Seconde rencontre [Shiki Katsuragi]

Il aurait très bien pu se trouver sur le terrain, participant à la course. Mais cela ne lui avait pas semblé suffisant. L'organisation avait été un travail fastidieux, et tous les bénévoles s'étaient donnés à fond pour faire de cette rencontre un grand évènement. Avec l'aide de sa mère, il avait parcouru les rues de la ville, de tous les quartiers, faisant du porte à porte afin de sensibiliser un maximum de personnes quant à l'importance de cette course. Evidemment, nombreux étaient celles qui lui avait claqué la porte au nez, cruelles créatures insensibles. Mais le monde réunis en ce jour lui prouva que ses efforts, ainsi que ceux de tout les membres de l'association Make-a-Wish à Keimoo, n'avaient pas été vains.

Dans les vestiaires des hommes, le jeune populaire s'assurait que tout le monde était prêt. Puis il les mena jusqu'au terrain. Il vit plus loin sa camarade, Irydessa, sur la ligne de départ. Elegante et raffinée, elle attirait les regards, y compris le sien. Il avait eu l'occasion de la croiser une première fois, mais sans pour autant faire réellement sa connaissance. Il se dirigea vers les tribunes une fois sa mission terminée. En passant il alla parler à quelques parents d'enfants malades qu'il avait rencontrés quelques jours auparavant. Un peu mal à l'aise, il tourna court aux conversations. Car si Shiki se plaisait dans son rôle de bénévole, en revanche il n'aimait pas jouer les "m'as-tu-vu", en récoltant des éloges qu'il jugeait ne pas mériter. Pour lui, il était normal d'aider ces enfants à réaliser un rêve, sachant qu'ils n'auraient pas la possibilité de vivre suffisamment longtemps pour y parvenir. Ce n'était qu'un coup de pouce qu'il leur offrait.

Lui, n'a pas de rêve. Tout ce qu'il souhaite, c'est réussir sa vie, se rendre utile, rester la fierté de ses parents. Est-ce normal ? Vivre pour les autres plus que pour lui-même ? Pourtant il vivait là un paradoxe. Faire en sorte que ses parents le félicitent est au fond un façon de se satisfaire lui-même. Assez nombriliste tout de même. Il avait conscience de ça, et ça le tourmentait.
Tout en prenant place, il soupira. Qu'allait-il faire demain ? Yun-Jin, Lun, Cammy, Vérité....ces visages passèrent dans son esprit vagabond, en un tourbillon incohérent. Puis une voix le sortit de sa mélancolie.

- Bonjour Shiki. Heureuse de vous revoir.

C'était Irydessa. Douce voix délicate. Il leva la tête. De près, elle était vraiment très belle, telle une poupée de porcelaine. Avec un je ne sais quoi dans le regard, d'immuable. un mystère intouchable.
Le vouvoiement avait surpris le jeune homme. Il savait sa camarade de noble descendance, cependant, il n'arrivait pas à se faire à cette distinction. Au risque de se voir gentiment éconduire, il choisit de lui faire comprendre la notion d'égalité. Il se leva, s'inclina telle la coutume japonaise, lui offrant à son tour un sourire agréable.


- Bonjour, Irydessa. Le plaisir est partagé. Je pense qu'il n'est pas nécessaire de se vouvoyer. Nous sommes camarades et unis pour la même cause.

D'un geste poli, il lui désigna son siège en invitation à s'assoir. Galanterie évidente. Quelques mètres plus loin, quelques élèves, tout sexe confondu, les observaient, séduits par l'élégance des deux populaires.

Shiki ne s'intéressait pas au monde de la mode, mais Keimoo regroupant pas mal d'icônes du mannequinat ou du monde de la musique, il était par conséquent au courant de l'actualité de certains de ses camarades. Des mannequins, il y en avait beaucoup, ça oui. Plus que de musiciens et chanteurs en tout cas. Ces fameuses "Idols" éphémères étaient pour Shiki une sorte d’aberration: célèbres le temps d'une saison, sous prétexte de s'être faites remarquer dans la rue, posant pour quelques publicité de mode, parfum et même high-tech notamment la téléphonie mobile, toujours en totale expansion (aaah Docomo ! ) par rapport aux autres pays... En général, il ne se mélait pas à ce genre de population, sauf raisons exceptionnelles. Irydessa faisait partie de ces fameuses exceptions. Déjà la ligne de vêtements qu'elle représentait était familiale. Et puis, elle n'était pas de ces personnes qui se laissaient submerger par leur égo au point de mal tourner. Elle ne se droguait pas, ça se voyait, et il se demandait comment elle pouvait supporter de toujours être la proie des paparazzis. Il la respectait beaucoup.

