~ Prince Of Nowhere ~

Ce puzzle cassé...on peut encore en réunir les pièces. Il n’est pas trop tard pour ça, mais il faut être patient. Surtout lorsqu’il n’y a aucun modèle à suivre.

Cammy découvre le mystère du nom de ce parc qui lui est encore inconnu. En regardant le paysage monotone et disgracieux qui glissent mécaniquement sous le mouvement rapide du véhicule sur la route, la jeune femme imagine mal voir apparaitre la moindre féérie dans cet environnement. Où Lawrence peut-il l’amener, elle ne se pose même plus la question. Elle n’imagine même pas découvrir un parc, certainement est-ce là une invention de son ami. Cependant, à la façon dont Lawrence détaille ses explications, elle a envie d’y croire. De croire que de la laideur, quelque délicatesse peut naitre. La dernière fois que ses pas ont foulé Bougu, c’était peu après le scandale du FLPCB qui l’avait amené à l’exil. Elle se voit encore résider dans cet hôtel sordide, là où personne n’aurait eu l’idée de la chercher. Le monde avait fini par la terrifier et encore aujourd’hui, elle peine à se réconciler avec lui. Toutefois, le fait que Lawrence ait pu mettre un peu de lui et de cette beauté qu’il arrive à faire naitre de ses doigts à défaut de ses lèvres, intéresse la jeune femme. Et Bougu est le lieu idéal pour simuler l’espoir de ce monde. Si Lawrence parvient ne serait-ce que surprendre l’Australienne et lui faire redécouvrir ce quartier mal fâmé autrement que par le souvenir de son bref passage par ces ruelles nauséabondes qu’elle a foulées plus de trois ans auparavant… Ce serait vraiment vivifiant. Elle a vraiment, vraiment  envie d’y croire cette fois.

Le van ralentit  peu à peu, mais le prince ne répond pas. L’espace d’un instant, Cammy craint d’avoir été trop indiscrète et pourtant, elle ne s’en formalise pas sur le coup. Quelque part, elle se dit qu’elle peut se permettre, au point où ils en sont, d’aller aussi loin que Lawrence est lui-même allé en la décevant. Elle pense même à assimiler sa question à un test, comme pour mesurer la profondeur du lien que peut bien unir les deux jeunes gens. Plus Lawrence hésite, plus il cherche ses mots, plus la curiosité de la Pandore de cette ère est exacerbée. En fin de compte, la vérité est effarante: ils ne se connaissent même pas. Cammy ignore tout de l’histoire de son ami. Lui, en sait bien plus, même si cela se résume à peu. Dans la question qu’elle a posée, se cache une vérité, une souffrance difficile à exprimer. Le regret fait alors son chemin, et au final, ce test n’a pas lieu d’être. Si Lawrence ne désire pas en faire état, Cammy n’a pas à lui forcer la main. Ce n’est que lorsqu’il baisse les yeux à nouveau qu’elle déplore son arrogance. Depuis quand est-elle devenue à ce point égoiste ? Elle se décide à revenir sur sa question maladroite, mais un peu trop sur le tard. Lawrence se lance dans la confession ; il est alors trop tard pour revenir en arrière. Lui couper la parole pour lui demander au final de ne pas répondre serait bien plus impoli. Alors, attentive,  elle écoute. Plus encore, elle boit les révélations intimes de Lawrence, cet étudiant populaire au sourire parfait, pantin devant tout le monde mais qui, au final, garde bien enfoui un véritable trésor. Des sentiments que l’on ne peut jouer, encore moins surjouer. Les rires et les sourires sont bien plus facile à présenter aux autres que la nostalgie, les heurts, les peines. Les faiblesses. Dans l’habitacle rafraichi par la nuit hivernale, dans ces ténèbres qu’un lampadaire éloigné n’arrive pas à atteindre… Cammy Logan n’a jamais vu Lawrence Swanster aussi scintillant. Définitivement, à ce moment là, loin des regards mièvres et scrutateurs d’un fan club ridicule, le jeune blond a tout d’un prince.

Et puis, avant qu’elle n’ait pu se repaitre convenablement de cette vision surprenant de sincérité de son ami, il s’extirpe de sa vue. Cammy expire longuement : elle se rend alors compte qu’elle a retenu sa respiration. La nuit n’impose alors d’elle même.

