Coffee Break at Night

Avoir l’habitude. Yui a levé un sourcil vers la jeune prostituée, puis a haussé des épaules. On choisit d’avoir l’habitude... ou pas. Principe auquel tient fermement le psychologue, pour le peu de moralité qu’il ait. Au moins, n’a-t-il pas fait perdre une employée à son travail, dans la bonne conscience des choses : rendre des comptes au gens serait plus qu’ennuyeux. Les devoirs et tout ça... Yui ne s’en rajouterait pas de trop. Dans la pénombre de la ruelle, il a eut un sourire amusé.

-Ces larmes alors, étaient-elles votre mise en scène pour vous échapper ?

Par ce que si c’était le cas, c’était bien joué, allait-il rajouter sur le même ton de conversation. De toute façon, Yui est le premier à penser que tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. Cruauté de la chose quand il arrive d’en venir aux extrêmes pour obtenir l’objet des désirs.

Un silence est passé avant qu’Eléna lui demande ses peurs. A quoi bon lui servirait-il de savoir les peurs d’un psychologue ? Pas à grand chose. Valentine s’est amusé à la pensée qu’Eléna est jeune, c’est vrai. On attribue les défauts aux autres, mais c’est plus difficile de s’en auto-attribuer, quand on n’a jamais pensé à se remettre en cause. Ainsi, les autres qualifient des tonnes de défauts à l’égard du docteur Valentine et voilà qui est d’autant plus intéressant à entendre, quand ça change d’un individu à un autre.

Quoiqu’il en soit, il n’a pas répondu ce qu’elle ne voulait pas entendre... bien qu’il ne s’en serait pas privé.

-Pas de vous, à ce que je sache, lui a-t-il répondu d’un ton serein, sans s’arrêter de marcher. -Vous me donneriez la sensation de prendre un avion si vous pensez réellement que je suis parfait, non pas pour me déplaire...

Yui Valentine, qui dans sa perfection, ne reconnaîtra jamais véritablement ses tords et encore moins ses peurs. Une perfection bafouée, une illusion illusoire. Quoique, tout dépend de la réelle définition qu’on attribue à « l’être parfait ».

-Rien n’empêche que je pourrais être l’être parfait de ce soir.

Quoi.
Parfait pour... ne pas avoir couché avec la serveuse ou pour lui avoir permis de filer des griffes de son employeur ? Parfait dans l’idée implicite qu’il peut lui faire passer la nuit de ses rêves ? Tant de sous-entendu à double sens, pour qu’un esprit s’agite dans n’importe quel sens. Pour autant, Yui n’a pas perdu son aisance naturelle, considérant le tout, sans la moindre gêne du monde.

C’est ainsi que le couple est arrivé à la pâtisserie Del Lys, à y penser que ce genre d’endroit attire toute les Elena du Japon, pensée futile et dérisoire. Voilà longtemps qu’il n’y a plus fait un tour... encore moins à de pareilles heures ; quoiqu’il n’est pas si tard.

-Quant aux défauts et bien vous aurez tôt fait de m’en coller plein le dos. Que prendrez vous ?

Commandes passées, Yui a choisi un coin, coin qui donne sur la grande fenêtre vitrée, pour y épier les passants... Pour changer du paysage français où le monde s’éteint juste après le travail. L’intérieur du Coffee Shop est éclairé, presque à en faire mal les yeux, après l’ambiance tamisé du bar et l’obscurité de la ruelle sinueuse qu’ils ont emprunté.

- Qui que vous soyez, j’imagine que nous aurons à nous apporter mutuellement. Ou alors, si votre statut vous gêne tant, inventez vous en un, ma foi.

Le mensonge est aussi un art illusoire.
Tout les moyens sont bons... quand ils sont efficaces. N’est-il pas ?

-Vous avez tous les droits. Que ce soit un mensonge, que ce soient des larmes... qu’importe ? Si c’est un stratagème qui vous a servi échappatoire, c’est aussi un bon procédé, du moment que vous arrivez à vos fins. Tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces, n’est-il pas.

Valentine a croisé les doigts et posé la tête sur ses mains entrelacées. Avait-il eu peur d’une femme dans sa vie ? Quelle question. Il a semblé réfléchir un long moment, laissant défiler qui parmi elles auraient pu lui faire réellement peur. Personne, déclarerait-il probablement sans hésitation. Mais voilà qui jetterait vite un terme à la conversation.

