Le concert de KO-MON

Depuis quelques jours, c'était la grande effervescence au sein de l'académie Keimoo. Que ce soit parmi les étudiants ou les lycéens, tout le monde parlait inlassablement du fameux concert qui allait avoir lieu dans la salle des fêtes. Célébrer ainsi la venue de Noël, était une manière comme une autre d'immortaliser cette période essentielle de l'année. Pour Lise, c'était le bon moment pour décompresser, lâcher du leste, abandonner ses ouvrages de psychologie pour s'adonner à quelque chose de plus passionnant et surtout moins prise de tête. Ce jour-là, elle avait décidé de sortir en ville avec son groupe d'amis pour se chercher une tenue digne de ce nom. Entre les clubs et ses activités personnelles, y compris ses innombrables séances de révisions, elle n'avait pas beaucoup de temps à consacrer à son allure. Et pourtant, Dieu seul savait à quel point mademoiselle Ebel prônait pour la beauté et le raffinement, et ceci tout en simplicité. Elle ne supportait pas les personnes qui s'obstinaient à s'afficher avec des strass et des paillettes, scintillant de mille feux et oubliant d'être modeste au moins une fois dans leur vie. En dépit du fait qu'elle était issue d'une famille à la fortune colossale, Lise ne laissait rien paraître, et préférait porter des tissus rares parfois d'une banalité affligeante qu'elle savait embellir. A l'occasion de ce concert, elle opta pour un style épuré, avec des couleurs douces donc peu agressives, qui trahissaient également son goût pour les choses apaisantes. Dans l'une de ses boutiques préférées, situées dans une venelle isolée, elle jeta son dévolu sur un chemisier blanc, parfaitement cintré à la taille, et sur lequel elle porta un gilet rose pâle pour la protéger d'une éventuelle fraîcheur hivernale. Quand bien même si tout ceci se déroulerait dans la salle des fêtes, elle préférait prévoir, afin de ne pas être contrainte de traverser toute l'académie pour accéder à la résidence étudiante. Pour compléter sa tenue, elle opta pour une jupe en tuiles blanches, ainsi qu'un collant aux motifs bucoliques, permettant de trancher plus ou moins avec le reste de sa tenue. Elle insista même pour un petit serre-tête faussement doré, qui ajoutait un peu de contraste à son accoutrement. Pour sa pair de chaussures, elle ressortit une pair affublée d'un nœud sur le côté, et dont le noir parfaitement verni ajoutait une touche davantage soignée.

Etant la plus belle pour aller danser, elle ne prit le temps de se maquiller qu'une heure avant le commencement des festivités. Elle opta uniquement pour un fard à paupières gris qui, finalement se confondait quasiment avec sa peau laiteuse, ainsi qu'un rouge à lèvres aussi rose que son gilet, ce qui la conforta dans l'idée qu'il en fallait peu pour finaliser une tenue vestimentaire. Se considérant suffisamment regardable, elle se mira une dernière fois dans la glace, et partit en compagnie d'une ou deux camarades, qui avaient pour habitude de l'escorter à toutes ses sorties. D'un pas sautillant, elle finit par arriver au lieu tant désiré. Elle y avait pensé toute la journée et était surexcitée à l'idée de remplir son petit carnet de mille et uns autographes des différents artistes s'apprêtant à se produire. Car non, la jeune adulte de vingt ans n'avait pas prévu de danser comme une aliénée au son des guitares. Elle faisait une fixette perpétuelle sur les signatures qu'elle pouvait récolter, et qui allaient agrémenter ses albums souvenirs qu'elle concoctait à ses heures perdues. C'était une tradition qu'elle tenait à perpétuer d'année en année. Elle ne lâcherait pas le morceau, d'autant qu'elle avait conscience de la flatterie que cela pouvait engendrer sur celui à qui elle demandait un si petit service. Ce fut donc sans aucune assistance qu'elle s'introduisit dans les loges, quelques minutes avant que le premier groupe monte sur scène. De son plus beau sourire, elle s'approcha d'une bande dont les jambes tremblotaient à l'idée de se produire devant plus de cent personnes :

- Un autographe, s'il vous plaît !

