batterie. La batterie étant le deuxième animal le plus fourbe, après le cintre.
Soupirant, tant au sujet de sa connerie que de l’autonomie ridicule de ce fichu portable, il fit l’effort de lever son derrière et de partir en quête du chargeur. Et avec le bordel qui régnait dans l’appartement, ça s’apparentait franchement à une chasse au trésor –sauf que Wun n’avait pas de carte avec des petits pointillés et une grosse croix pour lui filer un coup de main. Ce ne fut qu’après 20 minutes de recherche acharnée –entrecoupée par quelques bières, un peu d’huile de moteur, pour le courage, tout ça- qu’il décida de jeter l’éponge. Il venait de revoir son top 3 : le chargeur dépassait finalement la batterie en fourberie.

Le constat étant fait, il alla s’écrouler dans son canapé lit pour finir la bière entamée. Wun avait été bien élevé : finir son assiette, d’accord, mais finir sa bouteille aussi. Ceci faisant, il songea qu’à défaut de pouvoir envoyer un sms à Kuro, il pouvait au moins aller vérifier s’il n’était pas chez Saden. Ce n’était pas comme si ça lui demandait un effort exceptionnel –comme les notes dans Harry Potter- dans la mesure où le Saden en question habitait dans le même immeuble que lui. Easy Peasy. Et puis au moins, il serait fixé. Si Kuro n’y était pas…. Eh bien… Il pourrait éventuellement demander à son colocataire de lui envoyer un sms à sa place. Ca valait le coup d’essayer. Et puis, c’était ça ou pleurer la disparition de son chargeur en noyant ses larmes dans la bière.

Rassemblant ses effets personnels –ses clefs, donc- il réalisa qu’il était quand même vaguement en boxer. Alors certes, la route était courte jusqu’à l’appartement de Saden, mais de là à aller crapahuter en sous-vêtement…. Il y avait un pas. Fouillant dans son bordel, il attrapa un jeans banal quoiqu’un peu grand et un chandail beige façon pull champêtre , les enfila, et s’apprêta à partir.  C’est en voulant partir pour la 2eme fois qu’il croisa soudainement son reflet dans le miroir prêt de sa porte d’entrée. Ah, oui. Deuxième problème, après le boxer : il avait … plus ou moins les cheveux roses. Plus plus que moins. Pas uniformément roses d’ailleurs. Plus… blonds avec des mèches roses dégueulasses. Il ressemblait à… non rien. Il ne ressemblait à rien. Les détails de la soirée d’hier –la raison pour laquelle il avait eu la gueule de bois- lui revinrent en tête. Il ne se souvenait pas de tout, mais grosso modo, il arrivait à retracer ses activités. Ca avait commencé par… boire. Avec Yoite, dans un bar. Ca s’était poursuivi par… boire, mais sans Yoite, parce qu’il l’avait perdu. Ensuite il l’avait retrouvé, et trop ivre pour rentrer chez lui, ils étaient tous allés dormir chez un pote au rebelle, avec d’autres gens dans un état similaire. Et c’est pendant que Wunjo dormait comme un bien heureux que ces crétins avaient eu la bonne idée de lui bombé les cheveux en rose. « S’enlève au premier shampoing », que l’étiquette disait. Putain de publicité mensongère. C’était plutôt « s’enlève sur la moitié des cheveux et bave sur l’autre moitié en laissant une couleur dégueulasse » qu’il aurait fallu marquer.

En attendant, il ne pouvait pas délibérément se promener dans sa cage d’escalier avec ça. S’il croisait un voisin, il allait mourir de honte. Cherchant des yeux un truc pouvant cacher le désastre, il tomba sur plusieurs chapeaux, certes classes, mais qui ne dissimulaient pas grand-chose, des foulards, mais il lui restait quand même une once de dignité et… un bonnet. Un gros bonnet noir, en grosse laine, avec des grosses mailles, trois fois trop grand, dans lequel on pouvait probablement planquer un chat entier. Parfait, donc. Il enfonça son sauveur sur sa tête, jusqu’aux oreilles, et s’inspecta dans le miroir. Bon, il avait l’air con avec son bonnet alors qu’il descendait à peine un étage, mais c’était toujours mieux que les mèches roses.

