Les personnes âgées disent souvent qu’il faut se lever tôt pour profiter de la vie. Lun vit de nuit, il se lève à quatorze heures, la tête encore dans le sac. Il prend une douche, chaude, longue, oubliant les histoires écologiques. Après tout : la fin du monde est en 2012, il peut bien profiter un peu des avantages d’être né dans un pays dit riche. La musique est allumée, à fond. Et puis, il traîne sa vie, ses godasses, jusqu’au soir. Là, il sait toujours où aller. Il y a toujours un pote avec qui boire, un pote avec qui fumer. Une personne avec qui traîner. Et s’il ne trouve personne, il y a toujours du monde sur le net.
Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, le jeune homme est levé tôt. Un rêve, une bonne nuit. Le temps l’a devancé. Il est prêt de bonne heure, et il traîne déjà ses baskets dans la cour de Keimoo. Il lui semble que ça fait une éternité qu’il est ici. Il traîne tellement qu’il en arrive devant les bâtiments des universités. Il regarde le vide, il regarde sa vie. Sa vie, c’est ses amis. Le reste, il s’en contrefout. La politique, c’est fait pour les gens sérieux. Il est déjà trop dramatique pour son âge. Il veut bien avoir un bon boulot. Il aime bien sa famille. Il apprécie le monde, ses paysages, ses richesses. Mais : mais c’est pas ce qui le fait avancer. Ce qui le fait bouger, loin de sa chambre et ses tristesses. Rire ! Trouver du monde avec qui plaisanter. Se foutre du temps, et envoyer en l’air les histoires préconçues. Il ne veut pas d’une vie parfaite. Il ne veut pas d’une vie toute faîte. Se marier, avoir des enfants. Etre comme les autres.
Et elle peut bien courir la rumeur. La rumeur, c’est la preuve qu’on ne l’oublie pas. Et Lun se fiche bien de savoir ce qu’elle dit. On peut bien le montrer du doigt, lui ses doigts restent dans ses poches. Il fait un peu froid. Il a les joues rougies par le vent qui s’est levé. Ses cheveux blonds attachés en une queue de cheval. Il erre, il ne sait plus où aller. Vers qui se tourner.
Si Sora est dans le coma, Lun l’oubliera. Il ne veut plus être dans l’attente. Il tourne le dos à Elyott, il tourne le dos à Tadashii et Yume. Il ne veut plus attendre des autres. Il ne veut plus croire qu’il a une place dans leurs vies. Il avance : Enfin.
Hier, il est allé se renseigner pour savoir comment devenir journaliste. Il a 17 ans, il n’imagine pas demain. Pourtant les professeurs lui posent sans cesse cette question : quel est le métier qu’il ferra. Il n’en sait rien. Le demain, il l’imagine pas. Il n’imagine pas avoir un jour plus de 30 ans.
Il ne veut pas chercher à comprendre la raison qui le pousse à ne pas anticiper ce qui adviendra. Il parait que le cortex frontal n’est développé que vers 21 ans. Il a encore 4 ans pour ne pas s’inquiéter de l’argent dans ses poches, et de la durée de ses amitiés.
Finalement, il est rentré dans le pensionnat. Le dortoir des universitaires. Il y a des amis qu’on voit tous les jours, au point qu’on ne comprend plus leurs importances. Il y a des amis qu’on ne voit jamais, et qui nous manque. Ce manque, Lun ne le connaît que parfois. Quand sa vie se met en pause. Quand il ne sort pas. Quand il est là, à sentir le parfum des universitaires. L’odeur de déodorants, de clopes, et de parfums bon marché. Les universitaires traînent aussi, mais Lun ne les regarde pas.
Peu de monde dans le couloir.
Il sait où il va, maintenant. Ses mains sortent de ses poches : il n’a plus froid. Le couloir est chauffé, et son idée s’échauffe.
Iris.
Il y a ceux qu’on aime, et ceux qu’on aimerait aimer. Peut-être parce qu’il ne sait pas, Lun sent son cœur se serrer. Ce n’est pas qu’il ne veut pas, c’est qu’il ne peut pas. Il sait qu’on ne peut pas forcer l’amour. Il l’a assez vu. Assez souvent. Sauf que si cela signifie perdre une amie, alors il se hait.
L’amour, c’est un peu un jeu truqué. Un jeu auquel Lun n’aimerait pas jouer. Il ne veut pas être amoureux : être amoureux d’une personne qui ne l’aimera pas. Il ne veut pas être aimé : aimé par des gens qu’il n’arrive pas à aimer … Pareil. Et pourtant, il les aime. Ses amis, ses cailloux et ses miettes de pain que la vie mangera. Il les aime, ses amis-là. Ce chemin qui l’aide à rentrer dans un « chez soi. » Il ne sait pas trop à quoi ça ressemblera : une cabane, une maison, un palais, un endroit déjà brûlé par un incendie ou une maison à reconstruire. Mais, il sait qu’il y va. Il y va en sautant à cloche-pied. Il y va en se disant, calmement, que s’il est lunatique, il sait au moins ce qui ne changera pas chez lui.