Et ce fut toujours la même rengaine, jusqu'à ce qu'elle parvienne au groupe KO-MON dont elle avait quelques fois entendu parler, de bouche à oreille. Le plus gros défaut que l'on pouvait souligner chez Lise, c'était sa tendance à recueillir tout et n'importe quoi, par rapport aux informations qu'elle entendait, ou du moins, qu'elle croyait entendre. Dans le cas actuel des choses, sa perception auditive ne l'avait pas trompée, puisqu'elle crut reconnaître un ou deux musiciens de cette bande, dont on vantait le talent sûr. Cependant, elle avait cru comprendre qu'il y avait un atout majeur et féminin, qu'elle ne voyait actuellement pas. Celle-ci réapparut comme par enchantement, tandis que le groupe précédent finissait son morceau, acclamé chaleureusement par un public survolté. Intimidée par l'air si concentré des artistes, elle s'approcha d'un pas de velours, et approchant son carnet déjà bien griffonné, elle se planta devant la jeune fille et prononça pour la trente six millième fois :

- Bonsoir, pourrais-je avoir un autographe s'il vous plaît ?

Pressentant que la pression montait de plus en plus chez ce petit groupe toutefois pourvu de grandes ressources, elle ajouta dans l'espoir que ça les apaiserait :

- J'ai cru comprendre que votre art est très apprécié. Tout ira bien, vous allez cartonner.

L'autre groupe commençait déjà à redescendre de l'estrade, rejoignant les coulisses en poussant des petits cris de victoire et de soulagement. Apparemment, tout s'était déroulé dans les meilleures conditions. Lise espérait secrètement qu'il en serait de même, pour les jouvenceaux dont elle attendait patiemment les signatures. Peut-être que ce n'était pas le moment, et qu'ils auraient préféré prendre le temps de se concentrer plutôt que de satisfaire son caprice ? Soit, ce qui était fait était fait. Sa demande avait été énoncée. Libre à eux d'y donner suite ou non. Dans un cas comme dans l'autre, elle considèrerait qu'elle n'avait pas le droit d'influer sur leur volonté.

Spoiler:

Saki venait de 'quitter' Ashley près des Stands de Fortune Cookies, elle était énervée, frustrée, agaçée et en même temps tellement apeurée qu'elle ne savait plus où donner de la tête. Elle ne cachait pas qu'elle avait peur d'elle et qu'elle était plutôt fragile psychologiquement donc elle n'avait pas une grande capacité à répondre aux sarcasmes de la bourgeoise hypocrite. Et pourtant, d'un autre côté, elle la mettait hors d'elle. Son accoutrement de jeune fille de bonne famille montrait clairement qu'elle était prisonnière de ce monde paillettes dans lequel elle vivait. Elle n'avait pas encore compris que sa tour d'Ivoire n'avait pas de portes et qu'elle resterait coincée dans d'innombrables clichés. Saki donnerait tout ce qu'elle a pour se retrouver juste à ses côtés le jour où elle comprendra qu'elle avait prit la vie à l'envers et qu'elle n'avait pas fait attention aux bonnes choses...
Enfin en attendant, c'était Saki qui trinquait pendant que cette pimbêche se trimballait pour faire valoir ses atouts.
Saki jura intérieurement tout en pestiférant. Elle avait remit les mains dans ses poches et tripotait le petit sac où était contenu Tommy, le petit poisson. Elle jettait quelques coups d'oeil de temps en temps pour voir s'il n'était pas mort.