Et c’était parti.
C’est en arrivant à l’étage où habitait Saden que Wunjo réalisa qu’il n’était jamais allé chez lui, et qu’il n’avait pas la moindre idée de son nom de famille. Planté comme un navet entre les deux portes menant aux deux appartements de l’étage, il zieuta à tour de rôle les deux sonnettes. Il avait beau fouiller dans sa mémoire, Kuro ne lui avait jamais dit le nom de famille de son colocataire. Bon, il ne perdait pas grand-chose à juste tenter sa chance. Au pire, il se trompait. Haussant les épaules, il choisit une porte au hasard, et sonna. Il attendit quelques longues minutes avant que finalement la porte ne s’ouvre sur… personne. Il haussa un sourcil, vaguement surpris, avant de réaliser qu’il visait juste trop haut. Son regard dégringola sur l’enfant qui venait tout juste d’apparaitre dans l’ouverture. Super. Un gosse. Ravalant sa pulsion enphanbique, il se gratta la joue pour se donner contenance –si si, ça donne contenance.

« Euh… bonjour »

Lâcha-t-il, cherchant la meilleure chose à dire à môme inconnu.

« Euh… t’aurais pas un grand frère ou un papa qui s’appelle Saden, hein ? »

C’était posé sur le ton de je-pose-la-question-tout-en-sachant-pertinamment-la-réponse-et-en-me-sentant-particulièrement-con-du-coup. Le gamin lui répondit par un air de mais-c’est-quoi-ce-con. Malpolis les enfants de nos jours, malpolis…

« Non »

Bon ben voilà, clair, précis, concis. Maintenant il était fixé. Et il se sentait idiot. Encore une raison d’être enphanbique.

« Mais c’est peut être le monsieur en face qui ressemble à une femme »

Ajouta l’horrible gnôme. Wun haussa vaguement les sourcils, mais ne trouva qu’un « euh, ok, merci » à répondre à ce commentaire. De toute façon, il se doutait bien que si Saden n’était pas dans cet appart, il devait être dans l’autre. La porte se referma, et le blondi-rosinnet traîna les pieds jusqu’à la porte d’en face, où il réitéra le même rituel : toquer, attendre. Il s’attendait presque à voir un nouvel enfant ouvrir la porte : après tout, les enfants étaient des êtres fourbes, eux aussi, attendant sournoisement derrière les portes pour ouvrir avant leurs parents et installer un sentiment de malaise entre le pauvre vendeur de sextoys au porte à porte et le diabolique minipouce. Grosland avait débusqué le complot des vieux sans même se rendre compte que le danger venait en vérité de nos propres bambins.

N’ayant pas envie de se faire avoir, il darda cette fois ses yeux vairons au niveau de la poignée, afin de surprendre le potentiel enfant qui allait lui ouvrir, le prenant à son propre jeu. La porte s’ouvrit. Manque de bol, enfant, il n’y avait pas. Le regard un peu surpris du blondinnet rencontra donc non pas deux yeux maléfiques mais une… entrejambe et une ceinture.
Relevant immédiatement les yeux, il les posa cette fois-ci sur le visage –probablement tout aussi surpris- entouré de longs cheveux marrons de la personne à qui appartenait la ceinture. Entre autre. Ah. Le monsieur qui ressemble à une femme, donc. Fort agréable au regard d'ailleurs, mais là n'était pas le sujet. De toute façon face à lui, son pull informe, son bonnet taille sac-à-dos et ses mèches couleur mi-barbie mi-pâté de foi, n'importe qui serait probablement top model ....

« Euh »

Fut la première chose qui franchit ses lèvres –encore une fois- ses neurones étant trop occupés à se pendre de honte pour formuler une salutation plus formelle.

« Salut, je suis ton voisin. W… Dan. Enfin le copain de Kuro »

Lâcha-t-il finalement, se rappelant qu’il n’était pas ici pour guerroyer contre le monde mômesque, mais bien pour essayer de contacter son copain. Bordel. Soit il avait bu plus de bières qu’il ne le pensait…. Soit il avait encore l’alcool de la veille dans le sang. Dans tous les cas, ce n’était pas glorieux.

