Le cas Nori

PV - Nori


Des semaines sont passées, Yui Valentine a eu le temps de s'imposer et de proclamer voire de s'auto-acclamer sa position au sein de la direction. Pas de résistance, accord tacite, il continue d'éplucher les dossiers d'élèves entre les réunions à n'en plus finir. Jamais il n'aurait cru qu'être directeur impliquait tant d'administration et finalement, l'absence de Shiori Ashita s'expliquait (éventuellement) bien qu'il ne pardonnait pas tout. Le bordel délaissé par cet absentéisme avait fait stagné toute l'école et les choses qui traînent sans objectifs, les prolongements incessants et fastidieux de situations inexpliquées, Yui Valentine déteste ça.

Aujourd'hui, il retrouvait ainsi un autre élève.

Nori Yamagashi. Une note était restée épinglée sur son tableau de bord, et il avait oublié pourquoi il devait voir ce garçon mais il n'allait pas tarder à le savoir. À devoir donner de la tête partout, Yui a développé ces derniers temps un don inné pour l'improvisation éloquente en situation inconnue. Il se retrousse les manches, et boutonnées, elles ne montent pas bien haut sur ses poignets; elles retombent. Geste inutile, il aura tout de même quatre minutes et un paquet de secondes de retard: le temps de poser une pile de livrets sur son bureau, dévaler les escaliers à pieds et traverser l'académie pour une des salles de permanence. Nori, c'était facile à retenir.

La porte s'ouvre rapidement, ils ne seront que deux dans cette salle de permanence aujourd'hui et avant de rentrer, Yui y colle un post-it sur lequel il a griffonné, lui et son écriture moche de grand docteur: Salle réservée de 10:00 à 11:00 - Yui Valentine. Etre au sein de l'administration privilégie quelques pouvoirs, comme celui d'interrompre n'importe quelle réunion pour donner une priorité plus importante aux siennes, ou comme aujourd'hui, de bloquer des salles à tout va alors qu'il a son propre bureau quelque part dans les étages supérieurs. Il rentre, d'un pas certain et aperçoit une tête rouge. Cinq minutes.

- Bonjour Monsieur Yamagashi.

La voix de Valentine ne porte pas vraiment alors qu'il s'approche et s'assied sur une des tables parmi les rangées du milieu. Yui Valentine aime occuper l'espace, -tout l'espace, qui lui est attribué. Aussi n'indique-t-il pas de place particulière à l'élève.

-Comment allez-vous.

Yui lève enfin le regard sur le jeune homme.
Comme à l'ordinaire, c'est un regard inquisiteur qui cherche à comprendre avant même d'avoir à le faire.
Aujourd'hui était le jour où Nori devait se rendre, après avoir reçu une convocation dans son casier. Son rendez vous se passe ici même.

-Vos cheveux sont très rouges jeune homme.

Tout comme les siens sont très blancs, dirlo. Marv le disait vieux, Sakutaro jeune. Un peu plus ou moins de temporalité était le genre de question sur lequel Yui pouvait passer des heures à développer mais il décide de se taire pour entendre la voix du garçon.

En sortant du cours de neuf à dix heures auquel il avait daigné assisté , il passa dans le hall. Dès qu'il pouvait , il allégeait le contenu de son cartable. Aujourd'hui , un petit mot. Une invitation pour un mariage , un enterrement , un rendez-vous galant . Et bien non... une convocation chez le directeur adjoint. Soupir. En salle de permanence en plus , un étage à grimper avec des béquilles. Va pas falloir se plaindre qu'il sèche les cours si on lui met les rendez-vous pendant ceux-ci , après. La salle de permanence. C'est pas où il avait fait un pseudo cours de soutien avec trois filles qui l'avait profondément ennuyé ? Si , ça doit être ça. Soit. La salle est toujours autant monotone , et le ciel s'assombrit. Il va pleuvoir. C'est son interlocuteur un peu fan du lapin blanc qui chantonne ?

Un post-it sur la porte , écrit à la va-vite. Il est pas très soigneux , ce proviseur adjoint. A moins que ce soit le concierge. La porte est ouverte. La configuration de la salle n'avait pas changé. Alors l'enfant s'était assis devant. Il déposa ses béquilles sous la table. Le directeur adjoint était en retard. Après cinq minutes d'ennui profond du jeune Yamagachi , il ose enfin se présenter.

- Bonjour monsieur le directeur adjoint donc j'ignore le nom...enfin..c'est bien vous le directeur adjoint ?

Celui-ci se plaça au milieu de la salle. L'enfant sentait aussi mauvais que ça ?

- Un petit souci d'équilibre comme vous pouvez le constater , mais je vais bien. Et vous ? Il rit. Il pourrait répondre honnêtement. Que les cours l'ennuyaient , trop faciles pour lui , mais les professeurs ne comprenaient pas. Comment un élève qui a soit disant des facilités pouvait ne pas faire ses devoirs , s'endormir en cours et simuler des nausées ? Comment il pouvait répondre au professeur , sauter la cantine , et même maintenant les clubs ? C'est sûr que ça pouvait inquiéter Monsieur le directeur adjoint , tout cela. Le directeur était.. bizarre. Des cheveux blancs , mais l'air jeune. Pas gris , blancs. C'est étrange. Il aurait bien envie de lui demander si c'est sa couleur naturelle , mais il croit que le but du rendez-vous n'était pas d'échanger sur leurs couleurs de cheveux respectives. Mais après tout , peut-être voulait-il féliciter Nori de ses excellents résultats et qu'il voulait directement le mettre en master  , tiens. Ca serait amusant.