Son regard fut bientôt attiré par une foule immense qui semblait en folie devant une scène. D'après les cris et les applaudissements, il semblerait qu'un groupe soit en train de se produire sur scène actuellement. Elle tenta d'apercevoir quelque chose en se mettant sur la pointe des pieds mais elle était trop petite. Elle fronça les sourcils et opta pour la tête des mauvais jours. Elle faillit passer son chemin, ne raffolant pas de la foule, surtout dégénérée comme elle était maintenant mais alors que ses pas l'entraînaient vers une autre partie du festival, elle entendit nettement queqlues accords qu'elle connaissait... Cette musique, elle l'avait déja entendue quelque part, à la radio, ou ptet dans son mp3, en tout cas, elle l'aimait bien. Elle n'avait aucune idée de l'auteur ni du succès que ce tube avait engendré mais elle l'aimait bien. Elle se stoppa et se retourna de nouveau vers la scène. Elle n'apercevait rien mais cette fois, la tentation de mettre un visage sur cette chanson si mélancolique et débordante de vérité lui tiraillait les entrailles.
Elle prit son courage à deux mains et s'avanca vers la foule, décidée. Pas farouche pour un sou en cette journée de mauvais augure depuis le précédent stand, elle y alla à coups de "Pardon !" et de coudes bien placés. Elle ne réussit pas à se retrouver devant complètement mais elle put prendre la place d'une rousse flamboyante qui se pressa vers la sortie quelques minutes plus tôt.

Saki n'était pas du genre à chanter, à danser, ou à lever les bras pour témoigner de son enchantement. Elle vivait juste la musique.
La chanteuse était une brunette, accompagnée d'un groupe. Le reste elle s'en fichait, tout ce qu'elle voyait, c'était cette petite brune, haute comme trois pommes, avec sa bouille de gamine et son air si heureux sur scène. Elle avait déjà vu cette tête quelque part mais elle serait bien incapable de se rappeler où.

Les accords tous plus recherchés les uns que les autres faisaient vibrer le sol rythmés par les pieds des fans agglutinés contre les barrières de sécurité. Saki se sentait bien en cet instant, même si elle était trop collée par les autres et trop normale dans cet accoutrement de fan inconditionnelle. Elle fixa la brunette droit dans les yeux, le visage impassible. Elle attendit quelques secondes que la chanson se termine et envoya un sourire au groupe en général. C'était une belle chanson. Elle ne prit pas la peine d'écouter le reste, bien qu'il était sûrement génial également.
Elle avait besoin de se retrouver seule. Alors se faufilant à son tour parmis les corps ambulants, elle retrouva bien vite la sortie et quitta rapidement le festival en entier...

Ainsi voulait-elle entamer son odyssée à venir, ainsi souhaitait-elle rédiger ses prémisses. La providence lui octroierait-elle la réalisation de ses souhaits ou se dirigeait-elle aveuglement dans les flammes des limbes ? Tant d’interrogations, d’incertitude à sa nouvelle situation qu’elle se questionnait sur son bon sens, celui qui l’avait poussée à quitter l’aise de son foyer Tokyoïte pour se lancer à corps perdu à la recherche d’un géniteur qui n’était, et n’avait toujours été, qu’un susurre presque inaudible dans la cantilène de sa vie. Très récemment arrivée à Keimoo, il lui fallait du temps pour trouver ses marques, cependant le temps réclamait de la patience, et l’asiate aux mœurs excentriques ne faisait pas dans le stoïcisme. Alors, peu encline à lorgner les murs de sa chambre ce soir, elle avait ouïe d’évènements intéressants. Un concert ? Elle avait été contrainte de se priver de ces rassemblements musicaux ces derniers mois, esseulée dans les révisions de sa pédagogie scolaire pour parvenir à décrocher l’examen d’entrée à cette prestigieuse école. Seules les notes de sa guitare avaient été un émonctoire à son éreintement, et elle avait l’ardent désir de retrouver les bienfaits acoustiques de la musique tout comme l’ambiance bambocheuse qui en exultait. Quelques secondes après, sa décision était prise : ce soir, elle serait de sortie, même seule. Une petite pause dans sa quête ne lui ferait pas de mal, et puis, sans doute ferait-elle la connaissance d’autres étudiants, peut-être même de personnes de sa classe ? Son dessein premier était avant tout de se changer les idées, le reste viendrait seul… Ou pas. Ainsi, sa journée en ce jour de repos ne fut pas des plus extravagantes, installée sur son lit en position du lotus, elle avait éparpillé ses innombrables compositions papiers à ses alentours. Quelques résonances musicales par ici, d’autres par là, et elle modifiait ce qu’elle jugeait à réinventer d’un coup de stylo. Entamait puis recommençait ses ritournelles tant qu’elle n’avait pas satisfaction, jusqu’à ce que sa montre ne lui indique qu’il était l’heure de se mettre en route. Deux ou trois actes esthétiques pour orner son faciès, tant pis pour sa tenue, elle se contenterait d’un pantalon perforé et d’un bustier sur lequel elle avait elle-même lithographié cette phrase : Hell’s in the Air. Elle sauta dans ses creepers hautes, enfila une veste et se mit en route, les écouteurs au côtoiement de ses tympans en attendant le véritable concert.

