Convocation Valentine

02/02/13 : à la suite de convocation

18h58, pas besoin de se présenter, la secrétaire connait le planning d'Ashita sur le bout des doigts. Elle connait également Valentine, depuis le temps. Elle le regarde furtivement arriver, blouse, maigre, cheveux clairs et sans doute abimés à force de les avoir décolorés. Lui et ses airs d'infirmier, lui et son air qui l'empêche toujours de savoir si elle peut ou non poser une phrase pour détendre l'atmosphère. S'il va rire ou s'il va la lorgner avec méprise. Entre eux, c'est comme ça, elle ne sait pas sur quel pied danser.
Cela dit, une fois de plus, il est à l'heure. 19h59, un sourire aimable et elle s'en va consulter le bureau du directeur voir si sa réunion précédente se termine.

Yui a tranquillement fait le tour de la pièce, feuilletant brochures et dépliants éducatifs.
Il les lit sans les voir. Distrait. Il n'a absolument rien préparé pour cet entretien mystère.

Allons, bon.

Au final peut être qu'Ashita serait un des facteurs qui influeraient ses décisions.

Une longue pause. 19h40.

Installé sur le siège en face du bureau d’Ashita, Valentine l’a fixé longuement avant de songer à répondre. Lun. Et puis Kara. Entre temps, il aurait changé.

-Est ce maintenant que vous vous y penchez, remarque-t-il posément dans sa langue maternelle. Pourtant son regard ne démord pas : le directeur n’était pas présent lors de la dernière réunion entre le personnel de l’académie. Tous les sujets sensibles y avait été alors abordés et revenir dessus échappe encore à Valentine. Peut être parce qu’il s’agit d’un passé où il ne s’y retrouve plus.

-Aussi proche que peut l’être un psychologue vis à vis de son patient.

L’échec de Valentine.

Qui l’aurait troublé un tant soit peu quelques semaines auparavant. Qui l’aurait forcément déstabilisé. Voire fait frémir.
Maintenant, c’est simplement trop tard. Yui décide d’ignorer les sujets du mégot et de Lun. Il doute d’ailleurs de l’utilité réelle de déblatérer dessus. Se justifier ? Prétexter ? On ne lui demandait aucune prise de position.

-Venons en directement au fait M. Ashita, je vous en prie. Vous n’avez pas besoin d’une telle approche face à un psychologue.

Une gorgée de thé.
Qu’avez vous à me dire, laisse comprendre ce silence ténu, alors que le psychologue s’adosse plus aisément sur son siège. Visiblement, Shiori Ashita ne devait pas être si pressé que ça de rentrer non plus, vu les retards qu'il accumulait. Et non, inutile de prendre des gants.

19h44.

19h46.

Silence.

Valentine écoute chaque mot que son supérieur a à lui dire. Les décompose, les analyse et les associe à d’autres raisonnements logiques dont il est le seul connecteur. Des détracteurs, Yui s’en est fait plus que de raison. Il ne les a jamais compté. Cela dit, un psychologue aimé des élèves est une autre nuance. Aimé...? Non. Généralement, lorsqu’il ne les revoit pas, c’est souvent qu’il a fait son boulot. Point.

Il soutient le regard de Shiori.

-Je ne fais qu’oeuvrer ce pour quoi je suis payé, a-t-il répondu, posé. Les ratés existent, en toute connaissance de cause. Cela dit, les bruits courent vite, semblerait-il.

Il n’y a qu’un seul professeur qui pouvait être au courant. La seule et unique à l'être. Yui soupire intérieurement: il sait pertinemment que son attitude peut l’avoir trahi ces derniers temps. Ainsi donc, le proviseur avait anticipé son départ de l’enceinte scolaire. Touché. Une autre gorgée de thé.

Vous sentez vous abandonné par l’administration.

Réflexion.

-Ce que fait l’administration n’a jamais influé sur mon mode de travail, Mr Ashita, a commencé le psychologue, dans son calme plat. Mes affaires reposent sur les élèves et non sur l’administration. Non, je ne me sens pas abandonné par l’administration puisque, je n’en fais pas partie à proprement dire.

Les assistants. Les secrétaires, soutiennent la vie de l’administration. Le Proviseur et son adjointe. Les professeurs et les surveillants. Mais le psychologue ? Il n’est qu’un service tiers intégré dans une école. Il n’a droit qu’à un avis décisif en cas de besoin sur les élèves. Le reste, c’est l’administration. Les évènements, les sanctions, les voyages, l’animation et la pédagogie de l’école, c’était encore l’administration. Finalement, il ne remettait pas grand chose à dos sur leur compte.
La vie à l’école le rendait simplement las ; le train-train quotidien l’agaçait. Sans doute parce qu’il n’évoluait plus depuis un moment. Sans doute parce qu’il savait dès le matin comment allait se configurer sa journée. Se contenter de cette routine le grisait, désormais.