- Et vos cheveux sont plutôt blancs. C'est naturel ?

- Qu'est ce que je fais ici ? C'est pas étrange de me faire rater les cours quand je suis déjà absentéiste ?

Certes , il jouait la carte de la provocation. Mais pendant un temps , ça lui permettrait de cacher son stress et son mal-être. On verra bien quelle forme va prendre ce petit rendez vous. Il avait intérêt à faire vite par contre , il avait envie de dessiner.

Devant la spontanéité qui semble donner le ton de ce début de conversation, un éclair amusé strie le regard de Valentine. Il prend le temps de dévisager le lycéen en face de lui à plusieurs tables devant, et se décide de donner suite avec un instant de retard.

-Vous me l'auriez dit, je me serai déplacé au rez-de-chaussée. Enfin... puisque vous êtes là.

Yui Valentine s'adosse sur le siège, à peine plus confortablement, mais ça n'efface pas vraiment son allure droite habituelle. L'élève assis là bas lui semble un tantinet lointain, tout compte fait.

-Monsieur le directeur adjoint ? répète Yui d'une voix doucereusement amusée. On aurait presque dit un murmure. -Est ce que je vous appelle monsieur l'élève moi? Allons. Monsieur Valentine devrait suffire.

Il réfléchit puis ajoute d'un ton absolument certain.

-...Je crois.

Il balaye l'air d'un revers de la main et jette un coup d'œil sur l'ensemble de ce qui lui est donné de voir de cette salle neutre, sans avoir à tourner la tête. En écoutant Yamagashi, il se relève déjà, pour commencer à entamer les quelques mètres carrés qui vivent dans cette pièce: à rester assis toute la journée, Yui s'en laisserait fondre sur sa chaise. Ses pas sont lents, tranquillement impactés contre le sol, il est à penser sur ce que le garçon lui dit, il est sur son terrain habituel de réflexion. L'aisance dans ces moments là est ce qui le décrirait sans doute.

-Un accident à l'école ? s'enquit-il en glissant un regard sur les béquilles au sol.

Valentine se sent observé et il s'appuie les deux mains sur la table. Il est maintenant à l'exact opposé du garçon aux cheveux flamboyants. Est ce que ses cheveux à lui sont naturels, est une question qu'il ne se souvient pas avoir eu. Il émet un rire, trop court, trop silencieux, on ne sait pas s´il apprécie la question mais il y donnera tout de même une réponse. Rien ne se passe rapidement en présence de Valentine; le temps dévore tout ce qui tente de s'en échapper, Yui Valentine lui même.

-D'un naturel ils ne sont pas très foncés. Cela dit, c'est artificiel.

Le directeur adjoint se redresse, il continue sa ballade lente, fluide, indéterminable dans la pièce. Est ce qu'un chapelier est un fantôme, est soudain une question qu'il a envie de poser à cette tête brûlée de Mitsumasa. Il contourne la table et poursuit sa route invisible qui l'achemine un peu partout et nulle part à la fois. Pourtant, il ne vient de faire qu'un pan de mur à peine. Les cent pas de monsieur Valentine.

-Ce que vous faites ici ? Et bien c'est bien pour le savoir que vous et moi nous retrouvons là. Vos absences sont trop nombreuses, Nori.

Un soupçon de reproche. Il ne comptait plus les élèves qu'il avait jadis reçu dans son bureau pour cause d'absentéisme. Il ne les comptait plus, il ne les compterait jamais vraiment. Yui Valentine se fichait de la morale derrière, mais un élève absent était par conséquent, un élève sous la responsabilité de l'école en cas de pépin. Un pépin et bang dans les dents vas y l'administration à tout va. Du boulot, Valentine en avait assez pour vouloir se faire à ces aléas de la vie qu'il fallait forcément coller sur le dos de quelqu'un. Ainsi dit, c'était sans doute plus facile.

-Si ce n'est pas étrange où si ça l'est... Trop de choses le sont déjà assez pour rajouter celle-ci. Allons bon Nori Yamagashi. Pourquoi cet absentéisme à n'en plus finir? Vous me causez beaucoup de papiers, enfin, à l'administration j'imagine, suffisamment pour nous déclencher cette entrevue.

Yui soupire, résigné.

-Alors parlez moi et peut être qu'enfin de compte nous nous enlèverons rapidement et mutuellement une aiguille du pied.

Jeune , finalement. Peut-être que le directeur adjoint buvait un café et qu'ils lui ont envoyé le premier surveillant qu'ils ont trouvé. En tout cas , si c'est le directeur adjoint...il est passe partout. Pas le genre de directeur psychorigide avec lunettes rectangulaires. Même si il a une tenue correcte , il ne fait pas partie de ce genre là. Pourquoi ne reçoit-il pas les petits absentéistes dans son bureau autour d'un thé et de petits gâteaux ? Ca serait plus convivial. Le gosse aurait préféré un rendez-vous au salon de coiffure , sinon. Il aurait pu faire couper un peu ses cheveux. Au moins , cette heure perdue aurait servi à quelque chose... alors que là , à part assouvir la curiosité de monsieur Valentine , ça ne sert pas à grand chose.