A quoi aurait-elle bien droit ? Rien qui lui ferait regretter de s’être déplacée, elle osait l’espérer. Elle avait très rapidement remarqué la disparité qui régnait au sein de l’établissement, et fort heureusement pour elle, elle avait pu croiser des personnes à l’habillement tout aussi excentrique et assumé que le sien. Elle avait dans le projet de s’inscrire dans le groupe de musique, dans lequel elle était quasiment certaine de trouver des gens qui en vaudraient la peine ? Elle jugerait en temps et en heure, pour le moment, elle était en retard et entendait de son emplacement les vociférations de passion des spectateurs, à tel point qu’il lui était ardu de distinguer la chanson qui les rendait si hystériques. Après avoir esquivé le cheptel de quidam qui passait leur soirée entre l’intérieur et l’extérieur, Kanon eut enfin le loisir de pénétrer le lieu. Vaste étendue de fans en ébullition qui ne cessaient de bondir dans tous les sens. Ses prunelles d’onyx lorgnèrent les alentours, jusqu’à ce que son attention soit attirée par un groupe au talent inqualifiable. Interpellée par cette sonorité, elle s’approcha sans excès, et se contenta de plonger tout son esprit dans ce qui semblait la fasciner et l’apaiser dans un même temps. L’un de ses rêves se jouait devant elle… Comme beaucoup, elle avait l’utopie d’être membre d’un groupe et de laisser la ferveur de son phonème faire trembler les parois qui l’abritaient. Cependant, elle n’avait jamais eu une véritable occasion de faire ses preuves, ni n’avait rencontré d’acolytes intéressants. Elle était pourtant résolue à un jour vivre de ce qui l’avait sans aucun doute sauvée de sa vésanie, à seulement quinze années elle avait encore le temps d’y songer et de prendre les bonnes décisions. Elle observa la jeune femme, plus âgée qu’elle, emportée par sa mélodie. Elle n’avait jamais entendu cette chanson auparavant, elle s’en serait souvenue, qui pouvaient-ils bien être ? En tournant son faciès sur la droite, elle remarqua un jeune homme sautiller à l’instar d’un kangourou en fusion, scandant vraisemblablement le nom de la chanteuse.

« C’est qui ? » Questionna t-elle, les bras croisés.