Il était temps pour lui d’avoir du renouveau.

-Et bien. Il n’empêche qu’effectivement vous avez raison, j’ai décidé de quitter ma fonction.

Il a jeté un regard à la fenêtre, dévoilant désormais un ciel obscure d’une fin de journée.

Ses yeux se sont reposés sur le jeune homme en face de lui. Qu'avait-il à réellement lui proposer, maintenant.

19h50.

19h53.

Valentine laisse finir le directeur alors qu’il se voit refuser son départ. Il évoque continuité, réorientation. Budget. Déstabiliser.
Le psychologue scrute droit dans les yeux son supérieur, sur sa dernière phrase. Je vous laisse juger de ces derniers. L’homme ne pipera mot. Le passé n’a pas de raison de revenir sur le tas. Pourtant. Des marques délaissées par un de ses propres patients en début de carrière, aux atteintes physiques que se sont permis d’autres. Où se trouve l'équilibre du jugement? Depuis toujours, il n’a jamais été psychologue hormis le fait de jouer dans l’assistance sociale. Les vacances et divertissements divers ne suffisent plus à combler cette méprise; l’amusement de son début de carrière n’est plus. Parfois, la patience peut devenir un vice.

Une conversation de regard à regard.
Seul le silence fait acte de parole.

-Je n’ai pas envisagé un autre poste dans l’académie. Quel poste pourrais-je convoiter à l’heure où tous mes collègues remplissent leur fonction à merveille, c’est moi qui vous le demande...

A vrai dire, il n’y a jamais réfléchi. A vouloir couper les ponts, il s’était d’emblée positionné hors de la sphère scolaire. Pas celui de serveur d’un bar, ni d’un film folklorique. Non.

-Je songe à un projet à plus long terme, il ne s’agit plus de ce genre de futilités pour combler le temps. Cela dit, je me donne le temps de le construire avant d’en faire part.

Dans les mains du proviseur, trois feuilles, alors que ce dernier laisse passer sa déception.

-Vous savez M. Ashita. Il est parfois nécessaire de détruire pour mieux reconstruire. Je suis de ceux qui sont de ce bord là.

Malgré tout, la curiosité. Que peut donc lui proposer son supérieur.

19h56.

Les fameuses trois feuilles. Un instant, Yui jette un coup d’oeil vers Shiori voir s’il ne lui fait pas une blague. Reprise de l’université, Gérant du Pensionnat, Adjoint du Directeur. Les trois profils n’ont pour le coup, rien à voir de l’un à l’autre et le psychologue a de nouveau laissé le silence marquer la conversation. Aucun de ces trois postes ne lui avaient traversé l’esprit, si bien qu’il en apprécie intérieurement l’effet de surprise.

Directeur surprenant, a-t-il noté dans sa tête. Mais, il n’y a pour l’instant, pas lieu d’émettre une réponse et c’est bien ce que le proviseur confirme. Le psychologue se contente d’esquisser un simple hochement de la tête pour signifier qu’il a bien enregistré toute l’information. Que ce soit pour sa carrière que sa date de démission.

-Naturellement. Au plaisir de vous recroiser quel qu’en soit les termes.

La suite passe alors au règlement de l’enceinte scolaire. Nouveau volet ouvert.

-Pour ce qui concerne le comportement des élèves... l’échantillon d’élèves que je reçois ne me permets pas de donner une tendance à proprement dire. Une chose est simplement sûre, à savoir qu’il est des cas qui ne relèvent pas de la psychologie scolaire. De ce fait, je pense que la sélectivité de l’école devrait être plus exigeante sur le profil des élèves qui l’intègrent afin de « favoriser l'épanouissement de chacun ».

Yui se rappelle parfaitement la lettre du directeur: un règlement fièrement affiché dans le hall de l’école.

Oui. Au prix où elle coute, au prestige où elle se positionne, ce n’est sans doute pas une mauvaise chose que de filtrer la sélection, pense le psychologue. Il y aurait en effet toujours assez de potentiels demandeurs pour vouloir entrer dans cette académie. Ainsi donc, les cas les plus graves et ayant des antécédents particulièrement violents devraient être reconduits là où ils devraient l’être. Pas là où ils étaient susceptible de causer du tord à autrui. L’idée des groupes étaient une bonne chose sans aucun doute mais comme toute chose, poussé à l'extrême, elle pouvait en devenir néfaste.

Yui pose sa tasse froide et à moitié vide sur la table. Il a gardé un oeil pensif sur le dos de l’écran de l’ordinateur.