- C'est pas super comme lieu de rendez-vous ici. C'est la salle du cours de soutien de mathématiques. Je crois. Le prof est sympathique , mais ça reste des maths.

On va pas lui reprocher d'être trop poli , non plus. Déjà , le directeur adjoint arrive dans la salle sans se présenter alors qu'il connaît déjà le nom de l'élève. Ce n'est pas très gentil.

-Vous ne vous êtes pas présentés en arrivant , monsieur Valentine.

Un accident à l'école. En effet. Où voulait-il qu'il se soit fait ça ? Les lycéens ont très peu de temps pour sortir de l'académie. Alors à part bousculer une jeune demoiselle portant des prothèses , il n'y a pas beaucoup de moyens de se faire une entorse à la cheville , monsieur Valentine.

- Oh. Je suis accidentellement rentré en contact avec une demoiselle dans la cour. Heureusement , celle ci s'en est sortie sans une égratignure. Quand à moi , j'ai seulement une entorse à la cheville. Rien de grave.

Alors comme ça ce n'était pas une couleur naturelle. Il s'en serait douté. Quoique. Il aurait pu être albinos et mettre des lentilles. Oui , c'est cela. Mais bon. Si ça l'amuse d'avoir des cheveux de grand-père , c'est son choix. Ca fait un peu " je me suis pris une boule de neige sur la tête". Mais ce n'est rien. Passons.

- Je vois. Mais ce n'est pas très discret , comme couleur. Quoique. Je ne fais pas mieux.

Des absences trop nombreuses... tout de suite les grands mots. Il a de bonnes raisons. Il est largué , ici. Les cours ne lui correspondent pas. Beaucoup trop...académiques. Que du par cœur. Des notes , des notes , des notes , des classements. Il en avait marre.

- Je ne sais pas si l'équipe pédagogique a bien fait son travail. Si c'était le cas , vous devriez savoir que j'ai eu quelques légers problèmes de santé. Des troubles alimentaires. Même si je vais mieux , je suis encore faible physiquement. Donc dès que je me sens trop fatigué , je vais me reposer dans ma chambre. C'est pour mon bien , monsieur Valentine.

Il souffle. Il parle trop. Un peu trop compte tenu de son statut face au directeur adjoint.

- De plus , les cours sont abstraits pour moi. Les maths , je n'y comprends rien. Je n'ai pas beaucoup de logique. Et dans les autres matières , il faut tout savoir par cœur. Si vous me demandez de vous analyser un texte que j'ai sous les yeux , je le ferais sans aucun problème. Par contre , si vous me demandez de vous restituer tous les cours depuis le début de l'année... je n'y parviendrais pas. Je ne vous implore pas de changer la façon d'enseigner des professeurs , monsieur Valentine. Juste de comprendre que cette méthode d'enseignement me fatigue intellectuellement. Ca me demande trop d'efforts.

Il en a déjà trop dit. Au moins , l'entretien sera rapide.

Yui traverse la salle et se dirige vers le tableau, derrière l'étudiant. Il étudie les angles, le rebord, la surface lisse, blanche et prête à l'usage de violents coups de marqueur au profil des quelques dizaines d'yeux. Il laisse parler Nori, il le laisse commenter tout son saoul. Après tout c'est pour l'entendre que le directeur adjoint est descendu. Il saisit un feutre, le fait jouer entre ses phalanges, puis le repose sur son rebord.

-Ma foi, badine-t-il, rappelez moi de vous convoquer dans le parc d'attraction de la ville la prochaine fois. Cela dit ne vous trompez pas d'attraction devant lequel nous nous donnerons rendez-vous, c'est important. Vous savez, le bruit, des gens... Éventuellement quand votre cheville sera remise, je m'en voudrais autrement. Vous en avez pour longtemps ?

Valentine décide enfin de contourner la table, celle où se tient l'élève. Il tire une chaise à lui et vient se placer pile en face du jeune homme, avec la sensation opposée que tout à l'heure: trop proche.  Il n'y a plus qu'une vulgaire table qui sépare les deux entités. Il regarde le garçon, jette un coup d'oeil de côté pour revoir quelque chose sur la cheville.  

Et il se redresse, paisiblement.
L'élève l'ayant déjà présenté de lui même, les présentations sont faites. Après tout Valentine se fiche d'être n'importe qui d'autre.

-Vous aimez les formalités ?

Il laisse le garçon parler de nouveau. Il en a beaucoup sur le coeur visiblement; et sans détourner les yeux, Valentine fixe adroitement ceux de l'élève en train de parler. Il y en avait plein d'éléments à prendre en compte, déjà. Des cheveux, des béquilles, des salles, des présentations et des troubles par ci par là. Des maths, de l'enseignement. Rien de trop anormal à priori. Yui Valentine ne s'émeut plus vraiment des états d'âme de jeunesse, encore moins depuis qu'il a commencé ici il y a des années de cela. C'était une distance personnelle, c'était une attitude professionnelle, rien de plus, rien de moins. Des leçons, des professeurs, de la faiblesse et beaucoup de faiblesse. L'élève qui parle lui peint un tableau complet à travers des mots qui se bousculent dans tous les sens. Tout d'un coup, Yui Valentine a l'impression d'être le père noël en face d'un enfant qui aurait explosé sa liste de vœux. Alors Valentine pose les mains sur la table, de son air serein. Il est difficile de dire s'il va rire, s'il a ri, s'il se moque ou si c'est vraiment un calme plat qui l'habitude à cet instant. Ça pourrait être de tout, ça pourrait être de rien.

