Une souris verte .... [Karen]

Un gros sac de sport en bandoulière, Yun-Jin revenait d’un entraînement exceptionnel de kendo. Il avait pris cher cette fois-ci, les muscles de ses membres lui faisaient mal, et il avait dans l’idée que ça ne partirait pas avec une simple aspirine. Ça, c’était la conséquence directe de son engouement pour ses études. Il ferait bien de se remettre au sport s’il voulait garder la forme. Ou alors, c’était les poignées d’amour sans sommation. Arg, s’il pouvait éviter ça serait mieux. Accompagné par un camarade de Keimoo inscrit au même club que lui, il se dirigea vers les casiers à chaussures, commentant la séance avec entrain.

Spoiler:

Depuis quelques temps, son casier à chaussures faisait office de boîte aux lettres. Une certaine Karen s’amusait à lui répondre par ce biais. Après tout pourquoi pas, c’était un moyen de communication comme un autre, malgré tout peu conventionnel. Mais voilà longtemps que Yun-Jin ne s’étonne plus des agissements des élèves de Keimoo. C’était peine perdue, cette académie était un concentré d’excentricité. Heureusement que leurs enseignements étaient de qualité sinon, il se serait littéralement enfuit. Bref, son rôle de représentant au Comité l’avait poussé à se renseigner sur l’ensemble des élèves – aidé par quelques contacts, il n’était pas consciencieux au point de perdre ses journées à faire l’annuaire de Keimoo – et à contacter ceux dont le profil correspondait à son rôle. A savoir, une sorte d’archétype du bon élève, en majorité ceux qui avaient des bonnes notes et qui se caractérisaient par ce qualificatif. Un peu sectaire, mais il semblerait que ce classement se fasse tout seul. On ne peut pas aller contre l’usage d’une société.

Karen, Karen, Karen … En médecine à Keimoo. Un bon choix, vu le complexe hospitalier dont se dote la ville, mais pas des plus reposants. Au moins de quoi faire la fierté des parents. Il se souvenait des détails qu’on lui avait rapportés, comme le fait qu’elle était américaine – pas difficile avec un nom pareil – et on lui avait bien présenté une photo, mais il avait tellement d’autre chose à penser que c’était passé à la corbeille de son disque dur.

Il s’arrêta cinq minutes avant d’entrer dans le bâtiment, pour finir la discussion. Puis, les politesses aidant, il prit congé de son camarade, ôtant l’élastique qui lui retenait les cheveux. Ça aussi, il allait falloir qu’il s’en occupe, ils étaient devenus un peu trop longs. Il allait simplement faire un check de routine, histoire de voir si elle avait répondu. Ce serait bien qu’ils se voient au moins, une fois, pour peut-être s’échanger quelques mots en face à face. La médiation, ça va bien un temps, mais il n’avait pas trop l’impression de jouer son rôle de sempaï, agissant ainsi. Autant prendre son rôle au sérieux, et le faire de A à Z.

Il venait de mettre son élastique à son poignet quand il débarqua devant le meuble qui s’étalait sur tout le mur, réceptacle traditionnel des chaussures. Son utilisation n’était pas obligatoire, fort heureusement, sinon il aurait fallu un bâtiment entier de rayonnages. Mais il se plaisait à se plier à cette petite tradition nippone. Lorsqu’il releva le regard, il surprit une fille devant les rayons. Deux secondes lui suffirent pour savoir qu’elle ne venait pas y mettre ses chaussures, deux autres pour se rendre compte qu’elle avait les cheveux ….. verts …. Vraiment, que des excentriques… Il n'eut que deux pas à faire pour se retrouver pile derrière elle, la dépassant largement. Et en plus c'était son casier....

- Hey !

Fit-il d’un ton sec. Sans nul doute qu’elle fouillait.

- Je peux savoir ce que tu es en train de faire ?