Cependant, quelque chose avait particulièrement attiré son attention chez la jeune fille: son étonnante discrétion, et cette ombre au quotidien sur le visage. Cependant il n'avait jamais eu l'insolence de lui en faire part en la questionnant sur ce sujet. Il avait eu subitement envie de mieux la connaitre. Aujourd'hui encore, et malgré l'évènement, elle affichait toujours cet air mélancolique qui ne sautait pas forcément aux yeux de tout le monde, mais cela n'avait pas échappé à ceux du Japonais.

"- Je m'étonne. J'ai noté la présence de journalistes pour un magazine people. Sachant qu'ils ne parleront pas de l'évènement, où si peux, je me demande bien ce qui a pût motiver leur visite..."

Serait-ce de la fausse modestie ? Non, ce n'était pas le genre de l'adolescente. Shiki regarda autour d'eux et, s'il ne l'avait pas remarqué auparavant, bien trop préoccupé par l'évènement majeur, il dut se rendre à l'évidence que la présence de la mannequin justifiait la présence des vautours aux objectifs arrogants et impertinents. Il poussa un soupir. Les canons étaient dirigés vers eux deux. Lui, avait fait en sorte de ne pas attirer l'attention. Il ne s'était vêtu que d'un tee-shirt ample, bleu marine, à l'effigie de la fondation et sur lequel il avait fait poser le blason de l'académie. Ceci par dessus un jean anthracite légèrement délavé et en complément une paire de Converses® noires. Bien qu'en général il s'imposait une très bonne tenue afin d'obtenir la bonne estime des autres (ou plutôt pour lui éviter leur rejet), ce jour était exceptionnel, et en aucun cas il ne désirait attirer le regard. Etre une personne totalement quelconque en fin de compte. Ça avait eu son petit effet, surtout auprès de la gente féminine, malheureusement pour lui.

- La question ne se pose pas, Irydessa. Leurs appareils sont rivés sur toi. Quels malotrus. Enfin, il n'y a pas de scandales à guetter ici, seule la course est digne d'intérêt.

Il devait également se méfier. Il n'aurait pas l'imprudence de se montrer trop proche de l'héritière parce que dans un premier temps, son rang ne lui autorisait pas telle inconvenance (et puis de toute façon, cela ne lui viendrait pas à l'esprit tant l'étiquette lui importait), et dans un deuxième temps, il ne désirait pas voir son image dans un de ces fameux torchons que se plaisant à lire certaines adolescentes et autre ménagères adeptes des ragots en tout genre. Il resta donc concentré sur la course, étirant un sourire en voyant le fils de son voisin de quartier franchir la ligne d'arrivée en premier. Il se leva rapidement pour applaudir. Il se tourna vers sa camarade.

- C'est Makoto Aizawa, un garçon très énergique qui passe son temps à courir, ici, dans le quartier Amani le dimanche
après midi. Je l'ai déjà entrainé. Il a un niveau excellent pour un enfant de 10 ans... Il a commencé à courir en me suivant lors de mes entrainements quotidiens. Il est adorable.

Bien qu'un peu "pot-de-colle", mais ça il le garda pour lui. En effet, le petit Makoto vouait une certaine admiration pour Shiki. Ce dernier lui avait proposé d'accentuer ses entrainements pour ainsi canalyser son énergie. Depuis, il se montrait un peu moins importun par rapport au populaire.

- Je vais aller lui dire deux-trois mots, je reviens. A tout de suite.

Il descendit pour aller féliciter le jeune garçon puis il allèrent ensemble discuter avec les enfants malade et leur parents. Makoto partit ainsi dans une conversation animée avec l'un d'entre eux sous l'oeil avisé et reconnaissant de son senpai. Shiki avait eu une bonne influence sur le garçon, et en était fier. Après quelques minutes, il remonta dans les gradins pour reprendre sa place, laissant les enfants dans un dialogue que seuls eux pouvaient comprendre.