Finalement, perdu dans ses pensées, Lun est resté devant la porte d’Iris. Il hésite une seconde, avant de frapper doucement à la porte. Une seconde fois. Mais, pas de réponse. Lun l’appelle. Ce n’est pas qu’il sait qu’elle est là : mais il s’en doute. Il a entendu parler de sa période : Ermite dans la Chambre. Il a entendu parler de sa période renfermée.
Il ne peut pas aller la chercher, mais il peut forcer le destin.
« Iris. Ouvre-moi. »Pas de réponse. Levant les yeux au ciel, Lun s’adosse au mur près de la porte. Il tire une clope de sa poche arrière, avant de la ranger derrière son oreille. Pensif, il se demande si elle lui en veut : si elle y pense encore. Combien de temps dure une peine d’amour ?
On n’oublie les amours vécus,
Mais on ne peut jamais oublier ceux qui nous ont repoussé.
Ce gamin-là, cette amie-là. Ce ciel pluvieux, quand il faisait si beau, à la pensée d’aimer un égoïste qui ne voit pas notre cœur saignait.
Lun ne veut plus y penser. Penser à ceux qui l’abandonnent et pourtant : il revoit Lanaru, dans ses rêves oubliés. C’était son ami : pourquoi est-il parti ? Pourquoi faut-il, quand on vit, qu’on en oublie ceux qui auraient donné la leur pour eux ?
Allons, allons. Lun secoue légèrement le visage avant de tirer le PASS que Maeki lui a fait. Décidément, ce gothique est bien utile. Lun entre dans la chambre, sans trop de difficulté. Il la surprend sur le lit, son regard se posant sur son amie. Une seconde, le temps de se retourner et de fermer la porte avec la même lenteur. Comme-ci, il était chez lui. Invité, par le diable lui-même.
Il aurait la pulsion d’avancer, et de la prendre dans ses bras. De la consoler, de lui dire : pardon. De s’excuser de ne pas être amoureux. Pas ce serait idiot. Au final, il aime. Il aime une autre. Il aime, sans retour. Et son cœur d’enfant est sur le sol, liquéfié par la pensée, de ne pas être aimé.
Il a tout remis en question : évidemment, il n’est pas le plus beau. Évidemment, il n’est pas drôle. Évidemment, il n’est pas comme les autres. S’il avait été … Peut-être aurait-il été aimé. Peut-être, mais il n’aurait pas été lui.
Il doit oublier, mais ça ne vient pas. Alors il traîne sa bosse. Jusqu’à décider d’avancer dans sa vie. Il parait que c’est ainsi, qu’on ne viendra pas le chercher. Il a loupé son quai, il a loupé son arrêt.
Il ne retournera pourtant pas le prendre.
Lun se rapproche lentement, observant cette beauté blonde. Du bout des doigts, il recueille une larme qui n’a pas eu le temps de tomber. Et, d’un baiser, il embrasse le front de son amie. La vie est cruelle. Il aimerait lui dire qu’il serra toujours là. Mais lui, il pense de plus en plus à la fin. Comme-ci c’était sa dernière année. Comme-ci il risquait de ne plus exister.
Quelque part, sur un blog déjà, il a laissé les mots qu’il veut qu’on lise pour lui. Quelque part, déjà, il y a la playlist des chansons à diffuser. Savoir la date de sa mort, peut être utile, pour tout cela. Pour prévoir les mots qui consoleront un peu les cœurs, et leur dire de l’oublier et d’avancer.
Oublier et avancer, ce qu’il essaye déjà de faire.
« Au croisement des cœurs brisés, on s’est sans doute heurter. » Lun s’assoie dans la chambre, se souvenant de la première fois. De l’arme à feu. Il pouffe doucement de rire à cette pensée, bien que ses yeux restent tristes. Tristes de ne pas savoir trouver des mots : comme dans les romans, dans les films. Savoir, quoi dire. Lui, il sait prendre un verre, une clope, un joint. Il sait ajouter une seconde de plus.
Et retirer un jour dans le calendrier.
« Mais, je me suis sauvé. Pas doué, pour les constats. Paraît que mon assurance ne veut plus couvrir les dégâts. Je dois être fiché dans l’AGIRA. »Bien que Lun ne sache pas si ce fichier existe au Japon, et qu’il n’a pas le permis de conduire. Il est malhabile, il essaye de parler. Peut-être pour ne pas avoir laisser son esprit se pencher sur la beauté d’Iris, et sur le fait qu’il pourrait essayé. Il pourrait peut-être l’aimer à force.
Il pourrait … Il n’en sait rien.
Hochant négativement de la tête, Lun observe discrètement la jeune fille.
« Tu m’en veux, n’est-ce pas ? »