-Bien. De l'absentéisme, des troubles alimentaires, de la frustration. Et quels sont vos efforts?

L'entretien ne s'avérerait pas si rapide, finalement.
Il réfléchit aux points fraîchement mentionnés.

-Vous avez raison ça manque de thé par ici.

Et le directeur adjoint croise les bras.

Il est bizarre ce directeur adjoint. Sûrement aussi bizarre que lui. Il arrête pas de se balader dans la salle , il va finir par lui donner le tournis celui-là. Il peut pas rester assis deux minutes ? Il doit passer son temps à courir toute la journée , et quand il a un petit moment pour s'asseoir , il continue. Ça devient maladif.

- Ah , vous êtes multifonctions vous. Directeur adjoint et animateur pour enfants. Deux beaux métiers , monsieur Valentine.

Il rit intérieurement , avant de souffler une poussière ayant atterri sur sa chemise parsemée d'imprimés nuages. Tiens , il n'avait pas encore parlé de sa tenue. Fort étonnant. Pourtant , aujourd'hui , il n'était pas habillé de façon classique. Une chemise avec des petits nuages , et un bas violet. En chaussures , ses Docs. Et sa peluche Pikachu. Il ne voit pas en quoi cette tenue est inadaptée à l'enseignement scolaire , voyons.

- Oh , je ne sais plus ce qu'a dit l'infirmière. Si c'en était une. Quelques semaines , je suppose. Mais nous ferons notre sortie au parc d'attractions , ne vous inquiétez pas.

Cet entretien est drôle , finalement. Il est pas si coincé que ça , le directeur adjoint. Un peu comique. Quel âge pouvait-il avoir ? Trente ans ?

- Je n'aime pas qu'on me reproche quelque chose si la personne qui me fait ces reproches ne l'a pas fait elle-même. C'est idiot.

Il l'avait traité d'idiot indirectement ? Peut-être. Mais ce n'est pas grave. Bon , au moins il sait retenir les éléments importants d'un discours. C'est déjà pas mal.

- Me lever pour venir en cours. Assister aux cours dans la mesure du possible. C'est déjà bien , monsieur Valentine , vous en trouvez pas ?

Il rit à nouveau. C'est vrai que c'était déjà un bel effort , mais le directeur adjoint ne s'en rendait sûrement pas compte.  C'est dur de se lever le matin quand on a presque pas la force de tenir debout. En plus avec une cheville un peu défaillante..

- Je n'ai jamais bu de thé , je crois.

C'est vrai qu'il avait des goûts...étranges. Ses préférences alimentaires se faisaient par phases. Pendant une semaine , il pouvait se nourrir exclusivement de soupe miso puis détester ça ensuite.

Pourquoi le directeur adjoint voulait le voir ? Y'en a des dizaines , des étudiants bizarres ici. Il y a des cas bien plus importants que lui. Il est artiste , lui. Faudrait plutôt s'occuper des rebelles et des racailles qui mettent le bazar. Lui il allège juste les effectifs , pas mal non ? Il ne comprend pas pourquoi l'administration perd son temps avec lui...il n'a jamais eu le rendez-vous avec le médecin scolaire demandé par l'administration sur son bulletin pour sa non participation en cours de sport par exemple , ni de courrier à son responsable légal pour ses notes en baisse.

Il y a une pause, un froissement textile.

-Vous êtes un peu victime de vous même en ce moment, n'est ce pas ?

Victime de soi à s'en rendre malheureux. Valentine a baissé d'un ton mais ses mots résonnent toujours aussi distinctement. Il étudie le garçon comme s'il y avait inscrit des lignes sur son corps, il scanne cette individualité de long en large et en travers. Pas de mouvements de la rétine, c'est une inquisition mentale. Il ferme les yeux un instant. Quand il les rouvre, une lueur agacée passe sans retenue. Il siffle.

-Qui vous oblige de venir en cours ? Ne vous levez pas. Ne vous réveillez pas, ne vous battez pas pour venir dans cette école.

Un sourire fielleux.

-Je vous fais un mot d'excuse, je l'envoie à vos responsables légaux demain. Ne vous forcez surtout pas. C'est important.

Il a souri, platement.

-Important.

Valentine se lève, il a terminé sa contemplation. Il se dirige vers la fenêtre, qu'il ouvre pour appuyer tout son côté sur le rebord. Des élèves passent, des professeurs en contrebas discutent dans quelques discussions amenées à être éphémères. Il a oublié le paquet de cigarette à son bureau, sa foi le regrette. Il perd son attention sur ces vies qui grouillent à quelques mètres de lui, il voit le concierge Thornberg pester tout seul là bas, dans cette photographie mentale qui lui va bien. Coda qui passe, Yoshida qui ferme la fenêtre. Jusqu'au moineau qui picore sur l'allée déserte. Les instants comme ça, Yui aimerait qu'il pleuve en plus.