Invité

Les cours, c’est dur. Ben oué, c’est que, Karen, elle était débordée. Mais débordée de chez débordée. Maintenant qu’elle bossait au fast-food, qu’elle avait eu sa première paye, ça allait un peu mieux. Elle avait réussit à payer son loyer à temps. Le seul hic, c’était qu’on la payait une véritable misère, et que ce qui lui restait passait encore et toujours dans la vodka et dans les bonbons, et qu’elle avait toujours pas de frigo. Ça faisait quand même quasi-deux mois, qu’elle était revenue. Son appartement était toujours vide. Même si « vide » n’était pas franchement le mot, puisque, entre les cartons qui lui servaient de rangements, les paquets de Chupa, les fringues, et tous ses papiers et bouquins pour étudier, on ne pouvait franchement pas dire que c’était « vide ». Quoi qu’il en soit. La petite était complètement crevée depuis plusieurs jours. Et depuis plusieurs jours, également, elle répondait à un certain Han Yutruc. Du Comité. Il lui en avait appris, des choses. Comme, justement, que y’avait un Comité, quoique encore, elle ne soit pas sûre de son utilité, à ce Comité, puisqu’elle n’en avait jamais entendu parler auparavant. Si ça se trouvait, ce mec, c’était juste un déluré qui, dans son complexe de supériorité pathologique, avait inventé tout ce petit système. Peut-être même que c’était même pas un mec, que c’était une fille. Peut-être même que ce n’était pas vraiment quelqu’un non plus, d’ailleurs ! Qui sait. Après tout, hein.

Mais ce n’était jamais qu’une hypothèse, et, après tout, il avait l’air sympa. Il lui proposait son aide, itou, itou. C’est bien que c’était pas un méchant bonhomme. Il avait même dit qu’il verrait pour l’histoire du frigo ! Si c’est pas adorable ? Comme quoi, Karen n’a pas de temps ni l’argent pour manger. Karen n’a pas le temps ni l’argent pour s’acheter un frigo. Mais Karen a effectivement le temps et l’argent pour se beurrer tous les soirs, et répondre régulièrement aux messages d’un illustre inconnu. Et justement, après les cours, aujourd’hui, elle avait une lettre à déposer dans son casier à chaussures, à ce monsieur. Puis après, elle rentrerait tranquillement à la maison, puisque grâce à Dieu, elle ne travaillait pas au fast-food aujourd’hui, après les cours. Alors aujourd’hui, c’était overdose de caféine et révisions, et avant de dormir, un p’tit pack de bière et un bouquin. Et quand je dis bouquin, je dis manga. Parce que oui, son argent passe aussi dans les mangas. Et là, on se dit, heureusement que sa bourse d’étude couvrait aussi la demi-pension, parce qu’elle serait morte affamée depuis belle lurette, autrement. Parce que, évidemment, dîner n’était pas au programme, puisque sa paye d’avril était déjà largement passée en alcool et en sucreries et en d’autres inutilités du même genre.

Karen a écrit:: Han. Ça me fait penser à Han Solo, tu sais, dans Star Wars. M’enfin, j’y connais pas grand-chose, moi, à la Corée.
Bref, juste pour dire, il faut pas s’inquiéter, je gère la fougère ! Je suis sûre, je réussirai bien à me trouver un frigo, à un moment ou à un autre. Ça doit bien se trouver, ça.
Quoi qu’il en soit, merci pour tout !

Ah si, j’ai une question ! Les croquettes pour chats, c’est interdit aussi ?

Bisouus !!
Karen.