De toute façon, quand on commence une relation en fixant avec insistance les parties génitales de quelqu’un, même la phrase la plus classe au monde devait sonner comme un rot tonitruant.

Dés que ses yeux réalisèrent qu’il s’agissait d’un entre-jambe –assez rapidement pour tout dire, c’était plutôt voyant- ils remontèrent en 4eme vitesse, détaillant au passage la tenue vestimentaire de son interlocuteur jusqu’à son visage et ses cheveux en bataille. Visiblement, Saden était en mode « décontracté », et pas prêt à sortir tout de suite. Cela dit, on aurait pu penser la même chose de Wunjo et il était actuellement plus ou moins en vadrouille –si on considérait que descendre des escaliers était une vadrouille, bien sur.

Wun réalisa à la réponse de Saden que Kuro n’était probablement pas à l’appartement. Sinon il aurait probablement eu droit à un « Ah tu es venu voir Kuro ? » ou bien aurait carrément appelé le principal intéressé pour qu’il vienne lui-même accueillir son petit ami. Et là, dans un mauvais téléfilm américain, Wunjo aurait pris un air sombre et aurait répliqué « Non… c’est toi que je suis venu voir », suivi d’un magnifique fondu sur soir pour que le suspens soit à son apogée. Comme il ne s’agissait pas d’un téléfilm, rien de tout ceci ne se passa, et monsieur cheveux-roses se contenta de rester planté comme un poireau sur le palier –comme quoi on peut avoir un potager même sans jardin !

Et le poireau se sentit soudainement con –pas si soudainement que ça à vrai dire, après tout il venait tout juste de saluer son interlocuteur en le fixant dans l’entrejambe, le tout avec un look de parfait clochard, alors la soudaineté de son sentiment de ridicule était discutable- à poser la question en tout sachant la réponse.
A partir de là, il lui restait deux possibilités s’il ne voulait pas demander si Kuro était là. L’option A consistait à lui dire qu’il s’était trompé de porte et tourner les talons pour détaler, ce qui était hautement non crédible sachant qu’il venait de se présenter comme étant le copain du rouquin.
L’option B consistait à lui demander s’il n’avait pas de la coriandre –ou autre ingrédient dont tout le monde connait le nom mais que personne n’a jamais et se carapater ensuite. Et puis comme ça il collait plutôt bien à la vision de Sad de lui en blonde à forte poitrine faisant une cuisine originale –on fait forcément de la cuisine originale avec de la coriandre, non ?
Ou alors il pouvait lui demander si le roux était là, se mangeait le « non » prévu et se barrer la queue entre les jambes.

Et finalement, la grande tige en face de lui lui épargna la tâche de se torturer le cerveau en lui lâchant l’information recherchée –il avait donc deviné juste- sans qu’il n’ait à poser la question. Wunjo le remercia mentalement, sa gratitude ne se traduisant que par un fin sourire. Il lui évitait même de repartir d’un air penaud en lui proposant d’attendre à l’intérieur –en tout cas, c’était ce qu’il comprenait dans le « tu veux entrer un moment ». Savait-on jamais, peut être que Saden était un type étrange qui invitait les gens à rester quelques minutes chez lui pour ensuite les jeter dehors et les laisser attendre sur le pas de la porte comme un facteur en colère.
Le blondinet, plus si blond, hocha la tête et fit les quelques pas le faisant passer de dehors à dedans. Il en profita pour zieuter l’appartement dans lequel son copain avait vécu quelques mois.

« J’ai cru que le voisin d’en face était ton fils… ou…. Ton petit frère »

Lâcha-t-il soudain, sorti de nulle part, sans même cherché à feinter un semblant de connexion logique avec la discussion précédente. Dans sa tête, ça s’était enchaîné plutôt bien, tant pis si Saden était paumé. En même temps, dans la tête de Wun, beaucoup de choses s’enchaînaient logiquement alors que le reste du monde n’arrivait pas à suivre. Le russe avait un certain côté autiste concernant son incapacité à communiquer correctement. Et encore, il s’était amélioré.