Nori Yamagachi fait partie de ces têtes brûlées qui devraient voyager plutôt que de rester en cours. Voyager pour voir le monde, partir voir les autres pour la nouveauté et les nuances de la vie. Le jeune homme fait partie de ces impressions restantes dont les relents sont ceux d'un esprit étouffé et rongé par ses propres aléas. Ceux à qui il manque un miroir pour réellement voir leur reflet vis à vis de l'univers et ceux à qui il est devenu impératif de se recentrer sur eux même à défaut de suivre le monde. Ce n'est pas de l'arrogance, c'est une forme de naïveté, ce n'est pas de la provocation, mais de la maladresse  dans une société où les bonnes mœurs sont déjà incrustées depuis la nuit de tout les temps. Maladresse sociale.

Pourquoi.

Portrait d'élèves, extraits de quelques notes rédigées des années plus tard - (...) "Vous êtes multifonctions vous. Directeur adjoint et animateur pour enfants. Deux beaux métiers , monsieur Valentine." voilà ce qu'un de mes élèves me sortit d'emblée, un jour. Il riait, il provoquait mais au final il ne croyait pas si bien dire. À cet instant, je savais avoir été tagué de ces rôles sous le regard désinvolte d'un gamin singulier et c'était exactement ce qu'il me semblait être en face de lui. J'avais devant moi un individu ayant grandi sans coussin pour amortir le canal entre ses pensées brutes et ses paroles, sans miroir pour rappeler son reflet par rapport au reste du monde. Peut être, qu'il valait mieux qu'il en soit ainsi. Peut être.
(...)

Nori avait à ses yeux à peu près tout sauf une personnalité commune aux japonais hormis peut être son nom et son prénom.

-Quand vous êtes dans un environnement et que vous savez que ce dernier ne changera pas, il vaut parfois mieux ne pas s'échiner à vouloir le faire et regarder ce que soi même peut faire pour s'y adapter un minimum.

Son regard croise l'attention du concierge à la fois qui articule sans voix (il lui semble) Jas-mi-ne et à qui Yui se retient de lui lever lentement un doigt d'honneur avec un air le plus assurément sérieux. Le Thor de cette école est une plaie. Il lève la voix, posée.

-Vous devriez essayer de nouvelles choses.

Victime de soi-même ? Peut-être. Sa famille n'était pas au courant qu'il était surdoué. Qu'est-ce que ça pourrait leur faire. Ils l'avaient toujours scolarisé normalement. Quand on a eu les résultats des tests demandés par l'école , sa tante n'a pas souhaité les savoir. Le jeune homme ne sait même pas si elle ouvre les courriers envoyés par l'école où si elle répond aux nombreux appels de celle-ci pour ses absences et retards. Elle a sûrement été averti de sa petite chute.

- Je crois que ce n'est pas nouveau ça , monsieur Valentine.

Il sourit. Il a toujours eu du mal socialement , depuis qu'il est tout petit. Mais bon , le directeur adjoint doit être fier de sa découverte.

Il lui dit quoi , le pseudo-directeur adjoint aux cheveux blancs là ? De quitter l'établissement ? C'est sûr que ça ne ferait pas baisser leurs statistiques , au moins. Il n'arrive pas à savoir si il fait de l'ironie ou non. Il ne comprend pas que si il ne vient pas en cours , c'est car ça l'ennuie. Ca le fatigue. Les gens de sa classe lui glissent parfois , au détour d'un couloir. " T'es trop bizarre en ce moment , Yamagachi. T'es amoureux , ou quoi ?". Non , il n'est pas amoureux. Il sort juste d'une maladie exténuante , où il a fait des efforts considérables pour passer quand-même dans la classe supérieure. C'est tout. Enfin. C'est déjà assez.

- Dites moi si vous sérieux , Valentine. Si oui , je veux rester scolarisé ici. Je suis un très bon élément , ce serait dommage de me perdre , n'est-ce pas ?

Il rit.

-  Si vous êtes ironique , alors parlez-moi clairement. Je ne comprends pas l'ironie.

Essayer de nouvelles choses. Il examine mentalement les différentes possibilités. Premièrement , se désinscrire de l'établissement. Avantages : il ne s'ennuierait plus en cours. Désavantages : il passerait ses journées chez sa sympathique tante qui n'a sûrement pas envie de l'avoir à charge en permanence. Deuxièmement , essayer de s'adapter aux cours dispensés ici. C'est-à-dire venir en cours , tenter de prendre des notes et participer puis en rentrant dans sa chambre , bosser. Avantages : de bonnes appréciations sur son livret scolaire. Inconvénients : beaucoup d'efforts à faire pour se remettre à niveau. Devoir remettre les pieds au cours de soutien. Retrouver ses cahiers dans sa chambre. Troisième solution , essayer de négocier pour aménager son emploi du temps , à savoir mettre des cours de soutien pendant les heures de sport car il est dispensé pour le moment , par exemple. Avantages : il ne passera pas le cours de sport à dormir. Inconvénients : cela ne sera sûrement pas accepté.