-Ce n’est évidemment qu’un avis. Car des mesures de sécurité, je ne saurai quoi recommander de plus que ce qui existe à l’heure actuelle. Sans parler du règlement instauré on ne peut plus spartiate.

Alarmes, surveillance des pions, mesures de répression... tout était vraisemblablement déjà mis en place. Évidemment, Valentine persistait toujours à penser qu’un référent par élève pouvait être intéressant, mais dans l’immédiat, le corps professoral était trop instable et en sous-nombre par rapport à l'effectif intégré.

-Par ailleurs, le nombre d’interdiction dans le règlement sur évalue largement la capacité du personnel à faire respecter tous les points.

Valentine sous entend là, le nombre d’étudiants reçus pour manquement au règlement : « Pas de musique. Toute confiserie est interdite (chewing-gum, sucette, …). Interdiction aux garçons et aux filles de s'approcher à plus de vingt centimètres. Tenue correcte exigée entre les deux sexes. Les rapports homosexuels amoureux sont interdits. (...) » Avec ça, il avait de quoi constituer une armée entière. Yui ne comptait plus tous ceux qu’il avait refusé voir pour faire place à ceux qui nécessitait réellement un suivi.

De là, se soulève un point, sans être clairement posé sur la table. Yui est encore en fonction pour quelques jours et ne cherche pas inutilement s'attirer les foudres de son supérieur. Mais à son sens, il ne s'agit plus de parler d'évolution des élèves, mais celle du personnel et corps professoral pour mener une stratégie commune.

20h20.

20h26.

Yui maintient son silence. Puis finit par croiser une jambe pour s'accouder dessus.

A vrai dire, le règlement le fatigue.

-Je vais me plier à l'avis de mes collègues en ce qui concernent les points à modifier. Vous devriez avoir un avis unanime. Allons... Je suis certain que si nous avions été des étudiants sous l'égide du règlement actuellement imposé, nous passerions notre temps à les enfreindre. Peut être moi plus que vous mais qui sait.

Pour ainsi dire, Valentine passait son temps à les contourner. Or plus il y en avait, plus quelque chose le démangeait pour passer au delà. Quelle idée de venir lui demander son avis à lui. Un soupir s'échappa de ses lèvres puis il fixa un moment le sol. Pensif.
Responsable un coup, irréfléchi un autre.

-Très bien. Monsieur Ashita, je serai dans ce cas uniquement joignable via cette station. Travailler à distance reste pourquoi pas, envisageable pour assurer la transition durant quelques jours. Du reste, vous aurez ma lettre de démission demain à la première heure, sur votre bureau.

C'était brusque mais c'est sur ces dernières minutes que le psychologue décida de trancher.
Une ligne fine, nette et directe.

Dans les faits, Yui Valentine reculait à l'idée même de venir travailler au bureau quelques jours de plus. Il ne le faisait plus depuis des semaines et la perspective d'y revenir lui devenait impensable. Il se donnait en réalité, une autre définition sur sa manière de travailler. De ce fait, il estimait juste que, son supérieur ne l'inclue plus sans ses nouveaux projets immédiats. Plus il se voyait chargé d'objectifs au sein de l'académie, plus il avait l'impression de ne plus pouvoir faire marche arrière et d'enchaîner les engrenages dans un sens qui ne parvenait plus à lui convenir. Dans ce mécanisme tortueux, il en revenait une fois de plus la nécessité de détruire pour mieux reconstruire. Il était donc temps pour lui poser ses armes sur la table.


Un autre silence s'installe.
La réunion s'éternise mais Valentine a le temps si son supérieur estime nécessaire d'aborder d'autres sujets.

20h30.

-Et bien. Soit. Convenons-en donc ainsi, monsieur Ashita.

Sama, Icha, San. Plus de trois ans passés sur le campus et toujours cette difficulté pour Valentine à les employer spontanément. Il restera sur un conventionnel Monsieur. Il en convenait pour sa dernière mission dans cette académie, la politesse de son supérieur et pour l'évènement qui se préparait pour la suite.

Le pot de départ ne frôla pas un instant l'esprit du psychologue. En bonne et due forme, il se contenterait d'envoyer un courriel général à l'ensemble du corps personnel et professoral pour annoncer son départ. Après tout, il ne faisait que partir comme il était arrivé.

Yui eu un imperceptible sourire. La perspective de passer à une autre étape l'enchantait plus que ce qu'il n'y paraissait et apporter son grain de sel dans une cour encore plus large le démangeait déjà. A force de jouer parmi les grands, il s'en lasserait probablement un jour. Alors, il reviendrait.

Mais ça, ce n'était pas encore écrit.

20h38.