LA NUIT
tous les chagrins sont gris

La portière s’ouvre alors. Durant ce laps de temps très court, le manque s’est instauré. Une crainte de fin soudaine, Cammy a déjà oublié la raison de sa présence en ce lieu. Où Lawrence l’a-t-il emmenée, et pourquoi ? La portière s’ouvre enfin, rassurant l’Australienne qui ne tarde pas à accepter son aide afin de descendre de la monture. Elle ne prête pas tout de suite attention au décor, soucieuse de l’état intérieur de l’étudiant. Décidément, leur langue maternelle semble être la véritable reine de la soirée. Pour un peu, cela réconforterait Cammy. Elle se sentirait presque de retour dans son pays natal. Sauf que les nuits d’Australie en cette période de l’année ne sont pas aussi fraiches.

A présent, c’est elle qui n’ose plus le regarder. Quelle situation conflictuelle que se sentir autant tourmentée que ravie de l’avoir forcé aux aveux de son coeur. Toutefois, le véritable tourment, c’est la révélation qui suit cette caresse hasardeuse. Le contact sur sa joue la surprend, elle tressaille, ses yeux se fond ronds.

« You feel like that too, sometimes. Must be why I like you so much. »

“I like you so much”. Cammy espère que le peu de lumière environnante permettra de masquer suffisamment ses pommettes soudainement empourprées. La déclaration est ambigüe, tant dans sa manière d’être dite, que dans les paroles en elles-même.
Aussitôt, l’analyse fait son chemin. La rouquine ne veut pas se laisser emporter dans le romantisme, la situation ne s’y prête pas et puis… Elle estime avoir subi bien trop d’épreuves pour s’encombrer d’un autre mal. Les pieds à nouveaux sur terre, elle reprends les mots dans leur contexte : “You feel like that too, sometimes.“ Elle est juste un point de comparaison. Même honorée d’être assimilée à ce membre de la famille que Lawrence semble profondément attaché, elle n’est certainement pour le populaire que l’image analogue de cette personne qui lui manque. Au final, Cammy finira par étirer ses lèvres empruntes d’une mélancolie légère. Elle envie un peu cet individu, cette ombre qui obscurcit les pensées de son ami. Prenant appui sur sa petit canne d’un côté, et sur le bras de Lawrence de l’autre, ses prunelles finissent par accorder de l’intérêt au paysage qui se présente à elle depuis quelques instants. Les bâtiments grossiers se voient vite éclipsés par le petit enchantement qui s’impose délicatement à sa vue. Il n’y a pas là d’abondance, mais de la subtilité, de la fraicheur incomparable à celle de l’hiver, une île de douceur au coeur de cette mer d’immondices qu’est le quartier Bougu. Non sans une légère difficulté, elle délaisse son appui près d’une rampe pour gravir de petits escaliers tout en maintenant le bas de sa robe de soirée. Ce qui ne sert désormais plus à grand chose à part éviter une chute en marchant dessus. Elle se maintient plus fermement encore au bras de Lawrence qui, pour sûr, dois supporter de ce fait une bonne partie de son poids. On est gentleman ou on ne l’est pas. L’escalade terminée, l’observation insistante de Cammy sur le sol s’échappe pour un spectacle des plus éblouissants.

- …

Elle lache soudainement sa robe, portant ainsi sa main jusqu’à ses lèvres. La vue du kiosque et de l’instrumant qui se trouve en son coeur lui arrache un hoquet de stupeur. Si elle n’était pas accrochée à Lawrence, pour sûr qu’elle en serait tombée à terre. Accordant une observation panoramique sur l’ensemble de ce petit Paradis pour finir sur le piano, Cammy déglutit. Et aucun mot, pas même un son ne parviendra à s’évader de son corps.

Lawrence finit par sourire - enfin - puis s’incliner, et c’est un petit rire mélé d’un sanglot qui se libère alors de la reine de Noël. Elle ne se dérobe pas à son regard cette fois, pas plus que lui. L’amertume s’est définitivement envolée, laissant place à la reconnaissance.

- Thank you Lawrence. You really are a prince.

Elle reporte son regard sur l’instrument de musique. Le piano et le violon ont toujours été ses préférés.

- Do you remember our first dance ? Hungarian Dance  N°.4 in F-sharp Minor, Johannes Brahms.

Pendant un court instant, des perles salées ont manqué de rouler. Durant ce même instant, Cammy a éprouvé le besoin de ressentir la chaleur de ce prince de nulle part. Comme en ce jour là, dans la salle du club de jardinage qu’elle présidait alors.


[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] - ©RoBERT
Princesse de Rien