- Je vais essayer , monsieur Valentine. Mais dites-moi ce qu'il est possible de mettre en place pour améliorer mon... cadre de vie au sein de l'Académie.

-Non Nori, à mes yeux vous n'êtes pas encore un très bon élément, ceci est votre fabulation.

Le directeur adjoint se retourne et s'adosse à la fenêtre pour observer le garçon. Yui Valentine sait se montrer d'une franchise qui dérange. Il croise les bras et réfléchit à la question. L'académie offre le meilleur enseignement du pays, les professeurs sont passés au crible pour venir enseigner dans et établissement. Les étudiants disposent d'un cadre de vie idéal qu'ils n'auraient sans doute nulle part ailleurs, ni ça, ni le prestige de cette académie. Peu importe du qu'en dira-t-on, peu importe les superficialités qui jaseront, la renommée de cette école est érigée par les élèves motivés, à la pointe de leur spécialités et dont le savoir vivre avec autrui est primordial. La vie des clubs et la vie scolaire dépendent de ces qualités et Valentine maintiendrait cette vision là. Si la maladie et la folie de certains empêchent le bon déroulement de leur scolarité, alors cet établissement est le dernier des endroits où s'inscrire, son campus n'est pas érigé pour. Il ne dispose d'ailleurs pas d'infrastructures adaptés pour remédier à ces problèmes.

C'est pourquoi, ceux qui passent leur temps à geindre ne peuvent pas être de bons éléments. Nori Yamagachi, voulant rester et faire des efforts, Valentine songe.

-Il y a des tas d'élèves qui tueraient pour avoir votre place mon garçon. Et à grande échelle, certains n'ont ni accès à l'enseignement de prestige, ni accès à l'éducation. Entendre de votre part que vous lever pour aller en cours, et que ces derniers vous ennuient m'est inacceptable.

Il marque une pause et lève la voix.

-Déjà, vous viendrez régulièrement me voir à 7h30 du matin deux fois par semaine, une demi heure. Oui, tôt pour que vous assistiez à tous vos cours. Je vais suivre votre évolution et si vous ne venez pas à cette heure convenue, je viendrai vous chercher par la peau de disons votre séant. Deuxièmement, si vous voulez vous améliorer, vous allez apprendre à ne pas croire que la terre entière s'est liguée contre vous. Cette paranoïa m'agace.

Yui Valentine reste immobile et poursuit.

-J'apprécie mes étudiants monsieur Yamagachi. Et pour l'instant vous en faites partie alors veillez le rester et je vous y aiderai. La confiance est quelque chose qui se construit, aussi bien avec les autres qu'en vous même.

Yui Valentine n'est pas un homme à faire états d'élans d'affection dans son comportement de manière générale. Son jeu est dans la distance, d'observation sarcastique du monde et de silences. Il n'est pas de ceux qui cherchent à se mettre en avant, ni ceux qui qui vont préférer rester en arrière plan. Si dans ses premières années à l'académie il a su se montrer insidieusement exécrable avec certains de ses patients, il a cessé cette mauvaise habitude avec le temps. Foncièrement, le directeur adjoint ne cherche pas à empoisonner l'existence des autres et c'est sans doute ce qui rattrape la liste de tous les points négatifs qu'on pourrait lui coller dessus. C'est un homme qui a confiance en ses ambitions et sa tendance à penser à lui même ne l'empêche pas de voir où se trouvent les autres. Dans cette école, pour les causes qui en vaudraient la peine, Yui Valentine se battrait. Et parce qu'il est arrivé il y a peu, les étudiants ne le savent sans doute pas, mais il se pourrait qu'il soit leur meilleur allié dans la sphère scolaire en cas de besoin. S'ils n'en veulent pas, ce n'est pas un affront en soi, et s'ils jouent contre, il saurait désagréablement pigmenter leur scolarité.

-Et troisièmement pour aujourd'hui, vous allez vous donner un objectif que vous aurez rempli assidûment d'ici la semaine prochaine, date à laquelle je vous verrai.

Bon alors.

-Donc, quel est votre objectif ? Tiens faites une nouvelle chose d'ici là par exemple. Buvez du thé.

Et Valentine n'est pas quelqu'un à perdre son temps pour les choses auxquelles il ne croit pas. Y compris les personnes. Si Nori veut être un bon élément, Valentine en ferait un très bon élément. Il y fallait juste la patience et la volonté.

Si il ne comprend pas l'ironie...bien sûr qu'il le sait. Et de toute façon , c'est faux. Ce n'est pas qu'il n'est pas un bon élément. Il n'a pas dû regarder son bulletin. Les professeurs des clubs d'art et de littérature ont même vu le jeune Yamagachi faire des efforts dans leurs matières. Si on regarde son bulletin de première année , il avait de bons résultats. Que s'est-il passé entre temps ? Il y réfléchira.

- Si , en arts , monsieur Valentine. Regardez un peu mes bulletins.

Il était franc , ce directeur adjoint. Beaucoup trop. L'enfant retenait ses larmes. Alors comme ça il n'était pas un bon élément ? Ses efforts étaient-il donc vains ? Il a toujours eu de bons résultats. Jusqu'à son arrivée ici. Quand il était petit , l'esprit de compétition n'était pas encore très présent. Il ne faisait pas d'efforts et avait de bonnes notes , ce qui lui valait des remarques de la part de ses petits camarades jaloux. Plus la compétition s'installait , moins le jeune homme était à l'aise.