Voilà ce qui était écrit. On remarquera ce style, propre à elle-même, qui consiste à utiliser du bon vocabulaire à la Karen, et qui donne cette impression d’oral. Parce que elle, l’expression écrite, ben… c’pas son point fort. Mais soit. On ne peut pas lui en vouloir, non ? Pour elle, c’était important de répondre à quelqu’un d’assez sympathique pour vous accueillir. Et qui vous propose son aide en prime ! Mais comme Karen était de ces saloperies de personnes qui se négligent au profit des autres, elle ne voulait franchement pas le déranger pour des trucs comme son frigo, qui ne regardaient même pas l’Académie. C’était son affaire, voilà tout. Puis, elle ne voulait pas non plus devenir une plaie pour quelqu’un qu’elle ne connaissait même pas. Tout ce qu’elle voulait savoir, c’est si, faute de bonbons, elle ne pouvait pas manger les croquettes du chat. Et comme les casiers étaient sur le chemin du portail, elle s’en alla déposer sa lettre, les écouteurs dans les oreilles. Ahah ! Mais les écouteurs, généralement, c’est dans les oreilles, tout le monde le sait. Et pourtant c’est tellement important à préciser. Avouez que « déposer sa lettre, les écouteurs. » ça veut rien dire.

Mais bref. Ne nous écartons pas trop du sujet initial, soit : la lettre. Bien évidemment, elle était toute tranquille. Ce qu’elle faisait n’avait rien de mal, non ? Alors forcément, elle pose sa lettre sous les chaussures de monsieur, et c’est très sereinement qu’elle décide de s’enfuir vers les portes, après un bref regard sur cette ombre menaçante, derrière elle. La petite n’avait rien entendu, avec la musique dans les oreilles. Non, mais on vous regarde, comme ça. Vous le connaissez pas, le gars, et il vous fixe, mais c’est pas grave, y’a pas de souci. Après tout, elle n’allait pas non plus crier au viol. Cependant, le temps que ça fasse le tour, que peut-être, ce garçon attendait quelque chose de sa part, il aura fallu quelques petites secondes. Karen s’arrêta net, avant de se tourner, cette fois, vers le bonhomme qui la regardait toujours. Mais était-ce bien seulement elle, qu’il regardait ? Parce que elle ne le connaissait pas vraiment. Sa tête lui disait rien. Elle le fixa avec insistance, une ou deux secondes de plus. Le mystère restait entier. Et quel mystère, mes amis. Un mystère mystérieux. Qui mérite que l’on s’y attarde. Il avait l’air constipé, comme ça. Parce qu’il y’a toujours eu un quelque chose, lorsque l’on échange un long regard avec quelqu’un que l’on ne connaît pas, qui, pour en rajouter une couche, fait deux têtes de plus que vous. Un quelque chose qui donne l’impression que cette personne est constipée, la musique aidant beaucoup également. Dans le crâne de la californienne, du moins.

Mais faute d’avoir un doute, puisqu’il pouvait tout aussi bien juste fixer les casiers, elle s’écarta un peu. Sauf que ce regard persistait, et la suivait. Elle répéta le mouvement deux ou trois fois, une fois à gauche, une fois à droite, avant de comprendre qu’il voulait bien quelque chose de sa part. Mais alors quoi, faut pas trop en demander non plus.

- Yo, camarade !, Annonça-t-elle finalement, après avoir retiré l’un de ses écouteurs, tout en soulignant ses dires d’un merveilleux salut Vulcain, Paix et guérison sur ton peuple.

Elle ne savait pas trop si sourire, ça le faisait, pour le coup. Alors elle se contentait de le fixer. Genre, « je suis pacifiste, je viens en paix ». Le souci, c’est qu’elle commença à douter de l’étendue de la notoriété de Star Trek. Parce que tout de suite, c’est moins flagrant, le salut Vulcain. Mais encore, qu’il ne comprenne pas ça, ce n’était pas catastrophique. Ce qui serait catastrophique, ce serait qu’elle l’imagine aux toilettes, constipé, ce qui automatiquement déclencherait un énorme fou rire. Et rien que l’idée commençait à la faire sourire. Parce que, réellement, il avait l’air constipé. C’est pas drôle, la constipation. M’enfin bon, quand même, il semblait… si sérieux. Alors l’imaginer sur la cuvette… Et vint l’idée que peut-être, il cherchait justement un conseil pour se débarrasser de son fléau. Après tout, elle faisait médecine. Ce serait un minimum. Non ?

- ‘Faut manger du chou. Tu verras, après, ça coule tout seul !

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