« Hein ? Mais c’est Lucy White !! Du groupe KO-MON ! »

« Ah ouais ?... »

« Ouais, Lucy est au lycée de Keimoo, pour ça qu’elle est au Japon ! C’est la présidente du groupe de musique, aaah, j’aimerais tellement savoir jouer d’un instrument pour y entrer ! »

« La présidente hein… »

Kanon reporta son attention sur la célébrité en question, dont la notoriété lui avait visiblement échappée. Celle-ci retourna en coulisse, cédant la place à un autre groupe. Elle était donc tout comme elle une lycéenne, et mieux encore, était la créatrice du club de musique ! Sans nul doute qu’elles se rencontreront à l’école, mais l’occasion était trop belle pour la laisser filer, elle tenterait de l’approcher durant la soirée. D’ailleurs, il ne fallut que peu de temps pour que Ko-mon ne refasse apparition sur la scène, mais cette fois la nippone voulait en profiter ! Sans y réfléchir d’abord, elle se jeta dans la foule et tenta de se frayer un chemin jusqu’au plus près. Parvenue non sans mal non loin de Lucy, elle ne put empêcher l’ambiance de l’imprégner et bientôt un sourire orna son visage, s’ensuivirent quelques hurlements convenablement placés et des mouvements de tête au rythme de la mélodie. Elle ne pouvait le nier, ce groupe avait du mérite dans son art ! Il serait intéressant d’avoir une conversation avec la demoiselle au micro, mais contrairement à la majorité, ce n’est pas en fan qu’elle l’interpellerait, bien que sa musique soit totalement à son goût ! Elle supposait que la folie de l’idolâtrie était parfois pesante, voilà pour quoi elle l’approcherait d’une manière plus naturelle. Les coulisses seraient le meilleur endroit où Kanon aurait l’opportunité de la croiser, c’est donc sans attendre qu’elle s’y dirigea. Cependant presque arrivée, un homme la bouscula et elle se heurta violemment à une charmante rouquine qui patientait là. Les deux sylphides à terre, celle à la crinière d’ébène se frotta le coude en grimaçant.

« Itai !... BAKA ! » Elle ramassa le carnet qui s’était échappé des mains de l’autre jeune fille et, après s’être mise à genoux, se pencha sur elle. « Pardon du dérangement, rien de cassé ? »

Après avoir fait danser le public sur un rythme entraînant, le groupe avait opté pour une chanson plus douce. Lise, bien que discrète dans le public, avait su écouter d'une oreille attentive les paroles. Quand bien même si elle n'était pas une professionnelle de la langue anglaise, elle décela beaucoup d'émotions, autant dans la voix de Lucy, que dans l'air de son second morceau. Dès lors qu'elle entama son interprétation, l'étudiante remarqua que le public s'était un tantinet calmé, l'euphorie s'aplanissant, laissant place à un instant de poésie. Quelques minutes plus tard, Lise dut encore faire preuve de patience, pour espérer s'entretenir personnellement avec la chanteuse de ce groupe. Elle se souvenait encore de sa promesse, celle d'aller éventuellement boire un verre, tout en discutant de sa prestation, de ce pour quoi elle avait commencé la musique, et comment cette passion avait su étreindre doucereusement son cœur. Lise n'avait aucun passe-temps à proprement parlé, si ce n'était de partir à la recherche des magasins de vêtements, des friperies, et autres endroits qu'elle affectionnait pour leur côté vintage. Si elle aurait pu naître dans une autre époque, ça serait celle marquée par cette touche romantique, qui avait toujours eu le don de l'attendrir, et de la captiver. Tout dans son apparence, laissait transparaître sa préférence pour les choses obsolètes, mais qui pouvaient tout aussi bien être remises au goût du jour. Quant à l'Art en lui-même, elle avait décidé de s'y consacrer, en s'inscrivant plus ou moins volontairement au club prévu à cet effet. Malheureusement, compte tenu de l'ampleur du travail qu'on lui demandait de fournir à l'université, elle avait un peu du mal à suivre l'actualité de son petit groupe d'artistes, qu'elle affectionnait pourtant. Elle se demandait comment on avait pu l'accepter parmi ces grands esprits créatifs. Peut-être comptait-on sur elle, pour qu'elle trouve enfin sa voie dans un tel domaine.