« Et il trouve que tu ressembles à une nana »

Ajouta-t-il, se tournant à nouveau vers le brun alors qu’il venait de finir son rapide repérage des lieux. Tout comme son appartement, celui-ci n’était pas bien grand. Il ponctua son commentaire d’un sourire en coin, trouvant l’idée trop amusante pour la garder pour lui. D’autant que le gamin avait tort : Saden avait clairement des traits masculins, quoique fins, et sa longue chevelure brune pouvait à peine le faire passer pour une femme de dos. Et encore, pour cela, il fallait ignorer sa silhouette longiligne aux hanches étroites qui n’avait rien de féminin. Mais c’était un môme qui ne connaissait probablement pas le corps des hommes et des femmes aussi bien que Wun –qui avait était, fut un temps, un genre…d’expert. Ca ferait une super série, soit dit en passant : après les experts Miami et les experts Manhattan les experts…. Corporels !
En tout cas, il avait bien envie de voir comment « monsieur je ressemble à une femme » allait réagir à la débilité de son cher voisin d’en face.

Bon et puis c’était un bon moyen de tester quel genre de caractère le bonhomme pouvait bien avoir. S’il avait de l’humour, s’il était plutôt relax , s’il prenait la vie avec philosophie, tout ça tout ça. Oui, Wun n’avait que ça à faire de tester les gens après avoir sonné chez eux… pour sa défense, la bière le rendait très créatif.
D’ailleurs, speaking of bière…

« Et sinon… t’aurais pas des bières par hasard ? »

C’était la vue de la bière sur la table du salon qui lui rappela qu’il continuerait bien sur sa lancée de petite bibine. Pas que Wun ne s’invite chez lui hein –puisque Sad l’avait déjà invité à entrer- mais il avait vraiment envie de bière. Ca l’aiderait un peu à oublier les points de pathétisme qu’il avait additionné –c’était comme les points fidélités, au bout d’un certain nombre il gagnait une coloration rose gratuite, puis un bonnet XXL….- depuis le début de la journée. Bon en même temps, en demandant ça, ce n’était pas non plus comme s’il s’attendait à ce que Sad lui file son pack de bière pour qu’il aille ensuite le boire en rat dans son appart’ à lui…

Le seul souci à s’enliser ici, dans l’appartement de Saden, c’était qu’il était un peu bizarre de garder son magnifique bonnet spécial hiver rude et température ultra négatives à l’intérieur, où il faisait plutôt chaud. Mais il n’avait que très modérément envie d’ajouter sa coiffure épouvantable à l’impression générale mitigée qu’il donnait déjà de lui. En fait, au fond, HEUREUSEMENT que Kuro n’était pas là, c’était un coup à tuer le sex appeal du couple cet accoutrement.

D’un autre côté… l’énergumène en face de lui n’avait pas non plus fait des efforts herculéens en matière de look. Ca ne valait probablement pas le pull façon grand-père de Heidi et les mèches couleur stabilo en fin de vie, mais enfin, c’était pas non plus transcendant. Au moins, quelque part, ça mettait Wunjo plus à l’aise. C’était un peu comme se pointer au concours du pire affublement : beauf, mais très bon enfant. Il ne manquait que la bière –donc la demande de Wun était très à propos. Et puis après les bières, ils pourraient sans doute s’échanger leurs fringues pour mixer les gens et empirer le tout. Grosse ambiance chez Saden ce soir, le DJ ressort les tubes de Michel Sardou !

« Sympa ta chemise au fait »

Commenta-t-il finalement, un sourire sur les lèvres, se demandant si elle avait rétréci au lavage ou si Saden s’était juste royalement gourré de taille en l’achetant. C’était dit tout en sachant que ses fringues n’étaient pas franchement mieux, voire carrément pire, et en s’exposant donc ouvertement aux représailles. Ca lui allait, il aimait charrier et se faire charrier. Et ce n’était pas dit méchamment. C’était une façon de témoigner sa sympathie au brun en face de lui, la façon courtoise de dire, tel l’ogre de Naheulbeuk : « Copaiiiiiiiiiiiiiiiin *x* ! ». Car oui, Wunjo est très courtois…

Et avec tout ça, il avait toujours son bonnet bien enfoncé sur sa tête, l’air de rien.