- Je risque d'être encore plus fatigué et mou en classe. Mais bon. Vous le constaterez rapidement.

Mais bien sûr. Comme si avoir droit à ses petites remarques dès le matin allait faire de lui un élève excellent. Est-ce qu'il est en classe quand il a le droit aux remarques de ses camarades ? Non , il ne croit pas. Il était en train de le traiter comme un élève en train de sortir du système. Alors que le jeune homme a seulement été malade et qu'il est encore affaibli. Mais bon. Si il se plie aux règles du directeur adjoint , peut-être qu'il le laissera tranquille.

Un objectif. Boire du thé , dit-il. Il a dit qu'il n'en avait jamais bu et ce n'est sûrement pas aujourd'hui qu'il a commencé. Essayer un nouveau club ? Il pourrait s'inscrire au club cuisine. Ou aller à la piscine et demander à un élève expérimenté de lui donner des cours.

- J'aimerais bien essayer un nouveau club. Mais je ne sais pas si cette faveur est possible.

Il rit. Si il accepte , il ira une fois à ce club et retournera à ceux d'avant dès qu'il sera satisfait de ses efforts. Il sent que ces petits rendez-vous matinaux vont l'agacer. Alors il va faire semblant de changer un petit moment et revenir ensuite à ses habitudes dès que monsieur le directeur adjoint sera satisfait de son attitude et de ses résultats.

- Pourquoi cherchez-vous tant à m'aider ? Je sais très bien que ma baisse de résultats et mes absences sont dues à ma faiblesse physique et non à un manque de motivation. Il y a des élèves bien plus étranges que moi qui auraient besoin de votre aide , monsieur Valentine. Je pense qu'il serait dans votre intérêt de vous concentrer sur ce qui ont vraiment besoin de vous , et pas ceux comme moi , qui n'ont besoin que d'eux même.

Mou et fatigué? Qu'est ce qu'il n'entend pas. Ce serait donc l'étape suivante à résoudre pour la prochaine fois; après tout il avait toute la scolarité de l'élève pour y remédier. Valentine ne prend pas les choses à la légère et s'il fallait faire courir cette poupée de chiffon molle en lui faisant trois tour de terrain par jour, il était capable de l'appliquer.

-Nori, claque la voix sèche du directeur adjoint, Vous n'êtes pas un mou du bulbe, alors vous allez y mettre de votre entrain, n'est ce pas. Vous êtes malade, une incapacité physique hormis votre cheville ?

Certes avec cette cheville il ne risque pas de courir du tout.
Valentine laisse parler l'élève et apprécie l'idée que ce dernier tente un nouveau club.

-Vous avez le droit de participer à autant de clubs que vous le souhaitez, mais si vous le faites, ne vous attendez pas à l'abandonner de sitôt.
 
Il se tait de nouveau.
Effectivement, pourquoi voudrait-il aider cet élève et pas un autre ? C'est la même question qu'un jour Lun Marv lui a posé. Pourquoi ne sauve-t-il pas tout le monde, lui, dans sa profession de psychologue ? Aussi cru que cela puisse paraître, sa fonction ne consiste pas à incarner la sainteté de l'univers. Un docteur sauve des vies, certaines et pas d'autres. Un directeur d'école, adjoint, aide son directeur à cadrer les étudiants, certains plus que d'autres. Valentine, dans sa vision grandeur nature voudrait connaître tous ses élèves et c'est ce qu'il a commencé à faire. Certains plus que d'autres. C'est injuste et réaliste à la fois, il ne peut se concentrer sur toutes les personnalités à la fois.

-Et bien c'est simple Nori, si vous me parlez de vos problèmes, ...sans compter ceux que vous ne me mentionnez pas, ça fait beaucoup de choses. Alors je pars du fait que si vous m'en parlez, c'est que d'une part vous avez besoin d'aide. D'autre part, je suis le directeur et j'aime à croire que mes élèves ont mon soutien lorsque nécessaire. De même, si vous voulez rester dans cet établissement, il va falloir remédier à votre paquet de problèmes.

Valentine reste toujours à sa place contre la fenêtre, pensif.

-Ensuite je vais sonder tous les professeurs vérifier leurs méthodes de travail. Si l'un d'entre eux me rapportent qu'ils ont fait faire du par coeur de cours depuis le début de l'année, je vais m'en charger personnellement. Dans le cas contraire Nori, si cette méthode s'avère fausse, je saurai me montrer inventif à votre égard.

Valentine balaye l'air d'un geste de la main.

-Vos notes m'importent peu. Votre savoir être en revanche, si. Je préfère un élève dans une attitude positive, qui essaye de s'améliorer constamment et qui se surpasse malgré là médiocrité de ses notes, qu'un élève avec de bons résultats dans une seule matière qui relâche toutes les autres en prétextant toutes les raisons du monde. Vous avez le droit d'être fatigué un petit moment mais pas le tourner à votre confort, explique Valentine avant de rajouter, Les élèves qui sortent de cette école ont pour vocation de rentrer dans la société active, le monde du travail alors croyez le où non, vous et votre peluche avez encore du chemin à faire.