Immergée dans ses pensées, Lise guettait encore et toujours le retour du groupe, tandis que la foule commençait à se dispatcher de part et d'autres de la salle des fêtes. Assez satisfaite par la tournure des festivités, elle ne tarderait pas à déchanter lorsque, tout à coup, un poids plus ou moins lourd la fit trébucher puis épouser le sol de ses joues. Par un heureux miracle, le tissu délicat de ses vêtements ne pâtit pas de cette chute, mais elle ne douta pas de la couche de crasse qui devait subsister par terre, suggérant implicitement de mettre sa jolie tenue au sale lorsqu'elle rentrerait à sa résidence universitaire. La responsable de sa chute, fut une demoiselle à l'allure très excentrique, mais qui outre son originalité, fit preuve d'une grande courtoisie en s'excusant. Cependant, Lise devina qu'elle n'était pas l'unique fautive, puisque cet incident était à mettre sur le compte d'une personne quelconque qui n'avait pas fait attention, et qui les avait involontairement bousculées. Dans tous les cas, cet évènement fut une belle aubaine pour apprendre à connaître celle, qui tout comme elle, avait été la cible de cette tragique coïncidence.

- Oh, ce n'est rien, vraiment ! Tant que nous n'avons rien de cassé !

Son interlocutrice s'était penchée au-dessus de la rouquine après avoir eu la gentillesse de ramasser son carnet d'autographes. Se relevant lentement mais sûrement, Lise sentit que son corps n'avait pas spécialement apprécié cette chute. Cependant, elle s'en remettrait. Il ne fallait pas en faire une affaire d'état. Rivant ses yeux noisettes vers ceux de son vis-à-vis, elle récupéra son carnet d'un geste affable et avenant.

- Merci pour mon carnet ! Il va m'être indispensable pour la suite. Toi aussi tu viens pour la talentueuse Lucy White ?

Elle n'eut pas tôt fait de prononcer ce nom, que ladite Lucy se présenta à elles après s'être occupée du rangement de son matériel. Même après son franc succès, elle se montrait très spontanée. Sensiblement, elle n'était pas du genre à prendre la grosse tête, bien au contraire, elle était d'une humilité qui la rendait d'autant plus fabuleuse et resplendissante en tant qu'artiste. Lorsqu'elle demanda à ses deux admiratrices si elles avaient apprécié son show, Lise ne put s'empêcher de prendre la parole, avant de laisser l'Inconnue imposer son avis, et le pourquoi du comment de sa venue.

- Pour ma part, je vous ai trouvés fantastiques. Vous avez su conquérir la foule, je pense que ça suffit à rendre compte de votre influence sur vos auditeurs.

Suite à sa réponse et à celle de la nouvelle venue, Lucy en revint à la promesse qu'elle avait faite à mademoiselle Ebel. Finalement, cette conversation autour d'un bon verre allait avoir lieu, et ce fut avec joie que la psychologue en herbe accepta son invitation. Se plaçant à côté de la chanteuse et par conséquent face à leur nouvelle acolyte, elle guetta sa réaction, espérant qu'elle accepterait de faire don de sa présence. Un sourire bienveillant naquit discrètement sur le visage de Lise, réalisant que cette journée était l'une des plus réussies depuis son arrivée au Japon, il y a quelques années de cela.

