C'est nous les Barbapapas.

Une fête foraine. Une foire. Un parc d’attractions. Appelez-ça comme vous voulez, cela revient au même. Ce qui perturbe, ce n’est pas la dénomination des lieux, mais plutôt la présence de son éminente majesté Sora Kumori, premier du nom, dans pareille manifestation populaire. Hé bien avant que vous ne criez au loup, sachez, mes enfants, qu’avant d’être une des pires teignes de la ville, ce brave garçon reste un adolescent tout ce qu’il y a de plus normal – ou presque. Et il arrive parfois que les adolescents normaux-ou-presque de son âge aient subitement l’idée saugrenue d’aller passer une après-midi dans la joie et l’allégresse caractéristique de ce qu’on appelle communément une fête foraine.
Après, on peut toujours trouver une ou deux excuses plus valables pour exprimer pareil comportement ; il y en a qui y vont pour se détendre, d’autres parce qu’ils se sentent mal, tristes, ou même énervés. Mais il y a aussi ceux qui y vont, au contraire, parce qu’ils sont de très bonne humeur et qu’ils veulent prolonger cet état euphorique le plus longtemps possible ou même juste pour tuer le temps. Et par la grâce du Ciel, que ce jour soit marqué d’une pierre blanche, puisque notre rouquin faisait subtilement office de pont entre ces deux dernières catégories. Une grande première, d’ailleurs ; ces derniers temps avaient été particulièrement éprouvant, surtout pour son entourage. L’Homo Sapiens Sapiens Soriens est connu par son caractère explosif et ses accès de colère tout aussi incontrôlables que dangereux. Un peu comme un gorille à qui on a piqué sa banane, mais en moins velu. Et en un peu moins lourd, aussi. Oh, quoi que.

Enfin, passons. Cela devait faire une petite heure que notre rouquin arpentait ces grandes allées festives, et Dieu merci l’euphorie candide naturellement provoquée par cet endroit commençait à s’estomper graduellement. Un Sora avec plein de petites étoiles dans les yeux et excité comme une puce c’est mignon, mais c’est surtout flippant lorsqu’on connait le personnage. Et puis, il avait une réputation à tenir, que diable ! Depuis quand les racailles se transforment en bisounours hyperactifs dès qu’elles font quelques pas dans un parc d’attraction ? Intolérable. Enfin, remarquez, la présence d’une racaille en ces lieux était suffisamment absurde et incongrue en elle-même, mais que voulez-vous ? Tout le monde a le droit de s’amuser, après tout.
Et si vous soutenez cette thèse, laissez-moi vous rappeler l’une des raisons pour laquelle ce groupuscule soit en pareille voie de disparition sur ces terres hostiles ; j’ai nommé les "Enfants". Il n’y a pas plus efficace en terme de braconnage, croyez moi. Ca braille, ça piaille, et surtout, ça chiale. Bien plus que ne peut en supporter la délicate ouïe de notre protagoniste (Remarquez, elle doit être un peu dérèglée, puisqu’elle tolère le rap). Et quand une de ces petites pestes décide de s’égosiller les poumons dans vos oreilles, il n’y a que deux options pour y survivre ; la fuite, ou l’affrontement direct.

Seulement voilà, la fuite, c’est pour les losers, les lâches, les pleutres, les… ! Bref. Pas pour les Sora, quoi. Remarquez que s’il y avait réfléchit à deux fois, le Sora en question aurait opté pour une " retraite stratégique" des plus adéquates. Mais non ! Une fois de plus, cette armoire à glace dénuée de toute logique n’a brillé ni par son intelligence, ni par sens de l’analyse. C’est pourquoi, lorsqu’une petite créature gluante et morvante s’accrocha à sa jambe en lui faisant découvrir toute l’étendue de son potentiel sonore, notre pile sur patte se transforma miraculeusement en la réincarnation de Bouddha. Comprenez par là qu’avant de désosser la bête pour la transformer en puzzle en 3D interactif, il eut la curiosité de lui demander la raison d’un pareil abordage oublieux du code réglementaire de la piraterie.

« J’vouz’avais prit pour mon frère ! », qu’il a dit. Enfin, plutôt, qu’il a baragouiné entre deux sanglots. Ah ! Comme si Sora avait la tête du grand frère aimant et bien intentionné. Remarquez, on lui pardonne. C’est tellement mignon à cet âge-là –c’est-à-dire à six ou sept ans, à confondre les mûres et les framboises, et à vouvoyer tout le monde. Même ceux qui, d’ordinaire, sont relégués au rang de moins que rien même par les pires ordures que cette planète aie jamais porté en son sein.

Mais passons, là n’est pas là question. La véritable question justement, c’est plutôt « Pourquoi diable continuait-il à coller Sora après que celui-ci lui ait démontré par a+b qu’il n’était pas son grand frère adoré ? » Les koalas ont beau être adorables, personne n’en voudrait à la maison. C’est un peu pareil avec les gosses. Mais dans les zoos, les koalas restent bien sagement dans leur cage, alors que là… Hé ben, une fois qu’il vous a attrapé, il ne vous lâche plus.
« J’le vois pluuuus ! Aide-moi à l’retrouver ! » Et hop. Ce qui est fascinant chez les gamins, c’est leur promptitude à passer du rire aux larmes –et inversement, en l’occurrence- mais surtout à ne pas réaliser à qui ils adressent la parole. Et zoup, envolé, le petit vouvoiement qui le rendait si adorable. On notera aussi l’effroyable culot pourtant involontaire dont le petit faisait preuve pour transformer ce qui était censé être une question en ordre sans équivoque. Et le pire dans tout ça, c’est que notre rouquin avait beau refuser catégoriquement, la sale petite peste lui collait toujours aux basques comme une moule à son rocher, recommençant à verser les grandes eaux.