-Oui, j’imagine, a-t-il commencé, l’ombre d’un sourire au coin des lèvres. –Oui, j’ai bel et bien peur d’une femme.

Ce qui en soi n’était déjà pas mal.
A vrai dire, il n’y a jamais pensé, mais si c’est une femme qui ne lui fait pas directement peur, c’est une des rares qu’il redoute. La petite Arissa, redoutable impératrice. Au final, c’est peut être justement parce qu’elle le connaît bien, -trop bien- que Yui la craint. Mais elle n’est plus là...

-Allons. Ne pouvez vous pas avouer que j’ai joué l’être parfait du moment, tout à l’heure ? Ne serait-ce qu’un instant. Pour tout dire, j’ose penser que vous vous ennuieriez trop vite avec ce genre de personne.

L’intérieur du café est un lieu propice pour laisser l’imagination courir, détaler et ne jamais s’arrêter. La magie d’un instant.
Éphémère.

-Satisfait ? Si vous l’êtes, je le serez de même. Pour ma part... Je fais déjà ce qu’il me plait de manière générale et j’apprécie pleinement ma vie. Voyez-vous, à préférer une autre vie, je voudrais être ce que je ne pourrais jamais être. Échangeriez vous votre la vie contre la mienne ?

Étrange conversation...
Pas plus étrange que les inconnus venus brusquement « l’emprunter ». Valentine n’esquissera pourtant aucun geste. Est ce son histoire ? Non ce n’est pas la sienne. Qu’y gagne-t-il à s’en mêler. Les néons des enseignes brillent encore à travers la vitrine et Yui laisse son regard s’y perdre. Une soirée qui n’a ni queue ni tête, des conversations liées par le seul fil de l’illogisme. Le ‘je ne sais rien de lui’ ramène un psychologue en vogue.

-C’est votre droit, terminera-t-il. Que voudriez vous faire maintenant de suite, si Contrainte n’existait pas ?

S’accoudant sur la table Valentine a joué avec la petite cuillère à café.

Yui a fini par étirer un sourire étrange.

-Eléna, qu’est ce qui vous porte à croire que je ne vous laisserai pas faire ? Si vous tuiez une personne, que puis-je donc pour vous, ou que pourrais-je faire pour cette tierce personne ? Moi, sous un rôle de psychologue, qui ne soigne que ceux qui en expriment le besoin...

Ou donc est le Parfait dans cette passoire...
S’enchaîne alors avec une discussion plus profonde, avec la jeune femme qui semble sortir ses pensées à nues. Elle parle d’un Il, d’un Lui, que Valentine ne connaît pas et ne le connaîtra probablement jamais. Un silence, silence face à un détour par le passé d’une serveuse prostituée.

-Pourquoi vous borner à vouloir revoir une personne qui vous fait tant de mal ? Vivez vous pour votre passé... ou pour demain, je me le demande. Mais après tout, qui suis-je à vos yeux, pour vous inspirer confiance ; je ne vous en demande pas tant.

La cuillère entre les doigts, Yui a fini par la délaisser sur le dessous de tasse qu’est la petite assiette de porcelaine. Si Contrainte n’existait pas, Eléna voudrait revoir le Lui dont elle ne cesse de parler. Si Contrainte n’existait pas, elle voudrait faire confiance aux hommes. A Yui Valentine, peut être. Que la généralisation est belle...

Une jeune femme à l’amour brisé trop tôt.
A cet instant, elle a semblé fragile, trop fragile aux yeux du jeune homme assis en face. Il a fixé Eléna un moment. Pensif.

-Eléna, ne confondez donc pas de vulgaires mots jetés sans aucun sens, avec les sentiments, qui jamais ne remplaceront les mots. Je peux faire semblant de faire tout un tas de choses, mais que vous apporterait-il d’entendre des mots si creux lorsque vous comme moi, savons qu’ils ne sont pas vrais? Et d’ailleurs ces mots... ne les entendez vous pas toutes les nuits à chacun de vos clients ?

Yui a froncé des sourcils.

-Je ne souhaite pas semer des illusions là où elles n'ont pas lieu d'être. Tout comme je ne suis pas votre client. En revanche, je peux vous écouter. Écouter tout ce que vous n'oseriez jamais dire à vos proches restants.

Au final, les rôles s'inversent et Eléna serait sa cliente.

-Mais devenir l'ami de son psychologue n'est pas toujours l'idéal. Quoique nous pourrions toujours commencer par faire semblant de l'être, pour un début...

Quelle étrange conversation ce soir là....