Les rassemblements musicaux étaient une bénédiction pour Kanon qui laissait alors une liesse incommensurable s’approprier son âme et la transporter dans un univers qui semblait parallèle. Qu’elle soit ainsi sur scène où au cœur de la foule, la sensation bien que disparate la menait au même point : une sorte d’état second dans lequel plus rien ne comptait, une invincibilité liée à sa ferveur pour les sonorités. Une flamme qui s’attisait à chaque fois un peu plus, alors, elle était apte à comprendre ce qui animait Lucy lorsqu’elle portait ses lippes au micro. La passion s’échappait de la moindre de ses mimiques lorsqu’elle s’abandonnait à son chant, là était l’âme véritable d’un artiste. La présidente de club ne respirait pas la tentative commerciale contrairement à beaucoup de célébrités, sans doute une raison de plus de s’intéresser à elle. C’était ce à quoi elle était en train de songer avant de se faire ainsi bousculer et de finir sa course au sol, heurtant une pauvre innocente. Heureusement, la sylphide à la crinière rousse n’avait eu aucun mal considérable, si ce n’était un désagréable ressentit corporel qui serait à son apogée le lendemain, au même titre que le coude de la nippone. Elle vérifia d’ailleurs si elle ne s’était pas écorchée durant sa chute, bien que son corps était habitué à ce genre de cascades impromptues qu’elle s’octroyait fréquemment, et put y remarquer une magnifique plaque rubiconde qui se transformerait en une ecchymose. Le principal était qu’elle n’avait causé aucun cataclysme dans la salle… Qui sait ce qu’une bousculade anodine pourrait causer dans le pire des scénarios ? Un malentendu qui s’était, par le passé, déjà transformé en échauffourée à laquelle la jeune fille avait été contrainte de participer, pour sa survie. Ce soir là, elle était rentrée à la maison avec une lèvre fendue et un œil au beurre noire, quelques trophées d’un concert agité. Elle pourrait en conter des odyssées malgré son jeune âge…

Sa nouvelle interlocutrice récupéra son bien que Kanon avait auparavant extirpé du sol poussiéreux, et qu’elle lui légua d’un frêle sourire. Elle avait pu remarquer ce qui figurait sur ce petit carnet, la demoiselle était-elle une chasseuse d’autographes ? Il y avait en tous les cas une chose que l’on pouvait affirmer : elle était là dans le but d’approcher Lucy White. Elle confirma son hypothèse dans sa question en utilisant l’adverbe « aussi »… Le groupe KO-MON était si connu que cela ? La japonaise avait comme l’impression d’avoir raté un épisode, mais son ignorance pouvait se justifier par sa très récente arrivée dans l’académie. Elle se contenta de répondre en opinant positivement du chef, bien que la chanteuse ne fut pas son dessein d’origine. Soudain, la dite chanteuse apparut auprès d’elles, avec un naturel flagrant loin d’être désagréable et qui tira l’une des commissures des lèvres de l’étudiante. Elle sollicita alors leurs avis concernant la représentation, et une fois que la première impression fut donnée, elle prit la parole placidement.

« C’était cool, vraiment, bien joué. »

Kanon ne se laissa pas outrepasser par un quelconque engouement, non pas par manque de volonté, simplement qu’elle ne faisait que découvrir la musique de Lucy, et si les premières notes l’avaient séduite, elle préférait attendre d’en ouïr un peu plus. Cela dit, apprendre à connaitre la chanteuse avant la chanson était une perspective très intéressante. Soudain, ses deux locutrices semblèrent avoir des projets pour le reste de la soirée… Peut-être dérangeait-elle par sa présence ? C’est l’idée qui germa dans son esprit avant que son homologue punk ne l’invite à se joindre à elles. Lorsque la rouquine se positionna aux côtés de la britannique, la plus jeune des trois se sentit mal à l’aise face à leurs regards. Tout à coup gênée, elle se frotta la nuque…

« Euh… J’voudrais vraiment pas vous déranger, vous sentez pas obligées… »

Elle n’avait certes rien demandé pour les accompagner ; et s’était vue proposer cela spontanément. Après tout, elle qui désirait approcher Lucy d’une manière plus humaine que fanatique, là était sa chance. Elle mit alors ses mains dans les poches, et reprit la parole en fixant ses compatriotes estudiantins.

« Ou alors… D’accord, mais c’est moi qui paye. » Elle sourit et déclara avant toute réaction. « Pas de discussion, c’est moi qui invite. »