Ah mais, ce n’était pas un sale marmot dans son genre qui allait lui donner du fil à retordre, après tout ! Si même Sora laissait un morveux lui marcher sur ses plates-bandes, ou allait le monde, je vous le demande ! Dans toute sa détermination, il opta donc pour la solution la plus simple. C’est-à-dire…Faire ce qu’il lui demandait. Pas très honorable pour un mauvais garçon qui aime jouer aux durs, j’en conviens. Mais comprenez-le ; tant qu’il resterait à la fête foraine, cette huître bipède le suivrait partout et lui ruinerait son après-midi, et s’il s’en allait, soit ce serait reconnaître sa défaite, soit il risquait là aussi de le suivre, et là crac badaboum, les flics du coin seraient fichus de lui tomber dessus en criant au kidnapping, à la pédophilie ou que sais-je encore !
Ce n’était absolument pas parce que laisser un pauvre petit bonhomme sans défense, perdu seul dans ce monde d’adultes au point d’en pleurer toutes les larmes de son corps, lui fendait le cœur. Non non non. Du tout.

Bref ! Je récapépète.
1) Sora est de bonne humeur.
2) Sora est allé faire un tour à la fête foraine de son plein gré
3) Sora joue à l’assistant social –ou au babysitteur si vous préférez- pour un gosse qu’il n’avait jamais vu jusque-là.
En conclusion, la fin du monde est proche, j’en ai bien peur. Mais puisqu’elle n’est pas encore arrivée, autant finir ce récit, tout aussi absurde soit-il. Donc, en brave défenseur de la veuve et de l’orphelin, notre brave Chevalier Sora était partit en quête de… D’une personne dont il ne connaissait rien, si ce n’est qu’il était le frère de son employeur. Voilà. Et c’est en réalisant ce petit détail qu’il s’enquit de plus de détails concernant l’homme en question, demandant notamment au petit Prince pourquoi l’avait-il confondu avec ce dernier. Malheureusement, pour toute réponse il n’eut qu’un « Parce qu’il est grand et qu’il a les cheveux comme toi ! ». Enfin, "malheureusement". Normalement, au Japon, il ne devrait pas y avoir tant que ça de grand rouquins. Normalement, puisqu’après tout, on dirait bien qu’il y a autant -si ce n’est plus- d’étrangers à Keimoo que de japonais pur-sang.

Mais quand bien même, ce ne devrait pas être si difficile que ça à trouver. En plus, si son homme faisait à peu près sa taille, il devrait dépasser un tant soit peu de la masse de la foule, au cas où son extravagance capillaire ne serait pas assez voyante. Décidé à mettre un terme à toute cette mascarade le plus vite possible, le jeune homme prit donc la main de son petit protégé avant de l’entraîner çà et là dans le dédalle des allées.
Il lui fallut une bonne douzaine de minutes avant d’enfin localiser sa cible, mais alors qu’il approchait de son objectif le cœur léger, notre brave chevalier essuya un tir ennemi en pleine tête. C’est fourbe. Et puis, les embuscades, c’est d’un vieux-jeu…! Notre héros ne put se retenir de pester lourdement, et encore, s’il n’avait pas lynché l’impudent sur la place publique, c’est bien parce que son petit frère l’aurait fixé tout du long avec ses yeux mouillés et son air de chien battu, en hurlant à la mort. Calme, Sora, reste calme.
Portant une main à son auguste tignasse qui avait donc été blessée au cours de la bataille, il s’apprêtait à accomplir son destin quand il se rendit compte d’un détail capital : c’était de la barbe-à-papa. Or, nous le savons tous, si Sora est connu pour son instabilité, il l’est également par son addiction compulsive à tout ce qui est sucré. L’embêtant, c’est qu’à peine avait-il prit le temps de le remarquer que l’oisillon avait quitté le nid. Comprenez par-là que son agresseur essayait de lui fausser compagnie.
Il le rattrapa pourtant en quelques enjambées, et lorsque ce dernier fit volte-face pour défendre son bifteck, notre bon samaritain du jour eut un sourire narquois. Avant toute parole, il lui déroba subtilement sa barbe-à-papa, se justifiant par un « En premier lieu, je vais réquisitionner l’arme du crime. Estime-toi heureux que je ne te demande pas d’effacer les preuves de tes méfaits, gangster de pacotille. »
Du moins, pas pour l’instant. Il reprit, après avoir savouré une bouchée de ce sucre rosé, d’un ton plus détaché. « Et ensuite… Ce s’rait pas à toi, ça, par hasard ? » Le "ça " désignant bien évidemment le marmot dont il tira la main pour le lui présenter, le faisant avancer de quelques pas devant lui.
Finalement, ce n’était peut-être pas une si mauvaise journée que ça, puisqu’après tout, il a bien gagné une barbe-à-papa dans l’histoire. Reste à voir si elle valait la peine de remuer ciel et terre comme il l’avait fait.