Valentine observe le gamin, qui doit approcher la vingtaine mais qui semble vouloir paraître resté à dix tout au plus.
Il s'approche finalement du bureau mais ne s'assied pas.

-Quand l'aide s'offre à vous et que vous pensez en avoir besoin, il vaut mieux l'accepter tant qu'elle est là. Parce qu'après c'est trop tard.

Yui Valentine laisse encore le choix au garçon de se reprendre tout seul avec ou sans lui.
Tant qu'il n'agit pas contre, ce que ce dernier choisit de faire lui convient.

-Parce que vous êtes dans mon établissement et que vous êtes important, simplement.

- J'ai une santé relativement fragile , monsieur Valentine. N'ayant pas encore totalement récupéré , je me fatigue très vite.

Il sourit. Ce n'est pas une excuse , évidemment. Pourquoi n'aurait-il pas un petit majordome en vélo avec une petite cabine derrière pour qu'il ne se fatigue pas ? L'idée le fit rire , mais il reprit vite son sérieux pour ne pas s'attirer la colère du directeur adjoint. Il pourrait également en profiter pour demander une dispense de sport , mais bon.

- Pourquoi il n'y a pas une semaine découverte des clubs ? Chaque année , les élèves pourraient les tester avant de s'inscrire , ce qui éviterait quelques grommellements. Bonne idée , n'est-ce pas ?


Il avait saisi son idée d'arrêter après lui avoir montré qu'il s'impliquait. Mince. Pourquoi devrait-il régler ses problèmes pour rester dans cet établissement ? Le directeur adjoint se déplace. Il a l'impression de le gêner dans son heure de discussion avec la salle de permanence et la fenêtre. Ça a l'air passionnant.

- J'en parle pour que l'entretien se termine plus vite , monsieur Valentine. J'aimerais bien ne pas rater ma pause dessin entre midi et deux. Et avoir le temps de manger , aussi.

Alors comme ça , le directeur adjoint pourrait trouver des méthodes d'enseignement adaptées à Nori...ou comment ils vont se retrouver tous les deux à faire des gâteaux pour tenter de faire comprendre au gamin de dix-sept ans ce que sont les fractions. Ou des petites pièces de théâtre pour la littérature. Ça serait amusant.

- Cette initiative de votre part est fort agréable.

La vie active. Ah oui. Si le gosse lui pond qu'il veut être psychologue , le directeur adjoint risque de tomber de haut. Et sa peluche. Elle est bien sa peluche , non ? Avoir une attitude positive qui essaye de s'améliorer , c'est tout lui. Il vient en effet à plus de cours qu'auparavant.

- Vous allez être surpris de mes projets d'avenir , monsieur Valentine. Je voudrais continuer en Psychologie , à l'université de l'Académie si c'est possible. Étonnant n'est-ce pas ?

Le jeune homme en avait marre de cet entretien. Il voulait sortir de cette salle et retourner dans sa classe.  Au lieu d'essuyer les remarques de ses camarades , il assumera. Il dira qu'il était chez le directeur adjoint pour trouver une solution à ses difficultés. C'est la vérité , pourquoi ne pas leur dire ?

- Soit. Pourrais-je retourner en cours , s'il vous plaît ?

C'est vrai que si ils se voyaient souvent , il n'était pas nécessaire que cet entretien dure longtemps. On fixe une prochaine date , et voilà. Lui peut retourner se balader avec sa tasse de thé dans les couloirs , et Nori peut aller en cours ou dessiner. Et tout le monde est content.

Valentine observe le garçon.

-Vous ne pouviez pas me le dire plus tôt ?

Parce que ne pas pouvoir aller en cours par désintérêt et ne pas y aller par incapacité physique ne sont pas du même ressort. L'attitude désinvolte de Nori donne tout à penser que c'est la première option plutôt que la seconde, voire un mélange des deux. Le directeur le saurait assez vite; il étudie néanmoins l'étudiant sous différentes perspectives et finit par acquiescer.

-Effectivement, la semaine d'intégration est quelque chose que j'envisage pour les prochaines rentrées.

Valentine écoute les remarques et les suggestions de Yamagachi. Finalement le côté insolent de ce gamin recèle une autre part plus censée et terre au terre, à l'entendre parler. Et il avait des perspectives d'avenir lui prouvant qu'il en avait, lui au moins. Son cas de figure n'est pas plus désespéré qu'un autre, en fin de compte. Les provocations où les remarques arrogantes des étudiants n'ont pas vraiment d'emprise sur Valentine.

-Et bien j'espère vous voir accéder à vos aspirations, Nori. Vous pouvez y aller, l'entretien est terminé.

Le directeur n'a nulle intention de faire durer l'entretien pour la faire durer. L'essentiel a été posé sur la table et il a la photographie mentale de cet élève et de ses problèmes. Ça lui suffit, pour aujourd'hui. Ils se reverraient.

-Faites attention avec vos béquilles. Il pleut beaucoup en ce moment.

Valentine se lève et range le siège en face de l'étudiant, qu'il salue de quelques mots avant de sortir de la pièce.

-Apportez moi vos croquis la prochaine fois.